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05/06/2015 | FRANCE | N°375423

France | France, Conseil d'État, 2ème / 7ème ssr, 05 juin 2015, 375423


Vu la procédure suivante :

M. A...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 septembre 2012 par laquelle le préfet du Doubs a décidé son placement en rétention administrative. Par un jugement n° 1201962 du 19 septembre 2012, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 12NC01705 du 9 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de M.A..., annulé ce jugement ainsi que la décision du préfet du Doubs du 15 septembre 2012.

Par un pourvoi, enregistré le 13 février 2

014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur dem...

Vu la procédure suivante :

M. A...a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 septembre 2012 par laquelle le préfet du Doubs a décidé son placement en rétention administrative. Par un jugement n° 1201962 du 19 septembre 2012, le tribunal administratif a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 12NC01705 du 9 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de M.A..., annulé ce jugement ainsi que la décision du préfet du Doubs du 15 septembre 2012.

Par un pourvoi, enregistré le 13 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A....

Le ministre de l'intérieur soutient que :

- la cour a commis une erreur de droit en fondant le droit d'être entendu de M. A... sur le seul article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la cour a commis une erreur de droit et dénaturé les faits en jugeant que les observations de M. A...devaient nécessairement être recueillies entre le moment de son interpellation et celui de son placement en rétention, sans tenir compte du fait que l'intéressé avait déjà été informé, à plusieurs reprises, de l'éventualité d'une telle mesure et avait été mis à même de présenter des observations sur ce point ;

- la cour a commis une erreur de droit faute d'avoir examiné si la méconnaissance du droit d'être entendu de M. A...avait exercé une influence sur le sens de la décision de placement en rétention administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2015, M. A...conclut au rejet du pourvoi et à ce qu'une somme de 2 000 euros à verser à la SCP David Gaschignard, son avocat, soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il soutient que :

- le pourvoi est irrecevable dès lors que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur sont nouveaux ;

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-166/13 du 5 novembre et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Malverti, auditeur,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de M. A...;

1. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5 de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré ; / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / 4° Si l'étranger n'a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s'est maintenu sur le territoire français à l'expiration de ce titre ; / 5° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé. / La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III. / L'obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office " ;

2. Considérant que le II de l'article L. 511-1 prévoit que l'étranger dispose en principe d'un délai de trente jours pour satisfaire à l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire français, ce délai pouvant toutefois être supprimé par décision de l'autorité administrative dans des cas limitativement énumérés ou être exceptionnellement prorogé eu égard à la situation personnelle de l'étranger ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 512-3 du même code : " L'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration du délai de départ volontaire ou, si aucun délai n'a été accordé, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, ni avant que le tribunal administratif n'ait statué s'il a été saisi (...) " ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du même code : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : (...) 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...) " ;

4. Considérant que ces dispositions, applicables au présent litige, sont issues de dispositions de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité qui ont procédé à la transposition, dans l'ordre juridique interne, des objectifs de la directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; que la directive du 16 décembre 2008 encadre de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, sans toutefois préciser si et dans quelles conditions doit être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui relève des droits de la défense figurant au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l'ordre juridique de l'Union européenne ; que si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu ;

5. Considérant, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour ; qu'il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ;

6. Considérant que la cour administrative d'appel de Nancy, pour annuler la décision plaçant M. A...en rétention, a relevé que si l'intéressé avait été entendu par les services de police après sa remise aux autorités françaises par les autorités suisses le 15 septembre 2012 à 13h45, il n'avait pas alors été spécialement informé qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure de placement en rétention et n'avait pas été entendu à ce moment sur ce point, avant que la décision de placement en rétention prise par le préfet du Doubs ne lui soit notifiée ce 15 septembre à 17h30 ; qu'en se fondant ainsi, pour juger que cette décision de placement en rétention était intervenue en méconnaissance du droit d'être entendu, sur la seule circonstance que l'intéressé n'avait pas été mis à même de présenter ses observations de façon spécifique, le 15 septembre 2012, sur le placement en rétention, alors qu'elle avait relevé que l'intéressé avait été entendu le 15 septembre 2012 et qu'il avait déjà fait l'objet, le 25 juin précédent, d'une décision du préfet des Pyrénées-Orientales lui faisant déjà obligation de quitter le territoire français, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit ; que le ministre de l'intérieur, qui peut utilement invoquer ce moyen mettant en cause des motifs par lesquels la cour a statué sur la requête d'appel, est, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

7. Considérant que l'Etat n'étant pas, dans la présente instance, la partie perdante, les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 par la SCP David Gaschignard, avocat de M. A...ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 9 décembre 2013 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : Les conclusions présentées par la SCP David Gaschignard, avocat de M.A..., au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - APPLICATION DU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF FRANÇAIS - PRISE EN COMPTE DES ARRÊTS DE LA COUR DE JUSTICE - INTERPRÉTATION DU DROIT DE L'UNION - DROIT DES RESSORTISSANTS D'ETATS TIERS FAISANT L'OBJET D'UNE MESURE D'ÉLOIGNEMENT D'ÊTRE ENTENDUS (ARTICLE 41 DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UE) - APPLICATION À UN REFUS DE SÉJOUR ACCOMPAGNÉ D'UNE OQTF ET SUIVI D'UN PLACEMENT EN RÉTENTION.

15-03-03-01 Le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour [RJ1]. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français (OQTF) ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement [RJ2].

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - DROIT DES RESSORTISSANTS D'ETATS TIERS FAISANT L'OBJET D'UNE MESURE D'ÉLOIGNEMENT D'ÊTRE ENTENDUS (ARTICLE 41 DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UE) - APPLICATION À UN REFUS DE SÉJOUR ACCOMPAGNÉ D'UNE OQTF ET SUIVI D'UN PLACEMENT EN RÉTENTION.

15-05-045-03 Le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour [RJ1]. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français (OQTF) ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement [RJ2].

ÉTRANGERS - OBLIGATION DE QUITTER LE TERRITOIRE FRANÇAIS (OQTF) ET RECONDUITE À LA FRONTIÈRE - LÉGALITÉ EXTERNE - PROCÉDURE - DROIT DES RESSORTISSANTS D'ETATS TIERS FAISANT L'OBJET D'UNE MESURE D'ÉLOIGNEMENT D'ÊTRE ENTENDUS (ARTICLE 41 DE LA CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L'UE) - APPLICATION À UN REFUS DE SÉJOUR ACCOMPAGNÉ D'UNE OQTF ET SUIVI D'UN PLACEMENT EN RÉTENTION.

335-03-01-01 Le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour [RJ1]. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français (OQTF) ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement [RJ2].


Références :

[RJ1]

Cf. CJUE, 5 novembre 2014, Sophie Mukarubega contre Préfet de police et Préfet de la Seine-Saint-Denis, aff. C-166/13 ;

CJUE, 11 décembre 2014, Khaled Boudjlida contre Préfet des Pyrénées-Atlantiques, aff. C-249/13.,,

[RJ2]

Rappr., dans le cas d'une OQTF prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, CE, 4 juin 2014, M. Halifa, n° 370515, p. 152.


Publications
Proposition de citation: CE, 05 jui. 2015, n° 375423
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Clément Malverti
Rapporteur public ?: Mme Béatrice Bourgeois-Machureau
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Formation : 2ème / 7ème ssr
Date de la décision : 05/06/2015
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 375423
Numéro NOR : CETATEXT000030681317 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2015-06-05;375423 ?
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