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19/05/2017 | FRANCE | N°396698

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 19 mai 2017, 396698


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 396698, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 février, 3 mai, 4 octobre et 16 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Virtu Financial Europe Limited demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 4 décembre 2015 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en tant qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 5 millions d'euros et qu'elle a ordon

né la publication de sa décision sur le site internet de l'Autorité des marchés f...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 396698, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 février, 3 mai, 4 octobre et 16 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Virtu Financial Europe Limited demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 4 décembre 2015 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en tant qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 5 millions d'euros et qu'elle a ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers ;

2°) de mettre à la charge de l'AMF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) d'enjoindre à l'AMF de supprimer la décision publiée de son site internet et d'y publier la décision du Conseil d'Etat dans les mêmes conditions que celles de la décision annulée.

2° Sous le n° 396826, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 février 2016, 9 mai 2016, 26 octobre 2016 et 17 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Euronext Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler la décision du 4 décembre 2015 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en tant qu'elle a prononcé une sanction pécuniaire de 5 millions d'euros à son encontre et qu'elle a ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers ;

2°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil ;

- la directive 2004/72/CE du 29 avril 2004 du Parlement européen et du Conseil ;

- le code monétaire et financier ;

- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

- la décision du 22 juillet 2016 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Euronext Paris SA ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Virtu Financial Europe Limited, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers, et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Euronext Paris ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 avril 2017, présentée par la société Euronext Paris ;

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Euronext Paris est une entreprise de marché, qui est en charge de la gestion du marché réglementé Euronext ; qu'afin d'éviter la saturation de sa plateforme électronique, elle a institué un ratio, alors fixé à 100 pour 1, entre le nombre d'ordres passés et le nombre de transactions effectivement exécutées pour un même titre sur une même journée, au-delà duquel une pénalité financière était appliquée ; qu'entre mars 2009 et juin 2010, elle a exempté la société Madison Tyler Europe Limited (MTE), devenue Virtu Financial Europe Limited, qui est spécialisée dans le " trading à haute fréquence ", de toute pénalité en cas de dépassement de ce ratio ; que cette dernière société a mis en place des programmes informatiques dits algorithmiques permettant de procéder à des arbitrages ultra-rapides entre cinq plateformes de négociation, dont Euronext et quatre plateformes alternatives ; que la stratégie d'arbitrage consistait, pour un titre donné, à identifier le meilleur prix affiché à l'achat ou à la vente sur l'une de ces plateformes pour y passer un " ordre support ", à passer ensuite, pour une même quantité, quatre ordres dits " passifs " sur les autres plateformes, à un cours légèrement inférieur ou supérieur, selon que l'ordre était à l'achat ou à la vente, et à attendre l'exécution de l'un de ces ordres, dans un intervalle de temps extrêmement bref, afin de réaliser une plus-value égale à la différence de cours entre l'ordre support et l'ordre passif effectivement exécuté ; que, constatant que MTE émettait à très haute fréquence des ordres dont seule une faible proportion était exécutée, mais qui représentaient une part très significative du carnet d'ordres, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a ouvert une enquête sur les interventions de cette société concernant 27 titres du CAC 40 ; qu'à l'issue de cette enquête, l'AMF a notifié, d'une part, à la société MTE des griefs de manipulation de cours, sur le fondement des articles L. 621-15 du code monétaire et financier et 631-1 et 631-2 du règlement général de l'AMF, et de méconnaissance de ses obligations professionnelles, sur le fondement de l'article 8105/1 des règles de marché d'Euronext, et, d'autre part, à la société Euronext Paris, le grief tiré du manquement à son obligation d'exercer son activité avec neutralité et impartialité, dans le respect de l'intégrité du marché, pour avoir accordé un avantage commercial de façon discrétionnaire à l'un de ses membres, en méconnaissance de l'article 512-3 du règlement général de l'AMF ; que par une décision du 4 décembre 2015, la commission des sanctions de l'AMF a estimé que ces manquements étaient caractérisés et a infligé une sanction pécuniaire de 5 millions d'euros à chacune de ces sociétés ;

