La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2008 | FRANCE | N°08DA00091

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 25 novembre 2008, 08DA00091


Vu la requête, enregistrée le 18 janvier 2008 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour Mme Véronique X et M. Xavier X, demeurant ..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de Mlles Coraline et Clara X, et pour Mlles Aurélie, Virginie et Johanna X, par Me Coubris ; Mme X et autres demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0501994 du 6 décembre 2007 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etablissement français du sang soit condamné à verser les sommes de 18

6 600 euros à Mme X, 25 000 euros à M. X, et 15 000 euros à chacune de ...

Vu la requête, enregistrée le 18 janvier 2008 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour Mme Véronique X et M. Xavier X, demeurant ..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de Mlles Coraline et Clara X, et pour Mlles Aurélie, Virginie et Johanna X, par Me Coubris ; Mme X et autres demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0501994 du 6 décembre 2007 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etablissement français du sang soit condamné à verser les sommes de 186 600 euros à Mme X, 25 000 euros à M. X, et 15 000 euros à chacune de leurs filles en réparation des préjudices résultant de la contamination de Mme X par le virus de l'hépatite C ;

2°) de condamner l'Etablissement français du sang à leur verser lesdites sommes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que Mme X a, à la suite d'un accouchement, reçu le 8 septembre 1982, la transfusion de deux culots globulaires ; que des examens réalisés en 2002 à la suite d'une fatigue chronique ont mis en évidence une hépatite C modérément active ; que la réalité de la transfusion et de la contamination est établie ; que la contamination est établie depuis novembre 1984 dans la mesure où des examens sanguins effectués en raison d'une fatigue persistante ont révélé une élévation des transaminases à cette date ; que les grossesses et interventions médicales postérieures n'ont donc pas pu être à l'origine de la contamination ; que la naissance de 1984 a nécessité des précautions en cours de grossesse mais aucune intervention susceptible d'entraîner un risque nosocomial ; qu'aucune enquête transfusionnelle n'a pu être réalisée en raison de l'incendie des archives du poste de transfusion ; que Mme X ne présente aucun facteur de risque particulier ; qu'à l'époque des faits, le mode de transmission par voie nosocomiale était très marginal par rapport à la voie transfusionnelle ; que l'expert désigné par le Tribunal de grande instance d'Amiens a conclu que la contamination d'origine transfusionnelle ne pouvait être exclue ; que la probabilité de la contamination lors de la transfusion de 1982 est donc importante et que l'Etablissement français du sang, qui n'apporte pas la preuve de l'innocuité des produits de transfusion, doit en être reconnu responsable ; que conformément à l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, le doute doit profiter à la victime ; que Mme X, qui doit faire l'objet d'un suivi médical régulier, vit dans la crainte de l'évolution de la maladie ; qu'elle se plaint d'une asthénie persistante ; que son premier traitement a été inefficace et que les résultats du second ne sont pas encore connus ; qu'au titre du préjudice de contamination, elle est en droit d'obtenir une indemnité de 150 000 euros ; qu'elle supporte mal les traitements qui ont sur elle d'importants effets secondaires et a dû subir une biopsie de foie et qu'elle peut prétendre à une indemnité provisionnelle de 10 000 euros ; que son asthénie lui interdit tout effort prolongé, la prive d'activités qu'elle pratiquait antérieurement et l'empêche de recevoir la moindre visite ce qui l'isole ; qu'elle peut également à ce titre prétendre à une indemnité provisionnelle de 10 000 euros ; qu'elle ne peut plus exercer son activité d'assistante maternelle depuis le 24 septembre 2004 en raison de la pénibilité de son traitement ; que, compte tenu des indemnités journalières versées, la perte de revenus s'élève à 211,37 euros par mois et que son préjudice peut être évalué à 3 000 euros ; que les troubles dans les conditions d'existence justifient une provision de 3 600 euros ; que la maladie laissant des lésions du foie et une asthénie, l'incapacité permanente partielle peut être évaluée à 5 à 10 % ce qui justifie à ce titre une indemnité de 10 000 euros ; que l'état de Mme X est à l'origine de préjudices pour son mari en raison de son asthénie et de ses baisses de moral, celui-ci devant la soutenir et faire face à une part importante des charges du ménage ; que ses cinq filles sont affectées par l'état de leur mère, que l'aînée a dû s'occuper de la plus petite, laquelle a mal vécu d'être séparée de sa mère pendant ses traitements ; que ces