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17/12/2014 | FRANCE | N°383316

France | France, Conseil d'État, 4ème / 5ème ssr, 17 décembre 2014, 383316


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par un jugement n° 1401725-5 du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Montpellier a, sur déféré du préfet de l'Hérault, annulé l'élection de M. A...B...en qualité de conseiller communautaire de la communauté d'agglomération de Montpellier lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014.

Par une ordonnance n° 1401725 du 19 mai 2014, le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Montpellier avait préalablement refusé de transmettre au Conseil d

'Etat la question, posée par M.B..., de la conformité de l'article L. 237-1 du code élec...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par un jugement n° 1401725-5 du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Montpellier a, sur déféré du préfet de l'Hérault, annulé l'élection de M. A...B...en qualité de conseiller communautaire de la communauté d'agglomération de Montpellier lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014.

Par une ordonnance n° 1401725 du 19 mai 2014, le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Montpellier avait préalablement refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question, posée par M.B..., de la conformité de l'article L. 237-1 du code électoral issu de l'article 23 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 4 juillet 2014 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter le déféré du préfet de l'Hérault ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code électoral ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public.

1. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 237-1 du code électoral : " Le mandat de conseiller communautaire est incompatible avec l'exercice d'un emploi salarié au sein de l'établissement public de coopération intercommunale ou de ses communes membres " ;

2. Considérant que, par un jugement du 4 juillet 2014, le tribunal administratif de Montpellier a, sur déféré du préfet de l'Hérault, annulé l'élection de M. B...en qualité de conseiller communautaire de la communauté d'agglomération de Montpellier lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014, au motif qu'en application de ces dispositions, ce mandat était incompatible avec son emploi de salarié de la commune de Montferrier, membre de cette communauté d'agglomération ; qu'à l'occasion de son appel contre ce jugement, M. B...conteste l'ordonnance du 19 mai 2014 par laquelle le président de la quatrième chambre du tribunal administratif avait auparavant refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article L. 237-1 du code électoral ;

Sur la contestation de l'ordonnance du 19 mai 2014 refusant de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article L. 237-1 du code électoral :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation " ; que si l'article R. 771-7 du code de justice administrative autorise les présidents de juridiction et les présidents de formation de jugement désignés à cet effet par le chef de juridiction à statuer par ordonnance sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, il ne saurait les dispenser de l'obligation de motivation rappelée par les dispositions précitées ;

4. Considérant qu'en se bornant à énoncer que les moyens soulevés par M. B... ne présentaient pas de caractère sérieux, le président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Montpellier n'a pas suffisamment motivé sa décision ; que, son ordonnance doit, pour ce motif, être annulée ;

5. Considérant que, compte tenu de l'expiration du délai imparti au tribunal administratif par l'article R. 120 du code électoral pour se prononcer sur le déféré du préfet, à l'occasion duquel M. B...a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, il y a lieu d'examiner immédiatement cette question ;

6. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'Etat à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

7. Considérant, en premier lieu, que l'annulation de l'élection de M. B...en qualité de conseiller communautaire de la communauté d'agglomération de Montpellier prononcée par le tribunal administratif de Montpellier est fondée sur l'incompatibilité de ce mandat avec l'exercice par l'intéressé de son emploi de directeur général des services d'une des communes membres de cette communauté d'agglomération ; que, par suite, les dispositions contestées de l'article L. 237-1 du code électoral ne sont pas applicables au litige en tant qu'elles rendent incompatibles le mandat de conseiller communautaire avec l'exercice d'un emploi salarié au sein de l'établissement public de coopération intercommunale ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que si le législateur peut prévoir des incompatibilités entre mandats électoraux ou fonctions électives et activités ou fonctions professionnelles, la restriction ainsi apportée à l'exercice de fonctions publiques doit être justifiée, au regard des exigences découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, par la nécessité de protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou l'indépendance des juridictions contre les risques de confusion ou de conflits d'intérêts ; qu'en rendant incompatible le mandat de conseiller communautaire avec l'exercice d'un emploi salarié au sein des communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale concerné, le législateur a institué une interdiction qui, par sa portée, n'excède pas manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d'intérêts ;