2. Considérant que les requêtes présentées, d'une part, par la société Virtu Financial Europe Limited et, d'autre part, par la société Euronext Paris sont dirigées contre cette même décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la requête de la société Virtu Financial Europe Limited :

En ce qui concerne la régularité de la décision attaquée :

3. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, la commission des sanctions, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments invoqués devant elle, a exposé de façon précise et circonstanciée les éléments de droit et de fait qui l'ont conduite à estimer que la société MTE avait méconnu l'interdiction de manipulation des cours et ses obligations professionnelles et à retenir la sanction infligée ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait insuffisamment motivée doit être écarté ;

En ce qui concerne le bien-fondé de la décision attaquée, s'agissant des manquements :

Quant à la manipulation de cours :

4. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux : " La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : (...) / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié ou s'est livrée à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d'admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 631-1 du règlement général de l'AMF, dans sa rédaction applicable : " (...) Constitue une manipulation de cours : / 1° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres : / a) Qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers (...) / à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ; / 2° Le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l'état du marché ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice. / En particulier, constituent des manipulations de cours : / a) Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d'achat ou des prix de vente ou la création d'autres conditions de transaction inéquitables ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 631-2 du même règlement général, dans sa rédaction applicable : " Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l'AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l'article 631-1 : / (...) / 6° L'effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l'offre et à la demande de l'instrument financier, ou plus généralement de la représentation du carnet d'ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution (...) " ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions que toute opération ou émission d'ordres qui donne ou est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers doit être regardée comme une " manipulation de cours " au sens des dispositions qui viennent d'être rappelées, à moins que la personne mise en cause n'établisse tant la légitimité des raisons de cette opération ou de cette émission d'ordres que leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ; qu'elles énoncent ainsi de façon suffisamment claire et précise les éléments susceptibles de fonder une sanction de manipulation des cours ; que, contrairement à ce qui est soutenu par la société requérante, la commission des sanctions s'est bornée à caractériser une manipulation de cours sur le fondement des dispositions rappelées au point 4 alors en vigueur, et n'a pas entendu lui opposer les prescriptions postérieures relatives à la pratique du trading haute fréquence issues du règlement n° 596/2014 du 16 avril 2014 du Parlement européen et du Conseil sur les abus de marché ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines et de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère doivent être écartés ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que le manquement de manipulation de cours est caractérisé dès lors que les conditions énoncées au point précédent sont remplies, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le comportement reproché procédait d'une intention manipulatoire lorsque son auteur ne peut ignorer que les ordres qu'il passe ont nécessairement pour effet de donner des indications fausses ou trompeuses ; qu'ainsi, la commission des sanctions a fait une exacte application des dispositions rappelées au point 4 ;

7. Considérant que, en troisième lieu, ainsi qu'il a été indiqué au point 1, la société MTE a mis en place une stratégie d'arbitrage entre plusieurs plateformes reposant sur des techniques algorithmiques, qui a été favorisée de manière déterminante par l'exemption des pénalités applicables en cas de dépassement du ratio maximal entre ordres et transactions qui lui a été accordée par Euronext Paris sans que les autres opérateurs en aient connaissance ; que sur la période considérée, du 21 juillet au 2 septembre 2009, et pour les 27 titres objets de l'enquête, les interventions de MTE se sont distinguées par leur caractère massif et leur extrême rapidité ; que la société a, en effet, été de loin le principal opérateur par le nombre des interventions, avec près de 314 millions d'instructions, incluant les entrées et annulations d'ordres ainsi que les modifications d'ordres déjà entrés ; que, sur la plateforme Euronext Paris, les messages émis par MTE ont représenté les deux tiers des interventions sur les 27 titres concernés, alors que cette société n'a réalisé que 7 % des transactions sur la période, le deuxième opérateur le plus important sur la même période et les mêmes titres étant intervenu 11 fois moins tout en échangeant un volume de titres 4 fois supérieurs ; que l'intense activité générée par les ordres et annulations d'ordres de la société MTE, séparés dans près de 90 % des cas par moins de 10 millisecondes, a ainsi faussé la perception du carnet d'ordres et donc de l'offre et de la demande de titres par les autres opérateurs, ce que cette société, professionnel du secteur, ne pouvait ignorer ; que sont à cet égard sans incidence les circonstances, à les supposer établies, que ces ordres reflétaient son intention de procéder à des transactions effectives et que les agissements reprochés n'auraient pas eu d'effet immédiat sur les cours ; qu'il s'ensuit que la commission des sanctions a pu légalement estimer que le manquement de manipulation de cours était caractérisé en raison des indications fausses ou trompeuses données au marché par la société MTE sur la période en cause ;

