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25/08/2016 | FRANCE | N°401538

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 25 août 2016, 401538


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 401538, par une requête enregistrée le 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des fabricants de cigares et la société Coprova demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente de produits du tabac et des produits conne

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Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 401538, par une requête enregistrée le 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des fabricants de cigares et la société Coprova demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente de produits du tabac et des produits connexes, en tant qu'elle a créé un article L. 3512-22 I-1° du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'ordonnance attaquée soumet les fabricants de cigares à des sujétions considérables, qui mettent en péril la continuité de l'exploitation des entreprises en France ;

- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'ordonnance attaquée ;

- elle est entachée d'erreurs manifestes d'appréciation ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre au regard du but d'intérêt général poursuivi ;

- elle est entachée d'incompétence négative en ce qu'elle a omis de déterminer les principes devant régir l'édiction, par le pouvoir réglementaire, des règles d'affichage des avertissements sanitaires et messages d'information pour les différents produits du tabac à fumer ;

- elle méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ;

- elle méconnaît le principe de sécurité juridique.

2° Sous le n° 401550, par une requête enregistrée le 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des fabricants de cigares et la société Coprova demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 19 mai 2016 relatif aux modalités d'inscription des avertissements sanitaires sur les unités de conditionnement des produits du tabac, des produits du vapotage, des produits à fumer à base de plantes autre que le tabac et du papier à rouler les cigarettes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté attaqué soumet les fabricants de cigares à des sujétions considérables, qui mettent en péril la continuité de l'exploitation des entreprises en France ;

- il méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité du droit en ce qu'il ne permet pas de connaître de manière claire et précise l'étendue des obligations d'étiquetage auxquels sont tenus les fabricants de cigares ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il impose des restrictions excessives à la commercialisation des produits, sans mesure avec la réalité du danger de santé publique présenté par ce produit du tabac ;

- il porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété ;

- il méconnaît l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 ;

- il méconnaît le principe de la sécurité juridique.

3° Sous le n° 401609, par une requête enregistrée le 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des fabricants de cigares demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 19 mai 2016 relatif aux modalités d'inscription des avertissements sanitaires sur les unités de conditionnement des produits du tabac, des produits du vapotage, des produits à fumer à base de plantes autre que le tabac et du papier à rouler les cigarettes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté attaqué soumet les fabricants de cigares à des sujétions considérables, qui mettent en péril la continuité de l'exploitation des entreprises en France ;

- il méconnaît le principe d'égalité dès lors que deux produits de composition analogues sont soumis à des conditions différentes ;

- il méconnaît le principe de la sécurité juridique ;

- il méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité du droit.

4° Sous le n° 401625, par une requête enregistrée le 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des fabricants de cigares demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente de produits du tabac et des produits connexes, en tant qu'elle a créé un article L. 3512-22 I-1° du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'ordonnance attaquée soumet les fabricants de cigares à des sujétions considérables, qui mettent en péril la continuité de l'exploitation des entreprises en France ;

- l'ordonnance attaquée méconnaît le principe d'égalité ;

- elle méconnaît le principe de sécurité juridique ;

- elle méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et de clarté de la norme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2016, la ministre des affaires sociales et de la santé conclut au rejet des requêtes. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par les requérantes n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'ordonnance attaquée.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la fédération des fabricants de cigares et la société Coprova, d'autre part, la ministre des affaires sociales et de la santé ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 22 août 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Munier-Apaire, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération des fabricants de cigares ;

- les représentants de la Fédération des fabricants des cigares et de la société Coprova ;

- les représentants de la ministre des affaires sociales et de la santé ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au mercredi 24 août à 18 heures ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 24 août 2016, produit par la ministre des affaires sociales et de la santé ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2007/74/CE du 20 décembre 2007 ;

- la directive 2011/64/CE du 21 juin 2011 ;

- la directive 2014/40/UE du 3 avril 2014 ;

- le code de la santé publique ;

- le code général des impôts ;

- l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 ;

- l'arrêté du 19 mai 2016 relatif aux modalités d'inscription des avertissements sanitaires sur les unités de conditionnement des produits du tabac, des produits du vapotage, des produits à fumer à base de plantes autre que le tabac et du papier à rouler les cigarettes ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 401538, 401550, 401609, 401625 tendent à la suspension de l'exécution de la même ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente de produits du tabac et des produits connexes et de l'arrêté du 19 mai 2016 et pris pour son application. Elles soulèvent, de plus, des questions semblables. Il y a lieu, par conséquent, de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. L'ordonnance attaquée du 19 mai 2016 a transposé la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes en modifiant les dispositions relatives à la lutte contre le tabagisme du titre Ier du Livre V de la troisième partie du code de la santé publique. En application de l'article L. 3512-22 I. 1° dudit code, les fabricants de cigares sont tenus de modifier leur conditionnement en apposant sur l'intégralité de la surface de l'emballage extérieur des avertissements sanitaires prévus par l'arrêté du 19 mai 2016. La fédération et la société requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de cette ordonnance et de l'arrêté pris pour son application.

4. La directive de 2011 prévoit dans ses articles 8, 9 et 10 l'obligation pour les Etats de rendre obligatoire l'apposition sur l'ensemble des contenants des cigarettes et autres produits contenant du tabac de messages dont elle régit le contenu et la forme. Elle prévoit également que les Etats ont la faculté, pour les cigares et cigarillos notamment, de ne pas les soumettre, par dérogation, à ces exigences, au bénéfice d'un régime moins contraignant, limitant le nombre et la taille des messages à apposer sur les emballages, pour divers produits dont les cigares et cigarillos. Toutefois, si le considérant 26 de cette directive justifie ce régime dérogatoire au regard de la nature des habitudes de consommation des fumeurs de cigare et de cigarillos, en estimant que ce régime dérogatoire devrait continuer à être appliqué à ces produits, la directive, parfaitement claire dans ses dispositions, ne soumet le recours à la dérogation de l'article 11 à aucun critère, et n'introduit aucune limite à la possibilité de leur appliquer le régime de droit commun.

