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10/02/2005 | FRANCE | N°02DA00489

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation a 3, 10 février 2005, 02DA00489


Vu la requête, enregistrée le 12 juin 2002 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour ELECTRICITE DE FRANCE (EDF) dont le siège est 2 rue L. Murat à Paris, par Me Julia ; EDF demande à la Cour :

1') de réformer le jugement n° 95-1046 du Tribunal administratif de Rouen en date du

12 avril 2002 qui a condamné solidairement la société CFEM et le bureau de contrôle Socotec à lui verser la somme de 15 244,90 euros en réparation des désordres affectant la boulonnerie de la passerelle de la centrale de Paluel, somme assortie des intérêts au t

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30 juin 1995, a mis, à concurrence de 25 %, les frai...

Vu la requête, enregistrée le 12 juin 2002 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour ELECTRICITE DE FRANCE (EDF) dont le siège est 2 rue L. Murat à Paris, par Me Julia ; EDF demande à la Cour :

1') de réformer le jugement n° 95-1046 du Tribunal administratif de Rouen en date du

12 avril 2002 qui a condamné solidairement la société CFEM et le bureau de contrôle Socotec à lui verser la somme de 15 244,90 euros en réparation des désordres affectant la boulonnerie de la passerelle de la centrale de Paluel, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du

30 juin 1995, a mis, à concurrence de 25 %, les frais de l'expertise à la charge solidaire de la société CFEM et du bureau de contrôle Socotec, a rejeté les conclusions d'appel en garantie formées par la société CFEM à l'encontre de la société AIG Europe et de la société Stockinox, venant aux droits de la société Sopralor, comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, a condamné le bureau de contrôle Socotec à garantir la société CFEM des condamnations prononcées à son encontre, a condamné solidairement la société CFEM et le bureau de contrôle Socotec à verser à EDF la somme de 750 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et la société CFEM à verser la somme de 460 euros à la société AIG Europe sur le même fondement et a, enfin, rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

2°) de condamner conjointement et solidairement la société CFEM et le bureau de contrôle Socotec à lui verser la somme 6 613 657 francs (1 008 245,51 euros) au titre du renforcement de la passerelle, la somme de 3 361 406 francs (512 443,04 euros) au titre du surcoût des navettes, la somme de 10 525 000 francs (1 604 525,91 euros) au titre du préjudice immatériel perte de temps , la somme de 250 000 francs (38 112,25 euros) à titre de dommages et intérêts, la somme de 200 000 francs (30 489,80 euros) à titre de frais irrépétibles, la somme de 431 958 francs

(65 851,57 euros) représentant le montant des frais d'expertise de MM X et Y avancés par EDF, les indemnités allouées à EDF portant intérêts au taux légal à compter des dates indiquées dans le corps du mémoire, enfin d'ordonner la capitalisation des intérêts échus ;

EDF soutient qu'au vu du rapport de l'expert, la responsabilité de la CFEM est incontestable tant en ce qui concerne la boulonnerie que les soudures ; que le bureau de contrôle Socotec a également engagé sa responsabilité en permettant la levée des réserves sur les travaux exécutés par la société CFEM, en autorisant sans étude poussée la mise en circulation de la passerelle et en approuvant une conception et une exécution de travaux qui devaient ensuite s'avérer défectueuse ; que c'est à tort, compte tenu des risques existants, que le Tribunal a estimé, contrairement au rapport de l'expert, que la fermeture de la passerelle décidée par EDF n'était pas justifiée ; qu'au vu du rapport de l'expert, le préjudice d'EDF est essentiellement lié à l'arrêt d'utilisation de la passerelle et à son renforcement ; que cette fermeture a engendré des coûts de transport supplémentaires ; qu'aucune entreprise n'a jamais accepté de se prononcer en faveur de la réouverture de la passerelle ; que l'expert a entériné le choix technique d'EDF en ce qui concerne le renforcement de la passerelle ; que le surcoût des navettes a été intégralement justifié auprès de l'expert ; que la réparation s'étend aux préjudices de toute nature subis par la victime dont les préjudices immatériels ; que la fermeture de la passerelle s'est traduite par une perte de temps incontestable pour le personnel concerné ; que l'indemnisation forfaitaire retenue par l'expert n'est pas justifiée au regard de l'approche alternative plus proche de la réalité présentée par EDF ; qu'alors que la responsabilité de la société CFEM était flagrante, cette dernière n'a, à aucun moment, proposé de remédier efficacement aux désordres patents obligeant EDF à prendre les mesures qui s'imposaient ; qu'il a dû mobiliser pendant 4 années et demi de procédure un personnel important notamment pour produire les dossiers réclamés et participer aux opérations d'expertise ; qu'il est donc bien fondé à demander réparation de dommages et intérêts ainsi que le montant des frais irrépétibles ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2003, présenté pour la Compagnie Française d'Entreprise Métallique dite CFEM dont le siège est immeuble Le Pacifique à Paris La Défense