8. Considérant toutefois, en quatrième lieu, que la commission des sanctions de l'AMF s'est également fondée sur le motif tiré de l'existence d'un décalage propre au fonctionnement de la plateforme Euronext, pouvant atteindre une durée de 5 millisecondes, entre l'envoi par Euronext à chaque intervenant de la confirmation de ses propres ordres ou modifications d'ordres et l'envoi des données relatives à tous les ordres à l'ensemble des intervenants, de sorte que, au moins pour tous les ordres annulés en moins de 2 millisecondes, soit 5,5 millions d'ordres passés par MTE sur la période considérée, lorsque les autres intervenants étaient informés de l'insertion d'un tel ordre, celui-ci n'existait en réalité déjà plus ; que la commission des sanctions n'a pas caractérisé en quoi la société MTE avait pu exploiter ce décalage, imputable à Euronext, entre la confirmation des ordres donnés et la mise à jour du carnet d'ordres, pour se livrer à la manipulation de cours qui lui était reprochée ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que la commission des sanctions s'est fondée sur ce motif ;

9. Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte des dispositions du 2° de l'article 631-1 du règlement général de l'AMF citées au point 4 que, contrairement à ce qui est soutenu, le fait pour une personne de s'assurer une position dominante sur le marché d'un instrument financier avec pour effet la création de conditions de transaction inéquitables est à lui seul constitutif d'une manipulation de cours, ainsi que l'a retenu à bon droit la commission des sanctions ;

10. Considérant que sur la période considérée et sur les titres objets de l'enquête, grâce à l'exemption qui lui avait été accordée par Euronext, la société MTE a été de loin l'opérateur le plus actif en raison tant du nombre que de la rapidité de ses interventions ; qu'elle s'est ainsi assurée une position dominante sur le marché de ces instruments financiers, alors même qu'une proportion très importante des ordres passés n'auraient pas été effectivement exécutés ; que la représentation pour tout opérateur du carnet d'ordres et de l'état de l'offre et de la demande pour chacun des titres concernés en a été faussée ; qu'en outre, l'algorithme utilisé par MTE lui a permis d'interpréter les flux de marché avantageusement par rapport aux autres intervenants, dès lors qu'elle était seule à savoir que la très grande majorité des ordres, qu'elle pouvait identifier, étaient les siens ; que, par suite, c'est à bon droit que la commission des sanctions s'est également fondée, pour retenir le manquement de manipulation de cours, sur le motif tiré de ce que la position dominante acquise par MTE avait eu pour effet de créer des conditions de transaction inéquitables, en méconnaissance des dispositions du 2° de l'article 631-1 du règlement général de l'AMF ;

11. Considérant, en septième lieu, qu'il résulte des dispositions du 1° de l'article 631-1 du règlement général de l'AMF qu'il suffit que les opérations donnant ou susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers ne soient pas conformes aux pratiques de marché admises pour qu'elles soient regardées comme constitutives d'une manipulation de cours, sans qu'il soit besoin de rechercher en outre si elles sont légitimes ; que contrairement à ce qui est soutenu, la commission des sanctions n'en a nullement déduit que toutes les pratiques de marché n'ayant pas été formellement reconnues sur le marché concerné seraient par principe interdites, en méconnaissance des dispositions du point 2 de l'article 2 de la directive 2004/72/CE de la Commission du 29 avril 2004 portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les pratiques de marché admises, la définition de l'information privilégiée pour les instruments dérivés sur produits de base, l'établissement de listes d'initiés, la déclaration des opérations effectuées par les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes et la notification des opérations suspectes ; que, par suite, la commission des sanctions n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que, faute de respecter les pratiques de marché admises publiées sur son site internet, la société MTE devait être regardée comme s'étant livrée à une manipulation de cours, sans qu'elle puisse se prévaloir de la légitimité de son intervention ;

