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22/06/2017 | FRANCE | N°15BX00986

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 22 juin 2017, 15BX00986


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) du Gers, par une décision du 3 juillet 2014, a autorisé la société civile immobilière (SCI) Le Moulin de la Justice à étendre un ensemble commercial par la création d'un magasin de bricolage à l'enseigne " Bricomarché " d'une surface de vente de 2 271 mètres carrés à proximité immédiate d'une grande surface alimentaire exploitée par le pétitionnaire sur la commune de Lectoure.

Par un recours enregistré sous le n° 2 371-T, la S

AS Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean a demandé à la Commission na...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) du Gers, par une décision du 3 juillet 2014, a autorisé la société civile immobilière (SCI) Le Moulin de la Justice à étendre un ensemble commercial par la création d'un magasin de bricolage à l'enseigne " Bricomarché " d'une surface de vente de 2 271 mètres carrés à proximité immédiate d'une grande surface alimentaire exploitée par le pétitionnaire sur la commune de Lectoure.

Par un recours enregistré sous le n° 2 371-T, la SAS Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean a demandé à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) d'annuler cette autorisation.

Par une décision en date du 27 novembre 2014, la commission nationale d'aménagement commercial a rejeté ce recours et autorisé le projet.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée au greffe de la cour le 17 mars 2015 et trois mémoires enregistrés les 21 septembre 2015, 11 décembre 2015 et 23 novembre 2016, la société par actions simplifiée (SAS) Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean, représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler la décision du 27 novembre 2014 de la commission nationale d'aménagement commercial ayant autorisé le projet d'extension du pôle commercial en litige ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la SCI " Les Moulins de la Justice " la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête a été introduite dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision de la CNAC intervenue le 20 janvier 2015 ;

- son intérêt à agir en qualité d'exploitante d'un magasin spécialisé dans la distribution d'articles de bricolage sur la commune de Fleurance, située dans la zone de chalandise du projet, est incontestable. Le pétitionnaire ne peut lui opposer le bénéfice de la loi du 18 juin 2014 permettant la délivrance, depuis le 15 février 2015, de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, pour en déduire que l'autorisation contestée ne peut plus faire l'objet d'un recours direct en annulation alors que ces dispositions n'étaient pas encore entrées en vigueur à la date de la décision attaquée. La circonstance qu'un permis de construire relatif au projet lui a été délivré le 27 mars 2015 n'est pas de nature à modifier la nature et la portée de ce permis de construire et à exclure toute possibilité de recours direct contre l'autorisation d'exploitation commerciale, laquelle est en l'espèce indépendante de l'autorisation d'urbanisme, ainsi qu'il est au demeurant explicitement indiqué dans le permis ;

- les avis des ministres concernés recueillis par la commission, au regard de surcroît d'un dossier incomplet, n'ont pas été signés par des personnes habilitées. L'article R. 752-51 du code de commerce a ainsi été méconnu ;

- dans la mesure où le procès-verbal de la séance au cours de laquelle le projet a été examiné par la commission nationale ne lui a pas été communiqué, il ne peut être considéré que les dispositions de l'article R. 752-49 du code de commerce qui fixent notamment les conditions de convocation et de quorum des membres aient été respectées ;

- le dossier de demande ne contenait pas les éléments suffisants permettant d'apprécier l'impact prévisible du projet en termes d'aménagement du territoire, notamment en ce qui concerne les informations portant sur l'activité commerciale sur l'ensemble de la zone de chalandise et non sur la seule commune de Lectoure comme le rappellent les dispositions de l'article A. 752-1 du code de commerce, les flux de circulation en méconnaissance du c du 4° de l'article R. 752-6 du code de commerce, son insertion dans l'environnement au regard des discordances entre les descriptions et les documents graphiques, et le dimensionnement du parc de stationnement, et sur le développement durable (en l'absence de documents d'insertion paysagère vue de loin). L'avis défavorable émis par les ministres de l'urbanisme et de l'environnement ainsi que l'avis réservé du service instructeur devant la commission départementale soulignent très clairement les lacunes du dossier, lesquelles n'ont pas été comblées durant l'instruction devant la commission nationale ;

