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12/01/2017 | FRANCE | N°14BX03637

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 12 janvier 2017, 14BX03637


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Par un recours enregistré le 18 juillet 2014, sous le n° 2345 T, la société par actions simplifiée Sodex Saint-François a demandé à la Commission nationale d'aménagement commercial d'annuler la décision de la commission départementale d'aménagement commercial de la Guadeloupe en date du 3 juin 2014 accordant aux sociétés anonymes à responsabilité limitée Lunabam, en qualité de promoteur, et Anabam en qualité d'exploitant, l'autorisation d'exploiter un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 2 049

mètres carrés à Saint-François sur la parcelle cadastrée section AZ n° 585.

Par...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

Par un recours enregistré le 18 juillet 2014, sous le n° 2345 T, la société par actions simplifiée Sodex Saint-François a demandé à la Commission nationale d'aménagement commercial d'annuler la décision de la commission départementale d'aménagement commercial de la Guadeloupe en date du 3 juin 2014 accordant aux sociétés anonymes à responsabilité limitée Lunabam, en qualité de promoteur, et Anabam en qualité d'exploitant, l'autorisation d'exploiter un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 2 049 mètres carrés à Saint-François sur la parcelle cadastrée section AZ n° 585.

Par une décision en date du 23 octobre 2014, la Commission nationale d'aménagement commercial a annulé la décision de la commission départementale d'aménagement commercial de la Guadeloupe et refusé ce projet.

Procédure devant la cour :

Par une requête conjointe, enregistrée au greffe de la cour le 26 décembre 2014 complétée par des mémoires enregistrés le 18 juin 2015 et le 28 novembre 2016, les SARL Lunabam et Anabam, représentées par MeA..., demandent à la cour d'annuler la décision du 23 octobre 2014 de la Commission nationale d'aménagement commercial refusant la création de l'ensemble commercial précité et d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial de réexaminer leur demande dans un délai de quatre mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Elles soutiennent que :

- selon l'interprétation que fera la Cour de l'applicabilité de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 à la date de la décision en litige, soit celle-ci est irrégulière en l'absence de précision sur le résultat des votes des membres de la Commission ou d'une motivation suffisante en application de la loi du 11 juillet 1979, soit, dans l'hypothèse où l'article 54 de cette loi ne serait entré en vigueur qu'au 18 décembre 2014, le président de la Commission national d'aménagement commercial n'était pas compétent à la date du 23 octobre 2014 pour signer la décision de refus ;

- l'appréciation de la Commission selon laquelle le projet, situé à environ un kilomètre du centre-ville, ne participera pas à l'animation de la vie locale et contribuera à l'étalement urbain est erronée, alors que le site d'implantation du centre commercial procède d'une décision de la commune elle-même qui avait lancé en ce sens la révision du document d'urbanisme communal, et que le projet sera créateur de 76 emplois. L'offre commerciale proposée par le projet présente une complémentarité avec celle des commerces du centre-ville de Saint-François, et l'augmentation de la population a atteint 43 % en 12 ans. Le projet est situé sur des terrains attenant à une zone commerciale existante et permettra de limiter l'évasion commerciale en offrant un plus grand confort d'achat aux consommateurs ainsi que le souligne le ministre chargé du commerce dans son avis favorable en date du 16 octobre 2014. En faisant référence à une distance du projet depuis le centre-ville, la Commission nationale d'aménagement commercial a également commis une erreur de droit dès lors que selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, la loi n'implique pas que le critère de la contribution à l'animation de la vie urbaine ne puisse être respecté que par une implantation en centre-ville. En présentant la teneur de la révision simplifiée du plan d'occupation des sols adoptée le 22 décembre 2009 qui prévoit l'implantation d'un pôle commercial sur le terrain d'assiette du projet, elles démontrent que la Commission nationale d'aménagement commercial a eu une approche tronquée des conditions d'implantation du projet de centre commercial, initié de longue date par la commune après un examen précis des circonstances locales. Le projet se situe à l'intersection de deux axes de desserte structurants à l'échelle locale et régionale (la N 5 et la D 118), dans une zone commerciale à faible distance du centre-bourg et de la marina de la commune, à proximité immédiate d'une zone commerciale existante et sur une parcelle désignée dans le plan d'occupation des sols comme destinée à recevoir un " projet structurant de pôle commercial ". L'article UE1 paragraphe 2 autorise expressément, sans condition, les constructions à usage non seulement d'habitation et d'équipement collectif mais aussi de commerce, bureaux ou services. Si la société Sodex conteste la situation du terrain d'assiette dans une zone commerciale préexistante, la présence, sur la parcelle voisine, des commerces Leader Price et Kaz Animal, permet d'attester de la réalité d'une telle zone commerciale préexistante. La Commission nationale d'aménagement commercial a donc fait une inexacte application des dispositions du code de commerce relatives à l'objectif d'aménagement du territoire ;

