La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/10/2008 | FRANCE | N°07DA01933

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 14 octobre 2008, 07DA01933


Vu la requête, enregistrée le 18 décembre 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702291 du 29 novembre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 2 août 2007 rejetant la demande d'admission au séjour de M. Fatih X, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, et lui a enjoint de délivrer à M. X un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugeme

nt ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. X en première instance ...

Vu la requête, enregistrée le 18 décembre 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702291 du 29 novembre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 2 août 2007 rejetant la demande d'admission au séjour de M. Fatih X, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination, et lui a enjoint de délivrer à M. X un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. X en première instance ;

Il soutient que le jugement attaqué a pour effet de vider de son sens la procédure de regroupement familial ; que M. X aurait dû effectuer les démarches nécessaires pour obtenir le regroupement familial lorsqu'il a été reconduit en Turquie et revenir ainsi en France de manière régulière ; qu'il est donc le seul responsable de sa situation ; que c'est, en outre, à tort que le Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté pour atteinte à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que M. X n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l'ordonnance du 14 janvier 2008 portant clôture de l'instruction au 14 mars 2008 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2008 par télécopie et régularisé le

17 mars 2008 par la production de l'original, présenté pour M. Fatih X, demeurant ..., par Me Rouly ; M. X conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré que l'arrêté attaqué porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale dès lors qu'il vit en France depuis 2004, qu'il partage la vie de son épouse depuis 2005, que la famille de son épouse est implantée en France depuis longtemps et qu'il a des perspectives d'insertion professionnelle ; que sa première demande de regroupement familial a été rejetée ; que les liens familiaux qu'il a gardés en Turquie sont de moindre importance que ceux qu'il a désormais en France ; qu'il participe à l'éducation et à l'entretien de son enfant ; qu'il a fait une demande de visa quand il était en Turquie mais cette demande n'ayant pas abouti il a décidé de revenir en France par ses propres moyens ; qu'en outre, le préfet a commis une erreur de fait en considérant dans son arrêté qu'il était entré en France en février 2007 alors qu'il est entré en février 2006 ; que le préfet a également commis une erreur de droit en se bornant à rejeter la demande de titre de séjour alors qu'il aurait dû user de son pouvoir général d'appréciation ; que la décision préfectorale est contraire à l'article 3-1 de la convention de New-York sur les droits de l'enfant dès lors que la décision litigieuse aurait pour effet de le séparer de son fils qui est né en France en décembre 2006 ; que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ; que la décision de refus de séjour étant illégale, la décision portant obligation de quitter le territoire français est dès lors privée de base légale ; que la décision d'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne précise pas le fondement juridique sur lequel elle repose ;

Vu l'ordonnance du 20 mars 2008 portant réouverture de l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le

26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2008 à laquelle siégeaient M. Antoine Mendras, président de chambre, Mme Marianne Terrasse, président-assesseur et M. Christian Bauzerand, premier conseiller :

- le rapport de Mme Marianne Terrasse, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. Patrick Minne, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME relève appel du jugement du

29 novembre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 2 août 2007 refusant de délivrer à M. X une carte de séjour « vie privée et familiale », l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai d'un mois et fixant la Turquie comme pays de destination ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X, de nationalité turque, est entré irrégulièrement en France au cours du mois de novembre 2004 et s'est marié le 5 mars 2005 avec une compatriote en situation régulière ; qu'un enfant est né en France de cette union le 29 décembre 2006 ; que, toutefois, eu égard aux conditions d'entrée en France de M. X, qui a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière pris le 15 septembre 2005 et exécuté le 1er février 2006, à la suite duquel l'intéressé est très rapidement revenu en France où il est à nouveau entré irrégulièrement, et à la brièveté de son séjour, l'arrêté du 2 août 2007 rejetant la demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas porté au droit de M. X au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise et n'a donc pas violé les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a annulé pour ce motif son arrêté du 2 août 2007 et lui a enjoint de délivrer à M. X un titre de séjour ;