7, 11-13 cours de Valmy à Puteaux (92800), par le cabinet HPMBC et Z ; la CFEM demande à la Cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il la déclare responsable du préjudice subi par EDF, à titre principal, de débouter EDF de toutes demandes de condamnation dirigées à son encontre, à titre subsidiaire, de limiter ces condamnations à la somme de 177 000 francs au titre du renforcement de la passerelle, à la somme de 3 361 406 francs au titre du surcoût des navettes, à la somme de 2 400 000 francs au titre du préjudice immatériel pour perte de temps, de débouter EDF de toute autre demande, de condamner Socotec à relever et garantir la CFEM de toutes condamnations prononcées ou dirigées à son encontre ; la CFEM soutient que l'ouvrage incriminé n'était nullement rendu impropre à sa destination du fait de la présence de quelques écrous défectueux qui étaient d'ailleurs régulièrement changés par la société Sopralor ; qu'EDF cumulait la qualité de maître d'ouvrage et de maître d'oeuvre outre celle de contrôleur d'exécution, Socotec n'ayant en charge que le contrôle des études ; qu'EDF a accepté et entériné sans réserve une situation dont il était parfaitement informé alors qu'il disposait de services techniques hautement spécialisés ; que les défauts d'origine qui n'avaient pas justifié au départ une fermeture de la passerelle ne s'étaient pas aggravés ainsi que l'expert l'a admis ; que l'expert n'a pas expliqué les raisons justifiant après coup la fermeture de la passerelle ; qu'à défaut de toute démonstration probante de la nécessité technique de fermer ou de renforcer la passerelle, les craintes d'EDF étaient infondées ; que si EDF avait néanmoins toute liberté d'ouvrir ou de fermer la passerelle, il ne pouvait pour autant faire partager et encore moins supporter cette décision par les autres intervenants à l'acte de construire ; qu'à titre subsidiaire, il sera rappelé que le Tribunal a distingué les désordres atteignant la boulonnerie (apparus après réception de l'ouvrage) des fissurations des soudures (apparentes dès réception) ; que les écrous n'intervenaient en aucun cas dans la solidité de l'ouvrage et qu'ils ne pouvaient servir de justification à la fermeture de la passerelle ; que la question de la tenue des écrous relève de la seule responsabilité de la société Sopralor ; qu'en tant que de besoin, la société Sopralor devra être condamnée à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre au titre des désordres liés aux écrous ; que les défauts de soudure ne présentaient pas de danger à condition que des contrôles réguliers soient effectués par EDF ; que la classification de soudures en fonction du niveau de contrôle exigé a été accepté par Socotec ; que les anomalies n'avaient pas évolué depuis la mise en service de la passerelle ; que la situation parfaitement connue de tous depuis 1980, avant réception de l'ouvrage, n'avait fait l'objet d'aucune critique ; que le vice était apparent dès 1981 ; qu'il n'y a pas eu généralisation du processus de fissuration ; qu'il suffisait de procéder au remplacement des écrous défaillants ; que les problèmes rencontrés n'ont pas été de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ; que le fait que la CFEM ait proposé des travaux afin de pallier les désordres constatés ne constitue nullement une reconnaissance implicite de responsabilité de sa part ; qu'en tout état de cause, la Socotec devrait garantir la CFEM de toutes condamnations prononcées à son encontre à raison des désordres liés aux soudures ; que la responsabilité du bureau de contrôle Socotec, qui a permis la réception sans réserve, est engagée dans la mesure où il n'a pas effectué un calcul de fatigue plus poussé de l'alliage utilisé suite notamment au rapport de l'Institut de soudure du 29 décembre 1980 révélant des anomalies ; que le coût des travaux nécessaires sur la passerelle a été chiffré à 177 000 francs ; que le préjudice invoqué lié au renforcement de l'ouvrage est sans rapport avec la réalité mais correspond à des options décidées par EDF ; qu'il doit donc en supporter le coût ; que le préjudice lié au surcoût des navettes demeure sujet à caution dans son principe dans la mesure où il résulte d'une décision prise par EDF de manière unilatérale ; qu'en tout état de cause, Socotec devrait la garantir sur ce point également ; que le préjudice lié au coût de la main d'oeuvre perdue est également lié à la décision unilatérale