- le motif de refus tiré de ce que la localisation du projet favoriserait l'utilisation de la voiture pour les consommateurs, et qu'en l'absence d'étude de trafic réalisée, des réserves sont émises quant à la capacité des infrastructures routières d'absorber les flux de circulation générés par le projet, n'est pas assorti des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé, au regard notamment du débat écrit et oral organisé devant la Commission. La critique des effets du projet sur les flux de transport revient en fait essentiellement à contester la détermination des zones de chalandise. Or, trois zones de chalandises pertinentes ont été déterminées concernant les déplacements à pied, en transports en commun et en voiture et il n'est pas discuté que les limites de la zone de chalandise accessible en voiture correspondent à un temps de trajet maximal de 20 à 25 minutes dans des conditions normales de trafic. Le rapport de présentation de la demande a étudié l'impact du projet sur le flux de circulation automobile et conclut que le projet n'aura aucun impact sur le flux de véhicules particuliers et un impact limité sur le flux des livraisons et que les flux supplémentaires induits par le projet, de l'ordre de 250 véhicules par jour, seront équitablement répartis entre l'entrée depuis la D 118 et l'entrée depuis la N 5. En outre, de par sa localisation, ce projet permettrait d'éviter l'évasion des consommateurs du nord de la commune de Saint-François vers les équipements commerciaux situés dans l'Ouest de l'île. L'apport d'environ 250 véhicules supplémentaires par jour apparaît parfaitement compatible avec les données de trafic intégrées au dossier, les " réserves " constatées par la Commission paraissant procéder d'un amalgame entre les notions de desserte et d'accès aux terrains, d'autant que la réalisation récente d'un giratoire constitue un élément notable d'amélioration de la fluidité et de l'absorption du trafic. Les développements de la Sodex concernant la prétendue inexistence de transports en commun en Guadeloupe sont totalement fantaisistes, dès lors que le site est desservi par le réseau de bus, notamment la ligne L 42 avec un arrêt dans les deux sens toutes les 20 minutes en moyenne à proximité du terrain d'assiette du projet. Le site bénéficie d'ores et déjà d'accès diversifiés (transports en commun, voitures, voies piétonnes) suffisants en terme de nombre, de dimension ou de sécurisation, sans qu'aucun aménagement routier supplémentaire n'apparaisse nécessaire. Si la Sodex n'apporte pas les éléments permettant d'apprécier le bien-fondé de sa contestation relative aux places de stationnement, il peut être indiqué qu'un parking de plain pied de 238 places de stationnement dont 6 places réservées aux personnes à mobilité réduite est prévu ;

