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29/11/2010 | FRANCE | N°08BX00693

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 29 novembre 2010, 08BX00693


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour en télécopie le 7 mars 2008 et en original le 13 mars 2008, présentée pour Mme Chantal X, demeurant ... ; Mme X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 9 janvier 2008, par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement ;

2°) de condamner France Télécom et l'Etat à lui verser sol

idairement la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice de carrière subi...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour en télécopie le 7 mars 2008 et en original le 13 mars 2008, présentée pour Mme Chantal X, demeurant ... ; Mme X demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement en date du 9 janvier 2008, par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière dans un corps de reclassement ;

2°) de condamner France Télécom et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice de carrière subi, assortie des intérêts à taux légal à compter de sa demande préalable ;

3°) de condamner France Télécom et l'Etat à lui verser solidairement la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée au greffe de la cour le 25 octobre 2010, pour Mme X ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ;

Vu les décrets n° 58-777 du 25 août 1958 et n° 91-103 du 25 janvier 1991 ;

Vu les décrets n° 64-953 du 11 septembre 1964, n° 90-1238 du 31 décembre 1990 et n° 92-927 du 7 septembre 1992 ;

Vu le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 octobre 2010 :

- le rapport de M. de Laborie, conseiller ;

- les observations de Me Menceur de la SELARL Horus avocats, avocat de Mme X ;

- les conclusions de Mme Dupuy, rapporteur public ;

La parole ayant à nouveau été donnée à Me Menceur ;

Considérant que, par lettres en date du 13 janvier 2005, Mme Chantal X, membre du corps de reclassement des contrôleurs de France Télécom, titulaire du grade de contrôleur, a vainement demandé au président de France Télécom et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'indemnisation de préjudices qu'elle estime avoir subis à cause du blocage de sa carrière, faute en particulier qu'aient été arrêtées des listes d'aptitude lui permettant d'accéder aux corps supérieurs des contrôleurs divisionnaires et des inspecteurs ; qu'elle fait appel du jugement en date du 9 janvier 2008 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande indemnitaire dirigée à la fois contre France Télécom et l'Etat ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que le tribunal administratif, après avoir énoncé qu' en admettant même l'existence d'un comportement fautif, la requérante ne pouvait être indemnisée qu'à raison de préjudices dont était établi le caractère personnel, réel et certain , a écarté les conclusions indemnitaires présentées devant lui en relevant que les préjudices invoqués ne présentaient pas un tel caractère ; que, ce faisant, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments de l'intéressée et n'avaient pas à se prononcer davantage sur les fautes invoquées, dès lors qu'ils retenaient l'absence de préjudice, n'ont entaché leur jugement ni d'insuffisance de motivation, ni d'omission à statuer ; qu'en jugeant qu'il appartenait à la requérante d'établir la réalité du préjudice dont elle demandait réparation, le tribunal n'a pas méconnu les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : 1. Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de l'entreprise nationale France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de France Télécom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de France Télécom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Télécom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés après cette date, le président de France Télécom a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat et France Télécom ont eu, à l'égard des fonctionnaires reclassés , un comportement fautif de nature à entraîner leur responsabilité ; que cette dernière société ne peut utilement se prévaloir pour s'exonérer de sa responsabilité, ni de la faute de l'Etat, ni de la circonstance qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à des promotions dans les corps de reclassement ; que, toutefois, les fautes de l'Etat et de France Télécom n'ouvrent droit à réparation au profit de la requérante qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par elle ;

Sur le préjudice :

Considérant que Mme X, nommée contrôleur en 1983, soutient qu'elle remplissait dès 1998 les conditions pour accéder au corps des inspecteurs de France Télécom et dès 2001 les conditions pour accéder au corps de contrôleur divisionnaire de France Télécom ; qu'il ne résulte toutefois pas de l'instruction que la requérante aurait eu, alors même qu'elle remplissait les conditions statutaires pour être promue, et compte tenu des appréciations portées sur sa manière de servir versées aux débats, une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur des inspecteurs ou au corps supérieur des contrôleurs divisionnaires, eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées aux membres de ces corps, si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ; qu'en particulier, Mme X n'a pas été admise à l'examen qui lui aurait permis d'accéder au grade supérieur de contrôleur chef de section ; que l'entretien de progrès réalisé en 2002 fait apparaître une maîtrise seulement satisfaisante des activités du poste et des compétences ; qu'ainsi, ni la circonstance qu'avant son reclassement la carrière de l'intéressée ait connu un déroulement normal, ni son excellente notation avant 1993, en 1999 et en 2000 ne suffisent à démontrer la perte de chance qu'elle invoque ; que Mme X n'est donc pas fondée à demander l'indemnisation du préjudice de carrière qu'elle estime avoir subi ;

Considérant, cependant, que Mme X, qui a été privée avant l'intervention du décret du 26 novembre 2004 de toute possibilité de promotion interne dans les corps de reclassement , et alors même qu'au cas particulier elle n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion, a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont elle est en droit d'obtenir réparation, sans qu'il puisse lui être reproché de ne pas avoir alors emprunté les voies de promotion offertes par les corps de reclassification ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'estimant à la somme globale de 5 000 euros y compris tous intérêts échus au jour du présent arrêt ; que Mme X est, dès lors, fondée à demander la condamnation solidaire de France Télécom et de l'Etat à lui verser ladite somme et la réformation dans cette mesure du jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme X, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par France Télécom au titre des frais exposés par cette société et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, par application des mêmes dispositions, de mettre à la charge solidairement de France Télécom et de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : France Télécom et l'Etat verseront solidairement à Mme X une indemnité de 5 000 euros y compris tous intérêts échus au jour du présent arrêt.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 9 janvier 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : France Télécom et l'Etat verseront solidairement à Mme X la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la demande présentée par Mme X devant le tribunal administratif et de sa requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de France Télécom tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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No 08BX00693


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Numéro d'arrêt : 08BX00693
Date de la décision : 29/11/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Henri de LABORIE
Rapporteur public ?: Mme DUPUY
Avocat(s) : BINETEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2010-11-29;08bx00693 ?
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