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30/07/2009 | FRANCE | N°08BX00685

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 30 juillet 2009, 08BX00685


Vu la requête, enregistrée en télécopie le 10 mars et en original le 11 mars 2008, présentée pour la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE, sise Route du Grouin à Loix-en-Ré (17111) ;

La SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 10 janvier 2008 en ce qu'il a limité à 49 029,98 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2006, la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation des préjudices subis du fait des arrêtés successifs pris à son encontre par le

préfet de la Charente-Maritime ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnit...

Vu la requête, enregistrée en télécopie le 10 mars et en original le 11 mars 2008, présentée pour la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE, sise Route du Grouin à Loix-en-Ré (17111) ;

La SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 10 janvier 2008 en ce qu'il a limité à 49 029,98 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2006, la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en réparation des préjudices subis du fait des arrêtés successifs pris à son encontre par le préfet de la Charente-Maritime ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 220 597 euros sauf à parfaire, outre les intérêts moratoires à compter de la date de réception de la demande préalable du 2 juin 2006, ainsi que la capitalisation des intérêts moratoires courant jusqu'à la liquidation de la somme en cause ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 juin 2009, produite pour la société requérante ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée relative aux installations classées et son décret d'application n° 77-1133 du 21 septembre 1977 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 juin 2009 :

- le rapport de Mme Rey-Gabriac, premier conseiller ;

- les observations de Me Savignat collaborateur de Me Taithe, avocat de la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE ;

- les conclusions de Mme Dupuy, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée aux parties ;

Considérant que la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE exerce sur le territoire de la commune de Loix-en-Ré, depuis 1990, une activité d'élevage de turbots, au titre de laquelle elle procède, au moyen de forages, à des pompages d'eau de mer dans une nappe souterraine dont la partie supérieure est constituée d'une lentille d'eau douce, en vue de réchauffer l'eau des bassins en hiver et la refroidir en été ; qu'elle a recherché devant le tribunal administratif de Poitiers la responsabilité de l'Etat en invoquant l'illégalité des arrêtés successifs concernant son exploitation qui ont été pris par le préfet de la Charente-Maritime le 5 juin 1997, le 9 juillet 1998 et le 29 mars 2002 ainsi que le comportement fautif de l'administration consistant à vouloir appliquer ce dernier arrêté en dépit de son illégalité ; qu'elle fait appel du jugement en date du 10 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à lui verser la somme de 49 029,98 euros, qu'elle estime insuffisante, assortie des intérêts au taux légal ; qu'elle demande à la cour de porter cette somme à 1 220 597 euros en l'assortissant des intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés ;

Sur la responsabilité :

Considérant que, par un arrêté du 5 juin 1997 complété par un arrêté du 9 juillet 1998, le préfet de la Charente-Maritime a autorisé la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE à mettre en place des forages pour prélever de l'eau souterraine à des fins piscicoles et a édicté des prescriptions applicables à ces prélèvements ; que, par deux jugements en date du 3 février 2000, le tribunal administratif de Poitiers, saisi de recours en annulation introduits par l'association De l'eau pour tous , a annulé ces arrêtés, au motif que le préfet avait commis une erreur de droit en se fondant sur l'article 10 de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 pour autoriser la société à exploiter des forages alors que ceux-ci constituaient des installations nécessaires à l'exploitation de la pisciculture et indissociables de celle-ci, de sorte qu'ils étaient soumis aux dispositions de la seule loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ; que le tribunal administratif a également, sur le fondement de l'article 24 de la loi du 19 juillet 1976, mis en demeure la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE de déposer une demande d'autorisation auprès de la préfecture de la Charente-Maritime afin de régulariser sa situation, l'élevage de turbots qu'elle exploite étant soumis par les dispositions du décret du 29 décembre 1993 à autorisation à la rubrique 2130.3 A piscicultures d'eau de mer d'une production supérieure à 20 tonnes par an ; que la société a, en exécution de ce jugement, déposé un dossier d'autorisation ; qu'une autorisation lui a été délivrée par un arrêté du préfet de la Charente-Maritime du 29 mars 2002, qui lui impose notamment une diminution progressive de ses prélèvements d'eau par forages ; que, par un arrêt du 25 mars 2004 devenu définitif, la présente cour, saisie des appels dirigés par la société contre les deux jugements déjà mentionnés du 3 février 2000 a confirmé l'annulation des deux arrêtés préfectoraux en retenant les mêmes motifs que le tribunal administratif, mais a annulé l'article 2 du jugement qui avait mis en demeure la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE de déposer une demande d'autorisation pour son activité d'élevages de turbots ; que, pour prononcer cette annulation, la cour a relevé que l'annulation de l'arrêté du 5 juin 1997 n'avait pas eu pour effet de porter atteinte aux droits détenus par la société au titre de l'antériorité de l'installation classée dans les limites de la déclaration d'existence de cette installation faite par la société le 21 décembre 1994, que la circonstance que l'exploitation de la pisciculture et notamment des forages serait irrégulière au regard de la loi du 3 janvier 1992 et des décrets du 23 février 1973 et du 29 mars 1993 relatifs à l'eau était sans influence sur la régularité de la mise en service de cette pisciculture au regard de la législation applicable aux installations classées dont relève exclusivement l'ensemble des installations de la pisciculture, et qu'il ne résultait pas de l'instruction que la pisciculture exploitée excèderait les droits détenus par la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE au titre de l'antériorité ;

