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03/03/2005 | FRANCE | N°03DA01243

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (ter), 03 mars 2005, 03DA01243


Vu le recours, enregistré le 28 novembre 2003 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 00-900 et 02-3351 du 9 octobre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lille a déchargé la SA Nouvelle Rizerie du Nord des contributions qui avaient fait l'objet de titres de perception en dates des 10 janvier 2000 et 23 juillet 2002 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SA Nouvelle Rizerie du Nord devant le Tribunal a

dministratif de Lille ;

Le ministre soutient que la réponse en date d...

Vu le recours, enregistré le 28 novembre 2003 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ ; le ministre demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 00-900 et 02-3351 du 9 octobre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lille a déchargé la SA Nouvelle Rizerie du Nord des contributions qui avaient fait l'objet de titres de perception en dates des 10 janvier 2000 et 23 juillet 2002 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la SA Nouvelle Rizerie du Nord devant le Tribunal administratif de Lille ;

Le ministre soutient que la réponse en date du 18 août 1998 est étrangère aux procédures concernées ; que les pénalités étaient motivées par le fait que M. X ne relevait d'aucune des catégories bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés et non par le fait que sa résidence l'empêchait d'être reconnu comme tel par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel ; que l'obligation d'emploi concerne non les handicapés mais les bénéficiaires énumérés à l'article L. 323-3 du code du travail ; que M. X n'avait pas déposé de demande à la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel ; qu'un employeur ne peut exiger la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ; que M. X avait en tout état de cause été recruté en France ; que M. X ne pouvait être reconnu travailleur handicapé antérieurement au 14 octobre 2002 ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2004, présenté pour la SA Nouvelle Rizerie du Nord, par Me Carlier, avocat, qui conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens ; la société soutient que les titres de perception sont entachés d'incompétence ; que la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel n'a pas le monopole de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, laquelle peut être prouvée par l'employeur ; que les articles L. 323-3 et D. 323-3-6 du code du travail sont incompatibles avec l'article 39 du traité instituant la communauté européenne du 25 mars 1957 et avec le règlement (CEE) du conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ; qu'il en est de même avec l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et l'article 1er de son protocole n° 1 du 20 mars 1952 ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 9 mars 2004, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ qui persiste dans ses conclusions ; le ministre soutient que l'auteur des titres de perception a reçu délégation de signature ; que les autres bénéficiaires de l'article L. 323-3 du code du travail ne sont pas les travailleurs handicapés non reconnus comme tels par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel ; que les règles de libre circulation ne sont pas entravées par ce qui n'est pas une condition de recrutement ; que les décisions, basées sur la non appartenance aux catégories énumérées à l'article L. 323-3 du code du travail, ne violent pas la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ; que la nationalité de l'intéressé est en tout état de cause sans influence sur le présent litige ;

Vu le mémoire en réponse, enregistré le 16 avril 2004, présenté pour la SA Nouvelle Rizerie du Nord qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 7 mai 2004, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne du 25 mars 1957 ;

Vu le règlement (CEE) du conseil n° 1612/68 du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 février 2005 à laquelle siégeaient M. Merloz, président de chambre, M. Dupouy, président-assesseur et M. Le Garzic, conseiller :

- le rapport de M. Le Garzic, conseiller ;

- les observations de Me Aubry, pour la SA Nouvelle Rizerie du Nord ;

- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne : « La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de la Communauté. » ; qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CEE) du conseil susvisé du 15 octobre 1968 : « 1. Tout ressortissant d'un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre État membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux de cet État. / 2. Il bénéficie notamment sur le territoire d'un autre État membre de la même priorité que les ressortissants de cet État dans l'accès aux emplois disponibles. » ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 323-1 du code du travail : « Tout employeur occupant au moins vingt salariés est tenu d'employer, à temps plein ou à temps partiel, des bénéficiaires de la présente section dans la proportion de 6 p. 100 de l'effectif total de ses salariés. » ; qu'aux termes de son article L. 323-3 : « Bénéficient de l'obligation d'emploi instituée par l'article L. 323-1 : / 1º Les travailleurs reconnus handicapés par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel mentionnée à l'article L. 323-11 ; (…) » ; qu'aux termes de son article L. 323-8-6 : « Lorsqu'ils ne remplissent aucune des obligations définies aux articles L. 323-1, L. 323-8, L. 323-8-1 et L. 323-8-2, les employeurs mentionnés à l'article L. 323-1 sont astreints à titre de pénalité au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la contribution instituée par l'article

L. 323-8-2, majoré de 25 p. 100, et qui fait l'objet d'un titre de perception émis par l'autorité administrative. » ; qu'aux termes de son article L. 323-10 : « Est considérée comme travailleur handicapé au sens de la présente section, toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d'une insuffisance ou d'une diminution de ses capacités physiques ou mentales. / La qualité du travailleur handicapé est reconnue par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel prévue à l'article L. 323-11. » ; qu'aux termes du paragraphe I de son article L. 323-11 : « Dans chaque département est créée une commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (…) Cette commission est compétente notamment pour : / 1º Reconnaître, s'il y a lieu, la qualité de travailleur handicapé aux personnes répondant aux conditions définies par l'article L. 323-10 ; (…) » ; qu'aux termes de son article R. 323-32 : « Au vu des divers éléments d'appréciation dont elle dispose et après audition du handicapé et, le cas échéant, des autres personnes intéressées, la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel reconnaît, s'il y a lieu, la qualité de travailleur handicapé en application de l'article L. 323-10 (…) » ; qu'aux termes du premier alinéa de son article D. 323-3-6 : « La compétence territoriale de la commission est déterminée par le lieu de résidence de la personne handicapée. » ;