Quant à la méconnaissance des règles de marché d'Euronext :

12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-10 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux : " En vue de la reconnaissance du marché réglementé, l'entreprise de marché établit les règles du marché. Ces règles, transparentes et non discrétionnaires, assurent une négociation équitable et ordonnée et fixent des critères objectifs en vue de l'exécution efficace des ordres. Elles fixent également les conditions d'admission des membres du marché conformément aux dispositions de l'article L. 421-17. / (...) / Ces règles sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie leur conformité aux dispositions législatives et réglementaires applicables, ainsi que leur caractère proportionné aux objectifs poursuivis. / Les propositions de modifications de ces règles sont notifiées à l'Autorité des marchés financiers, qui les approuve, dans un délai fixé par son règlement général, après avoir effectué les vérifications prévues à l'alinéa précédent. / Les règles du marché sont publiées par l'entreprise de marché dans les conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers " ; qu'aux termes de l'article 511-12 du règlement général de l'AMF : " Les décisions de l'AMF approuvant les règles du marché sont publiées (...) sur le site de l'AMF. Les règles ainsi approuvées sont annexées à la décision de l'AMF " ; que les règles de marché, dont la décision d'approbation a fait l'objet d'une publication sur le site de l'AMF dans la section intitulée " Règles professionnelles approuvées ", sont au nombre des règles professionnelles dont la méconnaissance peut, en vertu du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, faire l'objet d'une sanction ; qu'aux termes de l'article 8105/1 des règles de marché d'Euronext, approuvé par décision de l'AMF du 5 septembre 2006 : " au cours de l'utilisation des Plates-formes de Négociation d'Euronext et autres dispositifs complémentaires, il est fait interdiction au Membre d'adopter un comportement qui pourrait causer une dégradation du service ou empêcher un fonctionnement ordonné du marché. De tels comportements recouvrent (de façon non limitative) la soumission injustifiée ou excessive de messages électroniques ou requêtes à la Plate-forme de Négociation d'Euronext " ; qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les agissements de la société MTE, en faussant la perception par les autres intervenants du carnet d'ordres des 27 titres objets de l'enquête sur la plateforme Euronext et en lui assurant une position dominante sur cette plateforme et sur ces titres, avec pour effet la création de conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants, ont été de nature à empêcher un fonctionnement ordonné de ce marché réglementé ; qu'ainsi la commission des sanctions a pu légalement estimer que la société MTE avait méconnu ses obligations professionnelles et les dispositions de l'article 8105/1 des règles de marché d'Euronext ;

En ce qui concerne le bien-fondé de la décision attaquée, s'agissant de la sanction :

13. Considérant qu'aux termes du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable à la sanction en litige : " Les sanctions applicables sont : / a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ; la commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; (...) " ; qu'il résulte également des dispositions du même article que le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et des avantages ou des profits éventuellement tirés de ces manquements ; qu'en outre, la commission des sanctions doit tenir compte, le cas échéant, des autres critères dont le législateur a prévu, postérieurement à la date des manquements constatés, la prise en considération, s'ils sont de nature à entraîner une modération de la sanction prononcée ;

14. Considérant, en premier lieu, que la société requérante reproche à la commission des sanctions d'avoir extrapolé des seules opérations concernant le titre EDF au cours de la journée du 28 août 2009 le montant des profits qui auraient été dégagés sur l'ensemble de la période, afin de déterminer le montant de la sanction ; que toutefois, eu égard à la nature du manquement, caractérisé par l'application d'une même stratégie tout au long de la période et reposant sur les mêmes algorithmes, la commission des sanctions a pu légalement estimer le montant total des profits réalisés en se fondant seulement sur un échantillon des opérations réalisées ; que la société requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la commission des sanctions aurait ainsi commis une erreur de droit ;

15. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que les manquements de manipulation de cours et de méconnaissance de ses obligations professionnelles retenus contre la société MTE revêtent, compte tenu notamment de la durée et de la nature des infractions ainsi que du nombre de titres concernés, un caractère de particulière gravité ; qu'il résulte de l'instruction qu'ils ont permis à la société MTE de réaliser un profit qui peut être évalué à 782 000 euros, pour l'ensemble du périmètre visé sur la période considérée ; que la société Virtu Financial Europe Limited a réalisé un chiffre d'affaires de 90 millions de dollars et un résultat net de 20 millions de dollars en 2014 ; qu'il y a lieu, toutefois, de prendre en compte les circonstances, d'une part, que les manquements ont été rendus possibles par l'exemption du ratio entre ordres et transactions dont l'entreprise de marché Euronext, qui était en charge de la gestion du marché réglementé en cause, et ainsi garante de l'intégrité de ce dernier, a fait bénéficier la société MTE et, d'autre part, que la commission des sanctions s'est pour partie fondée sur le décalage entre la confirmation des ordres de MTE et la mise à jour du carnet d'ordres mentionné au point 8 sans caractériser en quoi la société avait pu exploiter ce décalage ; qu'il convient, au vu de l'ensemble de ces éléments, de ramener la sanction pécuniaire infligée à la société Virtu Financial Europe Limited à un montant de trois millions d'euros, dont il résulte de l'instruction qu'il est proportionné au regard des manquements commis et de la situation financière de la société ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la publication de la décision de sanction litigieuse aurait causé à la société requérante un préjudice disproportionné ; que la présente décision, qui réforme la sanction pécuniaire infligée, implique que l'AMF en fasse mention sur son site internet ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Virtu Financial Europe Limited n'est fondée à demander la réformation de la décision qu'elle attaque qu'en tant qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire excédant trois millions d'euros ; que doit, en revanche, être rejeté le surplus de ses conclusions à fin d'annulation et d'injonction ;

17. Considérant qu'il n'y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit ni aux conclusions de la société Virtu Financial Europe Limited ni à celles de l'AMF présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur la requête de la société Euronext Paris :

En ce qui concerne le manquement à l'obligation d'exercer son activité avec neutralité et impartialité, dans le respect de l'intégrité du marché :

18. Considérant qu'aux termes de l'article 512-3 du règlement général de l'AMF, l'entreprise de marché exerce ses activités " avec diligence, loyauté, neutralité et impartialité, dans le respect de l'intégrité du marché " ;

19. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions définissent de façon suffisamment claire et précise les obligations professionnelles qui pèsent sur les entreprises de marché et dont la méconnaissance peut être sanctionnée par la commission des sanctions ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte au principe de légalité des délits et des peines doit être écarté ;

20. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que si, comme le soutient la société requérante, deux autres opérateurs ont également bénéficié d'une exemption tarifaire pour un ratio illimité entre ordres et transactions, un troisième ayant bénéficié d'un relèvement de ce ratio à 200/1, ces exemptions ont été accordées pour des périodes très courtes, de 2 à 4 mois, et seulement à compter du mois d'avril 2010, alors que la société MTE a bénéficié de l'exemption dès mars 2009 et pour une durée de 16 mois ; que par ailleurs, la société Euronext Paris n'a produit aucune documentation relative au programme " Algorithmes " qu'elle invoque, qui aurait été ouvert à tous les intervenants en faisant la demande en échange de contreparties et aurait ainsi justifié l'exemption dont a bénéficié la société MTE ; que les deux autres sociétés auxquelles a été accordée, un an plus tard, une telle exemption, en ont bénéficié dans le cadre d'un programme pilote distinct baptisé " SLP ", qui impliquait des obligations d'apport et une tarification spécifiques ; qu'ainsi, la commission des sanctions a pu légalement estimer que la société Euronext Paris avait méconnu ses obligations en matière de neutralité et d'impartialité ;