d'EDF de fermer la passerelle ; que l'expert n'a nullement retenu les chiffres fantaisistes avancés par EDF pour chiffrer ce coût ; qu'en tout état de cause, Socotec devra la garantir également sur ce point ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 mai 2003 par télécopie et son original enregistré le

7 mai 2003, présenté pour la société AIG Europe dont le siège est tour American International à Paris La Défense 2 (92079), par Me Roine ; la société demande à la Cour de constater que ni EDF, ni la société CFEM ne demandent l'infirmation du jugement attaqué en tant qu'il la concerne et de rejeter toutes conclusions contraires qui pourraient viser à la réformation dudit jugement comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, de confirmer par conséquent le jugement entrepris en toutes dispositions la concernant, de condamner EDF ou toute autre partie succombante à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 mai 2003, présenté pour EDF qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et, en outre, par les moyens qu'il ressort clairement des travaux de l'expert qu'il est inexact de dire, comme le fait le Tribunal, que les fissurations sur les cordons de soudure étaient apparentes dès avant la réception de la passerelle ; qu'elles n'ont été mises en évidence qu'en 1990 selon les constatations de l'Apave Normandie ; qu'en outre, pour être exclus du champ de la garantie décennale, il faut que les vices apparents se soient révélés dans toute leur conséquence lors de la réception définitive, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'ils doivent être réparés par le jeu de la garantie décennale ; que les analyses effectuées par l'Institut de soudure en 1991 sur les soudures des palplanches ont mis en évidence des fissures inconnues jusque-là ; que si ces fissurations avaient été connues, elles n'auraient pu donner lieu à une autorisation de mise en service par un organisme agréé ; que le calcul de fatigue plus poussé aurait dû être proposé à EDF par la CFEM et Socotec ; qu'EDF avait pu légitimement considérer que les réserves avaient été levées quant à l'utilisation de la passerelle ; que CFEM se borne à affirmer, sans fournir aucune pièce justificative, qu'EDF cumulait les qualités de maître d'ouvrage et de maître d'oeuvre outre celle de contrôleur d'exécution ; qu'il est inexact de prétendre que les analyses concluent à une absence d'évolution des fissures ; que le rapport de l'Institut de soudure de 1980 ne permet pas de façon certaine de l'exclure et l'examen pratiqué par l'Apave en 1990 met en évidence le caractère évolutif de la fissuration ; qu'EDF ne connaissait pas le risque lié aux soudures effectuées par CFEM ; que les soudures n'ont pas été réalisées correctement ; que si EDF avait eu connaissance de ces malfaçons, il n'aurait jamais accepté la mise en exploitation de la passerelle ; qu'un calcul de fatigue supplémentaire et un contrôle de fabrication auraient été nécessaires ; que CFEM était maître d'oeuvre et Socotec contrôleur technique ; qu'ils ont tous deux levé les réserves sans avoir pratiqué le contrôle de fatigue complémentaire ; que la passerelle a été construite sur un site de production nucléaire ; que Socotec était incontestablement investi d'une mission de conseil et de surveillance des travaux ; qu'il a participé à la levée des réserves ; qu'il a renoncé aux vérifications qui étaient de sa responsabilité ; qu'il a approuvé les plans élaborés par CFEM malgré les difficultés techniques rencontrées ; qu'il a engagé sa responsabilité ; que CFEM ne précise pas les raisons qui devraient conduire à limiter à 177 000 francs le coût de la réfection de la passerelle ; qu'EDF a suffisamment justifié le coût des navettes en produisant les factures du transporteur ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 juin 2003, présenté pour la SA Stockinox, dont le siège est

