La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/10/2007 | FRANCE | N°06BX00135

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 3), 02 octobre 2007, 06BX00135


Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 20 janvier 2006, présentée pour M. Didier X, demeurant ..., par Me Lebois ;

M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 0401953 du 24 novembre 2005, en tant qu'il a limité à la somme de 76 000 euros, qu'il estime insuffisante, l'indemnité devant être mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers en réparation des conséquences dommageables des complications neurologiques et infectieuses survenues à la suite d'interventions chirurgicales pratiquées d

ans cet établissement au cours de l'année 2001 ;

2°) de déclarer le centre...

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 20 janvier 2006, présentée pour M. Didier X, demeurant ..., par Me Lebois ;

M. X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 0401953 du 24 novembre 2005, en tant qu'il a limité à la somme de 76 000 euros, qu'il estime insuffisante, l'indemnité devant être mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers en réparation des conséquences dommageables des complications neurologiques et infectieuses survenues à la suite d'interventions chirurgicales pratiquées dans cet établissement au cours de l'année 2001 ;

2°) de déclarer le centre hospitalier universitaire responsable de l'ensemble des préjudices subis, et de porter en conséquence ladite indemnité à 1 112 510,53 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date d'envoi de sa réclamation préalable ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 septembre 2007 :

- le rapport de M. Zupan,

- les observations de Me Levitan pour M. Didier X,

- et les conclusions de M. Vié, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X relève appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 24 novembre 2005, en tant qu'il a limité à la somme de 76 000 euros, qu'il estime insuffisante, l'indemnité devant être mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers en réparation des conséquences dommageables des complications neurologiques et infectieuses survenues à la suite d'interventions chirurgicales pratiquées dans cet établissement au cours de l'année 2001 ; que le centre hospitalier universitaire de Poitiers demande quant à lui, par la voie de l'appel incident, d'annuler ledit jugement en tant que, retenant sa responsabilité à raison de l'une de ces complications, il l'a condamné à verser à M. X la somme susmentionnée, et à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne celle de 71.211,43 euros ;

Considérant que M. X, victime d'un grave accident de la circulation, a été admis le 22 avril 2001 au Centre hospitalier universitaire de Poitiers, où fut notamment pratiquée, en urgence, une intervention chirurgicale consistant en la réalisation d'une ostéosynthèse du fémur et du tibia droit par la pose de fixateurs externes ; qu'après un premier épisode infectieux, il a pu regagner son domicile le 8 juin ; qu'il a été de nouveau hospitalisé, quelques jours plus tard, dans le service d'orthopédie du même établissement, afin d'y subir, le 5 juillet, une nouvelle opération, ayant pour objet la réalisation d'une ostéosynthèse « par vis plaque de Judet »; qu'il a développé, dans les jours suivant cette seconde intervention, une nouvelle maladie infectieuse au cours de laquelle des signes de sepsis locaux ont été relevés au niveau du matériel d'ostéosynthèse ; qu'une reprise chirurgicale de celle-ci a été effectuée le 24 juillet, sans succès ; que, l'extrémité du fémur étant exposée, une quatrième intervention a été pratiquée le 7 août 2001, afin d'y appliquer un lambeau de couverture, dans des conditions rendues difficiles par la mauvaise qualité des vaisseaux poplités « donneurs » ; qu'à son réveil, le patient s'est plaint d'une paralysie du bras droit, révélant une lésion définitive du plexus brachial ; qu'il a été décidé, le 22 août, devant l'échec du lambeau de couverture, aggravé par une perte de substance, d'ôter la plaque fémorale et de remettre en place des fixateurs externes, cette opération étant programmée pour le début du mois de septembre ; que, dans cette perspective, un cathéter central jugulaire a été posé le 29 août ; qu'un nouvel épisode infectieux s'est brutalement manifesté le 7 septembre, nécessitant, dès le lendemain, le pronostic vital étant engagé, l'amputation de la cuisse droite, au tiers supérieur ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la paralysie du membre supérieur droit :