préjudices justifient l'octroi à chacune d'elle de 15 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 juin 2008, présenté par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, dont le siège est 1bis place Saint Taurin à Evreux (27030) ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 24 juin 2008 et régularisé par la production de l'original le 25 juin 2008, présenté pour l'Etablissement français du sang, dont le siège est 20 avenue du Stade de France à La Plaine Saint Denis (93218 cedex), par le cabinet Montesquieu avocats, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation des consorts X à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il fait valoir que la source de l'infection par l'hépatite C demeure inconnue dans plus de 20 % des cas ; que le risque de transmission par voie nosocomiale a longtemps été sous-estimé et peut intervenir lors de toute intervention comportant une invasion cutanée ou un abord vasculaire ; que Mme X a été exposée à d'autres facteurs de risque, notamment de nature nosocomiale ; que sa deuxième grossesse a donné lieu à un cerclage et à une hospitalisation ; que le dépistage des transaminases n'a donné lieu à aucun examen complémentaire et que le seul autre examen biologique date de 2003 ; que l'expert conclut qu'il convient d'imputer cette anomalie aux grossesses et rappelle les facteurs de risques de contamination présentés par l'intéressée, et notamment les multiples interventions médicales dont elle a fait l'objet ; que l'article 102 n'implique pas qu'une simple possibilité ouvre automatiquement droit à une indemnisation ; qu'il faut un faisceau d'indices pour établir la présomption de causalité ; qu'il ressort du rapport de l'expert, qui a eu accès aux examens faits à la suite du second traitement, que la virémie s'est révélée négative ; qu'à la date de l'expertise, l'expert n'a pu se prononcer sur les incapacités, la patiente ne pouvant être regardée comme consolidée ; qu'il a noté l'absence de tout signe physique en relation avec l'hépatopathie ; que le préjudice de contamination ne peut être admis à défaut de savoir si la guérison est acquise ; que l'expert ne s'est pas prononcé sur le pretium doloris compte tenu du traitement en cours mais que les éléments invoqués ne justifient une indemnisation qu'à hauteur de 3 à 5 000 euros ; que le préjudice d'agrément n'est pas établi en dehors de la gêne dans la vie quotidienne pendant la durée des traitements ; que le préjudice lié à la perte de revenus est largement surévalué et ne peut en tout état de cause être attribué à titre provisionnel ; que, faute de consolidation, le taux d'incapacité permanente partielle n'a pas été fixé par l'expert mais que, compte tenu du score de métavir de l'intéressée, il ne peut excéder 5 % ; que le préjudice des autres membres de la famille n'est en rien justifié alors qu'il est établi que Mme X a exercé sa profession d'assistante maternelle normalement en dehors de la période de ses traitements, qu'elle a connu cinq grossesses difficiles et que l'existence de la famille a par ailleurs été compliquée par de nombreux déménagements ; que les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie, en dehors des arrêts de travail, ne sont pas justifiées et ne correspondent pas aux faits de l'espèce ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 juin 2008, présenté pour la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, par la SCP Carlier, Régnier ; elle conclut à l'annulation du jugement attaqué par les mêmes moyens que la requérante et à la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 22 667,24 euros en remboursement des frais qu'elle a exposés pour Mme X, la somme de 941 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ainsi que la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les mémoires, enregistrés les 10 et 23 juillet 2008, présentés pour Mme X et autres qui persistent dans leurs conclusions par les mêmes moyens et font en outre valoir que l'élévation des transaminases sont le signe qui permet de fixer la date de la contamination ; que la contamination est de génotype 1 ce qui est un indice de plus de la contamination transfusionnelle ; que les juridictions administratives reviennent à l'ancien système qui aboutissait à demander une preuve impossible ; que le doute doit profiter à la victime dans tous les cas ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 août 2008, présenté pour l'Etablissement français du sang qui persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens et fait en outre valoir que la loi du 4 mars 2002 n'a créé aucune automaticité d'indemnisation et que la maladie peut être guérie dans 50 % des cas s'agissant d'un sujet féminin contaminé jeune ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 novembre 2008 à laquelle siégeaient M. Antoine Mendras, président de chambre, Mme Marianne Terrasse, président-assesseur et Mme Elisabeth Rolin, premier conseiller :