Considérant que, si, compte tenu de la chose jugée par la cour dans son arrêt du 25 mars 2004, la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE n'est pas soumise à l'obligation de détenir une autorisation au titre de la législation propre aux installations classées pour la protection de l'environnement dans la mesure où son installation n'excède pas les droits détenus par elle au titre de l'antériorité, cela ne fait pas obstacle, en vertu des articles 36 et 37 du décret du 21 septembre 1977 désormais codifiés à l'article R. 513-2 du code de l'environnement, à ce que le préfet prescrive des mesures propres à sauvegarder les intérêts mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976, désormais codifié à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dès lors que ces mesures n'entraînent pas de modifications importantes touchant le gros oeuvre de l'installation ou des changements considérables dans son mode d'exploitation ;

Considérant que l'illégalité entachant les arrêtés préfectoraux du 5 juin 1997 et du 9 juillet 1998 est fautive et serait, comme telle, susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat si elle était à l'origine de préjudices subis par la société requérante ; que, toutefois, l'erreur de droit affectant ces arrêtés ne peut être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme étant à l'origine de tels préjudices, dès lors qu'il résulte de l'instruction que les prescriptions que contiennent ces arrêtés, qui, ainsi que le précise la société dans sa requête, lui permettaient de prélever dans la nappe souterraine jusqu'à 290 mètres cubes d'eau par heure comme c'était le cas auparavant, auraient pu lui être imposées sur le fondement de la législation propre aux installations classées pour la protection de l'environnement, en vue de la préservation des intérêts protégés par cette législation ; qu'ainsi, la société requérante n'est pas fondée à demander, sur le fondement de la faute commise, à être indemnisée des frais qu'elle a dû exposer pour se mettre en conformité avec ces arrêtés ;

Considérant que l'obligation dans laquelle s'est trouvée la société requérante de déposer un dossier d'autorisation au titre de la législation propre aux installations classées pour la protection de l'environnement n'est pas la conséquence des arrêtés préfectoraux du 5 juin 1997 et du 9 juillet 1998, qui n'impliquaient pas le dépôt d'un tel dossier ; que, par suite, la société ne peut obtenir réparation, sur le fondement qu'elle invoque, des frais liés au dépôt de ce dossier ;

Considérant que l'arrêté déjà mentionné du 29 mars 2002 a prescrit, dans son article 11, une diminution des prélèvements d'eau par forages qui devra être réalisée en trois étapes, la première consistant à abandonner trois forages dont les eaux prélevées présentent une faible salinité pour les remplacer par des forages ayant une forte salinité et l'implantation de nouveaux forages devant diminuer les prélèvements d'eau douce, la deuxième impliquant la mise en place d'un filtrage biologique sur la principale zone d'élevage devant aboutir à des prélèvements réduits à 180 mètres cubes par heure au lieu de 290, la dernière phase devant permettre au plus tard le 1er juillet 2005, grâce à la couverture de l'ensemble de l'élevage par le filtrage biologique, d'aboutir à des prélèvements limités à 130 mètres cubes par heure ; que, contrairement à ce que soutient l'administration en défense, le fait que la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE n'a pas demandé l'annulation de cet arrêté et que celui-ci soit devenu définitif ne fait pas obstacle à ce qu'elle invoque son illégalité à l'appui de ses conclusions indemnitaires ; que, si les mesures prescrites dans le cadre de la première étape prévue par cet arrêté sont au nombre de celles qui pouvaient être légalement prescrites à la société sans porter atteinte à ses droits d'antériorité et ne sont donc pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'exploitant, il résulte en revanche de l'instruction que l'exploitation de la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE ne peut être assurée avec le niveau de prélèvements prévu dans la deuxième et la troisième étapes qu'à la condition de mettre en place sur l'ensemble de l'installation d'élevage un système dit de filtrage biologique impliquant le recyclage de l'eau des bassins d'élevage et que, les installations nécessaires à cet effet représentant une surface de plus de 1 200 m² et le terrain sur lequel est implantée l'exploitation d'élevage étant situé dans un espace remarquable du littoral, le permis de construire ne peut légalement être délivré à la société pour l'implantation d'une telle installation ; que, dans ces conditions, en imposant à la société des prescriptions qu'elle ne pouvait respecter sans mettre fin à son exploitation, le préfet de la Charente-Maritime a commis une illégalité qui engage la responsabilité de l'Etat à l'égard de la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE ; que si, par trois arrêtés en date des 6 août 2004, 26 janvier 2005 et 5 août 2005, le préfet a prolongé de six mois l'autorisation d'exploiter contenue dans l'arrêté du 29 mars 2002 en conformité avec les prescriptions de pompages prévues à l'article 11 dudit arrêté, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 30 décembre 2005, il a enjoint à la société de respecter ces prescriptions en précisant qu'à défaut, il envisageait de soumettre au conseil départemental d'hygiène un projet d'arrêté de suspension du fonctionnement des installations ; que, s'il est vrai que cette procédure de suspension n'a finalement pas été engagée et que l'exploitation s'est maintenue, de fait, avec des prélèvements proches en volumes de ceux pratiqués avant l'arrêté, les services chargés du contrôle des installations classées n'en continuent pas moins de relever, dans leurs rapports d'inspection, ainsi qu'en atteste celui du 9 septembre 2008 versé au dossier, que la société est en infraction avec les prescriptions de l'arrêté du 29 mars 2002 relatives au volume de l'eau pompée par forages ;

