Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 10 novembre 2003, présentée pour la SA CHATEAU LAGRANGE dont le siège est à Saint Julien Beychevelle (33250) par la SCP Le Bail-Vidal, avocats ; la SA CHATEAU LAGRANGE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 juin 2003 par lequel le Tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du directeur adjoint du travail du service départemental de l'inspection du travail, de l'emploi et de la politique sociale agricole de la Gironde en date du 6 octobre 1998 l'autorisant à licencier M. X ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X devant le Tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de condamner M. X à lui verser une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 janvier 2006,
- le rapport de M. Rey ;
- les observations de Me Lendres, avocat de M. X ;
- les observations de Me Le Bail, avocat de la SA CHATEAU LAGRANGE ;
- et les conclusions de M. Chemin, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la SA CHATEAU LAGRANGE interjette appel du jugement du Tribunal administratif de Bordeaux du 24 juin 2003 qui a annulé la décision du 6 octobre 1998 par lequel le directeur adjoint du service départemental de l'inspection du travail, de l'emploi et de la politique sociale agricole de Gironde l'a autorisée à licencier pour inaptitude médicale M. X, salarié protégé de l'entreprise ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
Considérant que M. X a saisi, dans le délai de recours contentieux contre la décision de l'inspecteur du travail, qui avait été prorogé par l'introduction d'un recours hiérarchique, le Conseil de prud'hommes de Bordeaux afin d'obtenir, notamment, une indemnité pour nullité du licenciement en invoquant le défaut de seconde visite médicale et l'absence de recherche sérieuse de reclassement ; qu'en cours d'instance il a d'ailleurs demandé audit conseil de se prononcer sur la question de la légalité de l'autorisation de licenciement ; qu'ainsi c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que cette demande avait le même objet que celle dont ils étaient saisis et tendant à l'annulation, par les mêmes moyens, de l'autorisation de licenciement ; que, contrairement à ce que soutient la requérante, la saisine d'une juridiction incompétente emporte interruption du délai de recours jusqu'à la signification du jugement d'incompétence devenu définitif ; que, par suite, la demande introduite devant le Tribunal administratif de Bordeaux, moins de deux mois après la signification du jugement du Conseil de prud'hommes de Bordeaux se déclarant incompétent, n'était pas tardive ;
Sur la légalité de l'autorisation de licenciement :
Considérant qu'en vertu du code du travail, les salariés protégés qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, des règles applicables au contrat de travail du salarié, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise ou, en cas d'impossibilité, dans une autre société du groupe dont fait partie l'entreprise ; qu'aux termes de l'article L. 122-32-5 du code du travail : « Si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du personnel, un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, ancien membre du comité d'hygiène et de sécurité, employé en qualité de vigneron, a été, suite à un accident du travail, déclaré par le médecin du travail inapte à occuper son poste de travail ou tout autre travail agricole nécessitant des activités physiques pénibles ; qu'en outre le médecin du travail a préconisé un reclassement « dans des activités plus sédentaires de type petit entretien, conduite, surveillance » ; qu'après avoir recherché un reclassement dans l'entreprise, la SA CHATEAU LAGRANGE s'est bornée, sans même indiquer la qualité de salarié protégé de M. X, ni joindre l'avis du médecin du travail, à adresser une lettre à la direction du groupe Suntory France, dont elle fait partie, lui demandant de faire savoir si un reclassement était possible au sein du groupe ; que le président du groupe a répondu peu de jours après, par une lettre rédigée en termes identiques à celles concernant d'autres salariés de l'entreprise, qu'il n'était pas possible de faire droit à la demande de la SA CHATEAU LAGRANGE ; que ce simple échange de courriers n'est pas de nature à établir que l'employeur se serait livré à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement au sein du groupe ; que ni l'attestation d'une société du groupe en date du 8 janvier 2004 qui indique avoir été « consultée » par le président directeur général du groupe pour le reclassement de M. X, ni les courriers émanant de deux entreprises voisines du Château Lagrange mais ne faisant pas partie du groupe Suntory France ne sont de nature à établir le respect par l'employeur des dispositions de l'article L. 122-32-5 du code du travail ; que, dès lors, le directeur adjoint du travail, à qui il incombait de vérifier le sérieux de la recherche de reclassement, était tenu, pour ce seul motif, de rejeter la demande d'autorisation de licenciement de M. X ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA CHATEAU LAGRANGE n'est pas fondée à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision du directeur adjoint du service départemental de l'inspection du travail, de l'emploi et de la politique sociale agricole de Gironde en date du 6 octobre 1998 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SA CHATEAU LAGRANGE au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au profit de M. X et de mettre, à ce titre, à la charge de la SA CHATEAU LAGRANGE une somme de 1 300 euros ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SA CHATEAU LAGRANGE est rejetée.
Article 2 : La SA CHATEAU LAGRANGE versera à M. X une somme de 1 300 euros en application de l'article L.761-1.
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No 03BX02209