- le rapport de Mme Marianne Terrasse, président-assesseur ;

- les observations de Me Foutry, substituant Me Schindler, pour l'Etablissement français du sang ;

- et les conclusions de M. Patrick Minne, commissaire du gouvernement ;

Considérant que les consorts X relèvent appel du jugement du 6 décembre 2007 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etablissement français du sang soit condamné à verser les sommes de 186 600 euros à Mme X, 25 000 euros à M. X, et 15 000 euros à chacune de leurs filles en réparation des préjudices résultant de la contamination de Mme X par le virus de l'hépatite C lors d'une transfusion intervenue en 1982 au Centre hospitalier de Compiègne ;

Sur la responsabilité :

Considérant que l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dispose que : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. (...) » ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C, il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;

Considérant que Mme X, alors âgée de vingt-et-un ans, a reçu le 8 septembre 1982 une transfusion de deux culots globulaires au Centre hospitalier de Compiègne en raison d'une légère anémie consécutive à la naissance de sa première fille, le 3 septembre précédent ; que le 9 juin 1984, elle a donné naissance à sa deuxième fille et que des examens prescrits à la suite d'une asthénie persistante ont mis en évidence le 23 novembre 1984 un taux de transaminases supérieur à la normale sans qu'aucun examen complémentaire ne soit réalisé pour en déterminer l'origine ; qu'une hépatite C a été détectée en octobre 2002 ; que les requérants soutiennent que la transfusion de 1982 est à l'origine de la contamination ; que si le mode de vie de Mme X ne lui faisait courir aucun risque de contamination particulier, il résulte toutefois de l'instruction qu'elle a connu entre 1982 et 2002 quatre autres grossesses, a fait l'objet d'une endoscopie, de trois anesthésies générales, et de dix séances de scléroses de varices ; que compte tenu de ces éléments, tous susceptibles d'être à l'origine d'une transmission nosocomiale du virus, l'expert commis par le Tribunal de grande instance d'Amiens a seulement conclu que la contamination transfusionnelle ne pouvait être exclue ; qu'ainsi, un délai de vingt ans s'est écoulé entre la transfusion litigieuse et la mise en évidence de la contamination, durant lequel Mme X a, ainsi qu'il a été rappelé, subi un grand nombre d'interventions invasives ; que Mme X se borne à invoquer l'élévation du taux de transaminases en 1984, qui n'a fait l'objet que d'une observation isolée, et une asthénie persistante dont l'origine peut se trouver dans d'autres circonstances de sa vie personnelle ; que si les traitements anti-viraux qu'elle a subis ont eu sur elle d'importants effets secondaires, elle a néanmoins travaillé comme assistante maternelle de 1997 au 24 septembre 2004 ; que dans ces conditions, en l'absence d'un faisceau d'éléments conférant à l'hypothèse d'une contamination transfusionnelle, un degré suffisamment élevé de vraisemblance, le lien de causalité entre la transfusion et la contamination de Mme X ne peut être regardé comme établi, alors même qu'aucune enquête transfusionnelle n'a pu être menée en raison de la destruction par incendie des archives du Centre hospitalier de Compiègne ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X, ainsi que par voie de conséquence, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etablissement français du sang qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse aux consorts X la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts X une somme au titre des frais exposés par l'Etablissement français du sang ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme Véronique X, de M. Xavier X, et de Mlles Aurélie, Virginie et Johanna X et les conclusions de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de l'Etablissement français du sang tendant à ce que soit mise à la charge des consorts X une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Véronique X, à M. Xavier X, à Mlle Aurélie X, à Mlle Virginie X, à Mlle Johanna X, à l'Etablissement français du sang et à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure.

2

N°08DA00091


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 08DA00091
Date de la décision : 25/11/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Mendras
Rapporteur ?: Mme Marianne Terrasse
Rapporteur public ?: M. Minne
Avocat(s) : COUBRIS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2008-11-25;08da00091 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award