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21/11/2014 | FRANCE | N°380920

France | France, Conseil d'État, 1ère ssjs, 21 novembre 2014, 380920


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 et 10 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D...J..., Mme T...AF..., M. M...G..., M. C...AB..., M. A...X..., Mme AA...AG..., M. U...E..., M. V...F..., M. Q...Z..., M. C...N..., M. L... S..., M. R...I..., M. D...AC..., M. B...Y..., M. O...W..., Mme H...AD..., M. P...AE...et Mme AH...K...demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 avril 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté leur recours gracieux tendant au r

etrait du décret n° 2014-182 du 18 février 2014 portant délimit...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 et 10 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D...J..., Mme T...AF..., M. M...G..., M. C...AB..., M. A...X..., Mme AA...AG..., M. U...E..., M. V...F..., M. Q...Z..., M. C...N..., M. L... S..., M. R...I..., M. D...AC..., M. B...Y..., M. O...W..., Mme H...AD..., M. P...AE...et Mme AH...K...demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 7 avril 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté leur recours gracieux tendant au retrait du décret n° 2014-182 du 18 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de Saône-et-Loire.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, auditeur,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. J...et les autres requérants doivent être regardés comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 18 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de Saône-et-Loire ainsi que la décision du 7 avril 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté leur recours gracieux tendant au retrait de ce décret.

2. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels sont élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ". Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil général qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) / III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques (...) ou par d'autres impératifs d'intérêt général ".

3. Le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département de Saône-et-Loire, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons de ce département de cinquante-sept à vingt-neuf résultant de l'article L. 191-1 du code électoral.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

4. En premier lieu, d'une part, s'il résulte des dispositions du I de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales citées au point 2 que le conseil général dispose d'un délai de six semaines pour se prononcer sur les modifications des limites territoriales des cantons du département, au terme duquel son avis est réputé rendu, ces dispositions ne font aucunement obstacle à ce que le conseil général émette son avis sans attendre le terme du délai qui lui est imparti. D'autre part, les requérants ne contestent pas le respect du délai prévu par les dispositions du premier alinéa de l'article L. 3121-19 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient que : " Douze jours au moins avant la réunion du conseil général, le président adresse aux conseillers généraux un rapport, sous quelque forme que ce soit, sur chacune des affaires qui doivent leur être soumises ". Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le délai de quatorze jours ayant séparé la convocation de la réunion du conseil général aurait été trop court pour permettre aux conseillers généraux de recueillir l'avis des élus locaux et des populations concernées et que la consultation du conseil général de Saône-et-Loire serait, par conséquent, irrégulière.

5. En second lieu, les requérants ne peuvent, en tout état de cause, utilement se prévaloir des termes de la circulaire du ministre de l'intérieur du 12 avril 2013 relative à la méthodologie du redécoupage cantonal en vue de la mise en oeuvre du scrutin binominal majoritaire aux élections départementales, laquelle est dépourvue de caractère réglementaire. Les dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales se bornent à prévoir la consultation du conseil général du département concerné à l'occasion de l'opération de création et suppression de cantons. Aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'imposaient à l'auteur du décret de procéder, préalablement à l'intervention du décret litigieux, à une consultation des sénateurs du département, des présidents des associations des maires du département ou encore des conseillers généraux, notamment de l'opposition, à titre individuel. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière faute de telles consultations.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

6. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton, seules des exceptions de portée limitée et spécialement justifiées pouvant être apportées à ces règles. Ni ces dispositions, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale. La seule circonstance que la délimitation de plusieurs cantons du département de Saône-et-Loire ne correspondrait pas à celle de ces établissements publics n'est pas de nature à établir que les choix opérés par le décret attaqué dans le rattachement de certaines communes à un canton plutôt qu'un autre seraient entachés d'erreur manifeste d'appréciation.

7. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 191 du code électoral résultant de la loi du 17 mai 2013, en vertu desquelles les candidats au conseil départemental devront se présenter aux suffrages en constituant des binômes de deux personnes de sexe différent, et celles de l'article L. 191-1 du même code, résultant de la même loi, qui ont prévu la réduction de moitié du nombre des cantons dans lesquels seront ainsi élus les conseillers départementaux par rapport au nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, impliquaient de procéder à une nouvelle délimitation de l'ensemble des circonscriptions cantonales de chaque département, en se conformant aux règles énoncées aux III et IV de l'article L. 3113-2. Par suite, les requérants ne peuvent utilement invoquer à l'encontre de cette délimitation d'ensemble la circonstance qu'elle modifierait les limites de cantons qui satisfaisaient déjà à l'exigence tenant aux bases essentiellement démographiques de cette délimitation.

