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20/04/2017 | FRANCE | N°15BX01843

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 20 avril 2017, 15BX01843


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La SAS E-Square a demandé au tribunal administratif de la Guyane de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008.

Par un jugement n° 1400075 du 2 avril 2015, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2015 et le 26 février 2016, la société E-Square, représentée par MeE..., demande

à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1400075 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) de...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La SAS E-Square a demandé au tribunal administratif de la Guyane de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008.

Par un jugement n° 1400075 du 2 avril 2015, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2015 et le 26 février 2016, la société E-Square, représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1400075 du tribunal administratif de la Guyane ;

2°) de lui accorder la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il n'a pas répondu aux moyens tirés de ce qu'une société mère peut venir en aide à une filiale en difficulté sans commettre d'acte anormal de gestion si son renom ou sa responsabilité sont en jeu, de ce qu'elle aurait pu bénéficier de la clause de retour à meilleure fortune en ce qui concerne l'abandon de créance consenti à E-Wind, de ce que l'abandon de créance au profit de la société Valgo présentait un caractère commercial et subsidiairement financier et de ce que les factures comptabilisées en charge de personnel extérieur résultaient de refacturations par la société Valgo de prestations effectuées pour le compte d'E-Square ; le tribunal s'est aussi abstenu d'analyser sérieusement les dépenses qualifiées de non professionnelles, alors que toutes les justifications nécessaires avaient été apportées ;

- le tribunal a également omis de statuer sur son moyen tenant à ce que l'abandon de créances au profit de la société Valgo a été imposé entre les mains de cette société et sur la déductibilité de sept factures émises par la société Icade de même que sur la déductibilité des loyers du logement de Neuilly ;

- le délai de vérification de comptabilité ne pouvait excéder trois mois en vertu de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, l'extension du délai prévu par l'article L. 52 A n'étant pas applicable en l'espèce ; la vérification de comptabilité devait donc s'achever le 8 décembre 2009 et non le 9 décembre ;

- si la société E-Win avait pu être redressée par son acquéreur dans les délais de la clause de retour à meilleure fortune, la SAS E-Square aurait bénéficié de cette clause et aurait pu récupérer le compte courant ; selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, l'abandon de créances consenti à une filiale et cédée quelques temps après à un prix symbolique constitue un abandon de créance déductible ; la déductibilité n'est pas liée à l'obligation d'insérer une clause de retour à meilleure fortune ;

- il était de l'intérêt d'E-Square d'apporter une aide financière à sa filiale, dont le dépôt de bilan aurait porté atteinte à sa renommée ;

- compte tenu de la situation nette de la filiale au cours de l'exercice ouvert le 1er janvier 2002, l'abandon de créance était intégralement déductible et le droit au report des déficits d'E-Square au cours des exercices 2000 à 2005 ne peut être remis en cause ;

- l'abandon de créance consenti à la filiale Valgo présentait un intérêt commercial ; il avait pour but principal de permettre à la société Valgo d'assurer le soutien d'une de ses filiales, preneur de nombreux baux commerciaux auprès de filiales d'E-Square ; cette dernière pouvait ainsi assurer indirectement le maintien d'activité de ses filiales et la sauvegarde de ses actifs ; par ailleurs la société Valgo était dans une situation proche de la cessation de paiement en raison de difficultés de trésorerie, de pertes d'exploitation et de nombreuses provisions passées au cours de l'exercice clos en 2008 ; ainsi, la société Valgo a réalisé en 2008 des avances en compte courant pour un montant de 3,5 millions d'euros afin de pallier des difficultés de trésorerie ; de plus, la société Valgo Résidences, filiale de Valgo a été placée en redressement judiciaire et E-Square, ne pouvant plus recouvrer ses créances auprès de cette filiale, a légitimement consenti un abandon de comptes courants à Valgo ; en effet, la jurisprudence admet qu'une société peut choisir pour venir en aide à une filiale soit d'augmenter son capital soit de lui consentir un abandon de comptes courants ; si le montant des pertes de la société Valgo est en partie dû à des provisions sur dépréciations d'actifs inscrites en 2008, cette société connaît aussi des difficultés d'exploitation et générait ainsi une perte d'exploitation de plus de 3 millions d'euros au 31 décembre 2008 ;