- le contrôle exercé sur le projet de création de ce magasin aurait dû conduire la CNAC à constater que celui-ci portait atteinte aux différents objectifs et critères fixés par l'article L. 752-6 du code de commerce ;

- le projet ne pourra qu'avoir un impact négatif sur les commerces implantés dans le centre-ville de Lectoure et l'animation de la vie urbaine et rurale. Le pétitionnaire a délibérément choisi de déplacer l'activité de sa grande surface alimentaire en dehors du tissu urbain de Lectoure, de sorte que ce déplacement a contribué à modifier les facteurs de fréquentation commerciale du centre-ville. La commune a bénéficié de subventions au titre du FISAC pour une opération de modernisation des pôles commerciaux et artisanaux. La circonstance rapportée dans le rapport d'instruction devant la CNAC qu'une association des commerçants aurait rédigé un courrier de soutien au projet, dans des conditions non déterminées, ne pouvait permettre à la commission de se dispenser d'examiner le contexte local, alors que de nombreux commerçants locaux spécialisés dans l'activité du bricolage et notamment des petits exploitants locaux sont implantés dans la zone de chalandise du projet, laquelle connaît une faible croissance démographique. En l'absence de toute étude et de tout diagnostic sur la répartition de l'équipement commercial et sur les orientations d'aménagement dans la communauté d'agglomération, et alors qu'un schéma de cohérence territoriale est envisagé, ni le pétitionnaire ni maire de cette commune ne peuvent sérieusement prétendre qu'il est justifié de développer l'attractivité de la commune de Lectoure. En outre, la SCI n'est pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un projet d'éco quartier, ou même de la création d'une zone d'activités, à supposer qu'ils soient effectivement réalisés, ce qui n'apparaît pas certain, dès lors qu'il n'est pas établi que ces projets présenteraient une quelconque connexion avec le magasin de bricolage autorisé ;

- le projet contrevient aux préconisations du plan local d'urbanisme de la commune dès lors que, prévu à proximité de deux moulins à vent, il ne peut s'intégrer dans le paysage et porterait atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. L'implantation antérieure de la grande surface alimentaire sur les lieux ne saurait constituer une justification des caractéristiques architecturales et paysagères insuffisantes du projet ;

- pour ce qui concerne l'aménagement du territoire, aucune étude de circulation n'a été réalisée sur la capacité des voies d'accès et des infrastructures routières. La capacité du giratoire existant au droit de l'ensemble commercial à absorber les flux de véhicules liés à la fréquentation de l'ensemble commercial en fin de semaine, en période de pic de fréquentation ou durant la saison estivale, n'a pas été justifiée, ni même examinée. La RN 21 est particulièrement encombrée avec, pour le comptage réalisé au plus près du site d'implantation, un trafic de l'ordre de 6 684 véhicules par jour et supporte une part de trafic poids lourds très importante. Le tronçon concerné apparaît au demeurant très accidentogène, alors qu'un seul accès à l'ensemble commercial est prévu. Le service instructeur devant la CDAC a souligné l'insuffisance du nombre de places de stationnements créées au regard de la fréquentation attendue du magasin, et la CNAC s'est abstenue de prendre position sur ce point. Enfin, le porteur du projet n'est pas en mesure d'établir que les voies internes de circulation garantiraient la sécurité des différents usagers du site, notamment des piétons, et la CNAC ne pouvait se fonder sur de futurs aménagements dont la réalisation n'est pas certaine.

