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14/05/1996 | FRANCE | N°92BX00528

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3e chambre, 14 mai 1996, 92BX00528


Vu l'arrêt en date du 30 novembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les conclusions de la requête de M. Pierre Lucien Y... tendant à l'allocation d'une somme de 348.596 F au titre des charges financières et fiscales, des cotisations sociales et des primes d'assurances et, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête, a ordonné une expertise pour déterminer le montant des autres chefs de préjudice allégués résultant du refus du préfet de la Gironde d'accorder le concours de la force publique pour exécuter l'ordonnance d'expulsion

de M. Christian Y... ;
Vu le rapport d'expertise déposé au g...

Vu l'arrêt en date du 30 novembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les conclusions de la requête de M. Pierre Lucien Y... tendant à l'allocation d'une somme de 348.596 F au titre des charges financières et fiscales, des cotisations sociales et des primes d'assurances et, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête, a ordonné une expertise pour déterminer le montant des autres chefs de préjudice allégués résultant du refus du préfet de la Gironde d'accorder le concours de la force publique pour exécuter l'ordonnance d'expulsion de M. Christian Y... ;
Vu le rapport d'expertise déposé au greffe de la cour le 26 mai 1995 ;
Vu, en date du 8 juin 1995, l'ordonnance par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a liquidé et taxé les frais d'expertise à la somme de 76.523,09 F ;
Vu l'ordonnance en date du 7 novembre 1995 par laquelle le président de la troisième chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a clos à partir du 28 novembre 1995 l'instruction de l'affaire ;
Vu, enregistré au greffe de la cour le 20 novembre 1995, le mémoire présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut à titre principal à ce que la condamnation de l'Etat soit limitée à la somme de 1.135.000 F en réparation de la perte des loyers et fermages, et à titre subsidiaire à ce que la réparation des dégradations soit limitée à la perte de la valeur vénale du domaine soit 400.000 F et enfin à ce que l'Etat soit subrogé dans les droits du requérant contre M. Christian Y... du fait de l'occupation irrégulière des biens immobiliers ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 avril 1996 :
- le rapport de M. LABORDE, conseiller ; - les observations de Maître LEBAIL, avocat de M. Pierre Lucien Y... ; - les observations des héritiers de M. Pierre Lucien Y... ; - et les conclusions de M. BOUSQUET, commissaire du gouvernement ;