- s'agissant du motif tiré de l'absence de bail vert envisagé concernant les cellules commerciales et de l'insuffisance du dossier en matière de développement durable, notamment en ce qui concerne l'installation, toujours à l'étude, de panneaux photovoltaïques, la Commission semble confondre les éléments relatifs au dépôt d'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale tels que fixés notamment par l'article A 752-1 du code de commerce et la progression des études de conception en vue du dépôt et de l'obtention d'une demande de permis de construire. La commercialisation des cellules commerciales auprès de commerçants par la conclusion de baux relève en effet d'une phase ultérieure. Des documents produits devant la Commission confirment leur attachement à la mise en place de mesures et procédés exemplaires et les plus actuels possibles, en matière de développement durable et de performance énergétique des bâtiments. Il est manifeste que les deux lettres en date des 3 et 7 octobre 2014 en réponse aux demandes de la Commission nationale d'aménagement commercial indiquant notamment d'une part, la réalisation d'une étude de faisabilité pour l'installation de panneaux solaires visant à assurer la production d'électricité pour une partie de l'éclairage des magasins et pour l'alimentation de bornes de recharge de véhicules électriques, et d'autre part, l'installation d'équipements de récupération des eaux de pluie pour l'usage des sanitaires, l'arrosage automatique des espaces verts ou encore les mesures engagées pour limiter la consommation d'énergie n'ont pas été examinées ni prises en compte par la Commission ; depuis, l'étude a été réalisée et la décision a été prise d'installer des panneaux photovoltaïques et des dispositifs de récupération d'eaux de pluie, et par ailleurs de signer des baux verts ;

- en ce qui concerne enfin les insertions architecturale et paysagère estimées non satisfaisantes par la Commission nationale d'aménagement commercial, il s'avère que l'implantation du bâtiment sur la parcelle a délibérément été choisie pour l'éloigner des axes de circulation et éviter un aspect massif, que les choix architecturaux retenus sont particulièrement qualitatifs puisqu'à l'inverse des équipements commerciaux présents sur le territoire communal qui constituent le plus souvent des quadrilatères bruts, le choix d'une façade présentant un arrondi permet d'éviter des lignes trop brutales. Les documents photographiques produits, lesquels vont bien au-delà des exigences légales et réglementaires, permettent de comparer l'architecture retenue à celle des bâtiments situés alentour. Les terrains d'assiette ont été classés en zone 1NAe à l'occasion de la révision simplifiée du plan d'occupation des sols en 2009. L'affirmation selon laquelle l'insertion paysagère du projet dans une station balnéaire dont les espaces naturels sont protégés et valorisés n'est pas satisfaisante est inexacte, alors que l'ensemble des terrains situés à proximité sont classés en zone urbaine dans le plan d'occupation des sols et que le projet apparaît conforme au projet d'aménagement et de développement durable du futur PLU de la commune. Le dossier de demande met en évidence les solutions du projet liées au développement durable (réduction des nuisances liées au chantier, maîtrise des consommations énergétiques, gestion des déchets et de l'eau, mise en oeuvre de solutions végétales, maîtrise des nuisances au voisinage et mesures de diminution de la consommation d'énergie, notamment en matière d'isolation et de climatisation) ;

- la Sodex n'est pas fondée à alléguer que la CDAC de la Guadeloupe aurait méconnu les dispositions de l'article L. 752-6-1 du code de commerce et que la demande d'autorisation devrait être rejetée compte tenu des effets anticoncurrentiels du projet eu égard notamment à la puissance économique dont disposeraient déjà le Groupe Bernard Hayot et l'enseigne Carrefour. Si, en vertu de cet article, la Commission d'une part doit tenir compte de la puissance économique de l'entreprise qui sollicite une autorisation dans le secteur d'activité concerné par l'autorisation sur la zone de chalandise, et dispose d'autre part de la faculté de saisir l'autorité de la concurrence, si la part de marché de l'entreprise qui sollicite l'autorisation serait susceptible de dépasser 50 % dans la zone de chalandise du projet, il s'avère que ni le Groupe Bernard Hayot (GBH) , ni les pétitionnaires ne détiennent de commerce de détail à prédominance alimentaire dans la zone de chalandise du projet et qu'aucun magasin à l'enseigne Carrefour, ceux-ci étant au demeurant exploités par deux groupes concurrents, n'est présent sur la zone. Les conclusions de la Sodex tendant à la saisine de l'autorité de la concurrence ne pourront ainsi qu'être rejetées.