- s'agissant de l'insertion environnementale et paysagère, le pétitionnaire s'est borné à des affirmations générales et stéréotypées concernant les caractéristiques environnementales du projet et n'a pris aucun engagement tendant à garantir une haute qualité environnementale de son projet, notamment en ce qui concerne la gestion des déchets et de l'énergie. La SCI ne fournit aucun élément en réponse aux ministres qui ont souligné l'absence dans le projet d'installations permettant la récupération et le traitement des eaux de pluie et des eaux usées ;

- le projet, situé dans une zone non urbanisée identifiée comme une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, est prévu à proximité des ruines de deux moulins à vent dans un secteur faisant l'objet de protection paysagère au plan local d'urbanisme de la commune. L'affirmation de la SCI selon laquelle il n'existerait aucune co-visibilité entre les moulins et le terrain d'assiette du projet est inexacte, l'un des moulins se trouvant précisément en face du terrain d'assiette de l'ensemble commercial litigieux. Le bâtiment envisagé ne témoigne d'aucun effort en termes de qualité architecturale ou d'insertion paysagère et le projet ne précise ni l'espèce ni la localisation des 49 arbres de haute tige qui doivent être plantés et ne pourra qu'entraîner une imperméabilisation accrue des sols. Les ministres en charge de l'urbanisme et de l'environnement consultés ont rendu un avis défavorable sur ce point ;

- la desserte du site par les transports en commun, caractérisée par la mise en place d'un service de transport à la demande assuré uniquement le vendredi, est inadaptée. Le projet engendrera des déplacements essentiellement automobiles, à proximité d'une voie de circulation déjà fortement empruntée et présentant une dangerosité certaine.

Par trois mémoires en défense enregistrés les 26 juin, 16 octobre et 22 décembre 2015, la société civile immobilière (SCI) Les Moulins de la Justice, représentée par Me Jauffret, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Jad d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SCI Les Moulins de la Justice fait valoir que :

- la requête de la société Jad est irrecevable ; la loi du 18 juin 2014 et son décret d'application du 12 février 2015 prévoient notamment que, pour les demandes de permis de construire en cours d'instruction à la date d'entrée en vigueur du décret, les autorisations d'exploitation commerciale valent avis favorables de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la commission nationale d'aménagement commercial. La demande de permis de construire a été déposée le 12 décembre 2014 et ledit permis a été délivré le 27 mars 2015, puis au demeurant régulièrement affiché sur le terrain. Ainsi, le permis de construire du projet était bien en cours d'instruction à la date de l'entrée en vigueur de ces dispositions, dont il résulte que l'avis de la commission est un avis simple ne pouvant faire l'objet d'un recours dans la mesure où il constitue un acte préparatoire intégré dans la procédure de délivrance des permis de construire.

- les signataires des avis des ministres recueillis par le commissaire du gouvernement de la Commission nationale, soit la sous-directrice de la qualité du cadre de vie pour le ministre en charge de l'écologie et du développement durable et l'adjoint au chef du service tourisme, commerce, artisanat et services pour le ministre en charge de l'économie disposaient d'une délégation régulière aux fins de signer au nom de leurs ministres respectifs ces avis, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil d'Etat. Au demeurant, il n'est pas établi qu'une éventuelle irrégularité des avis des deux ministres aurait eu une influence sur le sens de la décision de la commission ;

- l'absence de communication du procès verbal de la séance de la commission ne saurait à elle seule révéler la méconnaissance des dispositions de l'article R. 752-49 du code de commerce en ce qui concerne les conditions de délai de convocation des membres de la commission et de quorum. La société Jad ne développe pas ce moyen de façon suffisamment précise ;

- contrairement à ce que soutient la requérante, la commission nationale disposait de toutes les informations nécessaires lui permettant d'apprécier l'impact des flux de véhicules particuliers et de livraisons générés par le projet ou son incidence sur l'animation de la vie urbaine et rurale et sur les commerces environnants ou encore sur son insertion paysagère, étant entendu que le projet ne se situe pas en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager. A ce sujet, les vestiges des deux moulins évoqués par la requérante situés à 150 m du projet Bricomarché ne sont d'ailleurs pas protégés au titre des monuments historiques et aucune co-visibilité entre le projet et ces ruines de moulins n'est possible du fait de la présence du bâtiment de la grande surface alimentaire et des arbres implantés sur l'aire de stationnement. Un complément de dossier sur ces points et sur le trafic routier, dont les ministres n'ont pas eu connaissance lorsqu'ils ont rendu leur avis, a été adressé le 17 octobre 2014 à la commission, qui en a tenu compte. Les dispositions de l'article R. 752-6 dans sa rédaction issue du décret du 12 février 2015 ne peuvent être utilement invoquées puisqu'elles n'étaient pas en vigueur à la date de l'acte contesté ;

