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30/12/2011 | FRANCE | N°11BX00194

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre (formation à 3), 30 décembre 2011, 11BX00194


Vu, I, la requête, enregistrée au greffe de la cour le 19 janvier 2011 sous le n° 11BX00194, présentée pour M. Alain A, demeurant ... ; M. A demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0704905 du 18 novembre 2010 du tribunal administratif de Toulouse en ce qu'il a limité à 15 000 euros le montant de la somme mise à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat en réparation des préjudices subis par lui du fait du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 85 632 euros en réparation de l'ensemble de

ses préjudices, majorée des intérêts à compter de sa demande préalable avec ...

Vu, I, la requête, enregistrée au greffe de la cour le 19 janvier 2011 sous le n° 11BX00194, présentée pour M. Alain A, demeurant ... ; M. A demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 0704905 du 18 novembre 2010 du tribunal administratif de Toulouse en ce qu'il a limité à 15 000 euros le montant de la somme mise à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat en réparation des préjudices subis par lui du fait du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 85 632 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices, majorée des intérêts à compter de sa demande préalable avec capitalisation ;

3°) de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu, II, la requête, enregistrée au greffe de la cour le 25 janvier 2011 sous le n° 11BX00248, présentée pour LA POSTE, dont le siège social est 44 boulevard de Vaugirard à Paris Cedex 15 (75757) ; LA POSTE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement susvisé, en date du 18 novembre 2010, du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 décembre 2011, présentée pour M. A ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu les lois n° 83-634 du 13 juillet 1983 et n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu le décret n° 58-777 du 25 août 1958 et 91-103 du 25 janvier 1991 ;

Vu les décrets n° 64-953 du 11 septembre 1964 et n° 90-1238 du 31 décembre 1990 ;

Vu les décrets n° 72-503 du 23 juin 1972, n° 90-1237 du 31 décembre 1990 et n° 92-928 du 7 septembre 1992 ;

Vu le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 novembre 2011 :

- le rapport de M. H. Philip de Laborie, premier conseiller ;

- les observations de Me Perez, collaborateur de Me Bineteau, avocat de M. A ;

- les observations de Me Tastard, collaborateur de la SCP Granrut avocat de LA POSTE ;

- et les conclusions de Mme M-P. Dupuy, rapporteur public ;

La parole ayant à nouveau été donnée aux parties ;

Considérant que, par lettres en date du 23 avril 2007, M. A, membre du corps de reclassement des contrôleurs de LA POSTE, a vainement demandé au président de la POSTE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'indemnisation de préjudices qu'il estime avoir subis à cause du blocage de sa carrière, faute en particulier qu'aient été arrêtées des listes d'aptitude lui permettant d'accéder au corps des contrôleurs divisionnaires de LA POSTE puis au corps des inspecteurs ; que, saisi par M. A d'une demande indemnitaire dirigée contre LA POSTE et l'Etat, le tribunal administratif de Toulouse a, par un jugement du 18 novembre 2010, condamné solidairement LA POSTE et l'Etat à lui verser une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi par lui ; que, par l'instance enregistrée sous le numéro 11BX00194, M. A fait appel de ce jugement en tant qu'il lui accorde une réparation qu'il estime insuffisante ; que, par l'instance enregistrée sous le numéro 11BX00248, LA POSTE fait appel de ce jugement en tant qu'il la condamne ; qu'il y a lieu de joindre ces deux instances dirigées contre un même jugement pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la recevabilité de la requête de M. A et de sa demande devant le tribunal administratif :

Considérant que les demandes préalables de M. A énoncent de manière suffisante, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ces demandes, lesquelles étaient de nature à faire naître des décisions de rejet ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par LA POSTE aux conclusions de M. A et tirée de prétendues carences affectant ses demandes préalables doit être écartée ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, contrairement à ce que soutient LA POSTE, le tribunal administratif a répondu à la fin de non-recevoir tirée du défaut de demande préalable précise , de sorte que le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité à cet égard ;

Considérant que le tribunal administratif de Toulouse a retenu la responsabilité de LA POSTE et de l'Etat en exposant de manière suffisante les raisons pour lesquelles il regardait leurs comportements comme fautifs ; que les premiers juges n'ont pas méconnu, dans leur dévolution de la charge de la preuve, les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en déterminant le montant de l'indemnité destinée à réparer le préjudice qu'il définit et regarde comme indemnisable, le tribunal a suffisamment motivé son jugement ; que, par suite, les moyens tenant à une irrégularité du jugement attaqué doivent être écartés ;

Au fond :

En ce qui concerne l'exception de prescription :