- en tout état de cause, les abandons de créance à caractère financier sont déductibles à hauteur de la situation nette de la filiale mais également lorsque la filiale est en situation positive, à hauteur de la quote-part du capital non détenue par la société effectuant l'abandon ; à la date des abandons, E-Square détenait 48,63 % du capital social de la société ; cet abandon était donc déductible à hauteur de 51,37 %, soit 452 261,50 euros ;

- le caractère probant de la comptabilité n'ayant pas été remis en cause l'administration supporte la charge de la preuve de la non déductibilité des charges d'exploitation ;

- les factures établies par la société Icade étaient erronées en raison d'un usage consistant à adresser les factures au nom du responsable de la société locataire mais des factures rectificatives ont ensuite été remises au vérificateur ; entre décembre et juin 2008, M. et Mme A... résidaient en région toulousaine ; la société a choisi de transférer son siège à Paris et ses dirigeants de s'y domicilier lorsque l'activité de la société s'est recentrée en métropole ; l'appartement était mis à la disposition des salariés toulousains qui venaient à Paris pour les besoins d'E-Square ;

- les six factures émises par la société Valgo et dont la déductibilité a été remise en cause résultent de la refacturation de prestations de recherches d'actifs et d'investissements de nature comptable, juridique et commerciale, effectuées pour le compte d'E-Square par la société Valgo et l'un de ses employés, M.B... ; la facturation de ces prestations n'est pas disproportionnée ; les 35 000 euros d'honoraires du cabinet Abac sont relatif à la seule tenue de la comptabilité d'E-Square et non de ses filiales ; le montant des prestations doit en outre être apprécié au regard de la valorisation globale des actifs d'E-Square ;

- la note d'honoraires ICPS émane d'un agent commercial régulièrement inscrit et il a été justifié de son paiement dans l'intérêt de l'entreprise ;

- il est également justifié de la nature des prestations effectuées par le cabinet Allen et Overy, correspondant à l'étude durant neuf mois d'une prise de participation dans une société luxembourgeoise Landforse ; ces honotaires ont été mentionnés dans la déclaration annuelle DADS 2 de la société Landforse ;

- les factures Aurore Immobilier ont été libellées par erreur au nom de M. A...mais ont été reprises par le fournisseur ;

- si la facture C...a été versée à une personne dont l'activité avait cessé, c'est en toute bonne foi, la société ayant omis de vérifier l'immatriculation de cet agent immobilier.

Par des mémoires en défense enregistrés le 25 novembre 2015 et le 28 juillet 2016, le ministre des finances et des comptes publics (direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-ouest) conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le litige est limité à la somme de 660 821 euros telle qu'invoquée au stade de la réclamation préalable de la société ;

- le tribunal, qui n'est pas tenu de répondre à chaque argument des parties, n'a entaché son jugement ni d'omissions à statuer ni d'insuffisance de motivation ;

- le seuil de 7 600 000 euros visé à l'article L. 52 A du livre des procédures fiscales s'apprécie par référence à la valeur comptable des titres, l'exclusion des éventuelles provisions pour dépréciation ; or, il résulte de l'examen de la liasse fiscale de la société E-Square que celle-ci détient à l'actif de son bilan de l'exercice clos en 2008 des titres de participation pour 19 181 534 euros et des valeurs de placement pour 1 730 854 euros ; le montant des titres détenus étant supérieur au seuil de 7 600 000 euros, la limitation à trois mois de la durée de la vérification de comptabilité prévue par l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ne s'appliquait pas ;

- en vendant ses parts dans sa filiale E-Win, la société E-Square a remis en cause l'existence de contrepartie de l'opération d'abandon de créance et E-Win a donc bénéficié gratuitement de cet abandon, lequel est donc constitutif d'un acte anormal de gestion ; en l'espèce la société requérante n'établit pas que le dépôt de bilan de E-Win aurait pu avoir une incidence sur sa propre activité ou aurait porté atteinte à son renom ; de plus elle était en situation de déficit au moment de cet abandon de créance, qui a aggravé cette situation ;

- la filiale Valgo était en situation très positive en 2008, les pertes réalisées résultant de la comptabilisation de provisions ; il n'est ni soutenu ni démontré par la requérante que ses activités étaient imbriquées avec celles de Valgo et le caractère commercial de l'abandon de créance ne peut donc être retenu ;