- le projet consiste en une extension d'un ensemble commercial existant par la création d'un magasin de bricolage et d'une jardinerie de 2 721 mètres carrés de surface de vente, à environ 1,7 km du centre de la commune, en bordure d'un axe routier structurant et important de la commune. La zone de chalandise a connu une progression positive de 4,47 % entre 1999 et 2011. La commune de Lectoure a une spécificité géographique et topographique en acropole, de telle sorte que son extension n'est possible que sur sa partie Est. L'aménagement d'un nouveau lotissement d'habitations de 18 lots nommé Eco quartier du Couloumé est prévu face au site commercial. L'association des commerçants et artisans Lectourois, représentant 80 adhérents, soutient le projet, alors que les commerces de proximité ne sont pas susceptibles d'être concurrencés par celui-ci ;

- le magasin sera relié au centre de la commune par une piste cyclable existante sur la RN 21, laquelle dispose également d'un cheminement piéton sur ces deux côtés et des liaisons cyclables et piétonnes sécurisées sont créées sur le site commercial. Le projet propose une offre absente de la commune, déficitaire notamment en matière de commerce d'équipement de la maison, le seul point de vente équivalent étant le magasin exploité par la requérante distant de 13 kilomètres. Un partenariat avec un pépiniériste local a été conclu. Le projet est donc de nature à réduire l'évasion commerciale vers les grandes surfaces de bricolage implantées à Agen ou Condom et ce, au bénéfice de l'ensemble des commerces de la zone de chalandise ;

- la circonstance que la commune fasse l'objet d'une opération au titre du FISAC n'interdit pas l'implantation d'une grande surface dans la mesure où celle-ci est justement de nature à favoriser le petit commerce. Le projet engendrera 15 nouveaux emplois à temps plein et proposera de nombreux services au consommateur ;

- le parc de stationnement prévu est de 321 places sur deux niveaux, soit près de 40 % de places de plus que l'offre actuelle, en tenant compte de l'effet saisonnier du mois d'août. Le risque de conflit entre les camions de livraisons et les clients soulevé par la direction départementale du territoire devant la CDAC est limité dans la mesure où d'une part, un plan de circulation comportant une signalisation adéquate interdisant notamment l'accès du parking aux poids lourds a été mis en place et où, d'autre part, les livraisons seront effectuées avant 9 heures du matin, soit en dehors des heures d'ouverture du magasin ;

- la commune n'a recensé aucun accident majeur à hauteur du site commercial. La fermeture de la base logistique des Mousquetaires de Lectoure doit entraîner une réduction conséquente du trafic poids lourds sur la RN 21. Ni l'étude produite par la requérante ni la circonstance qu'un seul accès entrée/sortie soit prévu via le giratoire de la RN 21 n'établissent une dangerosité spécifique au niveau du projet. L'augmentation du flux de véhicules est limitée à 3,4 % et sera absorbée par les infrastructures routières desservant le site d'implantation. Seuls deux véhicules assureront les livraisons journalières du magasin de bricolage ;

- l'isolation du bâtiment sera conforme à la réglementation thermique 2012 en vigueur et une étude thermique a été réalisée et jointe au complément de dossier adressé à la commission nationale. La qualité environnementale du projet est également de mise s'agissant de la consommation énergétique, le stockage des eaux pluviales dans une cuve enterrée de 100 mètres cubes et l'utilisation de ces eaux pour l'arrosage des plantes et l'alimentation des sanitaires et des points d'eau, le traitement des déchets ou encore l'insertion du projet dans son environnement par la plantation d'arbres et la végétalisation de la façade principale du magasin ;

- le site n'est pas dans la zone de protection du patrimoine architectural et paysager de la commune. Les vestiges de moulins situés à proximité du projet ne sont pas protégés au titre des monuments historiques et sont intégrés dans les espaces verts de l'ensemble commercial. L'architecture du bâtiment est similaire à celle de l'hypermarché de l'ensemble commercial. Les espaces verts représentent 39% de l'emprise foncière.