Considérant qu'il appartient, toutefois, à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen et la Cour ;

Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :

Considérant, en premier lieu, que M. X soutient que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME a commis une erreur de fait en mentionnant qu'il était entré en France en février 2007 et que son épouse était marocaine alors que sa dernière entrée sur le territoire a eu lieu en février 2006 et que son épouse est de nationalité turque ; que, toutefois, ces circonstances, qui relèvent d'une simple erreur de plume, sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME n'aurait pas fait usage de son pouvoir d'appréciation en rejetant la demande de titre de séjour de M. X ; que celui-ci n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que ledit préfet aurait commis une erreur de droit ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » ; que M. X fait valoir que son enfant, âgé de 7 mois à la date de l'arrêté attaqué, est né et a toujours vécu en France ; que, toutefois, la circonstance que l'intéressé serait temporairement séparé de son enfant, dans l'attente d'un regroupement familial, n'est pas de nature à faire regarder la décision attaquée comme prise en violation des stipulations précitées ;

Considérant, enfin, que la circonstance que M. X aurait des perspectives d'insertion professionnelle ne permet pas, à elle seule, d'établir que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure sur la situation personnelle de l'intéressé ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur à la date de la décision attaquée : « I - L'autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour à un étranger ou qui lui retire son titre de séjour, son récépissé de demande de carte de séjour ou son autorisation provisoire de séjour, pour un motif autre que l'existence d'une menace à l'ordre public, peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l'étranger sera renvoyé s'il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa (...) » ;

Considérant que si la motivation de la décision prescrivant l'obligation de quitter le territoire français se confond avec celle du refus de titre de séjour dont elle découle nécessairement et n'implique pas, par conséquent, dès lors que le refus est lui-même motivé, de mention spécifique pour respecter les exigences de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, l'administration demeure toutefois tenue de rappeler les dispositions législatives qui permettent d'assortir le refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français ; qu'en l'espèce, l'arrêté préfectoral attaqué, s'il est suffisamment motivé en fait, se borne à viser, en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans rappeler dans ses visas, ses motifs ou même son dispositif, les dispositions de ce code permettant de fonder cette mesure d'éloignement ; que le requérant est, dans cette mesure, fondé à soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'irrégularité et à en demander, pour ce motif, l'annulation ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant la Turquie comme pays de destination ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME est seulement fondé à demander l'annulation du jugement du 29 novembre 2007 du Tribunal administratif de Rouen en tant qu'il a annulé son arrêté refusant de délivrer un titre de séjour à

M. X et lui a enjoint de délivrer à ce dernier un titre de séjour ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas » ; qu'il résulte de ces dispositions que l'annulation par le juge de la décision portant obligation de quitter le territoire français implique que soit délivrée à l'étranger une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son droit au séjour ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre au PREFET DE LA SEINE-MARITIME de délivrer à M. X une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son droit au séjour ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation » ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. X une somme de 800 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 29 novembre 2007 du Tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il annule la décision de refus de séjour contenue dans l'arrêté du

2 août 2007 du PREFET DE LA SEINE-MARITIME.

Article 2 : L'article 2 du même jugement faisant injonction audit préfet de délivrer à

M. X un titre de séjour est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au PREFET DE LA SEINE-MARITIME de délivrer à M. X, dans un délai de deux mois, une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait à nouveau été statué sur son droit au séjour.

Article 4 : L'Etat versera M. X une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête du PREFET DE LA SEINE-MARITIME et de la demande de M. X est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et à M. Fatih X.

Copie sera transmise au PREFET DE LA SEINE-MARITIME.

N°07DA01933 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 07DA01933
Date de la décision : 14/10/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Mendras
Rapporteur ?: Mme Marianne (AC) Terrasse
Rapporteur public ?: M. Minne
Avocat(s) : SELARL EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2008-10-14;07da01933 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award