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12/01/2017 | FRANCE | N°384848

France | France, Conseil d'État, 3ème chambre, 12 janvier 2017, 384848


Vu la procédure suivante :

La société Strela a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2005 et des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 0900528, 0900987 du 11 avril 2012, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12NT01533 du 10 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajouté opér

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Vu la procédure suivante :

La société Strela a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2005 et des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 0900528, 0900987 du 11 avril 2012, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12NT01533 du 10 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Nantes, après avoir prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajouté opérés en conséquence de la remise en cause du droit à déduction de la taxe portée sur des factures de téléphonie mobile, a rejeté le surplus de la requête d'appel de la société Strela.

Par un pourvoi sommaire un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 septembre et 24 décembre 2014 et 25 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Strela demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit au surplus de son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la Société Strela ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Strela a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée, portant respectivement sur la période comprise entre le 1er janvier 2001 et le 31 octobre 2003 et sur la période comprise entre le 1er novembre 2003 et le 30 juin 2006. Par des propositions de rectifications des 16 décembre 2004, 30 juin 2005 et 22 janvier 2007 complétée le 22 mars 2007, l'administration a, premièrement, soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les prestations de services facturées à des clients étrangers, deuxièmement, remis en cause le droit à déduction de la taxe exercé par la société sur des factures jugées irrégulières, troisièmement, assorti ces rappels des pénalités pour manoeuvres frauduleuses prévues à l'article 1729 du code général des impôts. La société requérante se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 10 juillet 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, après l'avoir déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge en conséquence de la remise en cause du droit à déduction de la taxe portée sur des factures de téléphonie mobile, a rejeté le surplus de sa requête d'appel.

Sur la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " I. Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de la taxe sur la valeur ajoutée en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts, elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts, ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des impôts, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. / II. Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter./ (...) V. Les originaux du procès-verbal et de l'inventaire sont, dès qu'ils ont été établis, adressés au juge qui a autorisé la visite ; une copie de ces mêmes documents est remise à l'occupant des lieux ou à son représentant. / Les pièces et documents saisis sont restitués à l'occupant des locaux dans les six mois de la visite ; toutefois, lorsque des poursuites pénales sont engagées, leur restitution est autorisée par l'autorité judiciaire compétente. VI. L'administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies qu'après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en oeuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l'article L 47. ". Aux termes de l'article L. 47 de ce même livre : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que si l'administration peut valablement décider d'engager une vérification de comptabilité sans avoir au préalable restitué au contribuable les pièces et documents, notamment comptables, qu'elle a saisis dans le cadre d'une opération de visite domiciliaire, elle est tenue de lui restituer ces documents en principe avant l'engagement effectif de la vérification de comptabilité, en tout état de cause dans les six mois de la visite, et, avant ce terme, dans un délai permettant au contribuable d'avoir, sur place, un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, eu égard à la teneur de ces documents, à leur portée et à l'usage que l'administration pourrait en faire à l'issue de la vérification de comptabilité. A défaut de restitution de ces pièces et documents dans ces délais, la vérification est entachée d'une irrégularité qui vicie la procédure d'imposition dès lors que les redressements contestés procèdent de cette vérification. Il résulte de ce qui précède que la portée d'un défaut de restitution de documents et pièces saisis sur la procédure fiscale ultérieurement conduite à l'encontre d'un contribuable dépend des effets concrets que celui-ci a pu avoir sur les droits de la défense et sur le caractère contradictoire de la procédure.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration, qui a procédé, le 29 juillet 2014, à une opération de visite et de saisie effectuée, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, au domicile du président directeur général de la société requérante, a restitué les documents saisis le 19 janvier 2005. L'administration a adressé à la société requérante une première proposition de rectification interruptive de prescription le 16 décembre 2004, puis une nouvelle proposition de rectification le 30 juin 2005.

5. En premier lieu, la cour a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ni dénaturer les termes de la proposition de rectification du 16 décembre 2004, juger que l'administration ne s'était pas fondée sur le contenu de pièces saisies à l'occasion de la visite effectuée le 29 juillet 2004 au domicile de M. A... pour motiver les redressements.

6. En second lieu, il ressort des écritures de la société Strela devant la cour que n'a pas été invoqué devant cette dernière le moyen tiré de ce que la proposition de rectification du 30 juin 2005, qui mentionnait des éléments tirés de pièces saisies lors de la visite domiciliaire, était en réalité motivée de la même manière que la proposition de rectification du 16 décembre 2004, ce dont il s'ensuivrait que l'administration avait effectivement utilisé ces pièces pour opérer son redressement. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en regardant, en dépit de cette circonstance, comme régulière la procédure de rectification, est nouveau en cassation et ne peut donc qu'être écarté.