9. Considérant, en troisième lieu, que la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

10. Considérant, en quatrième lieu, que, les règles relatives aux incompatibilités et celles concernant les conditions d'éligibilité ayant une nature et une portée distinctes, M. B... ne peut utilement se prévaloir, pour soutenir que les dispositions du II de l'article L. 237-1 du code électoral sont contraires au principe constitutionnel d'égalité, de ce que les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 231 du même code n'interdisent qu'à ceux des salariés des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant des fonctions dirigeantes d'être élus au conseil municipal d'une des communes membres ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée par M. B..., qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, par suite, sans qu'il y ait lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les dispositions du II de l'article L. 237-1 du code l'électoral méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur les autres moyens de la requête :

12. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 248 du code électoral : " Le préfet, s'il estime que les conditions et les formes légalement prescrites n'ont pas été remplies, peut ( ...) déférer les opérations électorales au tribunal administratif " ; que ces dispositions sont applicables à l'élection des conseillers communautaires représentant les communes de 1 000 habitants et plus en vertu de l'article L. 273-6 qui rend applicables à cette élection les dispositions du chapitre Ier du titre IV du livre Ier, auquel appartient l'article L. 248 ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 239 du même code : " Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'incompatibilité prévus par les articles (...) L. 237-1 (...), est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d'Etat, conformément aux articles L. 249 et L. 250 " ;

13. Considérant que la raison pour laquelle M. B...tombait sous le coup de l'incompatibilité prévue par l'article L. 237-1 du code électoral préexistait à son élection ; que, par suite, le préfet de l'Hérault ne pouvait pas engager la procédure de démission d'office prévue par l'article L. 239 du code électoral, qui n'est applicable que lorsque la cause de l'incompatibilité est survenue postérieurement à l'élection ; qu'il était par conséquent recevable à demander au tribunal administratif l'annulation de l'élection de M. B...en qualité de conseiller communautaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 248 ;

14. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 237 du code électoral : " Les fonctions de conseiller municipal sont incompatibles avec celles : / 1° de préfet ou sous-préfet et de secrétaire général de préfecture ; / 2° De fonctionnaire des corps de conception et de direction et de commandement et d'encadrement de la police nationale ; / 3° De représentant légal des établissements communaux ou intercommunaux mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière dans la ou les communes de rattachement de l'établissement où il est affecté. / Les personnes désignées à l'article L. 46 et au présent article qui seraient élues membres d'un conseil municipal auront, à partir de la proclamation du résultat du scrutin, un délai de dix jours pour opter entre l'acceptation du mandat et la conservation de leur emploi. A défaut de déclaration adressée dans ce délai à leurs supérieurs hiérarchiques, elles seront réputées avoir opté pour la conservation dudit emploi " ; qu'ainsi que le soutient lui-même le requérant, le délai d'option prévu par le dernier alinéa de l'article L. 237, au-delà duquel l'intéressé est réputé avoir choisi de conserver son emploi à défaut de choix exprès de sa part, n'est pas applicable aux incompatibilités prévues par l'article L. 237-1 ; qu'aucune autre disposition ne prévoit un délai d'option dans une telle hypothèse ; qu'il en résulte que M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'à l'expiration d'un délai de dix jours, il devait être regardé comme ayant renoncé à son mandat et que le déféré du préfet de l'Héraut était dès lors privé d'objet ;

15. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient le requérant, aucun principe ni aucune disposition n'imposait au préfet de le mettre en demeure de choisir entre son mandat de conseiller communautaire et son emploi salarié incompatible avec ce mandat avant de saisir le juge de l'élection ;

16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué dont, contrairement à ce que soutient le requérant, la minute comporte les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative, le tribunal administratif de Montpellier a annulé son élection en qualité de conseiller communautaire de la communauté d'agglomération de Montpellier ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une somme à M. B...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 19 mai 2014 du président de la quatrième chambre du tribunal administratif de Montpellier est annulée.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B....