1 à 3 avenue Clémenceau à Villepinte (93421), par la SCP Lafarge Flecheux Campana Le Blevennec ; la société Stockinox demande à la Cour de la mettre hors de cause ou de déclarer irrecevable la demande formulée par la CFEM à son encontre, en tout état de cause de se déclarer incompétente pour connaître du litige qui les oppose ; elle soutient que la solution d'incompétence retenue par les premiers juges et qui n'est pas contestée devra être confirmée en appel ; que le juge n'a pas la possibilité de statuer ultra petita sur ce point ; que les demandes d'intimé à intimé qui tendent, en l'absence d'appel principal particulier, à remettre en cause les situations respectives des deux intimés découlant du jugement sont irrecevables ; que le juge administratif n'est pas compétent pour connaître des rapports résultant d'un contrat de droit privé entre personnes privées ;

Vu les mémoires récapitulatifs, enregistrés les 11 juillet et 16 octobre 2003, présentés pour la Compagnie Française d'Entreprise Métallique dite CFEM qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire et, en outre, à ce que la Cour condamne la société Stockinox, venant aux droits de la société Sopralor, à la relever et à la garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre ; elle reprend ses précédents moyens et soutient, en outre, qu'elle n'avait pas, contrairement à ce que prétend EDF, la qualité de maître d'oeuvre, fonction assurée directement par EDF ; que la responsabilité du maître d'oeuvre est engagée tant au niveau de la réception de l'ouvrage qu'en ce qui concerne la fermeture de la passerelle et sa réouverture ; que les vices concernant les soudures étaient non seulement connus avant la réception mais s'étaient manifestés dans toute leur ampleur à cette date ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 novembre 2003, présenté pour la société Socotec dont le siège est 31 avenue Pierre de Coubertin à Paris (75013), par la SCP Châtenet Joint-Lambert : la société Socotec demande à la Cour de rejeter l'appel d'EDF, de rejeter la demande d'appel en garantie présentée par la CFEM à son encontre, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué, à titre subsidiaire, de prononcer sa mise hors de cause et encore, en cas de condamnations prononcées en appel contre elle, de condamner la CFEM à la relever et à la garantir entièrement des condamnations prononcées à son encontre, enfin de condamner EDF à lui verser la somme de