Sur le bien fondé des impositions :

7. Aux termes de l'article 259 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Le lieu des prestations de services est réputé se situer en France lorsque le prestataire a en France le siège de son activité ou un établissement stable à partir duquel le service est rendu ou, à défaut, son domicile ou sa résidence habituelle. ". Aux termes de l'article 259 B du même code, dans cette même rédaction : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France lorsqu'elles sont effectuées par un prestataire établi hors de France et lorsque le preneur est un assujetti à la TVA qui a en France le siège de son activité ou un établissement stable pour lequel le service est rendu ou, à défaut, qui y a son domicile ou sa résidence habituelle : (avant son transfert au Royaume-Uni en 1998, au sein desquels elle disposait, pendant la période vérifiée, d'une ligne téléphonique enregistrant de nombreux flux sortants, notamment à destination de la société Strela, a pu, au terme d'une motivation suffisante et sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, en déduire que la société Alternative Finances Partners disposait d'un établissement stable en France) 4° Prestations des conseillers, ingénieurs, bureaux d'études dans tous les domaines y compris ceux de l'organisation de la recherche et du développement ; prestations des experts-comptables ; (avant son transfert au Royaume-Uni en 1998, au sein desquels elle disposait, pendant la période vérifiée, d'une ligne téléphonique enregistrant de nombreux flux sortants, notamment à destination de la société Strela, a pu, au terme d'une motivation suffisante et sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, en déduire que la société Alternative Finances Partners disposait d'un établissement stable en France) Le lieu de ces prestations est réputé ne pas se situer en France même si le prestataire est établi en France lorsque le preneur est établi hors de la communauté européenne ou qu'il est assujetti à la TVA dans un autre Etat membre de la communauté ".

8. La cour, après avoir relevé, premièrement, que la société Alternative Finances Partners ne disposait au Royaume-Uni, puis en Irlande, que d'adresses de domiciliation, deuxièmement, qu'il ne résultait pas de l'instruction que cette société y aurait eu le siège de son activité économique ni la disposition d'un établissement stable ayant une consistance ou un degré de permanence minimale, troisièmement, qu'elle avait conservé des bureaux au 24 rue de Penthièvre à Paris, adresse où elle était domiciliée avant son transfert au Royaume-Uni en 1998, au sein desquels elle disposait, pendant la période vérifiée, d'une ligne téléphonique enregistrant de nombreux flux sortants, notamment à destination de la société Strela, a pu, au terme d'une motivation suffisante et sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, en déduire que la société Alternative Finances Partners disposait d'un établissement stable en Francecaractérisé par la disposition personnelle et permanente des moyens humains et techniques nécessaires à la réalisation autonome de ses prestations.

Sur les pénalités :

9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " 1. Lorsque la déclaration ou l'acte mentionné à l'article 1728 font apparaître une base d'imposition ou des éléments servant à la liquidation de l'impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l'intérêt de retard visé à l'article 1727 et d'une majoration de 40 % si le manquement délibéré de l'intéressé est établie ou de 80 % s'il s'est rendu coupable de manoeuvre frauduleuse ou d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (...) ". Les pénalités pour manoeuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que l'administration établissait l'existence d'une manoeuvre frauduleuse en faisant valoir que la société requérante ne pouvait ignorer la situation de la société Alternative Finances Partners au regard de la taxe sur la valeur ajoutée, au motif que cette dernière était son seul client, que M. A... en était un ancien salarié et que des échanges de courriels démontraient que son défaut d'enregistrement à la taxe sur la valeur ajoutée en Irlande était connu d'elle. La cour n'ayant, ainsi, pas relevé d'agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration qui soient imputables à la société Strela, a méconnu les dispositions citées au point 9 ci-dessus en jugeant que l'administration démontrait l'existence d'une manoeuvre frauduleuse de la part de cette dernière.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Strela est seulement fondée à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur les pénalités pour manoeuvres frauduleuses qui ont été mises à sa charge au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

13. Il résulte de l'instruction que l'administration, qui s'est bornée à faire état des éléments mentionnés au point 10 ci-dessus, n'établit pas l'existence, de la part de la société Strela, de démarches ou procédés destinés à l'égarer dans ses contrôles, seuls de nature à caractériser des manoeuvres frauduleuses.

14. Toutefois, il appartient au juge, dans une telle hypothèse, alors même que l'administration ne le saisirait pas d'une demande en ce sens, de rechercher si les éléments qui étaient invoqués par l'administration pour justifier des pénalités pour manoeuvres frauduleuses permettent, à défaut d'établir ces dernières, de caractériser le manquement délibéré du contribuable et de substituer, au besoin d'office, à la majoration de 80 % appliquée par l'administration la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts.

15. En l'espèce, compte tenu des circonstances qui ont justifié le redressement litigieux, et notamment des éléments mentionnés au point 10, l'administration établit l'existence d'un manquement délibéré commis par la société requérante. Il y a lieu, par suite, de substituer d'office à la majoration de 80 %, la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par l'article 1729 du code général des impôts.

16. Il résulte de ce qui précède que la société Strela est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté l'intégralité de ses conclusions tendant à la décharge de la majoration de 80 % qui lui a été assignée, à laquelle doit être substituée celle de 40 % pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Strela au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 3 de l'arrêt du 10 juillet 2014 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les pénalités pour manoeuvres frauduleuses qui ont été mises à la charge de la société Strela au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie.

Article 2 : La pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts est substituée à la pénalité au taux de 80 % dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été réclamés à la société Strela au titre de la période du 1er janvier 2001 au 30 juin 2006 à raison des redressements relatifs aux factures adressées à la société Alternative Finances Partners.

Article 3 : Le jugement du 11 avril 2012 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société Strela au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Strela et de la requête d'appel de cette société sont rejetés.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à société Strela et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 384848
Date de la décision : 12/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jan. 2017, n° 384848
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 24/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:384848.20170112
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