5. Il en résulte qu'il était entièrement loisible aux auteurs de l'ordonnance de choisir d'appliquer le régime de droit commun de la directive aux cigares et cigarillos. Ni la circonstance que d'autres Etats membres aient opté pour des solutions différentes, ni celle que la consommation de cigares et de cigarillos concerneraient des clientèles différentes, moins touchées par l'addiction ou ne constituant pas le public prioritairement visé par la directive, selon les assertions des requérants, ne suffisent à regarder le moyen tiré de ce que la mise en oeuvre des dispositions de droit commun de la directive comme entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, comme sérieux.

6. L'audience a également permis de clarifier celles des mentions que les requérantes estimaient difficilement compréhensibles, dont le ministère a d'ailleurs indiqué qu'il les préciserait dans une circulaire, de sorte qu'aucune obscurité ni ambigüité ne découle des textes critiqués qui les rendrait illégaux du fait d'être inintelligibles, ou empêcherait les industriels de s'y conformer dans les délais.

7. La nature des mentions et leur forme résultent entièrement de la directive. Si elles entraînent des surcoûts pour les industriels requérants, il ne saurait résulter de la stricte transposition une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, dont la nature n'est d'ailleurs décrite par les requérants qu'en termes généraux, qui ne permettent pas de regarder cette atteinte comme sérieusement établie. De même, la circonstance que les mentions à apposer soient proportionnelles à la taille des boîtes, en général plus grandes que celles de cigarettes, ne constitue pas par elle-même, au regard des objectifs poursuivis, une atteinte au droit de propriété qui permettrait de regarder le moyen tiré de la méconnaissance de ce droit comme sérieux. Enfin, si les mentions à apposer imposent de repositionner les diverses mentions d'origine ou de qualité dont certaines boîtes sont revêtues, il ne saurait sérieusement être soutenu que les fabricants d'origine ne pourraient placer différemment ces étiquettes et que ces circonstances faciliteraient la fraude ou la contrefaçon.

8. L'ordonnance comme l'arrêté pris pour son application n'ayant pour objet que d'assurer la transposition de la directive, la définition des termes de cigares et de cigarillos qu'emploient ces deux textes ne peut être que celle précisée par la directive, dont l'article 1 renvoie, au point 11 pour les cigares à la directive 2011/64/CE dont elle résume la définition, et, sur cette base, au point 12, pour les cigarillos, à la directive 2007/74/CE, définissant pour sa part les cigarillos comme des cigares de moins de trois grammes. Il ne saurait être sérieusement soutenu que ces définitions claires seraient contredites par les dispositions de l'article 56AF de l'annexe IV du code général des impôts qui, aux seules fins, non de définir les cigares, mais de calcul forfaitaire du crédit des débitants de tabac, réputent que mille cigares doivent être regardés comme équivalents à un kilogramme. Aucune ambigüité n'affectant les définitions contestées, la clarté et la légalité des peines dont sont assorties la violation des obligations créées par les textes attaqués ne sont pas contestables de ce chef. La différence de régime entre les deux catégories n'est affectée d'aucune obscurité qui la rendrait illégale faute d'être intelligible. Enfin, les requérantes n'ont pu préciser en quoi la compétence du législateur aurait été méconnue par l'absence d'autres précisions concernant les catégories concernées.

9. Sur la base des définitions mentionnées au 8, le régime différent d'application dans le temps des dispositions critiquées pour les cigares et les cigarillos est suffisamment justifié par les modes de consommation et le prix de chacune des catégories de produit. Le moyen tiré de l'illégalité des différences constatées ne peut pas être regardé comme sérieux.

10. Il résulte enfin des débats tenus au cours de l'audience que le ministère reconnaît que les dispositions de la dernière phrase du c) du 1°) de l'article L. 3512-22 du code de la santé créé à l'article 1 de l'ordonnance méconnaît l'article 9 de la directive 2014/40/UE, en ce qu'il prévoit que les boîtes à couvercle basculant doivent comporter deux mentions du message d'information, alors que l'article 9 de la directive ne prévoit de l'apposer qu'une fois, ainsi d'ailleurs que le I de l'article 8 de l'arrête contesté le précise régulièrement. Cette incohérence des dispositions en vigueur résultant de la violation des normes issues de la directive serait en soi de nature à créer une situation d'urgence permettant de suspendre la phrase entachée d'illégalité. Toutefois, par un courrier produit le 23 août, la ministre confirme qu'elle reconnaît l'illégalité de ces dispositions, entend les faire supprimer par une ordonnance qui sera adoptée avant la fin du mois de novembre, demande aux industriels de n'appliquer que l'arrêté sur ce point et les informe qu'elle a donné instruction de ne pas poursuivre les infractions aux dispositions illégales. Dans ces conditions, les engagements écrits, clairs et dont la méconnaissance engagerait la responsabilité de l'Etat, pris par la ministre, ne permettent pas de regarder comme urgente la situation créée par l'illégalité constatée.

11. Il résulte de ce qui précède que les requêtes, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées sans qu'il y ait lieu de se prononcer, en dehors du point qui précède, sur l'urgence qui s'attache à la situation alléguée.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les requêtes de la Fédération des fabricants de cigares et la société Coprova sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des fabricants de cigares, à la société Coprova et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 401538
Date de la décision : 25/08/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 aoû. 2016, n° 401538
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:401538.20160825
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