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06/11/2000 | FRANCE | N°97BX01543

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2e chambre, 06 novembre 2000, 97BX01543


Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 11 août 1997, présentée pour M. Jean-Paul X... domicilié au lieu-dit "Le Mailhol", Saint Médard de Presque (Lot-et-Garonne) ;
M. X... demande à la cour :
- d'annuler le jugement du 19 juin 1997 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier régional universitaire de Limoges soit condamné à réparer les conséquences dommageables résultant de la transplantation rénale qu'il a subie dans cet établissement le 1er août 1992 ;
- de condamner le centre hospitalie

r régional universitaire de Limoges à verser la somme globale de 4 560 853,...

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 11 août 1997, présentée pour M. Jean-Paul X... domicilié au lieu-dit "Le Mailhol", Saint Médard de Presque (Lot-et-Garonne) ;
M. X... demande à la cour :
- d'annuler le jugement du 19 juin 1997 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier régional universitaire de Limoges soit condamné à réparer les conséquences dommageables résultant de la transplantation rénale qu'il a subie dans cet établissement le 1er août 1992 ;
- de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Limoges à verser la somme globale de 4 560 853,27 F incluant la créance de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot, ainsi que les sommes de 10 000 F au titre des frais de procédure qu'il a engagés en première instance et 15 000 F au titre de ceux exposés en appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n? 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 octobre 2000 :
- le rapport de Mlle ROCA, rapporteur ;
- les observations de Maître CHABAUD, avocat du centre hospitalier régional universitaire de Limoges ;
- et les conclusions de M. REY, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X..., alors âgé de 44 ans, a subi le 1er août 1992 au centre hospitalier régional universitaire de Limoges une transplantation rénale à la suite de laquelle il s'est trouvé atteint d'une paralysie de la jambe droite due à une compression du tronc nerveux pendant l'intervention ; qu'il conteste le jugement du 19 juin 1997 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté son action en responsabilité dirigée contre l'établissement hospitalier ;
Sur la responsabilité de l'établissement hospitalier :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que l'intervention s'est déroulée conformément aux règles de l'art et que, contrairement à ce que soutient le requérant, l'existence d'une faute médicale ou d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service n'est pas établie ;
Considérant, toutefois, que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant qu'il ressort du rapport précité que, compte tenu de l'emplacement du nerf crural au voisinage de l'artère et de la veine rénale, la paralysie crurale est au nombre des risques encourus en cas d'intervention dans le domaine rénal ; que la seule circonstance que ce risque ne se réalise qu'exceptionnellement ne saurait signifier qu'il n'était pas connu de la communauté scientifique à l'époque des faits ; qu'ainsi un tel risque, compte tenu de sa gravité, devait être porté à la connaissance de M. X... ; qu'il est constant que les praticiens n'ont pas satisfait à cette obligation ; que ce manquement est, dès lors, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Limoges ;
Considérant que la faute ainsi commise n'a entraîné pour M. X... que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; que, toutefois, le requérant sollicite la réparation de son entier préjudice en invoquant, par ailleurs, la responsabilité sans faute de l'hôpital ;
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du patient présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que M. X... est atteint d'une impotence fonctionnelle à l'origine d'une incapacité permanente partielle évaluée à 30 % ; qu'il est astreint au port d'une orthèse et éprouve de grandes difficultés pour la marche et la station debout prolongée ; que cet état, s'il comporte des gênes importantes dans la vie quotidienne, ne présente toutefois pas un caractère d'extrême gravité ; que, par suite, la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Limoges ne saurait être engagée sur le terrain de la responsabilité sans faute ;
Sur l'évaluation du préjudice de M. X... :
Considérant que pour la période courant du mois d'août 1992 au mois de mai 1994, à la fin de laquelle il a bénéficié d'un classement en invalidité de troisième catégorie lui assurant des ressources d'un montant pour le moins égal à celui perçu avant son opération, M. X... justifie d'une perte de revenus de 122 685,42 F ; que le préjudice subi au titre de son incapacité, en relation directe avec la paralysie crurale, doit être évalué à la somme de 300 000 F ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Lot, dont relève M. X..., n'a pas fait état devant le tribunal administratif de frais médicaux, pharmaceutiques ou d'hospitalisation qu'elle aurait exposés antérieurement au dépôt de son mémoire ; que si elle sollicite le remboursement des frais pharmaceutiques et médicaux qu'elle devra supporter dans l'avenir pour son assuré, elle n'a pas fourni de précisions suffisantes permettant de différencier la part de ces frais qui est en relation directe avec la paralysie dont il s'agit ; que la caisse ne fournit aucun document justificatif permettant de vérifier le bien-fondé de l'évaluation des frais futurs d'appareillage qu'elle invoque ; qu'elle ne saurait solliciter le remboursement des frais futurs de dialyse qui sont sans lien avec l'affection pour laquelle la responsabilité du centre hospitalier est recherchée ; qu'ainsi le préjudice corporel subi par M. X... s'élève à 422 685,42 F ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément, ainsi que des souffrances physiques endurées à la suite de l'intervention et du préjudice esthétique en le fixant à 100 000 F ;
Considérant que la réparation du dommage résultant pour M. X... de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, les risques qui étaient encourus en cas de renoncement à ce traitement, cette fraction doit être fixée en l'espèce au cinquième ; qu'ainsi, il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par M. X... en le fixant à 84 537,08 F au titre du préjudice relatif à l'atteinte à l'intégrité physique et à 20 000 F au titre des autres dommages ;
Sur les droits de M. X... :