5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; la société Socotec soutient que la thèse développée par EDF selon laquelle les fissurations manifestes que présentaient les soudures au moment où la décision de fermeture de la passerelle a été prise en mars 1990 et les fissurations d'origine étaient distinctes des défauts connus lors de la mise en service de la passerelle en 1981, est contredite par les faits eux-mêmes tels qu'ils sont rapportés par les experts judiciaires suite aux examens réalisés sur les installations ; qu'EDF tente en vain de justifier sa décision de fermeture de la passerelle prise le 16 mars 1990 par les conclusions du rapport de l'Apave daté du même jour ; que, si elle n'entend pas contester le jugement en ce qui concerne la nécessité de procéder au remplacement de la totalité des écrous défaillants, elle fait valoir qu'il conviendra dans cette hypothèse de le confirmer également en ce qu'il a condamné la CFEM à la garantir intégralement du préjudice ainsi subi par EDF ; qu'elle n'a jamais été investie d'une mission d'études, aussi bien au stade de la conception que de l'exécution des ouvrages, contrairement à ce qui a été écrit à plusieurs reprises par EDF ou par la CFEM ; qu'EDF, maître d'ouvrage, a également assumé les missions de maître d'oeuvre ; que cet établissement est d'ailleurs doté de services compétents pour ce faire ; que la mission de Socotec ne s'étendait, ni au contrôle de fabrication, ni au contrôle de l'exécution des travaux ; qu'elle a porté en premier lieu sur l'examen des notes de calculs et de plans de la passerelle aluminium, travail exécuté de mars à novembre 1979 ; qu'elle a également répondu à une commande supplémentaire d'EDF portant sur l'examen d'une nouvelle note de calculs des couples et sur l'examen de divers problèmes technologiques ; qu'elle n'a donc exercé qu'un rôle restreint ; qu'elle a enfin souligné dès 1979 la nécessité d'essais ; que les défauts allégués par EDF ne relèvent ni de la conception de l'ouvrage, ni de son dimensionnement, mais de défauts au stade soit de la fabrication, soit de la réalisation des travaux ; qu'elle a parfaitement et complètement exécuté sa mission ; que, contrairement à ce qu'EDF soutient et à ce qu'a retenu l'expert, elle s'était, par une lettre circonstanciée du 25 octobre 1990 communiquée à l'homme de l'art, exprimée sur la fermeture de la passerelle et avait émis toutes réserves sur la nécessité technique de cette fermeture au regard des éléments portés à sa connaissance ; que les travaux de renforcement de la passerelle dont EDF demande la réparation ont été entrepris de sa propre initiative sans aucun contrôle ni justificatifs par l'expert ou les parties au litige ; qu'ils ne sauraient dans ces conditions être pris en considération ; que la position de l'expert sur le chiffrage du surcoût des navettes n'est assortie d'aucune justification, notamment de son sapiteur, et repose sur des contradictions entre différentes parties du rapport ; que le préjudice immatériel pour perte de temps n'est pas davantage justifié par des constatations objectives de l'expert mais repose sur une appréciation aléatoire de l'homme de l'art ; que les dommages et intérêts dont EDF prétend être victime correspondent aux tâches normales d'un service contentieux propre à l'établissement public ; qu'EDF a en outre de manière répétée fait de la rétention d'information ; que le montant important des frais irrépétibles réclamés n'est pas davantage justifié ; qu'elle a dû suivre de longues opérations d'expertise alors que la procédure engagée contre elle n'était aucunement justifiée ;

Vu le mémoire récapitulatif, enregistré le 2 février 2004, présenté pour la SA Stockinox, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;

Vu le code civil et notamment ses articles 1792 et 2270 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 janvier 2005 à laquelle siégeaient M. Merloz, président de chambre, M. Yeznikian et M. Dupouy, présidents-assesseurs :

- le rapport de M. Yeznikian, président-assesseur ;

- les observations de Me Jegu, pour ELECTRICITE DE FRANCE, et de Me Join-Lambert, pour la société Socotec ;

- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'entre 1979 et 1982, EDF a confié, sur le site de la centrale nucléaire de Palluel, la réalisation d'une passerelle de liaison entre l'entrée principale et divers bâtiments administratifs ainsi qu'une cantine, à la société CFEM sous le contrôle technique de la société Socotec : que cet ouvrage d'une portée de 90 mètres (comprenant un appui central) et composé de plusieurs éléments en aluminium a connu divers problèmes affectant les soudures et les écrous ; que le Tribunal administratif de Rouen n'a, par son jugement attaqué du 12 avril 2002, que partiellement fait droit à la demande de réparation présentée par EDF sur le terrain de la garantie décennale ;