8. En troisième lieu, d'une part, si, comme le soutiennent les requérants, le canton n° 8 (La Chapelle-de-Guinchay) a une population supérieure à la moyenne départementale de 17,6 %, il ressort des pièces du dossier que cet écart est justifié par le souhait de respecter les périmètres des communautés de communes de Matour et sa région, du Mâconnais Charolais et du Mâconnais Beaujolais, tout en satisfaisant à l'exigence de continuité du territoire de chaque canton. De telles considérations, qui sont dépourvues de caractère arbitraire, n'ont pas conduit, en l'espèce, à méconnaître l'obligation, énoncée au a) du III de l'article L. 3113-2, de définir le territoire de chaque canton sur des bases essentiellement démographiques. D'autre part, aucune règle ni aucun principe n'imposaient au Premier ministre, pour réduire la disparité de superficie entre cantons, de les délimiter de telle façon que la population des cantons ruraux soit inférieure à la moyenne départementale et celle des cantons urbains supérieur à cette moyenne. Si les requérants soutiennent que certains cantons ruraux sont plus peuplés que des cantons urbains, tels ceux du Creusot-1 et du Creusot-2, et qu'un tel écart est de nature à pénaliser la représentation des territoires ruraux, la seule circonstance que certaines zones rurales seraient, à raison de la mise en oeuvre des règles posées au III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, moins bien représentées que des zones urbaines au sein de l'assemblée départementale est sans incidence sur la légalité du décret litigieux.

9. En quatrième lieu, le décret litigieux n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les ressorts des juridictions de l'ordre judiciaire fixés conformément au tableau IV annexé aux articles D. 211-1 et D. 221-1 du code de l'organisation judiciaire en fonction des cantons tels qu'ils étaient définis à la date d'entrée en vigueur des décrets ayant institué puis modifié ce tableau. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué serait de nature à modifier les ressorts des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance, ainsi que la compétence territoriale des huissiers de justice.

10. En cinquième lieu, si l'article R. 112 du code électoral, dans sa version actuellement en vigueur, prévoit que le recensement général des votes est fait par le bureau du chef-lieu de canton, la version de cet article applicable, comme le décret attaqué, à compter du prochain renouvellement général des assemblées départementales, confie ce rôle au bureau centralisateur du canton. Ainsi, la qualité de bureau centralisateur d'un canton sera, à compter de l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, dépourvue de tout lien avec celle de chef-lieu de canton. Dès lors, en désignant les bureaux centralisateurs des nouveaux cantons, le décret attaqué n'a eu ni pour objet ni pour effet de procéder au transfert du siège de chefs-lieux de canton. Il suit de là que le moyen tiré de ce que la désignation de nouveaux chefs-lieux de canton, en faisant perdre cette qualité ainsi que les dotations qui y sont actuellement attachées à trente-et-une communes du département, entacherait d'illégalité le décret attaqué, ne peut qu'être écarté. Le décret ne désignant pas de chefs-lieux de cantons, il en est de même du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui entacherait le choix de nouveaux chefs-lieux.

11. En dernier lieu, s'il est soutenu que la réduction du nombre de cantons dans le département est susceptible d'entraîner la perte du bénéfice de la dotation de solidarité rurale pour certaines communes du département, par application des dispositions de l'article L. 2334-21 du code général des collectivités territoriales, cette circonstance ne résulte pas, en tout état de cause, du décret attaqué mais de l'exigence de réduction du nombre de cantons posée par l'article L. 191-1 du code électoral issu de la loi du 17 mai 2013. Par suite, elle n'est pas de nature à entacher d'illégalité le décret attaqué.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent. Par voie de conséquence, leurs conclusions dirigées contre la décision du 7 avril 2014 rejetant leur recours gracieux contre ce décret doivent être également rejetées, sans que les vices propres dont cette décision serait entachée puissent être utilement invoqués.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. J...et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D...J..., à Mme T...AF..., à M. M...G..., à M. C...AB..., à M. A...X..., à Mme AA...AG..., à M. U...E..., à M. V...F..., à M. Q...Z..., à M. C...N..., à M. L...S..., à M. R...I..., à M. D...AC..., à M. B...Y..., à M. O...W..., à Mme H...AD..., à M. P...AE..., à Mme AH...K...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 1ère ssjs
Numéro d'arrêt : 380920
Date de la décision : 21/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2014, n° 380920
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julia Beurton
Rapporteur public ?: Mme Maud Vialettes

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:380920.20141121
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