Considérant que l'action en paiement d'indemnités, à raison des fautes commises notamment par LA POSTE qu'invoque le requérant, n'est pas au nombre de celles qui s'éteignent par la prescription quinquennale prévue à l'article 2277 du code civil ; que, par suite et en tout état de cause, l'exception de prescription qu'oppose LA POSTE sur le fondement de cet article ne peut être accueillie ;

En ce qui concerne la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; que l'article 31 de la même loi a permis à LA POSTE d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ; qu'en vertu de l'article 58 de la même loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de LA POSTE de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de LA POSTE de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par LA POSTE de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à LA POSTE de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de LA POSTE a, de même, commis une illégalité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que LA POSTE, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires reclassés , a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, sans pouvoir utilement se prévaloir, pour s'exonérer de cette responsabilité, ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de reclassement auraient interdit ces promotions, ni de la circonstance qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que, de même, l'Etat a commis une faute de nature à entraîner sa responsabilité ; que, toutefois, les fautes de LA POSTE et de l'Etat n'ouvrent droit à réparation au profit de M. A qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;

En ce qui concerne le préjudice :

Considérant que M. A, fonctionnaire de la Poste recruté en 1982, titulaire du grade de contrôleur a choisi dans le cadre de la réforme de 1990, de conserver son grade de reclassement ; qu'il soutient qu'il remplissait les conditions d'âge, de grade et d'ancienneté notamment dès 1998 pour accéder aux corps supérieurs des contrôleurs divisionnaires et des inspecteurs ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le requérant aurait eu, alors même qu'il remplissait les conditions statutaires pour être promu et compte tenu des appréciations portées sur sa manière de servir versées aux débats, une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur des inspecteurs, eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées aux membres de ce corps, si des promotions par inscription sur listes d'aptitude pour l'accès à ce corps supérieur avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ; qu'en revanche, M. A a fait l'objet d'appréciations très favorables concernant sa manière de servir depuis 1995 ; que son aptitude à exercer des fonctions différentes de niveau supérieur a été reconnue chaque année à compter de 1999 ; que ni LA POSTE ni le ministre de l'industrie, de l'économie et de l'emploi n'apportent d'éléments de nature à réduire la portée de l'évaluation des mérites de l'intéressé quant à ses chances de promotion et quant aux conditions d'âge, de grade et d'ancienneté pour accéder aux corps visés par l'intéressé ; que, de son côté, le requérant produit des éléments attestant de la persistance de son évaluation favorable et du niveau de ses tâches ; que, par conséquent, la perte de chance sérieuse subie par M. A d'accéder au corps supérieur des contrôleurs divisionnaires doit être tenue pour établie ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice de carrière subi par M. A en l'évaluant à la somme de 10 000 euros tous intérêts confondus ;

Considérant, en outre, que les fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, sont la source d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence subis par M. A ; qu'il est en droit d'en obtenir réparation sans qu'il puisse lui être reproché de ne pas avoir emprunté les voies de promotion offertes par les corps de reclassification ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce dernier chef de préjudice en l'estimant à la somme de 5 000 euros tous intérêts confondus ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fautes respectives de l'Etat et de LA POSTE ayant concouru à causer le dommage dans son entier, c'est à bon droit que le tribunal les a solidairement condamnés au versement de l'indemnité de 15 000 euros destinée à le réparer ;

Considérant que M. A demande en appel que l'indemnité allouée soit majorée des intérêts moratoires décomptés à partir de sa demande préalable ; que, toutefois, il résulte de ce qui est dit ci-dessus que cette indemnité inclut tous les intérêts qui sont échus à la date du jugement attaqué s'agissant du montant accordé par le tribunal, et à la date du présent arrêt pour le surplus ; que, par suite, ses conclusions relatives aux intérêts ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par LA POSTE au titre des frais exposés par cette société et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, par application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de LA POSTE la somme de 1 300 euros au titre des frais de même nature exposés par M. A ;

DECIDE :

Article 1er : La requête n° 11BX00248 de la société LA POSTE est rejetée.

Article 2 : LA POSTE versera la somme de 1 300 euros à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus de la requête n° 11BX00194 de M. A est rejeté.

Article 4 : Les conclusions formulées par LA POSTE tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, autres que celles présentées dans sa requête, sont rejetées.

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Nos 11BX00194-11BX00248


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Henri de LABORIE
Rapporteur public ?: Mme DUPUY
Avocat(s) : BINETEAU

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre (formation à 3)
Date de la décision : 30/12/2011
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11BX00194
Numéro NOR : CETATEXT000025161538 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2011-12-30;11bx00194 ?
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