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02/04/2008 | FRANCE | N°07DA00221

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 5 (ter), 02 avril 2008, 07DA00221


Vu la requête, enregistrée le 13 février 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour l'EARL AGRI-ARTOIS dont le siège est 496 rue du Général de Gaulle à Hénin-Beaumont (62110), par Me Degandt ; elle demande à la Cour :

11) d'annuler le jugement n° 0304862, en date du 30 novembre 2006, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 37 331,78 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2003 et leur capitalisation, en réparation du préjudice

subi par la présence de goélands argentés qui ont endommagé ses cultures ...

Vu la requête, enregistrée le 13 février 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour l'EARL AGRI-ARTOIS dont le siège est 496 rue du Général de Gaulle à Hénin-Beaumont (62110), par Me Degandt ; elle demande à la Cour :

11) d'annuler le jugement n° 0304862, en date du 30 novembre 2006, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 37 331,78 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2003 et leur capitalisation, en réparation du préjudice subi par la présence de goélands argentés qui ont endommagé ses cultures d'endives au cours de la campagne 2002 ;

2°) de prononcer la condamnation sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a tout d'abord retenu une prétendue incertitude quant à l'origine de l'espèce ayant provoqué les préjudices ; qu'il a, ce faisant, mal interprété ou dénaturé les pièces du dossier, notamment les attestations produites ; qu'il ne fait en réalité aucun doute que l'espèce à l'origine des dégâts est le goéland argenté ; qu'à supposer qu'il s'agirait d'une bande de goélands argentés de passage, il n'en demeure pas moins que c'est une espèce protégée qui a provoqué des pertes ; qu'ils se sont en fait sédentarisés dans le secteur depuis les années 2000 ; que ce n'est qu'au cours de la campagne d'endives 2002 qu'elle a constaté ces atteintes par cette espèce ; qu'elle ne peut être valablement regardée comme s'étant volontairement exposée à un risque connu ; qu'elle a d'ailleurs depuis 2002 renoncé définitivement à cultiver des endives bâchées dans le secteur de Brebières ; que si elle ne chiffre pas précisément le nombre de goélands argentés dans le secteur de Brebières, il ressort d'un document approuvé par le préfet en avril 2006 que le goéland argenté figure sur la liste des espèces à problèmes au niveau régional et notamment dans le district Scarpe-Sensée-Escaut-Marque dont fait partie la commune de Brebières ; que des groupes importants de plusieurs milliers de têtes sont sédentarisés à quelques kilomètres dans le secteur sur le territoire de la commune de Cantin ou de Corbehem ; que l'usine Renault limitrophe connaît également depuis les années 2000 de nombreux désordres causés par le nombre croissant de ces goélands argentés ; que des avis annuels de la fédération des chasseurs du Pas-de-Calais, dans le cadre de ses missions de service public, ont appelé l'attention du préfet sur les besoins de régulation de cette espèce ; que l'on comprend mal les raisons de cette abstention de l'Etat ; que ces avis ne présentent pas un caractère trop général ; qu'une étude commandée en octobre 2002 par l'agence de l'eau Artois-Picardie confirme les modifications des habitudes ainsi que l'expansion démographique et géographique de l'espèce ; que c'est ainsi la présence en surpopulation de goélands argentés sur le secteur de Brebières et plus généralement dans le district, induite par le régime de protection mis en place en 1999 et par l'absence de mesure de régulation en dépit de signaux d'alerte, qui est directement à l'origine des dégâts subis par son exploitation ; que les dégâts subis revêtent en l'espèce un caractère anormal et spécial et excèdent les aléas inhérents à la culture sous bâches de racines d'endives ; que la gravité du préjudice est attestée par la réalité et l'ampleur des pertes causées par les oiseaux ; que les dégâts portent sur la totalité des parcelles d'endives bâchées pour l'année 2002 ; que le préjudice concerne tant les bâches dont le montant est d'environ 16 551,28 euros, au niveau du temps perdu pour un montant de 1 691 euros et au niveau de la production de racines, perte évaluée à 19 089,50 euros ; que ce