Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 13 mars 2008 par télécopie, confirmée par courrier le 14 mars 2008, présentée par le PREFET DE LA VIENNE ;
Le PREFET DE LA VIENNE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0800469 en date du 22 février 2008 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 19 février 2008 ordonnant la reconduite à la frontière de M. X en tant qu'il fixe la Guinée comme pays de renvoi ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X audit tribunal administratif ;
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Vu la décision par laquelle le président de la Cour a désigné notamment M. Didier Péano, président-assesseur, en qualité de juge habilité à statuer en matière d'appel des jugements de reconduite à la frontière ;
Vu la décision en date du 15 juillet 2008 admettant M. X au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale des droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n°79-587 en date du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la loi n°91-647 en date du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir au cours de l'audience publique du 10 février 2009, fait le rapport et entendu les conclusions de Mme Viard, rapporteur public ;
Considérant que le PREFET DE LA VIENNE relève appel du jugement n°0800469 en date du 22 février 2008 lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière pris le 19 février 2008 à l'encontre de M. X en tant qu'il fixe la Guinée comme pays de renvoi ; que M. X demande l'annulation du même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 février 2008 en tant qu'il ordonne sa reconduite à la frontière ;
Considérant que, par l'article 1er du jugement attaqué, pour annuler l'arrêté du PREFET DE LA VIENNE en date du 19 février 2008 en tant qu'il fixe la Guinée comme pays à destination duquel M. X sera reconduit, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur le motif que la fille de ce dernier, qui est née en France le 11 août 2005, court des risques élevés d'être excisée en cas d'éloignement à destination du pays d'origine et que, pour cette raison, le préfet a ainsi méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
Considérant qu'aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 : « Dans toutes les instances qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » ; qu'il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;
Considérant que M. X soutient que sa fille née en France court des risques élevés d'être excisée en Guinée ; qu'il produit des documents tendant à montrer que l'excision est très largement pratiquée dans ce pays, notamment dans la région où il vivait et au sein de l'ethnie à laquelle il appartient, et indique que son épouse a été excisée ; que toutefois, le PREFET DE LA VIENNE soutient, sans être contredit, que les autorités guinéennes luttent activement contre cette pratique et qu'il existe, en Guinée, des organisations, officielles ou non gouvernementales, participant à cette lutte et prenant en charge les femmes qui refusent cette pratique ou d'y soumettre leurs filles ; qu'il n'est pas établi que M. X devrait nécessairement, en cas de retour dans ce pays, revenir dans la région où il vivait avant son entrée en France et au sein de l'ethnie à laquelle il appartient ; que la circonstance que l'épouse de M. X a, elle-même, été victime d'excision ne suffit pas à établir le caractère effectif de ce risque pour sa fille ; que, dans ces conditions, M. X ne saurait être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, que sa fille serait exposée à un risque particulier d'excision en cas de retour en Guinée ; qu'en l'absence d'autre circonstance de nature à établir que le PREFET DE LA VIENNE n'aurait pas accordé une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants, la décision fixant la Guinée comme pays à destination duquel M. X sera reconduit, contenue dans l'arrêté en date du 19 février 2008, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; que, dès lors, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur ce motif pour l'annuler par l'article 1er du jugement attaqué ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. X au Tribunal administratif de Poitiers ;
Considérant que l'arrêté du PREFET DE LA VIENNE en date du 19 février 2008 comporte l'énoncé des éléments de droit et de fait qui constituent le fondement des mesures prises à l'encontre de M. X ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation en fait de cet arrêté ne saurait être accueilli ;
Considérant qu'aux termes du 6° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : ...6°) Si le récépissé [...] ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de M. X, de nationalité guinéenne, entré irrégulièrement en France en avril 2000 a été rejetée par décision en date du 12 juillet 2002 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par décision en date du 5 mars 2003 de la Commission de recours des réfugiés ; qu'au vu de ces décisions, le préfet du Val de Marne a, d'une part, refusé le renouvellement de l'autorisation provisoire de séjour dont M. X bénéficiait pendant l'instruction de sa demande d'asile, et, d'autre part, pris à son encontre un arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, en date du 21 octobre 2003 ; que M. X se trouvait ainsi dans le cas prévu au 6° précité du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;
Considérant que si M. X fait, pour la première fois devant la Cour, état d'une convocation pour exposer sa situation devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 mars 2008, il ne produit aucun élément de nature à établir qu'il aurait régulièrement demandé la réouverture de son dossier d'admission au statut de réfugié auprès dudit office et le renouvellement de son titre de séjour jusqu'à la nouvelle décision de l'office avant que le PREFET DE LA VIENNE ne prenne, le 19 février 2008, à son encontre l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ; que, par suite, cette seule circonstance est sans incidence sur la légalité de l'arrêté qui doit être appréciée à la date à laquelle il a été pris ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; que, pour l'application des stipulations précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine ;
Considérant que, pour contester les mesures prises à son encontre, M. X fait valoir qu'il désire vivre en France afin que sa fille, née en France le 11 août 2005 soit protégée des risques d'excision et que son épouse est enceinte de six mois ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que l'épouse de M. X, qui n'établit pas ne pas disposer d'attache dans son pays d'origine et être dans l'impossibilité d'y poursuivre sa vie familiale, est elle-même en situation irrégulière et a fait l'objet d'un arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ; que, eu égard aux circonstances de l'espèce, et notamment aux conditions de séjour de M. X, les mesures prises par le PREFET DE LA VIENNE à son encontre n'ont pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et, par suite, n'ont pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elles ne sont pas davantage entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de M. X ;
Considérant, enfin, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 » ; que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ; que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;
Considérant que si M. X fait état de risques qu'il encourt en cas d'éloignement à destination de la Guinée, ses allégations ne sont assorties d'aucune précision ni d'aucune justification de nature à établir qu'il se trouverait, dans ce cas, exposé à un risque réel, direct et sérieux pour sa vie ou sa liberté ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par la décision fixant la Guinée comme pays à destination duquel M. X sera reconduit, contenue dans l'arrêté du PREFET DE LA VIENNE en date du 19 février 2008, des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli ;
Considérant que les stipulations des articles 5, 8, 9,10, 22 et 27 de la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990, créent seulement des obligations entre les Etats sans ouvrir de droits aux particuliers ; que M. X ne peut donc utilement se prévaloir de la violation de ces articles pour demander l'annulation de l'arrêté du PREFET DE LA VIENNE en date du 19 février 2008 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA VIENNE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Poitiers a annulé son arrêté en date du 19 février 2008 en tant qu'il fixe la Guinée comme pays à destination duquel M. X sera renvoyé, et que M. X n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté par lequel le PREFET DE LA VIENNE a ordonné sa reconduite à la frontière à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays dans lequel il établit être légalement admissible ;
Considérant que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à l'avocat de M. X la somme qu'il demande sur le fondement de ces dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n°0800469 du Tribunal administratif de Poitiers en date du 22 février 2008 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. X tendant à l'annulation de l'arrêté du PREFET DE LA VIENNE en date du 19 février 2008 ordonnant sa reconduite à la frontière et celles tendant à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son avocat d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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08BX00725