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22/03/2005 | FRANCE | N°03DA01303

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation a 3 (ter), 22 mars 2005, 03DA01303


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le

23 décembre 2003, présentée pour Mme Mélanie X demeurant ..., par Me Kreizel-Debleds ; Mme X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 02-230 en date du 22 octobre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa requête tendant à déclarer l'hôpital du Val-de-Seine (centre hospitalier Docteurs Y ) responsable du décès successif de ses deux enfants, lors de ses accouchements du 16 octobre 1996 et 7 janvier 1998, d'ordonner une expertise médicale et de condamner

cet hôpital à lui verser la somme de 304 898 euros en réparation du préjudi...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le

23 décembre 2003, présentée pour Mme Mélanie X demeurant ..., par Me Kreizel-Debleds ; Mme X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 02-230 en date du 22 octobre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa requête tendant à déclarer l'hôpital du Val-de-Seine (centre hospitalier Docteurs Y ) responsable du décès successif de ses deux enfants, lors de ses accouchements du 16 octobre 1996 et 7 janvier 1998, d'ordonner une expertise médicale et de condamner cet hôpital à lui verser la somme de 304 898 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a subi ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

4°) de condamner l'hôpital du Val-de-Seine à lui verser la somme de 4 573 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que contrairement à ce que soutenait l'hôpital en première instance, sa demande d'indemnisation en raison du préjudice subi du fait des fautes commises en 1996 n'est pas prescrite au regard des dispositions d'application immédiate de la loi du 4 mars 2002 ; qu'il est reproché au docteur Z de ne pas avoir constaté puis tiré les conséquences de l'existence d'une béance particulièrement importante du col de son utérus ; que le Tribunal s'est fondé exclusivement sur un article médical pour estimer qu'il n'y avait pas lieu d'envisager la mise en place d'un cerclage de Shirodkar , sans s'attacher aux pièces médicales du dossier ; que seul un expert médical, en gynécologie obstétrique, pourra confirmer ou infirmer qu'un suivi approprié aurait permis la naissance du premier et en tout cas du deuxième enfant ; que d'autres signes, dont l'anomalie du gène du facteur V dont elle est atteinte, auraient du être pris en compte par le docteur Z ; qu'il est, en outre, reproché de graves négligences du service hospitalier pendant ses accouchements qui ont notamment débuté par des hémorragies ; que ces différentes fautes engagent la responsabilité de l'hôpital ; qu'elle a subi un important préjudice moral ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés le 4 octobre 2004, présentés pour le centre hospitalier Docteurs Y de Lillebonne, qui conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit ordonné une expertise médicale et à la condamnation de

Mme X à lui verser la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient qu'il oppose à l'action de la requérante en réparation du préjudice subi du fait des fautes prétendument commises en 1996 la prescription quadriennale ; qu'aucune raison ne justifiait la pose d'un cerclage, qui est une technique utilisée de manière exceptionnelle, lors de la première grossesse ; qu'aucune faute n'a été commise par les praticiens tant lors de la surveillance de la première grossesse de Mme X, que pendant son accouchement ; que le docteur Z, en recommandant la pose d'un cerclage de Hervet , a accompli les diligences nécessaires pour prévenir une seconde fausse couche ; que le suivi des deux premières grossesses n'a pas été défaillant et n'exigeait pas de traitement spécifique qui aurait été rendu nécessaire par l'anomalie du gêne du facteur V dont est atteinte la requérante mais qui n'a été révélée qu'en août 2002 ; que l'enfant est mort-né lors du deuxième accouchement de Mme X en raison du caractère trop prématuré de la naissance et d'un infarctus aigu lié au décollement prématuré du placenta ; que la seconde fausse couche n'a donc pour origine ni une erreur de diagnostic, ni une erreur de traitement ; qu'il y a lieu de limiter l'expertise médicale demandée par la requérante aux mesures nécessaires pour assurer l'instruction de l'affaire ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 novembre 2004, présenté pour Mme X qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que la béance du col de son utérus justifiait dès la première grossesse la pose d'un cerclage de Shirodkar ; que l'analyse des examens sanguins réalisés dès 1999 aurait permis au praticien dès la première grossesse de prescrire un traitement approprié à l'anomalie qu'elle porte ; que des négligences répétées et le retard dans la prise en charge de son premier accouchement sont manifestes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 mars 2005 à laquelle siégeaient

M. Gipoulon, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et Mme Eliot, conseiller :

- le rapport de Mme Eliot, conseiller ;

- les observations de Me Raymundie, pour l'hôpital du Val-de-Seine ;

- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;

Sur l'exception de prescription :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique issu de l'article 98 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage ; qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 101 de la même loi ; Les dispositions de la section 6 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du même code sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en responsabilité, y compris aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ; qu'il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique que le législateur a entendu instituer une prescription décennale se substituant à la prescription quadriennale instaurée par la loi du 31 décembre 1968 pour ce qui est des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics en matière de responsabilité médicale ; qu'il s'ensuit que ces créances sont prescrites à l'issue d'un délai de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage ; qu'en prévoyant à l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 que les dispositions nouvelles de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique relatives à la prescription décennale en matière de responsabilité médicale sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en responsabilité, y compris aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, le législateur a entendu porter à dix ans le délai de prescription des créances en matière de responsabilité médicale, qui n'étaient pas déjà prescrites à la date d'entrée en vigueur de la loi et qui n'avaient pas donné lieu, dans le cas où une action en responsabilité avait été engagée, à une décision irrévocable ; que l'article 101 de cette loi n'a cependant pas eu pour effet, en l'absence de dispositions le prévoyant expressément, de relever de la prescription celles de ces créances qui étaient prescrites en application de la loi du