Considérant que par l'arrêt avant dire droit en date du 30 novembre 1993, la cour, saisie par M. Pierre Lucien Y... d'une requête tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 8.379.290 F assortie des intérêts au taux légal en réparation du préjudice que lui a causé le refus du sous Préfet de Libourne d'ordonner le concours de la force publique pour l'exécution de l'ordonnance d'expulsion de M. Christian Y..., son fils, des bâtiments et des terrains agricoles lui appartenant, a rejeté les conclusions de la requête tendant à l'allocation d'une somme de 348.596 F en remboursement de charges financières et fiscales, des cotisations sociales et de primes d'assurances et, pour l'évaluation des autres chefs de préjudice allégués, a ordonné une expertise ;
Sur la privation de jouissance du château et de la métairie :
Considérant que l'expert a chiffré à la somme de 869.062 F le montant des loyers qu'aurait pu percevoir M. Y... en louant le château et la métairie au cours de la période pendant laquelle l'Etat a refusé le concours de la force publique pour l'expulsion de l'occupant sans titre ; que si M. Y... chiffre son préjudice pour privation de jouissance sur la base d'un revenu locatif de 5 % calculé sur la valeur vénale de l'immeuble, il ne résulte pas de l'instruction qu'au regard de la consistance des bâtiments, de leur situation, de leur état d'entretien et surtout de leur absence de confort et d'équipements, leur location aurait pu produire un revenu foncier supérieur à l'évaluation de l'expert ; que les primes d'assurances et taxes foncières sont des charges incombant au propriétaire ; qu'il sera fait une exacte appréciation de la privation de jouissance de ces bâtiments d'habitation en fixant à la somme de 869.062 F ce chef de préjudice ;
Sur la perte de la valeur vénale des immeubles et sur les dégradations causées aux biens :
Considérant, en premier lieu, que les travaux de remise en état des terrains agricoles sont nécessités par les dégradations de clôtures, l'envahissement de ronces et l'abandon des vignobles par l'occupant sans titre ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le coût de ces travaux de remise en état évalués par l'expert à 1.112 F en ce qui concerne les prairies, les terres labourables et les bois ; que d'autre part le préjudice résultant des travaux de remise à nu des terrains plantés en vignobles, chiffrés par l'expert à 176.238 F, et celui de la perte des droits de production de vin, auparavant attachés aux vignobles, chiffrés à 255.187 F, ne sauraient globalement excéder la valeur vénale des vignobles qui s'élève à 283.640 F en valeur 1990 ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'indemnité pour perte des vignobles est destinée à réparer la totalité du préjudice subi du fait de la diminution de la valeur de la propriété et de sa productivité ; qu'elle couvre ainsi la réparation de toutes les pertes de récolte ; que notamment les requérants ne sont pas fondés à demander une indemnité pour les pertes de récoltes subies entre 1990 et 1993, postérieurement à la période pendant laquelle l'Etat avait refusé d'ordonner le concours de la force publique ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort du rapport d'expertise que le fonds bâti, château et métairie auraient pu être évalués en 1990 à la somme de 1.950.000 F, d'après leur état d'entretien au cours de l'année 1979 ; que le château a été vendu en 1993 pour la somme de 1.300.000 F ; qu'ainsi la réparation des dégradations commises par l'occupant sans titre, telles que retenues par l'expert, ne sauraient excéder la perte de la valeur vénale de l'immeuble soit la somme de 650.000 F, que cependant cette somme doit être réduite de la valeur résiduelle de la métairie, des dégradations importantes subies par l'immeuble entre 1990 et 1993, chiffrées par l'expert à 187.000 F et dont l'Etat ne peut être tenu pour responsable ; qu'enfin il résulte du rapport d'expertise que les détériorations sont dues essentiellement à l'état de vétusté des bâtiments et à leur état d'entretien ; que le coût de cet entretien incombe en tout état de cause au propriétaire ; que, par suite, il sera fait une juste appréciation du coût des dégradations commises par l'occupant irrégulier en fixant à la somme de 100.000 F ce chef de préjudice ;
Sur les pertes de revenus agricoles :
Considérant que l'expert a chiffré à la somme de 698.683,93 F le montant des fermages que M. Y... aurait pu percevoir au cours de la période du 21 août 1979 au 15 mars 1990 pour la location de ses propriétés agricoles et bâtiments d'exploitation ; que si les requérants demandent que leur préjudice soit fixé à la somme de 3.539.384 F correspondant à un bénéfice d'exploitation calculé sur la base d'un troupeau de 31 bovins, dont ils ne peuvent justifier qu'il aurait été la propriété de M. Y... en 1979, il résulte du rapport d'expertise que le revenu estimé de l'exploitation agricole, des 11 bovins, des terrains et vignobles appartenant à M. Y... au cours des années en cause se serait élevé à 1.149.471 F desquels il y aurait lieu de déduire les charges sociales de l'exploitant et les frais d'entretien du matériel et des bâtiments d'exploitation ; que, d'autre part, M. Y... âgé de 57 ans en 1979 a bénéficié d'une pension de retraite à compter du 11 mars 1987 ; que si les requérants soutiennent que son épouse Mme Y... née Z... a alors repris, à son nom, l'exploitation agricole, cette situation est sans influence sur les recettes estimées par l'expert ; que compte tenu des charges à déduire de l'évaluation faite par l'expert, il sera fait une exacte appréciation de la perte des revenus agricoles en fixant la réparation au produit des fermages qu'aurait pu percevoir M. Y..., arrondi à la somme de 700.000 F ;
Considérant, d'autre part, que le préjudice allégué qui serait lié à la perte d'une indemnité qu'aurait pu percevoir M. Y... à raison de l'abandon définitif de la production laitière n'a pas de lien direct et certain avec le refus de concours de la force publique ;
Sur les autres chefs de préjudice :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que le matériel dont M. Y... avait fait apport au GAEC en 1967 était totalement amorti en 1979 ; que si les requérants soutiennent qu'en 1979 ce matériel conservait encore une valeur résiduelle, ils n'établissent ni sa valeur, ni même son existence sur la propriété irrégulièrement occupée en 1975, ni par suite, la perte alléguée ;