- aucun bénéfice n'a été imposé au nom de la société Valgo au titre de l'exercice clos en 2008, il n'y a donc pas eu de double imposition ;

- les factures émises par la société Icade ont a été adressées au lieu de résidence privée du dirigeant de E-Square ; ces factures correspondaient à la location d'un logement ; rien ne vient attester d'un usage professionnel du local, même si des factures rectificatives ont été émises ;

- s'agissant des factures pour prestations effectuées par un salarié de la société Valgo, qui correspondent selon leur libellé à des travaux de saisie de pièces comptables, la société E-Square n'avait pas son siège social à Toulouse, où elle ne disposait d'aucun local, c'est le cabinet Abac qui était chargé d'effectuer sa comptabilité et aucun contrat ni aucune convention entre les sociétés Valgo et E-Square n'a été présenté pour justifier de cette prestation ; ainsi il n'est pas justifié de l'engagement de la dépense dans l'intérêt de la société requérante ;

- aucune précision n'est apportée quant à la prestation facturée par ICPS, les informations afférentes à cette société et portées sur la facture ne correspondent pas à des éléments vérifiés et aucune convention n'a été présentée ;

- le détail des prestations réalisées par la société Allen et Overy ainsi que leur mode de facturation n'ont pas été indiqués sur la facture présentée à titre de justificatif et l'annexe du document ne constitue qu'un relevé journalier d'activité ; la pièce justificative produite rédigée en anglais n'est pas recevable ;

- l'utilisation de l'appartement de Neuilly pour les besoins exclusifs de la société n'est pas démontrée ;

- l'entreprise C...avait cessé son activité en 2003, et la facture établie à son nom en 2008 ne peut donc être déduite.

Par une ordonnance du 25 mai 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 juillet 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Pouget,

- et les conclusions de M. D...de la Taille Lolainville, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS E-Square, qui exerce l'activité d'auxiliaire de services financiers, a fait l'objet en 2009 d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008. À l'issue des opérations de contrôle, des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés lui ont été notifiées par une proposition de rectification du 24 décembre 2009, l'administration ayant remis en cause la déductibilité, d'une part, d'abandons de créances consentis au profit de ses sociétés filiales E-Win et Valgo et, d'autre part, de certaines charges d'exploitation. Ces impositions ont été mises en recouvrement conformément à l'avis de la commission départementale des impôts du 8 avril 2011. La société E-Square relève appel du jugement du 2 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre de la période considérée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Ces dispositions n'imposent cependant pas au juge administratif de répondre à chacun des arguments des parties.

3. La société E-Square soutient que le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé en son point 4 en ce que le tribunal n'a pas répondu à ses arguments tenant, d'une part, à ce qu'une société mère peut venir en aide à une filiale en difficulté sans commettre d'acte anormal de gestion lorsque les difficultés financières de celle-ci sont de nature à porter atteinte à son renom ou entraîner la mise en jeu de sa responsabilité et, d'autre part, à ce que si la société E-Win avait pu être redressée dans les délais de la clause de retour à meilleure fortune, elle aurait bénéficié de la restitution de la somme considérée. Cependant, en constatant que la société ne pouvait en tout état de cause justifier d'aucune contrepartie à l'abandon de créance consenti avec une clause de retour à meilleure fortune dès lors qu'elle a cédé sa filiale dès le mois suivant l'attribution de cet avantage, les premiers juges n'ont pas insuffisamment motivé leur jugement sur ce point. Si par ailleurs le jugement attaqué, en ses points 6 et 7, ne répond pas à chacun des arguments énoncés par la société E-Square à l'appui de ses moyens relatifs à la déductibilité des charges d'exploitation facturées par la société Valgo, par la société ICPS, par la société Allen et Overy, par la société Aurore Immobilier et par M.C..., il apparaît qu'il a, pour chacune de ces dépenses, fait état de la circonstance qui pouvait paraître déterminante à elle seule pour écarter les moyens y afférents.