Considérant qu'il est constant que l'atteinte irrémédiable du plexus brachial droit de M. X, d'où résulte la paralysie dont il souffre, trouve son origine dans le maintien de l'intéressé en décubitus latéral gauche pendant toute la durée, soit près de 16 heures, de l'intervention chirurgicale pratiquée le 7 août 2001 ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné en référé par le président du tribunal administratif de Poitiers, que cet accident neurologique, à la fois rare, imprévisible et imparable, ne peut être rapporté, par lui-même, à une négligence des praticiens ou des personnels soignants du centre hospitalier universitaire de Poitiers, lesquels ont pris toutes les précautions d'usage pour en prévenir la survenance, en particulier la mise en place de coussins de gel et d'un appuie-bras, et relève de l'aléa thérapeutique ; que cependant l'intervention chirurgicale qui l'a occasionné n'a été rendue nécessaire qu'en raison de la maladie infectieuse développée au cours des jours précédents par M. X, et qui compromettait l'opération d'ostéosynthèse antérieurement réalisée ; que la durée de l'opération, excédant du double de celle initialement prévue, n'a pu que renforcer les probabilités d'apparition de cette atteinte laquelle doit donc être regardée comme trouvant son origine dans l'infection développée, ainsi qu'il a été dit, consécutivement à l'opération d'ostéosynthèse ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à supposer même que si le premier épisode infectieux développé par M. X, diagnostiqué dès le surlendemain de son accident, et attribué à un staphylocoque doré, a eu pour origine la blessure fémorale causée par cet accident lui-même, il a été contrôlé au cours des semaines suivantes, les analyses bactériologiques effectuées en juin 2001 s'étant avérées négatives ; que si l'expert évoque, concernant le nouvel épisode infectieux décelé le 5 juillet 2001, dans les suites de l'intervention consistant en la réalisation d'une ostéosynthèse par « vis-plaque de Judet », l'hypothèse d'une colonisation préalable du « foyer de fracture », il n'affirme pas que cette seconde infection, fût-elle provoquée par le même type de germe, et qu'il qualifie au contraire de « nosocomiale », constituerait une simple reprise de la première ou présenterait un caractère endogène ; que, dans ces conditions, nonobstant le risque infectieux inhérent à la nature du traumatisme initial de M. X, rien ne permet de présumer qu'il ait été porteur, avant l'opération pratiquée le 5 juillet 2001, d'un foyer infectieux qui pourrait être à l'origine de l'échec de cette ostéosynthèse, et, par suite, de la nécessité d'envisager, le 7 août suivant, la réalisation chirurgicale d'un lambeau de couverture ; qu'alors même qu'aucune faute médicale, notamment en matière d'asepsie, ne peut être reprochée aux praticiens qui ont exécuté cette intervention, et nonobstant les précautions prises par l'établissement en matière de prévention des infections nosocomiales, l'introduction accidentelle du germe microbien susmentionné dans l'organisme du patient, à l'occasion de son séjour dans le service d'orthopédie, révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a estimé que le centre hospitalier universitaire de Poitiers n'était pas responsable des conséquences dommageables de la lésion de son plexus brachial droit ;

En ce qui concerne l'amputation de la jambe droite :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-300 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et rendu applicable, par l'article 101 de ladite loi, aux actes médicaux effectués à compter du 5 septembre 2001 : « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (...) ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lequel sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère » ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'amputation de la jambe droite de M. X, à laquelle les praticiens du centre hospitalier universitaire de Poitiers ont été contraints de procéder le 8 septembre 2001, est la conséquence directe du troisième épisode infectieux de ce patient, alors hospitalisé, causé par le développement du germe candida albicans, à partir du cathéter posé le 29 août ; que si, comme le mentionne le rapport d'expertise, cette forme de septicémie, relativement rare, a été favorisée par l'antibiothérapie administrée à M. X au cours des mois précédents pour lutter contre l'infection à staphylocoque doré susmentionnée, elle ne saurait être regardée comme un aléa thérapeutique ; que rien ne permet de présumer que M. X l'ait contractée en dehors du milieu hospitalier ; qu'alors même que, là encore, aucune faute médicale ou de soins, notamment en matière d'asepsie, ne peut être reprochée aux personnels du centre hospitalier universitaire de Poitiers, le fait qu'un tel germe ait pu contaminer l'organisme du patient révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement de cet établissement public de santé ; qu'ainsi, ce dernier n'est pas fondé à contester sur ce point, par la voie de l'appel incident, le jugement attaqué, qui l'en a déclaré responsable ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'en conséquence de ce qui précède, M. X peut prétendre à la réparation de l'ensemble des préjudices résultant des complications survenues en août et septembre 2001, et non pas seulement, comme l'a jugé le tribunal administratif de Poitiers, de celui consécutif à son amputation du membre inférieur ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise que M. X, âgé de 35 ans lors des faits, et dont l'état de santé est désormais consolidé, a définitivement perdu l'usage de l'avant-bras droit, et ne peut se déplacer difficilement que sur un fauteuil roulant ; qu'en sus des difficultés rencontrées dans tous les gestes de la vie courante, la réhabilitation prothétique de sa jambe droite est compliquée par l'impossibilité dans laquelle il se trouve, avec son seul bras valide, d'installer et d'ôter cette prothèse ; que son handicap justifie un taux d'invalidité non contesté de 60%, tenant compte de l'invalidité qui eût immanquablement résulté, en l'absence même de toute complication, des graves lésions traumatiques consécutives à l'accident de la circulation survenu le 21 avril 2001 ; qu'il sera fait une juste évaluation des troubles subis dans ses conditions d'existence, y compris durant la période d'incapacité temporaire totale, ainsi que des préjudices d'agrément liés à l'impossibilité de pratiquer les activités de loisirs qui étaient antérieurement les siennes, et à son préjudice d'ordre affectif, en lui allouant à ce titre une indemnité de 90 000 euros ;

