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26/09/2016 | FRANCE | N°393444

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 26 septembre 2016, 393444


Vu la procédure suivante :

Par un requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 septembre 2015 et 31 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles du Massif-Central, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de l'Allier, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Cantal, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Creuse, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles du Puy-de-Dôme, la Fédéra

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Vu la procédure suivante :

Par un requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 septembre 2015 et 31 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles du Massif-Central, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de l'Allier, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Cantal, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Creuse, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles du Puy-de-Dôme, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Loire, le Syndicat jeunes agriculteurs de la Creuse, le Syndicat jeunes agriculteurs du Puy-de-Dôme, la chambre d'agriculture de l'Allier, la chambre d'agriculture du Cantal et la chambre d'agriculture de la Creuse demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 mars 2015 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie précisant les critères et méthodes d'évaluation de la teneur en nitrates des eaux et de caractérisation de l'enrichissement de l'eau en composés azotés susceptibles de provoquer une eutrophisation et les modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables définies aux articles R. 211-75, R. 211-76 et R. 211-77 du code de l'environnement, ainsi que sa décision implicite de rejet de leur recours gracieux dirigé contre cet arrêté ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la directive 77/535/CEE de la Commission du 22 juin 1977 ;

- la directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 ;

- la décision 77/795/CEE du Conseil du 12 décembre 1977 ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2015-126 du 5 février 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

1. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 211-2 du code de l'environnement : " I. - Les règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. / II. - Elles fixent : / 1° Les normes de qualité et les mesures nécessaires à la restauration et à la préservation de cette qualité, en fonction des différents usages de l'eau et de leur cumul (...) " ; que l'article 1er du décret du 5 février 2015 relatif à la désignation et à la délimitation des zones vulnérables en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, pris sur le fondement de ces dispositions, modifie les articles R. 211-75 à R 211-77 du code de l'environnement, qui transposent sur ce point la directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 ; que ces articles fixent les modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole ; que le IV de l'article R. 211-76 de ce code, pour l'application duquel a été pris l'arrêté du 5 mars 2015 attaqué, dispose : " Un arrêté du ministre chargé de l'écologie précise les conditions d'application du présent article. Il fixe notamment les critères et méthodes d'évaluation de la teneur en nitrates des eaux et de caractérisation de l'enrichissement de l'eau en composés azotés susceptible de provoquer une eutrophisation. Il indique également les modalités d'élaboration et de mise en oeuvre du programme de surveillance et peut préciser les données utilisables. " ; que, dès lors qu'elles fixent les critères devant être respectés par le ministre chargé de l'écologie pour la détermination des zones considérées comme atteintes par la pollution par les nitrates et des zones vulnérables, elles ne procèdent pas à une subdélégation illégale en ce qu'elles renvoient à un arrêté ministériel le soin de fixer les caractéristiques techniques des mesures et du programme de surveillance ; que doit, par suite, être écarté le moyen tiré de ce que le ministre chargé de l'environnement n'était pas compétent pour adopter l'arrêté attaqué ;

2. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la mission interministérielle de l'eau a rendu le 2 décembre 2014 un avis portant à la fois sur le projet de décret publié le 5 février 2015 et sur le projet d'arrêté attaqué, pris pour l'application de ce décret ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la consultation de la mission aurait été irrégulière, faute qu'elle ait eu connaissance de ce décret, intervenu postérieurement à la date à laquelle elle s'est prononcée, manque, en tout état de cause, en fait ;

3. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi (...) de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement " ; qu'aux termes de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics. / I. - Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l'Etat (...) sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement (...) " ; que les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement ont été prises afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics ; que, par suite, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement pour contester la régularité de la procédure d'adoption de l'arrêté attaqué ;

4. Considérant, en quatrième lieu, que si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / (...) c) l'obligation pour l'administration de motiver ses décisions (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'applique non aux Etats membres mais aux institutions, organes et organismes de l'Union ; qu'ainsi, le moyen tiré de leur méconnaissance par l'auteur de l'arrêté attaqué ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

5. Considérant, en premier lieu, d'une part, que la règle dite du " percentile 90 " retenue par l'article 1er de l'arrêté attaqué, pour apprécier si les seuils mentionnés à l'article R. 211-76 du code de l'environnement sont dépassés, consiste à prendre en compte, pour définir les eaux atteintes par la pollution par les nitrates, la valeur en-deçà de laquelle se situent 90 % des mesures réalisées au cours de la campagne annuelle du programme de surveillance ; que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'impératif de protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement, retenir une telle règle qui permet de prendre en compte la variabilité dans le temps des valeurs de pollution ; que les requérants ne sauraient, en tout état de cause, utilement soutenir qu'elle serait contraire aux dispositions de la directive 77/535/CEE de la Commission du 22 juin 1977, qui ont pour objet de définir des méthodes d'échantillonnage et d'analyse des engrais ; que si l'annexe IV de la directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 prévoit que la teneur en nitrates de l'eau est mesurée conformément à l'article 4 bis paragraphe 3 de la décision 77/795/CEE du Conseil du 12 décembre 1977, ces dernières dispositions se bornent à exiger que la concentration en nitrates soit mesurée par spectrophotométrie d'absorption moléculaire et exprimée en milligrammes par litre ; que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait, pour le même motif, ces dispositions est, dès lors, également inopérant ;