Considérant, en deuxième lieu, que les dégradations du bâti entre 1990 et 1993 chiffrées à 200.000 F par les requérants sont sans lien avec la responsabilité de l'Etat, dès lors que M. Y... avait pu reprendre possession des lieux dès le 15 mars 1990 ;
Considérant, en troisième lieu, que le préjudice né de ce que le liquidateur du GAEC familial a clôturé les comptes avec retard et a réclamé à M. Y... des suppléments d'honoraires n'est pas la conséquence directe du refus par l'Etat d'exécuter la décision d'expulsion ;
Considérant, en quatrième lieu, que les pertes de revenus et les atteintes au patrimoine occupé ayant été précedemment indemnisées, les requérants ne peuvent, en plus, demander que l'Etat soit condamné à leur verser une indemnité représentant la valeur locative de l'immeuble dans lequel ils ont dû résider et la perte d'un revenu salarial, alors que M. Y... a, au surplus, perçu une pension de retraite pendant une partie de la période en cause ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. Y... en condamnant l'Etat à verser à la succession Y... une somme de 50.000 F ; qu'en revanche, les conclusions de Mme Y... tendant à la même condamnation sont nouvelles en appel et par suite irrecevables ;
Considérant, qu'il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité réparant les préjudices subis par M. Pierre Lucien Y... en raison du refus de l'Etat d'accorder le concours de la force publique pour expulser son fils Christian de l'exploitation agricole lui appartenant doit être portée à la somme de 2.003.814 F ; que les ayant droits de M. Y... venant aux droits de ce dernier sont fondés à demander que l'Etat soit condamné à leur verser ladite somme réduite de la provision de 100.000 F que l'Etat a été comdamné à verser à M. Pierre Lucien X... par l'arrêt avant dire droit ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que les requérants ont droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 2.003.814 F à compter de la date du 3 avril 1990 date de la demande valant sommation de payer adressée à l'administration ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 28 novembre 1995 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande ; qu'en revanche au 3 avril 1996 il n'était pas dû une nouvelle année d'intérêts ;
Sur les conclusions à fin de subrogation :
Considérant qu'il y a lieu de faire droit aux conclusions du ministre de l'intérieur demandant la subrogation de l'Etat dans les droits des requérants à l'encontre de l'occupant irrégulier dans la limite des sommes dont ce dernier peut être reconnu débiteur pour la période de responsabilité de l'Etat et à concurrence des indemnités allouées ;
Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'affaire de mettre à la charge de l'Etat les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 76.523,09 F ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer aux requérants une somme globale de 10.000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme veuve Pierre Lucien Y... née Z..., à M. Pierre Yves Y..., Mme Annie Y..., Mme Pierrette Y..., Melle Sandrine Y..., Melle Stéphanie Y... ayant droits de M. Pierre Lucien Y... la somme de 1.903.814 F. Cette somme et la somme de 100.000 F versée à titre de provision porteront intérêts au taux légal à compter du 3 avril 1990. Les intérêts échus le 28 novembre 1995 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le versement de ces sommes est subordonné à la subrogation de l'Etat à concurrence de leur montant dans les créances que M. Pierre Lucien Y... détenait sur M. Christian Y... du fait de l'occupation sans titre des biens lui appartenant.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Etat.
Article 6 : L'Etat versera aux ayant droits de M. Y... ensemble une somme de 10.000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.


Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL - PERTE DE REVENUS.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - TROUBLES DE JOUISSANCE.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. LABORDE
Rapporteur public ?: M. BOUSQUET

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3e chambre
Date de la décision : 14/05/1996
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 92BX00528
Numéro NOR : CETATEXT000007486121 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;1996-05-14;92bx00528 ?
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