Considérant que l'état de santé sus-décrit de M. X nécessite, selon les conclusions non contestées de l'expert, l'assistance d'une tierce personne six heures par jour ; que, compte tenu du coût horaire d'une telle assistance et de l'âge de M. X, ce préjudice doit être réparé par l'allocation d'une rente annuelle de 21 000 euros indexée par application des coefficients de revalorisation prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, et due, en l'absence de justificatifs de dépenses d'ores et déjà exposées à ce titre, à compter de la notification du présent arrêt ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances endurées par M. X, qualifiée d'importantes (6/7) par l'expert, et de son préjudice esthétique, qualifié d'assez important (5/7) en mettant à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers, à ces titres, des indemnités de 18 000 et 8 000 euros ;

Considérant que M. X justifie suffisamment, par la production de pièces médicales, de devis et de factures, de la nécessité et du montant de diverses dépenses engagées en vue d'adapter son véhicule et son logement à son handicap ; qu'il peut prétendre à ce titre au versement d'une indemnité de 3 826,61 euros ; qu'il est par ailleurs constant que demeure à sa charge, en vertu des règles régissant le fonctionnement du régime d'assurance maladie auquel il est assujetti, une partie du coût du fauteuil roulant, du siège de baignoire et de la pince de préhension qui lui sont quotidiennement nécessaires ; que le montant total de ces dépenses, y compris le renouvellement quinquennal des matériels susmentionnés, peut être évalué, au vu des justificatifs versés aux débats, à 2 523,98 euros ;

Considérant enfin que le centre hospitalier universitaire de Poitiers n'apporte, au soutien de son appel incident, aucun élément de nature à démontrer que les premiers juges auraient fait une évaluation exagérée des sommes dues à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le total de l'indemnité due à M. X par le centre hospitalier universitaire de Poitiers doit être porté à 122 350,59 euros, outre la rente viagère susmentionnée de 21 000 euros ; que M. X a droit aux intérêts au taux légal de la première de ces sommes à compter du 28 février 2004, date de la réception, par le centre hospitalier universitaire de Poitiers, de sa réclamation préalable ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier universitaire de Poitiers à verser à M. X une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Poitiers par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 0401953 du 24 novembre 2005 est portée à 122 350,59 euros, ladite somme devant porter intérêts au taux légal à compter du 28 février 2004, et augmentée, à compter de la notification du présent arrêt, d'une rente viagère annuelle de 21 000 euros indexée dans les conditions prévues par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 0401953 du 24 novembre 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3: Le centre hospitalier universitaire de Poitiers versera à M. X une somme de 1 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et l'appel incident du centre hospitalier universitaire de Poitiers sont rejetés.

6

N° 06BX00135


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : Mme FLECHER-BOURJOL
Rapporteur ?: M. David ZUPAN
Rapporteur public ?: M. VIE
Avocat(s) : LEBOIS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 3)
Date de la décision : 02/10/2007
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 06BX00135
Numéro NOR : CETATEXT000017995523 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2007-10-02;06bx00135 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award