La SAS Sodex Saint-François, représentée par MeD..., a déposé des mémoires en défense enregistrés le 12 mars 2015, 25 juin 2014 et le 7 novembre 2016 par lesquels elle conclut à titre principal au rejet de la demande, à titre subsidiaire, à ce que la cour saisisse l'autorité de la concurrence et prononce un sursis à statuer dans l'attente de l'avis de cet organisme et à ce que la cour mette à la charge de chacune des sociétés requérantes une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les règles d'urbanisme commercial applicables à la décision rendue par la Commission le 23 octobre 2014 sont celles applicables avant l'entrée en vigueur de la loi Pinel, intervenue le 18 décembre 2014. Par suite, les obligations d'indiquer dans la décision motivée de la Commission le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que les éventuelles abstentions, issues de la nouvelle rédaction de l'article L. 752-20 du code de commerce, ne s'imposaient pas à la Commission nationale à la date de sa décision. Au demeurant, à supposer même que la Commission fût tenue de faire apparaître ces mentions, la loi n'attache aucune sanction à une telle absence. Il ressort de la lecture même de la décision attaquée que celle-ci est parfaitement motivée ;

- l'article R. 751-8 du code de commerce et le règlement intérieur de la Commission nationale d'aménagement commercial prévoient expressément que le président de cette Commission, Conseiller d'Etat nommé par le Vice-président de la haute Assemblée, est suppléé, en cas d'absence ou d'empêchement, par le membre de la Cour des comptes et, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, par le membre de l'inspection générale des finances. Par suite, M. C...Valdiguié, membre de la Cour des comptes régulièrement désigné par décret du 10 avril 2012 était parfaitement habilité à présider la séance de la Commission et à signer la décision attaquée en qualité de président ;

- la Commission a pu légalement estimer, au vu des éléments factuels qui lui ont été soumis, que le projet, nonobstant sa conformité alléguée au document d'urbanisme opposable de la commune, ne participerait pas à l'animation de la vie locale et contribuerait à l'étalement urbain. Contrairement à ce qu'indiquent les requérantes, le projet ne se situe ni dans une zone urbanisée, ni dans une zone d'activités, ni même à proximité d'espaces d'habitations, mais est prévu au croisement de deux voies rapides à environ un kilomètre du centre-ville, la commune est d'ores et déjà dotée de commerces attractifs, dont notamment dix-huit points d'alimentation en centre-ville et dans la marina, situés à environ un kilomètre de distance du projet. En outre, on peut noter l'ouverture prochaine d'une surface de vente à prédominance alimentaire, de 500 mètres carrés à moins de 300 mètres du terrain d'assiette du projet. Le Groupe Bernard Hayot est par ailleurs déjà présent dans la région de Saint François où il exploite deux supermarchés, dont une superette dans cette commune. Le risque que les zones commerciales traditionnelles insérées dans la ville, qui participent aux équilibres fondamentaux du bourg, ne survivent pas à l'exploitation du projet est avéré, d'autant que la commune de Saint-François est située dans une zone balnéaire et touristique, laquelle présente une fragilité économique certaine illustrée par le passé par de nombreuses faillites et fermetures de fonds de commerce. Ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de la Guadeloupe dans un jugement rendu le 7 avril 2016 annulant un permis de construire accordé ultérieurement à la société Lunabam pour édifier un centre commercial de dimension non soumise à autorisation d'exploitation commerciale, le terrain d'assiette du projet n'est pas situé en zone commerciale au regard des dispositions du plan d'occupation des sols. Le projet ne se situe pas dans une zone commerciale préexistante ;