Sur l'appel principal d'EDF et l'appel incident de la société CFEM :

En ce qui concerne le caractère apparent des fissures au droit des soudures :

Considérant que si des défauts de soudure, lors du contrôle des deuxième et troisième tronçons de la passerelle, avaient été décelés dès 1980 avant la réception de l'ouvrage, ils n'avaient pas alors été considérés, suite à des analyses en laboratoire, comme étant incompatibles avec l'usage de la passerelle ; qu'il résulte, par ailleurs, de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que l'extension et la gravité de ces désordres, bien que non évolutifs, n'ont été mis en évidence, dans toute leur ampleur et avec toutes leurs conséquences, que suite à de nouvelles analyses en laboratoire effectuées en 1991, soit postérieurement à la réception de l'ouvrage et neuf ans après sa mise en service ; que, dans ces conditions, les vices affectant les soudures ne pouvaient être regardés comme présentant un caractère apparent à la date de ladite réception ;

En ce qui concerne la nature des désordres affectant les écrous :

Considérant que les désordres affectant les écrous ne pouvaient en aucun cas , selon l'expert, avoir une conséquence directe sur la fermeture de la passerelle ; qu'il ne résulte d'aucun autre élément de l'instruction qu'ils étaient de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'EDF et la société CFEM sont fondés à soutenir, chacun pour leur part, que c'est à tort que le Tribunal administratif de Rouen a, dans le premier cas, écarté du champ de la responsabilité décennale les désordres relatifs aux fissures des soudures et a, au contraire, dans le second cas, inclus les désordres affectant les écrous dans le champ de cette garantie ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par EDF ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la nature des désordres affectant les soudures :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert que les résultats obtenus en 1991 à propos des fissures des soudures, faisaient obstacle au maintien de la mise en service de la passerelle destinée au déplacement du personnel de la centrale nucléaire de Palluel ; qu'aucun autre résultat, reposant notamment sur un échantillon plus représentatif, n'est venu contrarier cette conclusion ; que, par suite, les désordres affectant les soudures compromettaient la solidité de l'ouvrage et le rendaient impropre à sa destination ;

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres et le partage de responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société CFEM était chargée de la conception et de l'exécution de la passerelle et que la société Socotec, chargée du contrôle technique, est intervenue au stade de la conception de l'ouvrage en validant les plans et les notes de calcul fournies par la société CFEM ainsi qu'au stade de l'exécution lors du contrôle des soudures notamment en validant la classification des différents types de soudure exécutées sur l'ouvrage proposée par la société CFEM, en proposant des essais de fatigue et en autorisant la mise en service de la passerelle à partir de fin février 1981 ; que, selon l'expert, les désordres étaient imputables tant à la conception originale de l'ouvrage, au caractère délicat de l'exécution des soudures sur un ouvrage en aluminium, à des essais de fatigue insuffisants avant mise en service qu'à l'absence de contrôleur de fabrication ; qu'ils engagent par suite la responsabilité solidaire de la société CFEM et de la société Socotec sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que l'absence de contrôleur de fabrication incombe toutefois à EDF en sa qualité de maître d'ouvrage ; qu'il n'est pas en outre sérieusement contredit que, compte tenu de l'importance et de la qualité de ses services techniques, EDF a également assumé de fait, au moins partiellement, la maîtrise d'oeuvre de l'opération ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par suite, de limiter à

50 % la part de responsabilité que la société CFEM et la société Socotec devront supporter ;

Sur les préjudices :

Considérant qu'EDF demande réparation des préjudices résultant des travaux de renforcement de la passerelle ainsi que des conséquences de la fermeture de la passerelle pendant deux ans ; qu'il sollicite en outre réparation de dommages et intérêts nés de la procédure contentieuse et expertale ;

En ce qui concerne le renforcement de la passerelle :

