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16/03/2006 | FRANCE | N°05DA00619

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation a 3, 16 mars 2006, 05DA00619


Vu la requête, enregistrée le 30 mai 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, dont le siège est ..., représentée par son

président-directeur général, par la SCP d'avocats Carbonnier, Lamaze, Rasle et associés ;

la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 04-02652 en date du 31 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 10 233 euros, qu'

elle estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une m...

Vu la requête, enregistrée le 30 mai 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, dont le siège est ..., représentée par son

président-directeur général, par la SCP d'avocats Carbonnier, Lamaze, Rasle et associés ;

la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 04-02652 en date du 31 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 10 233 euros, qu'elle estime insuffisante, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une manifestation au péage de l'Audomarois à Setques ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 318,21 euros majorée des intérêts de droit ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que ses pertes devaient être évaluées par comparaison des trafics enregistrés d'une journée sur l'autre en utilisant une journée de référence ; qu'il convient en outre d'indemniser les dépenses d'intervention de ses agents et de son matériel résultant des prestations de nettoyage après le départ des manifestants, pour un montant de 3 643,11 euros ; que les intérêts sont dus si au moins une année s'est écoulée depuis la demande d'indemnité ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 juillet 2005, présenté par le préfet du Pas-de-Calais ; le préfet demande à la Cour :

- de rejeter la requête susvisée ; à cette fin, il soutient que la méthode d'évaluation des pertes de recettes retenues par la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE est très incertaine ; que les frais engagés font partie des obligations du concessionnaire de l'autoroute ;

- par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif d'Amiens a reconnu la responsabilité de l'Etat, ou bien, à titre subsidiaire, en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif d'Amiens a accordé, à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, une indemnité excessive ; à cette fin, il soutient que l'existence d'un lien contractuel entre la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, en sa qualité de concessionnaire d'autoroutes, et l'Etat fait obstacle à ce que la responsabilité de l'Etat soit reconnue ; que le délit d'entrave à la circulation routière n'a pas été commis dès lors que le passage des péages entraîne par lui-même un ralentissement, voire un arrêt des véhicules ; que le délit d'atteinte à la liberté du travail ou d'intimidation d'agents chargés d'une mission de service public n'a pas été commis, aucune violence ou menace n'ayant été caractérisée ; que la méthode d'évaluation des pertes de recettes est très incertaine ;

Vu le mémoire, en date du 5 août 2005, présenté pour la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, par la SCP Carbonnier, Lamaze, Rasle et associés ; elle reprend ses conclusions par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le lien contractuel qui la lie à l'Etat ne fait pas obstacle à la responsabilité extra-contractuelle de celui-ci ;

Vu le mémoire, en date du 2 mars 2005, présenté par le préfet du Pas-de-Calais ; il reprend les conclusions de son précédent mémoire par les mêmes moyens ; il soutient en outre que la manifestation n'a pas causé un préjudice moral et spécial ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de la route ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 mars 2006 à laquelle siégeaient Mme Christiane Tricot, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur et

M. Alain Stéphan, premier conseiller :

- le rapport de M. Alain Stéphan, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le 5 mars 2001, une dizaine de manifestants, rejoints ensuite par un groupe d'une centaine de personnes, ont occupé le péage de Setques et les péages dits « Audo A » et

« Audo B », où ils ont arrêté et retenu l'ensemble des véhicules pendant plus de 10 heures ; que la manifestation, ainsi organisée, a été à l'origine d'importants bouchons obligeant à mettre en place des itinéraires de délestage avec sortie gratuite aux péages de Nordausques et Thérouanne ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a accordé à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE une indemnité de 10 233 euros, au lieu des 30 318,21 euros qu'elle demandait, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette occupation et correspondant à la perte des recettes des péages concernés, aux frais d'huissier et dépenses supplémentaires supportées par elle ; que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE conteste l'estimation faite de son préjudice par le Tribunal administratif d'Amiens ; que, par un appel incident, le préfet du Pas-de-Calais demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il a reconnu que la responsabilité de l'Etat était engagée au titre de ces manifestations, et en tant que l'indemnité accordée serait excessive ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : « L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens… » ;

Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que soutient le préfet du Pas-de-Calais, l'existence d'un lien contractuel entre la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, en sa qualité de concessionnaire d'autoroutes, et l'Etat ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'Etat soit reconnue sur le fondement des dispositions précitées ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 5 mars 2001, une dizaine de manifestants, rejoints ensuite par un groupe d'une centaine de personnes, ont, de manière concertée, occupé les péages de Setques, « Audo A » et « Audo B » ; que, contrairement à ce que soutient le préfet du