31 décembre 1968 à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ;

Considérant que le délai de prescription relatif à l'action dirigée par Mme X contre le centre hospitalier Docteurs Y de Lillebonne tendant à la réparation du préjudice subi à la suite du décès de son enfant le 16 octobre 1996 a commencé à courir à compter du

1er janvier 1997 et s'est interrompu le 1er janvier 2001, soit avant l'entrée en vigueur de la loi précitée du 4 mars 2002 ; que, dès lors, l'exception de prescription opposée par ledit centre hospitalier en première instance et devant la Cour à la demande précitée de Mme X est fondée ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'accident survenu le 7 janvier 1998 :

Considérant que Mme X a saisi le Tribunal administratif de Rouen de demandes tendant, d'une part, à ce que soit ordonnée une expertise afin de déterminer les conditions dans lesquelles elle a perdu successivement, le 16 octobre 1996 puis le 7 janvier 1998, ses deux enfants lors de ses accouchements au centre hospitalier Docteurs Y à Lillebonne et de préciser les différentes fautes médicales à l'origine de ces accidents obstétricaux et, d'autre part, à la condamnation de l'établissement hospitalier à lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

Considérant que les premiers juges, pour rejeter la requête de Mme X ont estimé, contrairement à ce que soutenait la requérante, qui souffrait d'une béance du col de l'utérus, que la pose, lors de sa deuxième grossesse, d'un cerclage selon la méthode de Hervet ne révélait aucune erreur de diagnostic ou de traitement de la part des praticiens, alors même qu'à la suite d'un cerclage de Shirodkar mis en place pour la troisième grossesse de l'intéressée, celle-ci a pu faire naître un petit garçon en bonne santé ; qu'en outre, le Tribunal s'est fondé sur l'absence de lien de causalité entre la faute médicale alléguée par Mme X et le décès de ses deux premiers enfants ;

Considérant toutefois qu'il ressort de l'instruction, que les pièces produites devant les premiers juges ne donnaient pas d'information sur les caractéristiques et les indications médicales de chacune des méthodes de cerclage utilisée par Mme X et rendaient ainsi impossible toute comparaison entre celles-ci ; qu'en tout état de cause, le dossier de première instance ne permettait pas de se prononcer sur le bien-fondé des autres moyens soulevés par Mme X tirés des fautes qu'aurait commises le centre hospitalier tant lors du suivi de sa seconde grossesse que pendant son accouchement ; que, dès lors, Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a, sans juger utile de prescrire une expertise médicale, rejeté sa requête ; que, par suite, il y a lieu d'ordonner, avant dire-droit sur la requête en appel, une expertise médicale afin de déterminer les conditions médicales dans lesquelles est intervenu l'accident obstétrical dont s'agit ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 22 octobre 2003 est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions en indemnité de Mme X, procédé à une expertise en vue de :

- procéder à l'examen médical de Mme X ;

- prendre connaissance de l'ensemble du dossier médical de Mme X ;

- décrire l'état de santé de Mme X avant sa première grossesse ;

- de dire si la béance du col de l'utérus de la patiente, l'anomalie du gène du facteur V dont est atteinte cette dernière ou d'autres causes sont à l'origine du décès de l'enfant survenu le

7 janvier 1998 et dans l'hypothèse d'une pluralité d'éléments causals, de préciser la part d'imputabilité de chacun d'eux dans la survenance de cet accident ;

- de dire si le diagnostic de la béance du col de l'utérus de la patiente et de l'anomalie du gène du facteur V pouvait être établi avant la deuxième grossesse de Mme X ;

- de décrire l'ensemble des soins et interventions pratiqués par chaque praticien du centre hospitalier Docteurs Y de Lillebonne ayant participé au suivi médical de

Mme X depuis la première consultation de sa première grossesse ;

- dire si les choix et interventions des différents praticiens lors de la deuxième grossesse et de l'accouchement ont été conformes aux données acquises de la science médicale ;

- donner son avis sur l'indication thérapeutique de cerclage selon la méthode Hervet par rapport au cerclage Shirodkar ;

- plus généralement, donner un avis motivé sur l'existence d'une erreur, d'une insuffisance ou d'une négligence de nature médicale, tant pendant le suivi de la deuxième grossesse de

Mme X qu'au moment de son accouchement, qui seraient à l'origine du décès de son enfant, et fournir à la Cour tous autres éléments jugés utiles à son information.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Mélanie X, à l'hôpital du

Val-de-Seine (centre hospitalier Docteurs Y ), à la caisse primaire d'assurance maladie de Bolbec et au ministre des solidarités, de la santé et de la famille.

Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience du 8 mars 2005 à laquelle siégeaient :

- M. Gipoulon, président de chambre,

- Mme Signerin-Icre, président-assesseur,

- Mme Eliot, conseiller,

Lu en audience publique, le 22 mars 2005.

Le rapporteur,

Signé : A. ELIOT

Le président de chambre,

Signé : J.F. GIPOULON

Le greffier,

Signé : G. VANDENBERGHE

La République mande et ordonne au ministre des solidarités, de la santé et de la famille en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

Guillaume VANDENBERGHE

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N°03DA01303 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation a 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 03DA01303
Date de la décision : 22/03/2005
Sens de l'arrêt : Avant dire-droit - expertise
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Gipoulon
Rapporteur ?: Mme Agnès Eliot
Rapporteur public ?: M. Paganel
Avocat(s) : SCP KREIZEL - DEBLEDS - VIRELIZIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2005-03-22;03da01303 ?
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