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04/04/2006 | FRANCE | N°05DA00779

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation a 3, 04 avril 2006, 05DA00779


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le

27 juin 2005, présentée pour l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE, dont le siège est rue du général Leclerc, BP 10, à Armentières cedex (59487), représenté par son directeur, par le cabinet d'avocats Yvon Coudray ; l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 0401603 en date du 29 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser la somme de 226 220,99 euro

s, avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2003, à Mme Nicole X...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le

27 juin 2005, présentée pour l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE, dont le siège est rue du général Leclerc, BP 10, à Armentières cedex (59487), représenté par son directeur, par le cabinet d'avocats Yvon Coudray ; l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 0401603 en date du 29 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser la somme de 226 220,99 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2003, à Mme Nicole X en réparation du préjudice moral et matériel que lui causé le décès de son époux, et la somme de 5 756,46 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 août 2004, à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille ;

2°) de rejeter la demande de Mme X et la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de Lille ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer le jugement et de ramener à la somme de 160 060,99 euros la condamnation prononcée au profit de Mme X ;

4°) de condamner Mme X à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient :

- en premier lieu, que le jugement est irrégulier pour défaut de réponse à des conclusions, dès lors que l'exposant avait évoqué devant les premiers juges l'absence de lien de causalité entre le décès de M. X et les fautes alléguées, ou, à tout le moins, pour défaut de motivation, le Tribunal s'étant borné à admettre le lien de causalité au seul motif de son caractère probable ;

- en deuxième lieu, que la responsabilité de l'exposant n'est pas engagée dans la survenance du décès de M. X ; que, d'une part en effet, il n'y a pas de lien de causalité certain entre la tentative de suicide de celui-ci et son décès, compte tenu du délai écoulé entre ces deux événements et en l'absence d'autopsie ; que, d'autre part, aucune faute dans le fonctionnement du service n'est établie ; qu'en relevant que le centre hospitalier n'établissait pas la durée pendant laquelle le patient est resté sans surveillance, le Tribunal a inversé la charge de la preuve ; qu'aucune faute de surveillance n'a été commise, M. X ayant été placé sous surveillance rapprochée, avec respect de son intimité ; que le laps de temps en cause n'a pu qu'être très court, le patient ayant reçu des soins à 9 heures 45 et la tentative de suicide ayant eu lieu vers 10 heures 15 ; que par ailleurs aucune réglementation n'imposait que la cabine de douche soir fermée, seul l'accès au bloc sanitaire imposant une intervention du personnel ; que la chaise présente dans ce bloc est justifiée par la présence de personnes handicapées ou dépendantes ; que le patient a utilisé son pyjama ; que seule une surveillance constante, mais non requise par l'état du patient, aurait permis d'éviter le suicide ;

- enfin, que le préjudice a été surévalué ; que le préjudice économique n'est pas établi dès lors qu'il n'est pas justifié que la victime disposait en 2000 d'une activité aux revenus similaires à ceux de l'année 1999, année sur laquelle le Tribunal s'est fondé pour calculer la perte de revenus, et que, faute de production d'avis d'imposition postérieurs au décès, la réalité de la perte de revenus n'est pas établie ; que la perte de revenu doit en outre être évaluée à 35 % des revenus professionnels ; qu'ainsi, la somme à allouer ne peut dépasser 154 280 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2005, présenté pour Mme Nicole X, demeurant ..., par Me Tardy ; Mme X demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ; à cette fin, elle soutient que les circonstances du décès de son époux engagent la responsabilité de l'établissement public pour défaut de surveillance et d'organisation du service dès lors que M. X, qui avait été hospitalisé en raison d'une tentative de suicide commise le 11 septembre 2000, ce qui justifiait selon l'établissement lui-même une surveillance rapprochée, a tenu quelques instants avant son geste des propos confus et que le suicide a été facilité par la présence d'un tabouret ; que le lien de causalité entre la pendaison et le décès ne fait pas de doute ; que la décision de classement du procureur de la République du 3 novembre 2000 mentionne qu'une autopsie a bien été pratiquée le 18 septembre 2000 confirmant que le décès était dû à une asphyxie par pendaison ;

2°) par la voie du recours incident, de condamner l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE à lui verser une indemnité de 258 566 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la demande et capitalisation des intérêts ; à cette fin, elle soutient qu'elle a droit au remboursement de l'ensemble des frais funéraires liés au décès de son mari ; que la somme allouée en réparation de son préjudice moral est insuffisante eu égard aux quinze années de mariage qui l'ont liée au défunt ; qu'enfin, son préjudice économique doit être réévalué ;

3°) de condamner l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE à leur verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 mars 2006 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, Mme Corinne Signerin-Icre, président-assesseur et M. Christian Bauzerand, premier conseiller :

- le rapport de Mme Corinne Signerin-Icre, président-assesseur ;

- les observations de Me Cardon, pour Mme X ;

- et les conclusions de M. Robert Le Goff, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'à la suite d'une tentative de suicide survenue le 11 septembre 2000,

M. Hervé X a été admis au sein de l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE ; que le 13 septembre au matin, il a tenté de se suicider par pendaison ; qu'après avoir reçu les premiers soins, il a été transféré à l'hôpital Calmette de Lille où il est décédé le jour même vers 19 heures ; que l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE demande l'annulation du jugement du 29 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille, après avoir considéré que sa responsabilité pour faute était engagée dans la survenance de ce décès, l'a condamné à indemniser Mme X des préjudices résultant du décès de son mari et à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille des débours exposés dans l'intérêt de M. X ; que par la voie du recours incident, Mme X demande que la Cour évalue ses préjudices à une somme supérieure à celle retenue par les premiers juges ;