Pas-de-Calais, le caractère licite ou illicite de la manifestation est sans incidence sur son caractère d'attroupement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 7 du code de la route applicable à la date des faits : « Quiconque aura, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, placé ou tenté de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou qui aura employé ou tenté d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 1 000 à 30 000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement » ;

Considérant qu'il ressort de l'instruction que les manifestants ont arrêté et retenu, par des barrages bloquants ou filtrants, des véhicules pendant plus de 10 heures aux péages de Setques, « Audo A » et « Audo B », obligeant la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE à organiser des itinéraires de délestage dont elle a permis la sortie gratuite ; que, si un accident et des nappes de brouillard ont également contribué au ralentissement de la circulation, l'obstacle à la circulation automobile, pendant la durée de la manifestation, sur le tronçon concerné, provenait essentiellement des opérations de blocage mises en place ; qu'ainsi, la mise en place de ces barrages est constitutive du délit d'entrave ou de gêne à la circulation au sens des dispositions de l'article L. 7 précité du code de la route ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a reconnu l'Etat responsable sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales du délit d'entrave à la circulation commis à force ouverte par un attroupement ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que les manifestants n'ont pas commis d'acte d'intimidation, ni usé de menaces, coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations ; qu'ils n'ont, ni entravé la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation, ni obtenu d'une personne chargée d'une mission de service public qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa mission ; qu'ainsi, la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens n'a pas reconnu que les délits mentionnés aux articles 431-1 et 433-3 du code pénal auraient été commis, ni reconnu la responsabilité de l'Etat à ce titre ;

Sur le préjudice :

Considérant que, sans que la société ait à justifier d'un préjudice anormal et spécial, la responsabilité de l'Etat peut être engagée pour des dommages de toute nature qui sont la conséquence directe et certaine des crimes et délits visés par l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, notamment lorsque lesdits dommages ont le caractère d'un préjudice commercial consistant en un accroissement de dépenses d'exploitation ou en une perte de recettes d'exploitation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les véhicules restés bloqués au péage autoroutier de Setques, « Audo A » et « Audo B », occupés par les manifestants, ont pu, après la manifestation, s'acquitter des péages ; que les autres véhicules, en fonction des déviations mises en place, ont pu emprunter des routes précédentes et reprendre l'autoroute ensuite, notamment aux péages de Thérouanne et de Nordausques ; qu'il ressort du tableau fourni par la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, qu'en tenant compte des pertes enregistrées aux péages de Setques, « Audo A » et « Audo B » et des gains enregistrés à Thérouanne et Nordausques, son préjudice peut être exactement apprécié à la somme de 173 444,98 francs

(26 441,52 euros) ; que si le préfet du Pas-de-Calais soutient que doivent être décomptés également les gains enregistrés aux autres péages, où les voitures ont pu reprendre l'autoroute, il ne produit pas d'éléments suffisamment probants ni de méthode pour évaluer ces gains ; que, par suite, la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE est fondée à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il ne lui a accordé qu'une réparation de 10 000 euros ;

Considérant en outre que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif d'Amiens, il y a lieu d'indemniser les dépenses d'intervention des agents et du matériel de la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE résultant des prestations de nettoyage après le départ des manifestants, pour un montant de 3 643,11 euros ; qu'ainsi, elle est fondée à demander que l'indemnité accordée soit augmentée de ladite somme ; que ce montant doit être majoré des frais d'huissier supportés par la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE, soit 233,58 euros ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant que s'agissant des indemnités correspondant à la réparation du préjudice et des charges supportées par elle, soit 30 318,21 euros, la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts au taux légal à compter du 2 mai 2002, date de réception de la demande d'indemnité par le préfet du Pas de Calais ; que la capitalisation des intérêts ayant été demandée devant le Tribunal administratif d'Amiens le

9 octobre 2002, il y a lieu, conformément à l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande à compter du 2 mai 2003, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE est fondée à demander la réformation du jugement par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 10 233 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une manifestation au péage de l'Audomarois à Setques, et à demander que cette somme soit portée à 30 318,21 euros ; qu'il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE de la somme de 1 500 euros au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 10 233 euros que l'Etat a été condamné à verser à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE par le jugement du Tribunal administratif d'Amiens est portée à 30 318,21 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 2 mai 2002. Les intérêts échus le 2 mai 2003, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 31 mars 2005 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et l'appel incident présenté pour l'Etat par le préfet du Pas-de-Calais sont rejetés.

Article 4 : L'Etat versera à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Copie sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.

2

N°05DA00619


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 05DA00619
Date de la décision : 16/03/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Tricot
Rapporteur ?: M. Alain Stéphan
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : SCP CARBONNIER LAMAZE RASLE

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2006-03-16;05da00619 ?
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