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 4ème / 5ème ssr
Numéro d'arrêt : 383316
Date de la décision : 17/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ÉLECTIONS ET RÉFÉRENDUM - ÉLECTIONS MUNICIPALES - INCOMPATIBILITÉS - ELECTIONS AUX CONSEILS MUNICIPAL ET COMMUNAUTAIRE - INCOMPATIBILITÉS PRÉVUES PAR L'ARTICLE L - 237-1 DU CODE ÉLECTORAL (EMPLOI SALARIÉ AU SEIN DE LA COMMUNE OU DE L'EPCI) - INEXISTENCE D'UN DÉLAI D'OPTION ANALOGUE À CELUI PRÉVU POUR LES INCOMPATIBILITÉS INSTITUÉES PAR L'ARTICLE L - 237 DE CE CODE.

28-04-03 Le délai d'option prévu par le dernier alinéa de l'article L. 237, au-delà duquel l'intéressé est réputé avoir choisi de conserver son emploi à défaut de choix exprès de sa part, n'est pas applicable aux incompatibilités prévues par l'article L. 237-1 (emploi salarié au sein de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI)) et aucune autre disposition ne prévoit un délai d'option dans une telle hypothèse. En outre, aucun principe ni aucune disposition n'impose au préfet de mettre en demeure un candidat élu de choisir entre son mandat de conseiller communautaire et son emploi salarié incompatible avec ce mandat avant de saisir le juge de l'élection.

ÉLECTIONS ET RÉFÉRENDUM - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - ANNULATION DE LA DÉCISION DE REFUS DE TRANSMISSION POUR IRRÉGULARITÉ - EXISTENCE D'UN DÉLAI EXPIRÉ IMPARTI AU JUGE ÉLECTORAL DE PREMIÈRE INSTANCE POUR STATUER - CONSÉQUENCE - CONSEIL D'ETAT STATUANT DIRECTEMENT SUR LA QPC [RJ1].

28-08 Après annulation pour irrégularité de l'ordonnance refusant la transmission, le juge d'appel statue directement, et non par la voie de l'évocation, sur la QPC présentée en première instance dans le cadre d'un litige électoral auquel s'applique le délai prévu par l'article R. 120 du code électoral, du fait que ce délai est dépassé.

ÉLECTIONS ET RÉFÉRENDUM - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - DÉFÉRÉ ÉLECTORAL (L - 248 DU CODE ÉLECTORAL) - INCLUSION - DEMANDE D'ANNULATION DE L'ÉLECTION D'UN CANDIDAT EN RAISON D'UNE INCOMPATIBILITÉ QUI PRÉEXISTAIT À L'ÉLECTION.

28-08-01 Dès lors que la raison pour laquelle le candidat élu tombe sous le coup de l'incompatibilité prévue par l'article L. 237-1 du code électoral préexistait à son élection, le préfet de l'Hérault ne peut pas engager la procédure de démission d'office prévue par l'article L. 239 du code électoral, qui n'est applicable que lorsque la cause de l'incompatibilité est survenue postérieurement à l'élection, mais il est recevable à demander au tribunal administratif l'annulation de l'élection de ce candidat sur le fondement des dispositions de l'article L. 248.

PROCÉDURE - CONTENTIEUX ÉLECTORAL - ANNULATION DE LA DÉCISION DE REFUS DE TRANSMISSION POUR IRRÉGULARITÉ - EXISTENCE D'UN DÉLAI EXPIRÉ IMPARTI AU JUGE ÉLECTORAL DE PREMIÈRE INSTANCE POUR STATUER - CONSÉQUENCE - CONSEIL D'ETAT STATUANT DIRECTEMENT SUR LA QPC [RJ1].

54-10-10 Après annulation pour irrégularité de l'ordonnance refusant la transmission, le juge d'appel statue directement, et non par la voie de l'évocation, sur la QPC présentée en première instance dans le cadre d'un litige électoral auquel s'applique le délai prévu par l'article R. 120 du code électoral, du fait que ce délai est dépassé.


Références :

[RJ1]

Cf CE, 19 janvier 1972, Elections municipales de Dalancourt (Aube), n° 83209, p. 62.


Publications
Proposition de citation : CE, 17 déc. 2014, n° 383316
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: M. Rémi Keller

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:383316.20141217
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