Sur la réparation :

Considérant que les frais que la société a dû exposer pour se mettre en conformité avec les prescriptions illégales de l'arrêté du 29 mars 2002, et qui sont relatifs aux études de pré-faisabilité et de faisabilité portant sur le recyclage de l'eau des bassins d'élevage ainsi que les frais d'architecte liés au dossier de permis de construire sont la conséquence directe des prescriptions illégalement imposées à la société et constituent dès lors un préjudice indemnisable ; que, compte tenu des justificatifs produits par la société requérante, leur montant doit être fixé à 60 861 euros ; qu'il n'y a pas lieu d'y ajouter le coût horaire correspondant au temps consacré par le personnel salarié à ces dossiers dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce temps a été à l'origine d'un surcoût pour l'entreprise, notamment sous forme d'heures supplémentaires payées aux salariés ;

Considérant que les factures d'avocat produites ne contiennent pas de précisions permettant de relier les frais ainsi exposés à l'illégalité de l'arrêté du 29 mars 2002 telle qu'elle a été définie ci-dessus, de sorte que le lien de causalité entre ces frais et cette illégalité ne peut être retenu ; que, le fait que la société ait décidé de confier à compter du 1er janvier 2007 l'exploitation du fonds à un locataire-gérant étant sans lien direct avec l'illégalité de l'arrêté du 29 mars 2002, le préjudice résultant de ce que le contrat de location-gérance aurait pu être conclu à des conditions plus avantageuses ne saurait être regardé comme indemnisable ; que la perte prévisionnelle lors de la cession de la société au terme du contrat de location-gérance présente un caractère éventuel et ne saurait donc être indemnisée ; que le lien de causalité entre les pertes liées à l'absence de commandes d'alevins en 2006 et l'illégalité de l'arrêté du 29 mars 2002 n'est pas suffisamment établi ; qu'il en est de même de la dégradation de l'image de la société ; que, toutefois, les perturbations de tous ordres causées à la gestion de la société et à l'organisation et au fonctionnement de l'exploitation par les prescriptions illégales de l'arrêté du 29 mars 2002 et la persistance du préfet à demander le respect de ces prescriptions malgré l'impossibilité pour la société de s'y conformer, ainsi que l'a reconnu le préfet lui-même, ont causé à la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE un préjudice dont il sera fait une juste appréciation en fixant à 30 000 euros l'indemnité destinée à le réparer ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la somme que l'Etat doit être condamné à verser à la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE doit être portée à 90 861 euros ; que, dans cette mesure, la société est fondée à demander la réformation du jugement attaqué ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant que la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 90 861 euros à compter du 9 juin 2006, date de réception de sa demande préalable du 2 juin 2006 ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 11 mars 2008 ; qu'à cette date il était dû plus d'une année d'intérêts ; qu'il y a donc lieu d'accorder la capitalisation des intérêts au taux légal portant sur la somme de 90 861 euros à la date du 11 mars 2008, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE la somme de 1 500 euros au titre dudit article ;

DECIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 10 janvier 2008 est portée à 90 861 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 9 juin 2006, les intérêts échus à la date du 11 mars 2008 et à chaque échéance annuelle ultérieure étant capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'Etat versera à la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE AQUACOLE DE L'ILE DE RE est rejeté.

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No 08BX00685


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 08BX00685
Date de la décision : 30/07/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme DUPUY
Avocat(s) : TAITHE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2009-07-30;08bx00685 ?
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