- s'il est exact que le site n'est à ce jour pas desservi par les transports en commun, ce critère ne saurait à lui seul fonder le refus d'autoriser l'exploitation commerciale du projet en litige.

Par ordonnance du 10 octobre 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 novembre 2016 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Paul-André Braud,

- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;

- et les observations de Me Jauffret, avocat de la SCI Le Moulin de la Justice ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 3 juillet 2014, la commission départementale d'aménagement commercial du Gers a délivré à la société civile immobilière " Les Moulins de la Justice " l'autorisation de procéder à l'extension de l'ensemble commercial comprenant un supermarché à l'enseigne Intermarché situé sur la commune de Lectoure par la création d'un magasin de bricolage et de jardinage à l'enseigne " Bricomarché " d'une surface de vente de 2 721 mètres carrés. La société Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean, qui exploite un magasin à l'enseigne " Weldom " à 11 km, dans la zone de chalandise de l'ensemble commercial en litige, a demandé à la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) d'annuler cette autorisation. Elle sollicite à présent l'annulation de la décision du 27 novembre 2014 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté son recours.

Sur la procédure suivie devant la commission nationale :

2. En premier lieu, l'article R. 752-51 du code de commerce, alors applicable, dispose que : " (...) Le commissaire du Gouvernement recueille les avis des ministres intéressés, qu'il présente à la commission. Il donne son avis sur les demandes examinées par la Commission nationale d'aménagement commercial au regard des auditions effectuées. " Il résulte de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005, relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, que les directeurs d'administration centrale peuvent signer, au nom du ministre et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité. En vertu de l'article 3 du même décret, les directeurs d'administration centrale peuvent donner délégation aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau équivalent pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles ils ont eux-mêmes reçu délégation.

3. Il résulte des dispositions combinées du décret du 27 juillet 2005 et de la décision du 19 novembre 2013, publiée au Journal officiel de la République française du 26 novembre 2013, que M.B..., directeur général de l'aménagement, du logement et de la nature, a donné à Mme F...G..., ingénieure en chef des ponts, des eaux et des forêts, délégation à l'effet de signer, au nom de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets, dans la limite des attributions de la sous-direction de la qualité du cadre de vie. De même, par l'article 29 de l'arrêté du 19 septembre 2014 publié au Journal officiel de la République française du 24 septembre 2014, M.A..., directeur général des entreprises, a donné à M. E...D..., administrateur civil hors classe, en application du décret susvisé, délégation à l'effet de signer, au nom du ministre en charge du commerce et du tourisme, tous actes, décisions, marchés ou conventions, dans la limite des attributions du service du tourisme, du commerce, de l'artisanat et des services. Mme G...et M. D...avaient de ce fait respectivement qualité pour signer au nom des ministres chargés de l'urbanisme et de l'environnement et du ministre chargé du commerce, les avis datés respectivement des 26 novembre et 20 novembre 2014 recueillis par le commissaire du gouvernement au titre de l'article R. 752-51 du code de commerce.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 752-49 du code du commerce, alors en vigueur : " La Commission nationale d'aménagement commercial se réunit sur convocation de son président. Les membres de la Commission nationale d'aménagement commercial reçoivent l'ordre du jour, accompagné des procès-verbaux des réunions des commissions départementales d'aménagement commercial, des décisions de ces commissions, des recours et des rapports des services instructeurs départementaux. / La commission ne peut valablement délibérer qu'en présence de cinq membres au moins. / Le secrétaire de la commission nationale d'aménagement commercial rapporte les dossiers. "