Considérant que la SA Nouvelle Rizerie du Nord a déclaré au titre de l'obligation d'emploi établie par l'article L. 323-1 précité du code du travail, M. X, ressortissant néerlandais résidant en Belgique ; que le directeur départemental du travail et de l'emploi du Nord-Lille a néanmoins émis, le 10 janvier 2000 et le 23 juillet 2002, en application de l'article L. 323-8-6 précité du code du travail, deux titres de perception à l'encontre de la société pour non respect de l'obligation d'emploi, respectivement au titre des années 1998 et 2000 ; que lesdits titres étaient motivés par la circonstance que M. X n'aurait appartenu à aucune des catégories visées par l'article L. 323-3 précité du code du travail ;

Considérant que la SA Nouvelle Rizerie du Nord soutient que M. X aurait dû être reconnu comme travailleur handicapé bénéficiant, en vertu de l'article L. 323-3 précité du code du travail, de l'obligation d'emploi prévue par son article L. 321-1 ; qu'elle fait valoir, par la voie de l'exception, que les règles nationales appliquées par le directeur départemental du travail et de l'emploi du Nord-Lille ne sont pas compatibles avec le principe de libre circulation des travailleurs communautaires en ce qu'elles ne prévoient aucune modalité de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour les travailleurs résidant hors de France ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du code du travail une pénalisation des employeurs ne respectant pas l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, de nature à favoriser l'accès de ces derniers à l'emploi ; qu'il ressort des dispositions de ses articles L. 323-3 et L. 323-10 que seule une commission technique d'orientation et de reclassement professionnel a qualité pour reconnaître un travailleur handicapé ; qu'il résulte de la combinaison des dispositions de ses articles L. 323-11 et D. 323-3-6 que ces commissions ont une compétence territoriale déterminée par le département de résidence du travailleur ; que, par suite, seuls les travailleurs résidant en France peuvent bénéficier d'une telle reconnaissance ; que ce point a d'ailleurs été rappelé par la lettre en date du 18 août 1998 adressée à la SA Nouvelle Rizerie du Nord par le sous-directeur au développement de l'activité et de l'emploi du ministère de l'emploi et de la solidarité ; que dès lors, la discrimination instaurée par les articles précités en faveur des travailleurs handicapés est incompatible avec le principe de libre circulation des travailleurs au sein de la Communauté européenne, issu de l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne et de l'article 1er du règlement (CEE) du conseil du 15 octobre 1968 précités, s'opposant à ce qu'un ressortissant d'un État membre de la Communauté européenne subisse une discrimination dans son accès à un emploi dans un État membre du seul fait de sa résidence dans un autre État, en tant qu'elle soumet la reconnaissance de cette qualité à une condition de résidence en France ; qu'il s'ensuit que la combinaison des articles L. 323-3, L. 323-10, L. 323-11 et D. 323-3-6 précités du code du travail ne peut servir de base légale à une décision de sanction d'une société motivée par la non appartenance d'un travailleur résidant hors de France à l'une des catégories pour lesquelles l'accès à l'emploi est favorisé ; qu'il suit de là que les titres de perception susmentionnés portaient sur des sommes dont la SA Nouvelle Rizerie du Nord était fondée à demander la décharge ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a déchargé la SA Nouvelle Rizerie du Nord des contributions qui avaient fait l'objet de titres de perception en dates des 10 janvier 2000 et 23 juillet 2002 ;

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'État à verser à la SA Nouvelle Rizerie du Nord la somme de 2 000 euros au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITÉ est rejeté.

Article 2 : Le MINISTRE DE L'EMPLOI, DU TRAVAIL ET DE LA COHÉSION SOCIALE versera à la SA Nouvelle Rizerie du Nord la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'EMPLOI, DU TRAVAIL ET DE LA COHÉSION SOCIALE et à la SA Nouvelle Rizerie du Nord.

Copie sera transmise au préfet de la région Nord/Pas-de-Calais, préfet du Nord.

Délibéré après l'audience du 10 février 2005, à laquelle siégeaient :

- M. Merloz, président de chambre,

- M. Dupouy, président-assesseur,

- M. Le Garzic, conseiller,

Lu en audience publique, le 3 mars 2005.

Le rapporteur,

Signé : P. LE GARZIC

Le président de chambre,

Signé : G. MERLOZ

Le greffier,

Signé : B. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le Greffier

B. ROBERT

2

N°03DA01243


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 03DA01243
Date de la décision : 03/03/2005
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Merloz
Rapporteur ?: M. Pierre Le Garzic
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : SCP CARLIER - BERTRAND - KHAYAT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2005-03-03;03da01243 ?
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