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21/07/2017 | FRANCE | N°394101

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 21 juillet 2017, 394101


Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif Valériane a demandé au tribunal administratif de la Réunion de prononcer la décharge des compléments de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés, à hauteur de 23 345 euros, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 0901069 du 28 février 2013, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13BX01200 du 17 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Valériane contre ce j

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Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 oc...

Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif Valériane a demandé au tribunal administratif de la Réunion de prononcer la décharge des compléments de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés, à hauteur de 23 345 euros, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2004 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 0901069 du 28 février 2013, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13BX01200 du 17 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Valériane contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 octobre 2015 et 18 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Valériane demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

- la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 31 janvier 2013 rendus dans les affaires C-642/11 et C-643-11 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Valeriane ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 199 undecies B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au cours de la période d'imposition en litige : " I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34./ ( ...) / Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux investissements réalisés par une société soumise au régime d'imposition prévu à l'article 8 ou un groupement mentionné aux articles 239 quater ou 239 quater C, dont les parts sont détenues ... par des contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B. En ce cas, la réduction d'impôt est pratiquée par les associés ou membres dans une proportion correspondant à leurs droits dans la société ou le groupement (...) / La réduction d'impôt prévue au présent I s'applique aux investissements productifs mis à la disposition d'une entreprise dans le cadre d'un contrat de location (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société en nom collectif Valériane, dont le siège est situé à la Réunion et qui a pour objet de réaliser des investissements éligibles au dispositif prévu par l'article 199 undecies B précité du code général des impôts, devait acquérir des biens d'équipement qui devaient être donnés en location à des exploitants locaux. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée revendiqué par cette société au titre du troisième trimestre 2004, au motif que la facture jointe à cette demande, émise le 12 juillet 2004 par la société Clima Run pour un montant de 295 804 euros hors taxe, ne correspondait à aucune livraison effective de matériel. En conséquence, l'administration a notifié à la société un rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 23 345 euros assorti d'une majoration de 40 % en application de l'article 1729 du code général des impôts. La société a contesté ces impositions et pénalités devant le tribunal administratif de la Réunion qui, par un jugement du 28 février 2013, a rejeté sa demande de décharge. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 juillet 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête dirigée contre ce jugement.

3. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts alors en vigueur, qui assurait la transposition en droit interne de l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est (...) : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes de l'article 272 du même code : " (...) 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ". Aux termes, enfin, de l'article 283 du même code : " (...) 4. Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée ". Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable n'est pas en droit de déduire, de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable, la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucune marchandise ou prestation de service.

4. Pour juger que l'administration était fondée à remettre en cause le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée portée sur la facture du 12 juillet 2004, la cour administrative d'appel a relevé, en premier lieu, que les investigations conduites par l'administration, notamment auprès du locataire du matériel acquis par la société Valériane, avaient révélé que ce matériel n'avait été ni livré ni installé, en deuxième lieu, que l'administration faisait, en outre, valoir que la société Valériane s'était abstenue de verser le solde de la facture, d'encaisser le dépôt de garantie et les loyers prévus par le contrat de bail passé avec le locataire du matériel et qu'elle n'avait pas vérifié la réalité de l'existence du matériel alors que le contrat de location avait été signé le 9 juillet 2004, avant même la facturation et la réception du matériel qui portaient la date du 12 juillet 2004, enfin, que, pour contester cette remise en cause, la société Valériane se bornait à invoquer une ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel du 29 août 2012 du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Saint-Denis selon laquelle la collusion entre certains fournisseurs et locataires de matériel avait trompé sa vigilance.

5. La société Valériane soutient que la cour a commis une erreur de droit en confirmant, par ces motifs, le redressement opéré par l'administration sans rechercher si celle-ci établissait qu'elle savait ou aurait dû savoir que l'opération en cause était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. A l'appui de ce moyen, elle se prévaut des dispositions de la sixième directive TVA, telle qu'elle a été interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

6. Il est vrai que, par deux arrêts rendus le 31 janvier 2013 dans les affaires C-642/11, Stroy trans EOOD et C-643-11, LVK-56 EOOD, la Cour de justice a dit pour droit, au vu des articles 167 et 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des principes de neutralité fiscale, de sécurité juridique et d'égalité de traitement que si, compte tenu de fraudes ou d'irrégularités commises par l'émetteur de la facture ou en amont de l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction, cette opération est considérée comme n'ayant jamais été réalisée effectivement, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ne peut être refusé au destinataire de la facture que s'il est établi, au vu d'éléments objectifs et sans exiger de ce dernier des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier. Toutefois, ces arrêts ont été rendus dans des hypothèses différentes de celles de l'espèce, où l'administration fiscale se fondait sur des irrégularités commises par l'émetteur de la facture ou l'un des fournisseurs de celui-ci, et en réponse à des demandes de décisions préjudicielles portant notamment sur les conséquences à tirer, pour l'exercice du droit à déduction par le destinataire d'une facture, de l'absence de rectification, par l'administration fiscale, dans un avis d'imposition rectificatif adressé à l'émetteur de cette facture, de la taxe sur la valeur ajoutée déclarée par ce dernier.

7. Dès lors, la réponse au moyen soulevé par la société requérante dépend de la question de savoir si l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétées en ce sens que, pour refuser à un assujetti le droit de déduire, de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe portée sur des factures correspondant à des biens ou à des prestations de services dont l'administration fiscale établit qu'ils ne lui ont pas été effectivement fournis, il y a lieu, dans tous les cas, de rechercher s'il est établi qu'il savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, que cette fraude ait été commise à l'initiative de l'émetteur de la facture, de son destinataire ou d'un tiers.

8. Cette question est déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat. Elle présente une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur le pourvoi de la société Valériane.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi présenté par la société Valériane jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :

" Les dispositions de l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent-elles être interprétées en ce sens que, pour refuser à un assujetti le droit de déduire, de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe portée sur des factures correspondant à des biens ou à des prestations de services dont l'administration fiscale établit qu'ils ne lui ont pas été effectivement fournis, il y a lieu, dans tous les cas, de rechercher s'il est établi qu'il savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, que cette fraude ait été commise à l'initiative de l'émetteur de la facture, de son destinataire ou d'un tiers '"

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Valériane, au ministre de l'action et des comptes publics et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 21 jui. 2017, n° 394101
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Séverine Larere
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Date de la décision : 21/07/2017
Date de l'import : 01/08/2017

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 394101
Numéro NOR : CETATEXT000035260310 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2017-07-21;394101 ?
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