préjudice est spécial compte tenu du nombre très limité d'exploitations potentiellement concernées par ce type de désordres ; que la Cour fera application de la solution retenue dans une décision du Conseil d'Etat du 30 juillet 2003 « Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre et autres », reprise par la Cour administrative d'appel de Bordeaux dans son arrêt du 26 février 2004 ; qu'en l'espèce, aucune cause ne peut exonérer même partiellement l'Etat de sa responsabilité ; que les autorisations administratives de régulation de l'espèce supposent un délai excessif et inapproprié qui tient aux consultations exigées par la réglementation ; que la proximité d'immeubles d'habitations s'y opposerait ; qu'elle n'a toutefois pas été passive et a mis en oeuvre des moyens d'éloignement qui se sont révélés cependant inefficaces ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2007, présenté par le ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables qui demande à la Cour de rejeter la requête et soutient que, sur le principe de la responsabilité sans faute de l'Etat, les dommages accidentels ou fortuits ne sont pas couverts ; qu'il en va ainsi en l'espèce ; qu'en ce qui concerne les dégâts causés par des espèces protégées, il convient d'établir que la protection est à l'origine de la prolifération des animaux en question ; que la destruction des goélands argentés n'a jamais été interdite en application de l'article 2 de l'arrêté du 17 avril 1981 mais simplement soumise à autorisation en application de l'article 4 ; que la protection des cultures constitue un motif de régulation de l'espèce ; que les cultures sont par ailleurs confrontées à de multiples ennemis contre lesquels les agriculteurs doivent habituellement lutter ; que seule la responsabilité pour faute de l'Etat pourrait être recherchée s'il était démontré que, dûment prévenu, il n'a pris aucune mesure dérogatoire lui permettant de réguler l'excès de population ; qu'en l'espèce, en tout état de cause, une telle responsabilité ne serait pas davantage engagée ; qu'en effet, l'administration met en oeuvre de nombreuses mesures pour empêcher la prolifération notamment des goélands ; que des dizaines d'autorisations de destruction sont délivrées chaque année ; que sans recourir à ces procédés de destruction, il peut être recouru à d'autres moyens d'actions indirectes tels que les effarouchements, l'interdiction d'accès aux sites de nidification, la limitation d'accès à la ressource alimentaire ; que le lien de causalité n'est pas établi ; que l'évolution démographique du goéland argenté est complexe et n'est pas directement liée à la protection de l'espèce mais apparaît comme la conjonction de plusieurs facteurs qui évoluent dans le temps ; qu'en outre, dans les circonstances de l'espèce, l'exploitant a commis des fautes de nature à exonérer l'administration de toute responsabilité ; qu'il n'a sollicité aucune autorisation de destruction qui aurait pu être obtenue rapidement ; que si la Cour devait entrer en voie de condamnation elle devra la limiter à ce qui excède l'état de conservation normale de l'espèce, ce qui devrait conduire à opérer un partage de responsabilité en laissant 9/10ème du préjudice à la charge de l'EARL AGRI-ARTOIS en raison de ses carences ; qu'il conviendra également de prendre en considération que l'Etat est, en matière de protection des espèces de faune sauvage, lié par des obligations internationales et communautaires résultant de la convention de Berne du 19 septembre 1979 et de la directive oiseaux du 2 avril 1979 ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 9 mars 2008, présenté pour l'EARL AGRI-ARTOIS qui conclut aux mêmes fins que la requête et, en outre, à titre subsidiaire, à ce que la Cour ordonne la désignation d'un expert et à ce que soit portée à 5 000 euros la somme sollicitée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'elle présente les mêmes moyens ; qu'elle fait, en outre, valoir que la responsabilité pour faute de l'Etat, qu'elle a « incidemment » en première instance invoquée, est engagée dès lors que l'Etat n'a pris aucune mesure permettant de réguler l'excès de population en saisissant le ministre d'une demande d'autorisation de destruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la directive n° 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code rural ;

Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ;

Vu l'arrêté du 17 avril 1981 fixant la liste des espèces protégées sur l'ensemble du territoire français, modifié notamment par les arrêtés du 2 novembre 1992 et 5 mars 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mars 2008 à laquelle siégeaient M. André Schilte, président de la Cour, M. Marc Estève, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur, MM Albert Lequien et. Alain de Pontonx, premiers conseillers :

- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président-assesseur ;

- les observations de Me Forgeois, substituant Me Degand, pour l'EARL AGRI-ARTOIS ;

- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;

Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 13 mars 2008, présentée pour l'EARL AGRI-ARTOIS ;

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

Considérant qu'en vertu des articles 3 et 4 de la loi du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature, dont les dispositions ont été successivement reprises aux articles L. 211-1 et L. 211-2 du code rural puis L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement : « I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d'espèces animales non domestiques (...), sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) » ; que la loi renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment, la liste des espèces animales ainsi protégées, la durée des interdictions qui peuvent être permanentes ou temporaires et les parties du territoire où elles s'appliquent ; qu'il résulte de l'article R. 211-1 du code rural que la liste des espèces protégées est fixée par des arrêtés interministériels qui précisent, en particulier, la nature des interdictions retenues, leur durée et les parties du territoire où elles s'appliquent ; qu'en l'espèce, l'arrêté interministériel du 17 avril 1981 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire a inclus, par un arrêté modificatif du 5 mars 1999, dans cette liste notamment le « goéland argenté (Larus argentarus) » ;

Considérant qu'il ne ressort ni de l'objet ni des termes de la loi du 10 juillet 1976, non plus que de ses travaux préparatoires, que le législateur ait entendu exclure que la responsabilité de l'Etat puisse être engagée en raison d'un dommage anormal que l'application de ces dispositions pourrait causer à des activités - notamment agricoles ; qu'il suit de là que le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions doit faire l'objet d'une indemnisation par l'Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les goélands argentés aient, depuis leur inscription en 1999 parmi les espèces d'oiseaux protégés, proliféré dans la région de Brebières où

l'EARL AGRI-ARTOIS a cultivé, pendant la campagne 2002, quelques 26 hectares de terres ensemencées en graines d'endives ; que si cependant des goélands argentés sédentarisés dans les communes voisines de Cantin ou de Corbehem ont, au début des semis, pu être attirés par les bâches de forçage disposées au sol et les ont trouées, à divers endroits, à la recherche de vers de terre ou de petits mammifères, cette circonstance qui n'a pas empêché la culture de la racine d'endives mais l'a seulement rendue moins productive, n'empêchait pas l'exploitant de se prémunir contre les dégâts causés aux bâches par les oiseaux en tentant par des procédés appropriés de les effaroucher

- procédés dont il n'apparaît pas qu'ils aient été sérieusement mis en oeuvre - ou à demander aux autorités administratives, si le nombre des volatiles s'avérait excessif, une autorisation temporaire de destruction ; qu'en tout état de cause, dans les circonstances particulières de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que les dommages subis soient la conséquence directe de l'édiction des textes relatifs à la protection des goélands argentés ;

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

Considérant que si, dans le dernier état de ses écritures d'appel, l'EARL AGRI-ARTOIS se prévaut explicitement de la responsabilité pour faute de l'Etat, il ne résulte pas de l'instruction que ce dernier aurait, en l'espèce, commis de faute en s'abstenant de prendre les mesures propres à réguler un excès de population ou n'aurait pas répondu à une demande d'autorisation de destruction des laridés ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'EARL AGRI-ARTOIS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EARL AGRI-ARTOIS est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL AGRI-ARTOIS et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.

Copie sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.

2

N°07DA00221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 5 (ter)
Numéro d'arrêt : 07DA00221
Date de la décision : 02/04/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Schilte
Rapporteur ?: M. Olivier Yeznikian
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : DEGANDT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2008-04-02;07da00221 ?
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