21. Considérant, en troisième lieu, que l'obligation d'assurer le respect de l'intégrité du marché a pour but d'assurer, de manière générale, que le comportement de ceux qui sont habilités à y intervenir ne porte atteinte ni à la sécurité de la place ni à sa réputation et interdit, dès lors, que soient réalisées des opérations qui seraient anormales ou frauduleuses, en raison notamment de leur caractère dissimulé ou exagérément risqué ; que cette obligation impose à l'entreprise de marché de traiter de façon équitable les intervenants et de faire preuve de transparence à leur égard ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la seule circonstance qu'aucun comportement frauduleux ne lui serait imputable ne suffit pas à établir qu'elle aurait agi dans le respect de l'intégrité du marché ; qu'ainsi que l'a relevé la commission des sanctions, l'exemption du ratio entre ordres et transactions accordée à la société MTE a eu pour conséquence de modifier en sa faveur les modalités d'intervention sur le marché, sans que les autres intervenants en aient connaissance et alors que la société Euronext Paris avait auparavant annoncé qu'elle publierait un avis dans l'hypothèse où un apporteur de liquidité interviendrait sur les titres les plus liquides ; qu'ainsi, la société Euronext Paris n'a pas mis les autres membres du marché en mesure de comprendre la modification des conditions de négociation qui résultait de l'exemption qu'elle avait accordée et a ainsi créé une disparité de traitement, constitutive d'une atteinte à l'intégrité du marché au sens de l'article 512-3 du règlement général de l'AMF ; qu'eu égard à la nature de ce manquement, la société ne peut utilement invoquer la circonstance, à la supposer établie, que cette mesure aurait contribué à améliorer l'efficience du marché Euronext et sa liquidité ;

22. Considérant, en quatrième et dernier lieu, que la commission des sanctions a pu légalement se référer, pour statuer sur le manquement aux obligations professionnelles d'Euronext, aux seules dispositions de l'article 512-3 du règlement général de l'AMF ; que sa décision n'est entachée sur ce point d'aucune insuffisance de motivation ;

En ce qui concerne la méconnaissance de l'obligation de détecter, prévenir et gérer les effets potentiellement dommageables des conflits d'intérêts :

23. Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-11 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date des faits : " I. - L'entreprise de marché prend les dispositions nécessaires en vue de : / 1. Détecter, prévenir et gérer les effets potentiellement dommageables, pour le bon fonctionnement du marché réglementé ou pour les membres du marché, de tout conflit d'intérêts entre les exigences de bon fonctionnement du marché réglementé qu'elle gère et ses intérêts propres ou ceux de ses actionnaires ; (...) " ; qu'il résulte de l'instruction qu'en accordant à la société MTE une exemption des pénalités applicables en cas de dépassement du ratio maximal entre ordres et transactions, la société Euronext Paris a notamment cherché, dans le cadre de sa stratégie commerciale face à la concurrence des autres plateformes financières, à développer le marché qu'elle gère dans le domaine du trading à haute fréquence ; qu'en estimant que, compte tenu des modalités de mise en oeuvre de cette mesure, dont les autres opérateurs n'avaient pas connaissance, la société Euronext Paris avait méconnu l'obligation qui lui incombe, en qualité d'entreprise de marché, d'exercer son activité avec neutralité et impartialité et, en conséquence, son obligation de détecter, prévenir et gérer les effets potentiellement dommageables des conflits d'intérêts, la commission des sanctions, dont la décision est sur ce point suffisamment motivée, a fait une exacte application des dispositions du I de l'article L. 421-11 du code monétaire et financier ;

En ce qui concerne la sanction :

24. Considérant qu'en infligeant à la société Euronext Paris une sanction pécuniaire de cinq millions d'euros et en ordonnant la publication de sa décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financier, la commission des sanctions n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment de la nature et de la gravité des manquements reprochés et de la situation financière de cette société, qui a enregistré en 2014 un chiffre d'affaires de quelque 250 millions d'euros et un résultat net de près de 100 millions d'euros, et eu égard aux responsabilités particulières incombant à une entreprise de marché, pris une décision disproportionnée ;

25. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Euronext Paris n'est pas fondée à demander l'annulation ou la réformation de la décision qu'elle attaque ;

26. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AMF, qui n'est pas, dans la présente instance, la somme que demande la société Euronext Paris au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Euronext Paris la somme de 5 000 euros à verser à l'Autorité des marchés financiers, au même titre ;

D E C I D E :

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Article 1er : La sanction pécuniaire de cinq millions d'euros infligée à la société Virtu Financial Europe Limited est ramenée à trois millions d'euros.

Article 2 : La décision de la commission des sanctions est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision. La présente décision sera publiée sur le site internet de l'AMF.

Article 3 : La requête de la société Euronext Paris et le surplus des conclusions de la requête de la société Virtu Financial Europe Limited sont rejetés.

Article 4 : La société Euronext Paris versera à l'Autorité des marchés financiers une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de l'Autorité des marchés financiers présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans la requête n° 396698 sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société Virtu Financial Europe Limited, à la société Euronext Paris et à l'Autorité des marchés financiers.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 396698
Date de la décision : 19/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - CAPITAUX - OPÉRATIONS DE BOURSE - MANIPULATION DE COURS - 1) NOTION - 2) NÉCESSITÉ D'UNE INTENTION MANIPULATOIRE - ABSENCE.

13-01-02 1) Il résulte de l'article L. 621-15 du code des marchés financiers et des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l'autorité des marchés financiers (AMF) que toute opération ou émission d'ordres qui donne ou est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers doit être regardée comme une manipulation de cours au sens de ces dispositions, à moins que la personne mise en cause n'établisse tant la légitimité des raisons de cette opération ou de cette émission d'ordres que leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné.... ,,2) Le manquement de manipulation de cours est caractérisé dès lors que les conditions énoncées au point précédent sont remplies, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si le comportement reproché procédait d'une intention manipulatoire lorsque son auteur ne peut ignorer que les ordres qu'il passe ont nécessairement pour effet de donner des indications fausses ou trompeuses.

CAPITAUX - MONNAIE - BANQUES - CAPITAUX - OPÉRATIONS DE BOURSE - AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS - COMMISSION DE SANCTIONS - SANCTION PÉCUNIAIRE INFLIGÉE À RAISON DE DEUX MANQUEMENTS - CAS OÙ UN MANQUEMENT A ÉTÉ RENDU POSSIBLE PAR UNE DÉCISION DU GESTIONNAIRE DU MARCHÉ RÉGLEMENTÉ ET OÙ LE SECOND MANQUEMENT N'EST PAS CARACTÉRISÉ - RÉDUCTION DE LA SANCTION PÉCUNIAIRE.

13-01-02-01 Les manquements de manipulation de cours et de méconnaissance de ses obligations professionnelles retenus contre la société revêtent, compte tenu notamment de la durée et de la nature des infractions ainsi que du nombre de titres concernés, un caractère de particulière gravité. Ils ont permis à la société de réaliser un profit qui peut être évalué à 782 000 euros. La société a réalisé un chiffre d'affaires de 90 millions de dollars et un résultat net de 20 millions de dollars l'année précédant celle de la sanction.... ,,Il y a lieu, toutefois, de prendre en compte les circonstances, d'une part, que les manquements ont été rendus possibles par l'exemption du ratio entre ordres et transactions dont l'entreprise de marché Euronext, qui était en charge de la gestion du marché réglementé en cause, et ainsi garante de l'intégrité de ce dernier, a fait bénéficier la société et, d'autre part, que la commission des sanctions s'est pour partie fondée sur un autre manquement qui n'est pas caractérisé. Sanction pécuniaire ramenée de 5 millions à 3 millions d'euros.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 mai. 2017, n° 396698
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste de Froment
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/09/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:396698.20170519
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