Sur l'appel principal de l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

Considérant qu'en faisant valoir dans ses écritures de première instance l'absence de lien de causalité direct entre la tentative de suicide de M. X et son décès, l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE a présenté un moyen en défense et n'a pas formé de conclusions sur lesquelles le Tribunal aurait omis de statuer ; qu'en relevant qu'en dépit de l'absence d'autopsie, il résultait de l'instruction, et notamment d'un procès-verbal établi par la gendarmerie le 15 septembre 2000 après audition du médecin légiste, que la pendaison était la cause la plus probable du décès et qu'en l'absence d'autre cause invoquée, Mme X établissait un lien entre la tentative de suicide de son mari et le décès de celui-ci, le Tribunal a suffisamment motivé son jugement ; qu'ainsi, l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE n'est pas fondé à soutenir que ce jugement est irrégulier ;

En ce qui concerne la responsabilité :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de la décision de classement sans suite du Procureur de la République en date du 3 novembre 2000 produite pour la première fois en appel que le rapport d'autopsie pratiquée le 18 septembre 2000 confirme que le décès était dû à une asphyxie par pendaison ; qu'ainsi, le lien de causalité entre la pendaison et le décès de M. X est établi ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que le 13 septembre à 9 heures 45, une infirmière a dispensé des soins à M. X, puis l'a laissé aller aux toilettes, se rendant quant à elle dans la salle à manger voisine, séparée du bloc sanitaires douches par une cloison vitrée, afin de s'occuper d'un autre patient ; qu'elle a retrouvé M. X, vers 10 heures 15, pendu au bâti de la cabine de douche, le patient ayant utilisé son pyjama en guise de liens ; qu'il est constant que compte tenu de la tentative de suicide commise par M. X le 11 septembre 2000, l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE avait estimé qu'il convenait de placer ce patient sous un régime de surveillance rapprochée, qui consiste à assurer une surveillance du malade tout en respectant son intimité ; que, dès lors, eu égard notamment au caractère récent de la précédente tentative de suicide, la circonstance que l'intéressé ait été laissé seul dans le bloc sanitaires douches, dont les portes n'étaient pas fermées à clé, pendant une durée qui ne peut être considérée comme très courte du seul fait que le patient a pu être réanimé alors qu'aucune précision n'a été apportée par l'établissement de santé, seul à même de le faire, sur le laps de temps écoulé depuis la fin des soins prodigués et ait pu, sans attirer l'attention, se rendre des toilettes à la douche pour s'y pendre en utilisant une chaise normalement placée à l'extérieur de cette douche, est constitutive d'un défaut d'organisation ou de fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ; que, par suite, l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Lille l'a condamné à indemniser Mme X des préjudices résultant pour elle du décès de son époux ;

En ce qui concerne le préjudice :

Considérant qu'en produisant copie des avis d'imposition à l'impôt sur le revenu des années 1999 et 1998, qui mentionnent les salaires perçus par son époux, Mme X a suffisamment établi la réalité de la perte de revenu causé par le décès de celui-ci ; que, s'agissant d'un ménage sans enfants, l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal a considéré que Mme X disposait de 50 % des revenus apportés au ménage par son mari ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à Mme X la somme de

226 220,99 euros ;

Sur l'appel incident de Mme X :

Considérant, en premier lieu, que Mme X n'établit pas qu'en retenant le pourcentage précité de 50 %, le Tribunal aurait fait une appréciation erronée de la part des revenus de son époux lui revenant ;

Considérant, en deuxième lieu, que c'est à bon droit que le Tribunal a limité à la somme de 1 537,45 euros l'indemnité due au titre des frais d'obsèques au motif que le surplus de la demande présentée par Mme X à ce titre n'était pas directement lié à l'érection d'une sépulture décente ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'en l'évaluant à la somme de 10 000 euros, le Tribunal n'a pas fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme X du fait de la douleur morale causée par le décès de son époux ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de fixer l'indemnité due à ce titre à la somme de 15 000 euros, ce qui porte à

231 220,99 euros la somme que l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE est condamné à verser à Mme X ;

Considérant, enfin, que Mme X a droit aux intérêts au taux légal sur la somme susmentionnée de 231 220,99 euros à compter du 20 novembre 2003, date de réception de sa demande préalable ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts le 31 octobre 2005, date à laquelle il était dû une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X est fondée à demander, par la voie de l'appel incident, d'une part, la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité le montant de la condamnation de l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE à la somme de 226 220,99 euros et, d'autre part, la condamnation de cet établissement à lui verser la somme de 231 220,99 euros assortie des intérêts dans les conditions précitées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme X, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu, en application desdites dispositions, de mettre à la charge de l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE la somme de 1 500 euros que Mme X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE est rejetée.

Article 2 : La somme que l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE a été condamné à verser à Mme Nicole X par l'article 2 du jugement

n° 0401603 en date du 29 mars 2005 du Tribunal administratif de Lille est portée à la somme de 231 220,99 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2003. Les intérêts échus à la date du 31 octobre 2005 seront capitalisés à cette date pour produire

eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement n° 0401603 en date du 29 mars 2005 du Tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE versera à Mme Nicole X la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de l'appel incident de Mme Nicole X est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'ETABLISSEMENT PUBLIC DE SANTE MENTALE LILLE METROPOLE, à Mme Nicole X, à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille et au ministre de la santé et des solidarités.

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N°05DA00779


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 05DA00779
Date de la décision : 04/04/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Helmholtz
Rapporteur ?: Mme Corinne Signerin-Icre
Rapporteur public ?: M. Le Goff
Avocat(s) : CABINET YVON COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2006-04-04;05da00779 ?
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