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21/07/2017 | FRANCE | N°394102

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 21 juillet 2017, 394102


Vu la procédure suivante :

La société SGI a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'ordonner à l'administration de lui rembourser des crédits de taxe sur la valeur ajoutée pour la période correspondant au quatrième trimestre de l'année 2004 et aux premier et deuxième trimestres de l'année 2005. Par des jugements n° 0801620, 0801621 et 0800076 du 28 février 2013, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté ses demandes.

Par un arrêt nos 13BX01201, 13BX01204, 13BX01205 du 17 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les appe

ls formés par la société SGI contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire, ...

Vu la procédure suivante :

La société SGI a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'ordonner à l'administration de lui rembourser des crédits de taxe sur la valeur ajoutée pour la période correspondant au quatrième trimestre de l'année 2004 et aux premier et deuxième trimestres de l'année 2005. Par des jugements n° 0801620, 0801621 et 0800076 du 28 février 2013, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté ses demandes.

Par un arrêt nos 13BX01201, 13BX01204, 13BX01205 du 17 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les appels formés par la société SGI contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 octobre 2015, 18 janvier 2016 et 22 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SGI demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

- la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 31 janvier 2013 rendus dans les affaires C-642/11 et C-643-11;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société SGI ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 199 undecies B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au cours de la période d'imposition en litige : " I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34./ ( ...) / Les dispositions du premier alinéa s'appliquent aux investissements réalisés par une société soumise au régime d'imposition prévu à l'article 8 ou un groupement mentionné aux articles 239 quater ou 239 quater C, dont les parts sont détenues ... par des contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B. En ce cas, la réduction d'impôt est pratiquée par les associés ou membres dans une proportion correspondant à leurs droits dans la société ou le groupement (...) / La réduction d'impôt prévue au présent I s'applique aux investissements productifs mis à la disposition d'une entreprise dans le cadre d'un contrat de location (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société SGI, dont le siège est situé à la Réunion, est gérante associée de sociétés en participation et de sociétés en nom collectif pour le compte desquelles elle réalise des opérations éligibles au dispositif prévu par l'article 199 undecies B précité du code général des impôts. Dans le cadre de ce dispositif, elle devait procéder à l'acquisition de biens d'équipement qui devaient être donnés en location à des exploitants locaux. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale, après avoir fait usage de son droit de communication auprès des fournisseurs et des locataires des matériels en cause, a remis en cause le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur diverses factures d'achat de matériels émises au cours de la période correspondant au quatrième trimestre de l'année 2004 et aux premier et deuxième trimestres de l'année 2005 au motif que ces factures avaient donné lieu à une surfacturation ou ne correspondaient à aucune livraison effective. En conséquence, l'administration a notifié à la société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, que la société a contestés devant le tribunal administratif de la Réunion. Par des jugements du 28 février 2013, ce tribunal a rejeté ses demandes de décharge. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 juillet 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête dirigée contre ces jugements.

3. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts alors en vigueur, qui assurait la transposition en droit interne de l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est (...) : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ". Aux termes de l'article 272 du même code : " (...) 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ". Aux termes, enfin, de l'article 283 du même code : " (...) 4. Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée ". Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable n'est pas en droit de déduire, de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable, la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucune marchandise ou prestation de service.

4. Pour juger que l'administration était fondée à remettre en cause le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée portée sur les factures litigieuses, la cour administrative d'appel, après avoir indiqué que la société SGI invoquait sa bonne foi et produisait l'ensemble des documents se rapportant aux transactions litigieuses, a relevé que cette société, propriétaire des biens concernés, redevable de la totalité de leur prix et gestionnaire des contrats de location, ne contestait ni que de nombreuses opérations n'avaient pas donné lieu à une livraison effective, ni que des livraisons avaient été tardives, ni, enfin, que certaines transactions avaient été annulées et qu'elle s'était ainsi abstenue de contrôler la réalité de ces opérations économiques portant sur des montants importants. Elle en a déduit que l'administration devait être regardée comme apportant la preuve que la société SGI, qui était une professionnelle de la défiscalisation outre-mer, ne pouvait ignorer le caractère fictif des opérations en cause ou la surfacturation de certaines d'entre elles.

5. La société SCI soutient que la cour a commis une erreur de droit en confirmant, par ces motifs, le redressement opéré par l'administration, alors qu'en l'absence de tout indice sérieux de ce que l'opération économique litigieuse aurait été impliquée dans une fraude, elle n'avait pas à procéder à un contrôle de la réalité de cette opération. A l'appui de ce moyen, elle se prévaut des dispositions de la sixième directive TVA, telle qu'elle a été interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

6. Il est vrai que, par deux arrêts rendus le 31 janvier 2013 dans les affaires C-642/11, Stroy trans EOOD et C-643-11, LVK-56 EOOD, la Cour de justice a dit pour droit, au vu des articles 167 et 168 de la directive du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des principes de neutralité fiscale, de sécurité juridique et d'égalité de traitement que si, compte tenu de fraudes ou d'irrégularités commises par l'émetteur de la facture ou en amont de l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction, cette opération est considérée comme n'ayant jamais été réalisée effectivement, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ne peut être refusé au destinataire de la facture que s'il est établi, au vu d'éléments objectifs et sans exiger de ce dernier des vérifications qui ne lui incombent pas, que ce destinataire savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, ce qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier. Toutefois, ces arrêts ont été rendus dans des hypothèses différentes de celles de l'espèce, où l'administration fiscale se fondait sur des irrégularités commises par l'émetteur de la facture ou l'un des fournisseurs de celui-ci, et en réponse à des demandes de décisions préjudicielles portant notamment sur les conséquences à tirer, pour l'exercice du droit à déduction par le destinataire d'une facture, de l'absence de rectification, par l'administration fiscale, dans un avis d'imposition rectificatif adressé à l'émetteur de cette facture, de la taxe sur la valeur ajoutée déclarée par ce dernier.

7. Dès lors, la réponse au moyen soulevé par la société requérante dépend de la question de savoir si l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétées en ce sens que, pour refuser à un assujetti le droit de déduire, de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe portée sur des factures correspondant à des biens ou à des prestations de services dont l'administration fiscale établit qu'ils ne lui ont pas été effectivement fournis, il y a lieu, dans tous les cas, de rechercher s'il est établi qu'il savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, que cette fraude ait été commise à l'initiative de l'émetteur de la facture, de son destinataire ou d'un tiers.

8. Cette question est déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat. Elle présente une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur le pourvoi de la société Valériane.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi présenté par la société SGI jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :

" Les dispositions de l'article 17 de la sixième directive TVA du 17 mai 1977, dont les dispositions ont été reprises en substance à l'article 168 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent-elles être interprétées en ce sens que, pour refuser à un assujetti le droit de déduire, de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations, la taxe portée sur des factures correspondant à des biens ou à des prestations de services dont l'administration fiscale établit qu'ils ne lui ont pas été effectivement fournis, il y a lieu, dans tous les cas, de rechercher s'il est établi qu'il savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, que cette fraude ait été commise à l'initiative de l'émetteur de la facture, de son destinataire ou d'un tiers '"

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société SGI, au ministre de l'action et des comptes publics et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 394102
Date de la décision : 21/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2017, n° 394102
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Séverine Larere
Rapporteur public ?: Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:394102.20170721
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