5. Si la société requérante soutient que les dispositions de l'article R. 752-49 du code de commerce relatives aux règles de délai de convocation des membres de la commission auraient été méconnues, ce moyen n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que cinq membres étaient présents à la réunion de la commission nationale lors de l'examen du projet en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la règle du quorum doit également être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 752-7 du code du commerce, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) II - La demande est également accompagnée d'une étude destinée à permettre à la commission d'apprécier les effets prévisibles du projet au regard des critères prévus par l'article L. 752-6. Celle-ci comporte les éléments permettant d'apprécier les effets du projet sur : / 1° L'accessibilité de l'offre commerciale ; / 2° Les flux de voitures particulières et de véhicules de livraison ainsi que sur les accès sécurisés à la voie publique ; / 3° La gestion de l'espace ; / 4° Les consommations énergétiques et la pollution ; / 5° Les paysages et les écosystèmes(...) ".

7. La société requérante soutient que le dossier de demande d'autorisation est insuffisant en ce qui concerne l'activité commerciale existante sur l'ensemble de la zone de chalandise et non sur la seule commune de Lectoure, les flux de circulation supplémentaires générés par le projet, le dimensionnement du parc de stationnement et l'insertion dans le paysage. Il ressort néanmoins des pièces du dossier que la demande d'autorisation comportait notamment des indications sur la fréquentation des routes desservant le projet et que l'évaluation des conséquences envisageables du projet, estimée à une augmentation du trafic de la RN 21 de 3 %, était limitée. Le rapport de présentation du projet fait notamment état de l'existence du " principal pôle d'activité commerciale de la zone de chalandise (...) situé à Fleurance, à 11,3 km au sud et 11 mn de trajet du projet " en détaillant les caractéristiques des magasins qui y sont implantés, dont celui exploité par la requérante. Les plans figurant dans le dossier de demande indiquent le nombre de places de stationnement créées, outre un parc existant de 236 places sur deux niveaux, soit 62 emplacements. En outre, le dossier de demande comporte des plans et des photographies de l'état actuel du terrain d'assiette et une vue future avec le projet, permettant ainsi d'apprécier son insertion dans son environnement. La circonstance qu'une étude de trafic plus fournie n'ait été produite qu'en complément du dossier initial et que les ministres n'en aient pas eu connaissance au moment de rendre leur avis ne saurait, dès lors que cette étude a été communiquée à la commission nationale préalablement à sa décision, caractériser une inexacte application des dispositions de l'article R. 752-7 précité.

Sur l'appréciation de la commission nationale :

8. Aux termes de l'article L. 750-1 du code de commerce : " Les implantations, extensions, transferts d'activités existantes et changements de secteur d'activité d'entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de la qualité de l'urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne ainsi qu'au rééquilibrage des agglomérations par le développement des activités en centre-ville et dans les zones de dynamisation urbaine. / Dans le cadre d'une concurrence loyale, ils doivent également contribuer à la modernisation des équipements commerciaux, à leur adaptation à l'évolution des modes de consommation et des techniques de commercialisation, au confort d'achat du consommateur et à l'amélioration des conditions de travail des salariés ". Selon l'article L. 752-6 du code de commerce dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsqu'elle statue sur l'autorisation d'exploitation commerciale visée à l'article L. 752-1, la commission départementale d'aménagement commercial se prononce sur les effets du projet en matière d'aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs. Les critères d'évaluation sont : / (...) 1° En matière d'aménagement du territoire : a) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et de montagne /b) L'effet du projet sur les flux de transports. (...) /2° En matière de développement durable : /a) La qualité environnementale du projet / b) Son insertion dans les réseaux de transports collectifs.". Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

9. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport d'instruction, que le projet est situé à 1,7 kilomètre du centre-ville dans une zone accueillant des activités commerciales et de l'habitat. Cette extension a pour finalité de proposer aux clients une offre de produits de bricolage et de jardinerie, actuellement inexistante sur la commune de Lectoure depuis la fermeture d'une moyenne surface spécialisée et d'une quincaillerie en centre-ville, alors que la zone de chalandise connaît une croissance démographique de près de 5 % depuis 1999 et, que la commune, station thermale, accueille par ailleurs de nombreux curistes et touristes. Elle est susceptible d'améliorer le confort d'achat des consommateurs sans avoir d'effet néfaste sur l'animation du centre-ville. A ce sujet, la circonstance que la commune a participé à des opérations et bénéficié de fonds au titre du FISAC ne saurait à elle seule révéler que ce projet méconnaîtrait l'objectif de protection des consommateurs ou celui de l'aménagement du territoire pour ce qui concerne son impact sur l'animation de la vie urbaine. Par ailleurs, s'agissant des flux de transport générés par le projet, si l'avis des ministres chargés de l'urbanisme et de l'environnement relève que le projet ne permet pas d'évaluer la capacité de la desserte existante, par la route nationale 21, à supporter une augmentation de trafic, l'avis du ministre chargé du commerce indique que cette route est suffisamment dimensionnée pour supporter la faible augmentation du trafic générée par le projet, laquelle est estimée selon le complément du dossier de demande adressé à la commission nationale à 3,4 % .

10. Si la société Jad soutient que le seul accès des véhicules au magasin n'est pas sécurisé car il est partagé par les clients et les véhicules de livraison, cette circonstance ne met pas en évidence l'existence d'un risque alors que la fréquence des livraisons effectuées en semaine, à raison de 2 camions par jour en moyenne en dehors des heures d'ouverture du magasin au public, demeure raisonnable. Enfin, la circonstance que le projet ne soit pas directement desservi par les transports en commun ne saurait, eu égard à la nature du commerce projeté, spécialisé en équipement de la maison, permettre à elle seule de regarder le projet comme de nature à compromettre la réalisation de l'objectif de développement durable.

11. La société requérante soutient que le projet ne comporte pas de mesures concrètes destinées à limiter son impact sur l'environnement. Il ressort cependant des pièces du dossier, et notamment du rapport de la direction départementale des territoires devant le commission départementale, que le projet respecte la règlementation thermique 2012 et prévoit, contrairement à ce que soutient l'appelante, un système de récupération et de traitement des eaux pluviales. En outre, si le projet n'augmente pas la surface des espaces verts, lesquels occupent au demeurant près de 40 % de la surface de la parcelle d'assiette de l'ensemble commercial, il prévoit, outre la conservation des arbres existants, la plantation de 49 arbres supplémentaires. Enfin, et alors que le terrain d'assiette ne se situe pas en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, la présence aux abords du magasin de deux vestiges de moulins, au demeurant intégrés dans l'espace vert situé à l'arrière du supermarché existant, n'est pas davantage de nature à justifier le refus de l'extension. Ainsi l'insertion du projet dans son environnement, lequel ne présente pas de caractéristiques naturelles ou remarquables particulières, est suffisamment assurée.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par la SCI Les Moulins de la Justice, que la société Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que la commission nationale a rejeté son recours.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société intimée, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean la somme demandée par la SCI " Les Moulins de la Justice " au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société civile immobilière " Les Moulins de la Justice " présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Jad société d'exploitation des établissements Derrey Jean, à la société civile immobilière " Les Moulins de la Justice " et au ministre de l'économie (Commission nationale d'aménagement commercial). Copie en sera adressée pour information au maire de Lectoure et au préfet du Gers.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. Paul-André Braud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 juin 2017.

Le rapporteur,

Paul-André BRAUDLe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Vanessa BEUZELIN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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No 15BX00986


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15BX00986
Date de la décision : 22/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

14-02-01-05-02-02 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Réglementation des activités économiques. Activités soumises à réglementation. Aménagement commercial. Procédure. Commission nationale d`aménagement commercial.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Paul-André BRAUD
Rapporteur public ?: M. NORMAND
Avocat(s) : CABINET WILHELM et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2017-06-22;15bx00986 ?
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