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30/12/2014 | FRANCE | N°367428

France | France, Conseil d'État, 10ème / 9ème ssr, 30 décembre 2014, 367428


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 avril et 5 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme D...A..., demeurant ...; MmeA..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure Mlle E...C..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 12001315 du 28 novembre 2012 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2011 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés e

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 avril et 5 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme D...A..., demeurant ...; MmeA..., agissant en qualité de représentante légale de sa fille mineure Mlle E...C..., demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 12001315 du 28 novembre 2012 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 décembre 2011 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé de reconnaître la qualité de réfugiée à sa fille mineure, Mlle E...C...ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides la somme de 2 000 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de Mme A...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MmeA..., ressortissante malienne, a rejoint en France son époux, M. B...C..., également ressortissant malien et titulaire d'une carte de résident ; qu'elle a eu avec lui une fille, Mlle E...C..., née le 13 novembre 2010 ; que Mme A...a fait part à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de sa crainte que sa fille soit excisée en cas de retour au Mali et lui a demandé, en conséquence, en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure, que celle-ci puisse bénéficier du statut de réfugié ; que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'admission au statut de réfugié par une décision confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 28 novembre 2012 à l'encontre de laquelle Mme A...se pourvoit en cassation au nom de sa fille mineure ;

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne " qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays " ;

3. Considérant qu'un groupe social, au sens de ces stipulations et des dispositions de la directive du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié, est constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, ou une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; que l'appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou, s'ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe ;

4. Considérant qu'il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social ; qu'il appartient cependant à une personne qui sollicite l'admission au statut de réfugié en se prévalant de son appartenance à un groupe social de fournir l'ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, relatifs aux risques qu'elle court personnellement, de manière à permettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et, le cas échéant, au juge de l'asile d'apprécier le bien-fondé de sa demande ; qu'en outre, l'admission au statut de réfugié peut légalement être refusée, ainsi que le prévoit l'article L. 713 3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque l'intéressé peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine, à laquelle il est en mesure, en toute sûreté, d'accéder afin de s'y établir et d'y mener une vie familiale normale ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnée à l'article L. 711-1 et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes : (...) / b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que ces dispositions ne subordonnent l'octroi de la protection subsidiaire qu'à l'existence de menaces personnelles pour les causes qu'elles énumèrent ; que les circonstances tirées de ce que le séjour dans le pays d'accueil est sûr, que le demandeur n'a pas l'intention de rejoindre le pays d'origine ou que les personnes qui en ont la charge s'il est mineur n'ont pas cette intention sont dénuées de toute incidence sur l'octroi de la protection ;

6. Considérant que, pour refuser à Mlle C...la qualité de réfugié au titre de l'appartenance à un groupe social au sens du 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève, la Cour nationale du droit d'asile s'est fondée sur ce que, née en France, elle ne pouvait, compte tenu de son jeune âge, être en mesure de manifester son refus de la pratique des mutilations sexuelles ; que, pour refuser de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, la Cour s'est fondée sur la circonstance que l'un de ses parents était titulaire d'une carte de résident ayant vocation à être renouvelée, ce qui permettait à l'intéressée de bénéficier d'un séjour autorisé et donc " d'une protection suffisante de la part de son père " ;

7. Considérant qu'en subordonnant la reconnaissance de la qualité de réfugié comme membre d'un groupe social à l'exigence que la personne en cause ait manifesté son appartenance à ce groupe, la Cour nationale du droit d'asile a entaché sa décision d'erreur de droit en ce qui concerne tant la définition du groupe social que l'établissement du lien d'appartenance de cette personne à celui-ci ; qu'en se fondant sur la circonstance que l'un de ses parents séjournait régulièrement en France, la Cour, qui a au surplus méconnu les droits spécifiques procurés tant par le statut de réfugié que par la protection subsidiaire par rapport aux titres ordinaires de séjour, a également entaché sa décision d'une erreur de droit ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A...est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;

9. Considérant que Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Prado de la somme de 2 000 euros, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 28 novembre 2012 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.

Article 3 : L'Office français de protection des réfugiés et apatrides versera à Me Le Prado, avocat de MmeA..., la somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D...A..., représentante légale de sa fille mineure Mlle E...C..., et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


Synthèse
Formation : 10ème / 9ème ssr
Numéro d'arrêt : 367428
Date de la décision : 30/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

- CIRCONSTANCES TIRÉES DE CE QUE LE SÉJOUR DANS LE PAYS D'ACCUEIL EST SÛR - QUE LE DEMANDEUR N'A PAS L'INTENTION DE REJOINDRE LE PAYS D'ORIGINE OU QUE LES PERSONNES QUI EN ONT LA CHARGE S'IL EST MINEUR N'ONT PAS CETTE INTENTION - INCIDENCE SUR L'OCTROI DE LA PROTECTION - ABSENCE.

095-03-01-03 L'octroi de la protection subsidiaire n'est subordonné qu'à l'existence de menaces personnelles pour les causes énumérées à l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Les circonstances tirées de ce que le séjour dans le pays d'accueil est sûr, que le demandeur n'a pas l'intention de rejoindre le pays d'origine ou que les personnes qui en ont la charge s'il est mineur n'ont pas cette intention sont dénuées de toute incidence sur l'octroi de la protection.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - PROTECTION SUBISIDIAIRE (ART - L - 712-1 DU CESEDA) - CIRCONSTANCES TIRÉES DE CE QUE LE SÉJOUR DANS LE PAYS D'ACCUEIL EST SÛR - QUE LE DEMANDEUR N'A PAS L'INTENTION DE REJOINDRE LE PAYS D'ORIGINE OU QUE LES PERSONNES QUI EN ONT LA CHARGE S'IL EST MINEUR N'ONT PAS CETTE INTENTION - INCIDENCE SUR L'OCTROI DE LA PROTECTION - ABSENCE.

15-05-045-05 L'octroi de la protection subsidiaire n'est subordonné qu'à l'existence de menaces personnelles pour les causes énumérées à l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Les circonstances tirées de ce que le séjour dans le pays d'accueil est sûr, que le demandeur n'a pas l'intention de rejoindre le pays d'origine ou que les personnes qui en ont la charge s'il est mineur n'ont pas cette intention sont dénuées de toute incidence sur l'octroi de la protection.

ÉTRANGERS - RÉFUGIÉS (VOIR : ASILE) ET APATRIDES - PROTECTION SUBISIDIAIRE (ART - L - 712-1 DU CESEDA) - CIRCONSTANCES TIRÉES DE CE QUE LE SÉJOUR DANS LE PAYS D'ACCUEIL EST SÛR - QUE LE DEMANDEUR N'A PAS L'INTENTION DE REJOINDRE LE PAYS D'ORIGINE OU QUE LES PERSONNES QUI EN ONT LA CHARGE S'IL EST MINEUR N'ONT PAS CETTE INTENTION - INCIDENCE SUR L'OCTROI DE LA PROTECTION - ABSENCE.

335-05 L'octroi de la protection subsidiaire n'est subordonné qu'à l'existence de menaces personnelles pour les causes énumérées à l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Les circonstances tirées de ce que le séjour dans le pays d'accueil est sûr, que le demandeur n'a pas l'intention de rejoindre le pays d'origine ou que les personnes qui en ont la charge s'il est mineur n'ont pas cette intention sont dénuées de toute incidence sur l'octroi de la protection.


Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2014, n° 367428
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques Reiller
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:367428.20141230
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