Considérant que si les travaux de renforcement de la passerelle ont été conduits en 1992 sur la base des conclusions d'un rapport privé SETEC commandé par EDF, sans que ce dernier ait prévenu l'expert M. Y ou les autres parties aux opérations d'expertise, cette circonstance ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'indemnisation du coût desdits travaux ; que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, la fermeture de la passerelle ne constituait pas un simple choix de gestion mais était imposée pour des raisons de sécurité ; que l'expert judiciaire a, quant à lui, convenu que la solution retenue par EDF sur la base du rapport SETEC, si elle était la plus coûteuse, était également la seule, en l'état des documents disponibles, de nature à prévenir tout risque lié aux fissures des soudures ; que ces constatations ne sont pas sérieusement contredites ; qu'il y a lieu, par suite, de retenir le montant de 6 613 657 francs fixé par l'expert au titre des travaux de renforcement de la passerelle et qui ont permis de la rendre à sa destination ;

En ce qui concerne les surcoûts en navettes et en frais de personnel :

Considérant qu'EDF demande une indemnité couvrant les frais d'exploitation spécifiques générés par la fermeture de la passerelle entre mars 1990 et mars 1992 ; qu'il est constant que cette fermeture a nécessité la mise en place de navettes de transports du personnel entre différents points du site qui n'étaient plus reliés par l'ouvrage ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que cet allongement des acheminements s'est également répercuté sur les coûts de production en termes de temps de travail perdus ; que les surcoûts provoqués par cette fermeture présentent, dans les conditions de l'espèce, un lien de causalité suffisamment direct et certain avec les désordres imputables aux constructeurs ; que le rapport de l'expert, qui n'est pas entaché de contradiction, a chiffré à 3 361 406 francs le coût de ce service de navettes supplémentaire ; que cette évaluation n'est pas sérieusement contestée ; qu'il y a lieu de la confirmer ; que si, par ailleurs, EDF conteste la méthode et le résultat de l'expertise en ce qui concerne le chiffrage du surcoût de la main d'oeuvre, il ne fournit pas les éléments qui permettraient d'établir la réalité des sommes qu'il propose et qui sont nettement supérieures aux résultats dégagés par l'expert, lequel s'était vu adjoindre un sapiteur pour l'estimation desdits surcoûts ; que, par suite, il y a lieu de retenir le montant de 2 400 000 francs fixé par le rapport d'expertise en ce qui concerne les surcoûts de main d'oeuvre ;

En ce qui concerne les dommages et intérêts :

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'EDF qui dispose notamment de services techniques et contentieux spécialisés et étoffés, ait subi un dommage spécifique du fait du déroulement de la procédure engagée devant l'expert et la justice, et qui trouverait son origine dans le comportement des constructeurs ; qu'une telle demande, qui recouvre d'ailleurs totalement ou en grande partie, les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peut, par suite, qu'être rejetée ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que les frais de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire ont été liquidés et taxés au montant de 431 958 francs ; que cette expertise a été utile ; qu'EDF est fondée à demander que les frais ainsi exposés soient pris en compte au titre de l'indemnité qui lui est due ;

En ce qui concerne le montant de la condamnation :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le montant des indemnités dues au titre du renforcement de la passerelle, des surcoûts des navettes, des surcoûts en frais de personnel et du montant des frais d'expertise s'élève à la somme globale de 12 807 021 francs ; que, compte tenu du partage de responsabilité retenu précédemment, la société CFEM et la société Socotec seront condamnées à verser solidairement à EDF la somme globale de 6 403 510,50 francs

(976 208,88 euros) ;

Considérant que cette somme portera intérêts à compter, non des échéances diverses indiquées par EDF, mais à compter du 30 juin 1995, date d'introduction de sa demande devant le Tribunal administratif de Rouen qui, en l'espèce, a fait naître à l'égard des constructeurs leur obligation de payer ;