Considérant que, même en l'absence de conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot devant la cour tendant au remboursement des sommes supportées par elle, il y a lieu, en application de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale, de défalquer lesdites sommes de la part de la condamnation mise à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Limoges représentative de la réparation des atteintes à l'intégrité physique de la victime ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie du Lot verse à M. X..., au titre de la paralysie crurale, une pension d'invalidité dont les arrérages échus à la date du 31 mai 1995 et le capital représentatif de ceux à échoir excèdent la somme de 84 537,08 F ; qu'il suit de là que M. X... a droit à la somme de 20 000 F allouée au titre du préjudice personnel résultant pour lui de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
Sur les dépens :
Les frais de l'expertise médicale ordonnée par le tribunal administratif, taxés par ordonnance du 9 mars 1995 à 2 600 F, sont mis à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Limoges ; qu'il y a lieu d'ajouter à cette somme, la somme de 832 F correspondant aux frais de déplacement que M. X... a exposés à l'occasion de cette expertise ;
Sur les intérêts :
Considérant, en premier lieu, que même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, tout jugement ou arrêt prononçant une condamnation a une indemnité fait courir les intérêts au taux légal au jour de son prononcé jusqu'à son exécution ; qu'ainsi la demande de M. X... tendant à ce que lui soient alloués, à compter de la date du présent arrêt, des intérêts moratoires sur la somme que le centre hospitalier est condamné à lui verser, est dépourvue de tout objet et doit donc être rejetée ;
Considérant, en deuxième lieu, que le jugement dont M. X... fait appel n'a prononcé aucune condamnation à l'encontre du centre hospitalier régional universitaire de Limoges ; que, par suite, il ne saurait être imputé à ce dernier un quelconque retard de paiement de nature à justifier l'octroi d'intérêts compensatoires à compter de l'intervention dudit jugement ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Limoges à verser 6 000 F à M. X... au titre des frais qu'il a exposés non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que le centre hospitalier régional universitaire de Limoges qui n'est pas, devant le tribunal administratif de Limoges, la partie perdante, soit condamné à verser à M. X... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui en première instance et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le centre hospitalier régional universitaire de Limoges est condamné à payer à M. X... la somme de 20 000 F, ainsi qu'une somme de 6 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif, d'un montant global de 3 432 F sont mis à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Limoges.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges du 19 juin 1997 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus de la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif et le surplus de sa requête sont rejetés.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 97BX01543
Date de la décision : 06/11/2000
Type d'affaire : Administrative

Analyses

PROCEDURE - JUGEMENTS - FRAIS ET DEPENS - DEPENS.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE SANS FAUTE - ACTES MEDICAUX.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - EXISTENCE D'UNE FAUTE - MANQUEMENTS A UNE OBLIGATION D'INFORMATION ET DEFAUTS DE CONSENTEMENT.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE MEDICALE : ACTES MEDICAUX - ABSENCE DE FAUTE MEDICALE DE NATURE A ENGAGER LA RESPONSABILITE DU SERVICE PUBLIC.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RECOURS OUVERTS AUX DEBITEURS DE L'INDEMNITE - AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SECURITE SOCIALE - DROITS DES CAISSES DE SECURITE SOCIALE - IMPUTATION DES DROITS A REMBOURSEMENT DE LA CAISSE - ARTICLE L - 376-1 (ANCIEN ARTICLE L - 397) DU CODE DE LA SECURITE SOCIALE.


Références :

Code de la sécurité sociale L376-1
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mlle ROCA
Rapporteur public ?: M. REY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2000-11-06;97bx01543 ?
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