4. En revanche, le jugement est insuffisamment motivé en son point 5, ainsi que le fait valoir la société requérante, puisqu'il se borne, pour écarter le moyen relatif à l'absence d'acte anormal de gestion tenant à l'abandon d'une créance au profit de sa filiale Valgo, à évoquer la situation nette positive de cette dernière à la date de l'aide financière consentie sans une quelconque allusion aux explications et arguments avancés par la société devant le tribunal et susceptibles d'avoir une incidence sur l'appréciation même de la situation financière de sa filiale, ainsi que sur la détermination de l'existence d'une contrepartie à cet abandon de créance, tenant notamment à son intérêt commercial. Par ailleurs, ainsi que le soutient la société E-Square, le tribunal a omis de statuer sur le moyen, qui n'était pas inopérant, soulevé à l'encontre de la remise en cause, par le service, de la déductibilité des loyers facturés par la société Icade.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler le jugement du 2 avril 2015 du tribunal administratif de la Guyane pour irrégularité en ce qu'il statue de façon insuffisamment motivée sur l'abandon de créance consenti à la société Valgo et, d'autre part, en ce qu'il omet de statuer sur la déductibilité des loyers facturés par la société Icade. Il y a lieu, pour la cour administrative d'appel, de se prononcer sur cette partie de la demande par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la société E-Square.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

6. Aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " I. - Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne : 1° Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts (...) ". Et aux termes de l'article L. 52 A du même livre : " Les dispositions de l'article L. 52 ne s'appliquent pas aux personnes morales ni aux sociétés visées à l'article 238 bis du code général des impôts à l'actif desquelles sont inscrits des titres de placement ou de participation pour un montant total d'au moins 7 600 000 euros ".

7. Il résulte de l'instruction que la vérification sur place de la comptabilité de la société E-Square s'est déroulée du 9 septembre au 9 décembre 2009. Si ladite société soutient que la durée de cette vérification a ainsi excédé le délai franc de trois mois prévu par les dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, il ressort toutefois des mentions de la liasse fiscale de la société déposée au titre de l'exercice clos en 2008 qu'elle détenait alors des titres de participation pour un montant de 19 181 534 euros et des valeurs de placement pour un montant de 1 730 854 euros. Par suite, la société E-Square ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article 52 du livre des procédures fiscales, qui ne lui étaient pas applicables en vertu de l'article L. 52 A précité du même livre.

Sur le bien-fondé des impositions :

8. Il résulte des articles 38 et 39 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée, tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité.

En ce qui concerne les abandons de créances :

9. Les prêts sans intérêts ou les abandons de créances accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avances est une filiale, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages consentis par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

10. La société E-Square a, d'une part, accordé en 2002 à sa société filiale E-Win un abandon de créance d'un montant de 635 022 euros, assorti d'une clause de retour à meilleure fortune, qu'elle a comptabilisé en charge exceptionnelle et dont il est résulté un déficit reportable jusqu'au premier exercice non prescrit à la date du contrôle. L'administration a en conséquence, en vertu de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, réintégré le montant de cet abandon de créance dans les résultats imposables de la société E-Square au titre de l'exercice clos en 2002 et en a tiré les conséquences pour la période vérifiée. La société requérante tente de justifier cette opération par les difficultés financières de la société E-Win, qu'une situation nette négative et un endettement important exposaient à une liquidation judiciaire, soulignant qu'elle risquait elle-même, en conséquence, de voir son renom entaché et de se retrouver en mauvaise posture, et ajoutant que la clause de retour à meilleure fortune préservait par ailleurs ses chances de se voir restituer ultérieurement la somme abandonnée. Il est toutefois constant que la société E-Square, qui était elle-même en situation déficitaire au moment de l'avantage accordé à sa filiale, et dont le déficit s'est ainsi trouvé fortement aggravé en conséquence à la clôture de l'exercice clos en 2002, a cédé ses parts de la société E-Win pour 1 euro, un mois seulement après l'opération litigieuse. Dans ces conditions, la société requérante, qui ne précise d'ailleurs nullement en quoi un dépôt de bilan de sa filiale aurait été susceptible de porter atteinte à sa propre renommée, ne peut valablement soutenir qu'il existait une contrepartie réelle à l'abandon de créance consenti, et l'administration doit ainsi être regardée comme rapportant la preuve que la société E-Square n'a pas agi dans son propre intérêt. Ladite société n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que la somme correspondante a été réintégrée dans ses résultats.