Considérant qu'EDF a demandé la capitalisation des intérêts à compter du 30 juin 1995 ; qu'à cette date, il n'était pas dû d'intérêts pour une année entière ; que la capitalisation s'est accomplie en revanche le 30 juin 1996, même sans nouvelle demande, ainsi qu'à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande tant à la date du

30 juin 1996 qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions de première instance présentées par EDF sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de porter à 6 000 euros

(39 357,42 francs), sur les 200 000 francs demandés par EDF, la somme de 760 euros qui avait été mise, par le Tribunal administratif de Rouen, à la charge solidaire de la société CFEM et de la société Socotec au titre des frais exposés, en première instance, par EDF et non compris dans les dépens ;

Sur les appels provoqués de la société CFEM et de la société Socotec :

En ce qui concerne les appels en garantie croisés de la société CFEM et de la société Socotec :

Considérant que si, entre 1979 et 1981, la société Socotec a émis diverses réserves à propos des travaux réalisés par la société CFEM dans le cadre de sa mission de conception ou d'exécution, ce bureau de contrôle a également commis une faute en s'abstenant, ainsi que l'expert l'a relevé, de proposer des calculs de fatigue plus poussés eu égard aux problèmes de porosité constatés au niveau des soudures ; que ce manquement a directement contribué aux désordres dont EDF a cherché la réparation ; qu'il sera fait une juste appréciation des fautes respectives du bureau de contrôle et de l'entreprise principale en limitant à 20 % la part que la société Socotec devra supporter ; que, par suite, la société CFEM sera garantie à concurrence de 20 % par la société Socotec des condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt et la société Socotec sera garantie à concurrence de 80 % par la société CFEM des condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt ;

En ce qui concerne l'appel en garantie de la société CFEM contre la société Stockinox :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Sopralor, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Stockinox, avait la qualité de fournisseur en boulons de la société CFEM ; que, par suite, les liens qui unissaient ces deux sociétés étaient normalement régis par le droit privé ; qu'il n'appartient pas, par suite, au juge administratif d'en connaître ; que la société CFEM n'est donc pas fondée à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Rouen attaqué qui a rejeté sa demande d'appel en garantie dirigée contre la société Stockinox comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

Sur les conclusions d'appel tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la société CFEM et de la société Socotec la somme de 15 000 euros sur les 200 000 francs

(30 489,80 euros) qu'EDF demande, en appel, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge d'EDF, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société Socotec ou que la société AIG Europe demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de mettre à la charge d'EDF ou de toute autre partie succombante la somme que la société AIG Europe réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La société CFEM et la société Socotec sont solidairement condamnées à verser à EDF la somme de 976 208,88 euros (6 403 510,50 francs). Cette somme sera augmentée des intérêts légaux à compter du 30 juin 1995. Les intérêts échus à la date du 30 juin 1996 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La société CFEM et la société Socotec sont solidairement condamnées à verser à EDF la somme de 6 000 euros au titre de la première instance et 15 000 euros au titre de l'appel, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société CFEM garantira à concurrence de 80 % la société Socotec des condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt.

Article 4 : La société Socotec garantira à concurrence de 20 % la société CFEM des condamnations prononcées à son encontre par le présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions d'EDF, de la société CFEM et de la société Socotec est rejeté.

Article 6 : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 12 avril 2002 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à ELECTRICITE DE FRANCE, à la société CFEM, à la société Socotec, à la société Stockinox, à la société AIG Europe et au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

Délibéré après l'audience du 27 janvier 2005 à laquelle siégeaient :

- M. Merloz, président de chambre,

- M. Yeznikian, président-assesseur,

- M. Dupouy, président-assesseur,

Lu en audience publique, le 10 février 2005.

2

N°02DA00489


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 02DA00489
Date de la décision : 10/02/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Merloz
Rapporteur ?: M. Olivier Yeznikian
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS JEAN-BENOIT JULIA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2005-02-10;02da00489 ?
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