6. Considérant, d'autre part, que l'article 1er de l'arrêté attaqué prévoit que lorsque dix mesures ou moins ont été réalisées au total lors de la campagne, la teneur en nitrates retenue pour définir les eaux atteintes par la pollution par les nitrates ou susceptibles de l'être est la valeur maximale mesurée ; qu'aux termes de l'article 3 de la directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 citée ci-dessus : " (...) 4. Les États membres réexaminent et, au besoin, révisent ou complètent en temps opportun, au moins tous les quatre ans, la liste des zones vulnérables désignées, afin de tenir compte des changements et des facteurs imprévisibles au moment de la désignation précédente. Ils notifient à la Commission, dans un délai de six mois, toute révision ou ajout apporté à la liste des désignations. (...) " ; que, d'une part, ces dispositions n'imposent pas de réaliser un nombre minimal de mesures de la teneur en nitrates des eaux au cours de chaque campagne annuelle du programme de surveillance ; que, d'autre part, l'article 1er de l'arrêté ne saurait être interprété comme permettant de se dispenser de réaliser, selon la fréquence et les modalités appropriées, les mesures de teneur en nitrates que requiert la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en permettant de retenir la valeur maximale en nitrates constatée à la suite de moins de dix mesures, l'article 1er de l'arrêté attaqué méconnaîtrait l'exigence d'un suivi régulier des teneurs en nitrates doit être écarté ; qu'il résulte enfin de ce qui a été dit au point précédent que les requérants ne sauraient utilement soutenir que la méthode retenue pour les cas où dix mesures ou moins ont été réalisées méconnaîtrait les dispositions de la directive 77/535/CEE de la Commission du 22 juin 1977 et de la décision 77/795/CEE du Conseil du 12 décembre 1977 ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du II de l'article R. 211-76 du code de l'environnement : " Sont considérées comme susceptibles d'être polluées par les nitrates : / 1° Les eaux souterraines et les eaux douces superficielles, notamment celles servant ou destinées aux captages d'eau pour la consommation humaine, dont la teneur en nitrate est comprise entre 40 et 50 milligrammes par litre et ne montre pas de tendance à la baisse (...) " ; que, d'une part, ce sont les dispositions de cet article R. 211-76, et non celles de l'arrêté attaqué, qui ont prévu que l'absence de tendance à la baisse de la teneur en nitrate est un critère permettant d'apprécier si l'eau doit être regardée comme susceptible d'être polluée par les nitrates ; que, d'autre part, en définissant la tendance à la baisse comme " le constat d'une diminution de cette teneur entre les années des deux dernières campagnes du programme de surveillance au moins ", les auteurs de l'arrêté n'ont pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ; que pour les mêmes motifs que ceux rappelés au point précédent, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 2 de l'arrêté attaqué méconnaîtraient les dispositions de la décision 77/795/CEE du Conseil ne peut être accueilli ;

8. Considérant, en troisième lieu, d'une part, que l'article 2 de la directive 91/676/CEE définit l'eutrophisation comme " l'enrichissement de l'eau en composés azotés, provoquant un développement accéléré des algues et des végétaux d'espèces supérieures qui perturbe l'équilibre des organismes présents dans l'eau et entraîne une dégradation de la qualité de l'eau en question " ; qu'il en résulte que le critère de risque d'eutrophisation des eaux est leur enrichissement en composés azotés, dont les effets sont précisés par les mêmes dispositions ; que l'arrêté attaqué a pour objet la désignation et la délimitation des zones vulnérables en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, qui sont les principaux composés azotés susceptibles d'altérer la qualité des eaux et de provoquer un phénomène d'eutrophisation ; que les dispositions de la directive ne font nullement obstacle à ce que les autorités nationales se réfèrent, pour déterminer les zones atteintes par la pollution ou susceptibles de l'être, au seul critère tiré de la teneur en nitrates, dès lors qu'il permet de respecter les objectifs de protection des eaux ; que les moyens tirés de la méconnaissance de la directive doivent, par suite, être écartés ;

9. Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, faute de comporter des dispositions transitoires, n'est pas assorti des précisions de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles du Massif-Central et autres ne sont fondés à demander ni l'annulation de l'arrêté qu'ils attaquent ni, par voie de conséquence, l'annulation de la décision de rejet de leur recours gracieux ; que, par suite, leur requête doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles du Massif-Central et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles du Massif-Central, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de l'Allier, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Cantal, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Creuse, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles du Puy-de-Dôme, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Loire, le Syndicat Jeunes agriculteurs de la Creuse, le Syndicat Jeunes agriculteurs du Puy-de-Dôme, la chambre d'agriculture de l'Allier, la chambre d'agriculture du Cantal et la chambre d'agriculture de la Creuse et à la ministre de l' environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 393444
Date de la décision : 26/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 sep. 2016, n° 393444
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste de Froment
Rapporteur public ?: Mme Suzanne von Coester

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:393444.20160926
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