- la prise en compte par la Commission nationale d'aménagement commercial, pour l'appréciation de 1'impact du projet sur les flux de transports, de l'utilisation de leur voiture par les consommateurs, est parfaitement conforme aux dispositions légales et réglementaires en vigueur. Aucune étude de trafic n'est jointe au dossier de demande d'autorisation et les indications péremptoires qui y figurent sur ce point sont erronées. Les axes routiers desservant le rond-point Pradel ne comportent qu'une seule voie de circulation dans chaque sens et sont d'ores et déjà très encombrés. Par ailleurs, il n'existe pas en Guadeloupe de transports urbains en commun correspondant aux standards de la métropole, organisés en réseaux, qui desserviraient, à l'intérieur d'une même commune ou agglomération, plusieurs zones ou quartiers et donc susceptibles de desservir le terrain d'assiette du projet. La situation du projet en dehors du centre-ville et au croisement de deux voies rapides contraindra le consommateur à se déplacer exclusivement en voiture. Le projet n'opèrera aucun rééquilibrage spatial de l'offre dans la " zone à pieds ", d'autant que l'absence de trottoir ne permet pas un accès piétonnier effectif et sécurisé au site. Les flux de circulation automobile ont été notoirement sous-évalués et des perturbations du trafic encore plus importantes que celles actuellement constatées sont à craindre alors qu'aucun aménagement de voirie n'a été prévu pour accéder au site ;

- compte tenu des problématiques particulières de l'île relative à la gestion de l'eau, l'implantation, en zone sèche, d'espaces " engazonnés et traités en espaces paysagers ", comprenant des palmiers, des pongames, des arbres du voyageur et divers massifs végétaux n'apparaît pas comme satisfaisante en matière de développement durable ;

- la décision rendue par la CDAC de la Guadeloupe devait nécessairement être annulée, dans la mesure où elle n'a ni tenu compte de la puissance économique déjà détenue par le Groupe Bernard Hayot en Guadeloupe ni demandé l'avis de l'autorité de la concurrence, lequel pourtant s'imposait. Ce groupe représente notamment, dans le secteur des supermarchés et hypermarchés à prédominance alimentaire, hors discounters, plus du tiers du chiffre d'affaires généré par cette activité sur l'île et l'enseigne Carrefour près de 65 % du même chiffre d'affaires. En outre, en cas de réalisation du projet, cette enseigne représenterait près de 64 % des surfaces de vente de la zone de chalandise. Ainsi, la CDAC aurait dû demander l'avis de l'Autorité de la concurrence, en application de L. 752-6-1 du code de commerce.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;

- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;

- le décret n° 2008-1212 du 24 novembre 2008 ;

- le décret n° 2015-165 du 12 février 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 15 décembre 2016 :

- le rapport de M. Jean-Claude Pauziès,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de Me B...représentant la Sarl Lunabam et la Sarl Anabam, et de Me D...représentant la société Sodex Saint François.

Une note en délibéré présentée par Me A...pour les sociétés Anabam et Lunabam a été enregistrée le 21 décembre 2016.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 3 juin 2014, la commission départementale d'aménagement commercial de la Guadeloupe a délivré aux sociétés anonymes à responsabilité Lunabam et Anabam, filiales du groupe Bernard Hayot (GBH), l'autorisation de procéder à la création sur les parcelles cadastrées section AZ n°9 et 585 situées lieu-dit du Pradel sur la commune de Saint-François, d'un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 2 049 m² comprenant notamment un supermarché à dominante alimentaire à l'enseigne " Carrefour Contact " de 1 400 m² de surface de vente et une galerie marchande abritant une quinzaine de boutiques sur une surface de vente totale de 649 m². La société par actions simplifiée Sodex Saint-François, qui exploite un supermarché à l'enseigne " Hyper Casino " sur la même commune dans le secteur de la marina à 1,2 km du projet, a exercé un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial tendant à l'annulation de cette décision. Les sociétés Lunabam et Anabam demandent à la cour d'annuler la décision du 23 octobre 2014 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a admis le recours de la société Sodex Saint-François et a refusé d'accorder l'autorisation d'exploiter cet ensemble commercial.