11. D'autre part, au titre de l'exercice clos en 2008, la société requérante a comptabilisé une charge d'un montant de 880 400 euros pour dépréciation de créance, à la suite de l'abandon d'une créance en compte courant d'associé au bénéfice d'une autre de ses filiales, la société Valgo. Elle soutient justifier d'un intérêt commercial à avoir consenti cet abandon de créance, qui avait pour but principal, selon elle, de permettre à la société Valgo d'assurer le soutien d'une de ses filiales placée en redressement judiciaire, la société Valgo Résidences, preneur de nombreux baux commerciaux auprès d'autres filiales de la société E-Square. Cependant, si cette dernière assure qu'elle a ainsi cherché à sauvegarder ses propres actifs alors que la société Valgo aurait été dans l'incapacité de venir en aide à sa filiale sans l'avantage consenti puisqu'elle était alors elle-même dans une situation proche de la cessation de paiement, présentant notamment des pertes d'exploitation pour un montant de 3 092 733 euros à la clôture de l'exercice 2008, il résulte de l'instruction que ces pertes résultaient dans une large mesure de la comptabilisation de provisions et que la société Valgo présentait avant l'abandon de créance, quand bien même elle aurait connu quelques difficultés de trésorerie, une situation nette largement positive de 6 915 437,30 euros. La société E-Square ne saurait ainsi prétendre, en tout état de cause, qu'il relevait de son intérêt commercial direct et immédiat de se substituer à la société Valgo pour venir en aide à une filiale de celle-ci avec laquelle deux de ses propres filiales entretenaient des relations d'affaires. Elle ne saurait davantage soutenir que l'abandon en compte courant aurait été conforme à ses intérêts financiers et serait à tout le moins partiellement déductible à ce titre, en se bornant à faire état de qu'elle détenait 48,63 % du capital social de la société Valgo et de ce qu'il était conforme à son rôle de gestionnaire et à sa pratique d'aider au besoin ses filiales au moyen d'avances en compte courant, dès lors qu'elle ne justifie d'aucune contrepartie financière à l'avantage consenti à la société Valgo. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a regardé cet avantage comme un acte anormal de gestion et qu'elle a procédé à la réintégration de la somme correspondante dans les résultats de la société E-Square. Contrairement à ce que soutient cette dernière, cette réintégration n'est en tout état de cause à l'origine d'aucune double taxation d'un même bénéfice entre ses mains et entre les mains de sa filiale puisque celle-ci a déclaré un déficit au titre de l'exercice clos en 2008 et n'a donc fait l'objet d'aucune imposition au titre de ses bénéfices.

En ce qui concerne les charges d'exploitation :

12. L'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de la société E-Square des sommes d'un montant global de 163 815,25 euros déduites en 2007 et 2008 au titre des dépenses de " personnel extérieur " et correspondant à des factures émises par la société Valgo. La société requérante explique que ces sommes correspondent au paiement de prestations de recherches d'actifs et d'investissements effectuées à son profit durant dix-huit mois à compter de juillet 2007 par un salarié de sa filiale, M.B.... Ces affirmations ne sont toutefois étayées par la production d'aucun élément justificatif devant le juge de l'impôt. Il résulte certes de l'instruction que la société requérante a présenté au service, au soutien de ses dires, une convention d'assistance conclue le 2 janvier 2007 entre sa filiale et elle-même, prévoyant que la société Valgo effectuerait pour son compte des prestations d'aide à la gestion administrative, sociale, comptable et commerciale, moyennant une rémunération annuelle de 150 000 euros. Toutefois, il est constant que l'assistance comptable a finalement été réalisée par un tiers, le cabinet Abac, pour un montant de 35 050 euros, et que les salaires versés à M. B...par la société Valgo au cours des années 2007 et 2008 n'ont pas excédé 47 084 euros en 2007 et 27 072 euros en 2008 selon les constatations du service. Dans ces conditions, et à défaut pour la société requérante de présenter des éléments précis permettant d'établir la nature exacte des prestations réalisées pour son compte en contrepartie des facturations émises par la société Valgo, elle n'apporte pas la preuve qui lui incombe que ces facturations correspondent à des prestations effectuées dans l'intérêt de son activité. Elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elle était en droit de déduire les sommes inscrites comme charges de " personnel extérieur " au compte 621.

13. L'administration a également réintégré dans les bénéfices de la société requérante les montants de notes d'honoraires établies aux noms d'" ICPS " et de " C... " au titre de l'exercice clos en 2007, pour des montants respectifs de 12 000 euros et 10 000 euros. La société E-Square soutient que ces dépenses correspondent à des prestations de services réalisées dans son intérêt direct par des agents commerciaux. Elle admet cependant que M. C...avait cessé son activité dès 2003 et, par ailleurs, si elle a présenté une facture à l'en-tête d'ICPS, elle n'a pas été en mesure de produire un contrat la liant à cette société ni, plus généralement, de justifier de la nature des prestations correspondantes. Elle n'apporte pas ainsi la preuve de la déductibilité de ces dépenses.

14. Il résulte de l'instruction que la société E-Square a par ailleurs déduit de son bénéfice imposable au titre de l'année 2008 une facture d'honoraires d'un montant de 5 594 euros, émise par la société Aurore Immo, ainsi qu'une somme de 35 000 euros correspondant à des factures émises par la société Icade. Elle fait valoir que ces sommes correspondent respectivement à des frais d'agence immobilière et à des loyers versés durant sept mois pour un logement situé au 5 boulevard Richard Wallace à Neuilly-sur-Seine. Si la société requérante soutient que ledit logement, qui comportait un bureau, a été utilisé pour les besoins de la société E-Square afin d'héberger un salarié lors de ses déplacements professionnels en région parisienne, elle ne produit aucun justificatif probant à l'appui de ses allégations et n'établit donc pas que les dépenses considérées auraient été engagées dans l'intérêt de la société. C'est donc à bon droit que l'administration en a remis en cause la déductibilité, sans que la société requérante puisse faire utilement valoir que la société Aurore Immo a procédé à une reprise de ces factures.

15. Enfin, le montant d'une note d'honoraires d'un montant de 87 500 euros établie au nom de la société Allen et Overy n'a pas été admis en déduction des résultats de l'exercice clos en 2008. Toutefois, en produisant à l'appui de la facture de ce cabinet d'avocats luxembourgeois un rapport complet d'activité, dont il n'y a pas lieu d'exclure la prise au compte au motif qu'il est rédigé en langue anglaise, contrairement à ce qu'indique le ministre, la société E-Square doit être regardée comme justifiant de la réalité d'une étude menée pour elle durant neuf mois par ce cabinet quant à la faisabilité d'une prise de participation dans une société de droit luxembourgeois. La société requérante établit ainsi que la dépense considérée a été engagée dans l'intérêt de son activité et elle est par suite fondée à soutenir qu'elle présente le caractère d'une charge déductible.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société E-Square n'est pas fondée à demander la décharge des impositions supplémentaires et des pénalités y afférentes relatives à l'abandon de créance consenti à la société Valgo et à la réintégration dans ses bénéfices du montant des loyers facturés par la société Icade. Elle est seulement fondée, par ailleurs, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à la décharge des impositions supplémentaires afférentes à la remise en cause par l'administration de la déductibilité des honoraires payés à la société Allen et Overy.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société E-Square d'une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1400075 du 2 avril 2015 du tribunal administratif de la Guyane est annulé, d'une part, en tant qu'il statue sur l'abandon de créance consenti à la société Valgo et, d'autre part, en ce qu'il omet de statuer sur la déductibilité des loyers facturés par la société Icade.

Article 2 : La société E-Square est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008, dans la limite de la réduction en base découlant du point 15 du présent arrêt.

Article 3 : Le jugement attaqué est, pour le surplus, réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : L'Etat versera à la société E-Square une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La demande présentée par la société E-Square devant le tribunal en ce qu'elle portait sur l'abandon de créance consenti à la société Valgo et sur la déductibilité des factures de la société Icade est rejetée, de même que le surplus des conclusions de sa requête.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société E-Square et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2017, à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 avril 2017.

Le rapporteur,

Laurent POUGET

Le président,

Aymard de MALAFOSSE Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

4

N° 15BX01843


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX01843
Date de la décision : 20/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Contentieux fiscal

Analyses

19-04-01-04-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. Personnes morales et bénéfices imposables.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET L.
Rapporteur public ?: M. de la TAILLE LOLAINVILLE
Avocat(s) : CABINET COTEG et AZAM

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-04-20;15bx01843 ?
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