Sur le bien fondé de la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 54 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 : " L'article L. 752-20 du code [de commerce] est complété par un alinéa ainsi rédigé : Les décisions de la Commission nationale indiquent le nombre de votes favorables et défavorables ainsi que les éventuelles abstentions. Elles doivent être motivées conformément à la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public. " Aux termes de l'article 60 de cette même loi : " I. - Les articles 39 à 58, à l'exception de l'article 57, entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat et au plus tard six mois à compter de la promulgation de la présente loi. II. - L'article 62 entre en vigueur le 1er janvier 2015. " Aux termes de l'article 6 du décret n° 2015-165 du 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial : " Les articles 39 à 44 et 49, l'article 52 en tant qu'il crée le I de l'article L. 752-17 du code de commerce, l'article 53, le I de l'article 55 et l'article 58 de la loi du 18 juin 2014 susvisée entrent en vigueur le lendemain de la publication du présent décret au Journal officiel de la République française. " Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'article 54 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 est entré en vigueur six mois après la promulgation de la loi, soit le 18 décembre 2014, et que ces dispositions n'étaient donc pas en vigueur à la date de la décision attaquée du 23 octobre 2014. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 752-20 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 est inopérant.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 751-6 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable, la Commission nationale d'aménagement commercial se compose notamment de : " (...) 1° Un membre du Conseil d'État désigné par le vice-président du Conseil d'État ; 2° Un membre de la Cour des comptes désigné par le premier président de la Cour des comptes (...) ". Aux termes de l'article R. 751-8 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : " Le président de la Commission nationale d'aménagement commercial est suppléé, en cas d'absence ou d'empêchement, par le membre de la Cour des comptes (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas d'absence ou d'empêchement du président de la Commission nationale d'aménagement commercial, la présidence de la séance est assurée par le membre titulaire de la Commission désigné par le premier président de la Cour des comptes.

4. Il ressort des pièces du dossier que la présidence de la séance du 23 octobre 2014 a été assurée par M. Valdiguié, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, nommé membre titulaire de la Commission par décret du 10 avril 2012, en sa qualité de suppléant du président en titre de la Commission. Il n'est pas établi ni même au demeurant soutenu que ce dernier n'était pas, lors de cette séance, absent ou empêché. Ainsi, le moyen tiré de ce que la Commission nationale aurait été irrégulièrement présidée doit être écarté.

5. En troisième lieu, si, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de la Commission nationale d'aménagement commercial, les décisions qu'elle adopte doivent être motivées, cette obligation n'implique pas que la Commission soit tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d'appréciation fixés par les dispositions législatives applicables. Il ressort des termes de la décision en litige que la Commission nationale a exposé quatre motifs de refus en précisant en premier lieu que le projet situé à environ 1 km du centre-ville de Saint-François, ne participera pas à l'animation de la vie locale et contribuera à l'étalement urbain, en deuxième lieu que la localisation du projet favorisera l'utilisation de la voiture pour les consommateurs et qu'en l'absence d'étude de trafic réalisée, des réserves sont émises concernant les effets de l'implantation de cette grande surface sur la circulation automobile générée, en troisième lieu qu'en matière de développement durable, seule la Réglementation Thermique Acoustique et Aération, propre aux départements d'outre-mer, sera respectée , que la possibilité d'installer des panneaux photovoltaïques est toujours à l'étude et qu'aucun " bail vert " n'est envisagé concernant les cellules commerciales, en quatrième lieu que l'insertion architecturale et paysagère du bâtiment ne sont pas satisfaisantes compte tenu de l'implantation du projet dans une station balnéaire dont les espaces naturels sont protégés et valorisés, pour conclure que le projet ne répond pas aux critères de l'article L.752-6 du code de commerce. Cette décision, qui comporte ainsi les éléments de droit et de fait qui la fondent, est dès lors suffisamment motivée.

6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 752-17 du code du commerce, dans sa rédaction alors applicable : " I. Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. La Commission nationale d'aménagement commercial émet un avis sur la conformité du projet aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du présent code, qui se substitue à celui de la commission départementale (...) ". Aux termes de l'article L. 752-6 du même code : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : / a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; /d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; 2° En matière de développement durable : /a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; /b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; /c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; 3° En matière de protection des consommateurs : /a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; /b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; /c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; /d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. (...) ". Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles se prononcent sur un projet d'exploitation commerciale soumis à autorisation en application de l'article L. 752-1 du code de commerce, d'apprécier la conformité de ce projet aux objectifs prévus à l'article L. 750-1 du code de commerce, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du même code et précisés à l'article R. 752-7 de celui-ci. L'autorisation ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet compromet la réalisation de ces objectifs.

7. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est situé à l'entrée de la ville de Saint-François, au croisement des RN 5 et RD 118 assurant les liaisons principales nord-sud et est-ouest de la Grande-Terre, desservi par un rond point qui distribue des voies de circulation uniques déjà chargées. Compte tenu de sa localisation et ainsi que l'admettent les sociétés requérantes, la voiture constitue le mode de transport privilégié pour accéder au site. Si les sociétés appelantes font valoir que le projet n'aura aucun impact sur le flux de véhicules particuliers, en indiquant que les flux supplémentaires induits par le projet se limiteront à 250 véhicules par jour répartis entre les deux entrées du site, pour en conclure que le projet aura un impact négligeable sur les flux de circulation, ces flux sont toutefois estimés par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, à partir du chiffre fourni par le pétitionnaire de 840 véhicules par jour, à 850 véhicules par jour, ce qui représenterait une augmentation potentielle du trafic de la RN5, qui enregistre 6761 véhicules par jour, de 12 %. Il n'est pas certain que la clientèle se composerait, comme l'affirme sans autre démonstration le dossier de demande, à 70 % de personnes circulant déjà sur ces axes, permettant de ramener l'augmentation du trafic à seulement 1,56 % comme le soutiennent les pétitionnaires. Par ailleurs, ceux-ci soulignent dans le rapport de présentation du dossier de demande déposé devant la commission départementale d'aménagement commercial que le centre commercial devrait créer une réelle attractivité au-delà des limites de la commune, ce qui entraînera des flux supplémentaires de véhicules. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que des solutions aient été prévues pour absorber les flux de véhicules supplémentaires sur la RN5 et sur la RD 118 qui desservent le projet, alors que la population de la commune de Saint-François est en constante augmentation depuis 1999. Aucune augmentation de desserte en autobus n'est prévue, alors que les seules liaisons interurbaines qui s'arrêtent à proximité sont espacées d'au moins 40 minutes dans chaque sens. Il suit de là que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la Commission aurait commis une erreur d'appréciation en considérant que les flux supplémentaires de véhicules automobiles générés par le projet ne pourraient être absorbés par la voirie existante, en l'absence d'aménagement complémentaire de ces voies ou de possibilités accrues d'accès au site par d'autres moyens que l'automobile.

8. En admettant que la Commission nationale ait fondé à tort sa décision sur les autres motifs sus-énoncés, il résulte de l'instruction que la Commission nationale d'aménagement commercial aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur le motif tiré de l'insuffisante absorption des flux de circulation générés par le projet.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin, en tout état de cause, de saisir l'autorité de la concurrence au regard de l'article L.752-6-1 du code de commerce, que les SARL Lunabam et Anabam ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial n° 2345 T du 23 octobre 2014. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL Lunabam et de la SARL Anabam une somme de 1 500 euros à verser à ce titre à la SAS Sodex Saint-François.

DECIDE :

Article 1er : La requête des SARL Lunabam et Anabam est rejetée.

Article 2 : La SARL Lunabam et la SARL Anabam verseront une somme globale de 1 500 euros à la SAS Sodex Saint-François.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la SAS Sodex Saint-François est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés à responsabilité limitée Lunabam et Anabam, à la société par actions simplifiée Sodex Saint-François, au ministre de l'économie de l'industrie et du numérique et à la Commission nationale d'aménagement commercial.

Copie en sera adressée à la commune de Saint-François

Délibéré après l'audience du 15 décembre 2016 à laquelle siégeaient :

- Mme Catherine Girault, président,

- M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

- M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 janvier 2017.

Le rapporteur,

Jean-Claude PAUZIÈS Le président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Delphine CERON

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

14BX03637 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14BX03637
Date de la décision : 12/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05-02-02 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial. Procédure. Commission nationale d`aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PAUZIÈS
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : SELARL LAZARE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-01-12;14bx03637 ?
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