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18/02/2010 | FRANCE | N°08DA01789

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 18 février 2010, 08DA01789


Vu la requête, enregistrée le 28 octobre 2008 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Jean-Pierre A, demeurant ..., par la SCP Leleu, Demont, Hareng ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0504380-0506861 du 29 juillet 2008 du Tribunal administratif de Lille en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser l'arriéré de rémunérations correspondant à la retenue de la moitié de son traitement effectuée pour la période durant laquelle il a été illégalement suspendu, soit du 24 septemb

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2°) de condamner l'Etat à lui verser cette ...

Vu la requête, enregistrée le 28 octobre 2008 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Jean-Pierre A, demeurant ..., par la SCP Leleu, Demont, Hareng ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0504380-0506861 du 29 juillet 2008 du Tribunal administratif de Lille en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser l'arriéré de rémunérations correspondant à la retenue de la moitié de son traitement effectuée pour la période durant laquelle il a été illégalement suspendu, soit du 24 septembre 2005 au 26 février 2007 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser cette somme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que la citation devant le tribunal correctionnel n'a été délivrée que le 13 mars 2006 et qu'à la date de prolongation de sa suspension, il ne faisait l'objet d'aucune poursuite pénale ; que la procédure pénale s'est conclue en appel par une relaxe prononcée par un arrêt du 10 janvier 2007 ; que la non-exécution de son service résulte d'une suspension fondée sur une erreur de droit ; que le non-paiement de la moitié de son traitement est illégal ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2009, présenté par le garde des Sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête et présente des conclusions tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a jugé illégale la suspension du requérant du 13 mars 2006 jusqu'à la date de l'arrêt de la cour d'appel prononçant la relaxe du requérant ; il fait valoir, à titre principal, que sa requête est irrecevable faute de demande préalable ; à titre subsidiaire, que la jurisprudence Deberles n'est pas applicable dès lors que la mesure en cause n'est pas une mesure disciplinaire mais une mesure de suspension ; que le requérant n'a subi aucun préjudice puisqu'il a continué à percevoir la moitié de son traitement ; qu'il ne justifie pas du préjudice qu'il allègue ; que l'administration a été informée le 14 octobre 2005 par le Procureur de son intention de citer l'intéressé devant le tribunal correctionnel et que le jugement de première instance a fait l'objet d'un appel ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat ne saurait, le cas échéant, être engagée que du 24 septembre 2005 au 13 mars 2006 ; que le requérant a reconnu des faits de corruption de mineurs prescrits, et s'être connecté à des sites pédophiles, ce qui a été confirmé par les recherches des douanes américaines, et qu'ainsi, l'administration a pu légitimement, eu égard à ses fonctions, prendre une mesure conservatoire en vue de préserver le service en attendant l'issue de la procédure pénale ;

Vu le mémoire, enregistré le 15 mai 2009, présenté pour M. A, qui persiste dans ses conclusions en soutenant qu'il n'a pas reconnu les faits qui lui étaient reprochés lors de sa garde à vue ; que son préjudice peut être évalué à la perte de la moitié de sa rémunération pendant dix-sept mois, soit 20 893 euros ; il demande en outre, à titre subsidiaire, la même somme à titre d'indemnité ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 juin 2009, présenté par le garde des Sceaux, ministre de la justice, par lequel il persiste dans ses conclusions en faisant valoir qu'un agent doit être considéré comme faisant l'objet de poursuites pénales dès que l'action publique est mise en oeuvre et que le requérant a été cité à comparaître le 13 mars 2006 ; le ministre demande en outre la suppression du passage du dernier mémoire du requérant commençant par La réalité et se terminant par qui d'autre en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 septembre 2009, présenté par le ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui conclut aux mêmes fins que précédemment en faisant valoir que la circonstance que les faits incriminés ait eu pour cadre la vie privée et non la vie professionnelle ne s'opposait pas à la mesure ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Marianne Terrasse, président-assesseur, les conclusions de M. Alain de Pontonx, rapporteur public, aucune partie n'étant présente ni représentée ;

Considérant que, par une lettre en date du 22 avril 2005, le procureur du Tribunal de grande instance de Béthune a informé le directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse que M. A, éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, après avoir été interpellé, mis en garde à vue, puis relâché, faisait l'objet d'une enquête préliminaire pour suspicion de détention d'images à caractère pédophile ; que le ministre de la justice, par un premier arrêté en date du 23 mai 2005, a alors prononcé à compter du 24 mai 2005 la suspension de ce fonctionnaire ; que l'enquête s'est poursuivie et qu'en juillet 2005, le procureur a indiqué qu'il soumettait l'intéressé à une expertise psychiatrique et avait l'intention de procéder ensuite à une citation directe à son encontre ; que, par un second arrêté en date du 28 septembre 2005, la suspension de M. A a été prolongée à compter du 24 septembre 2005 et assortie d'une retenue de la moitié de son traitement ; que la suspension a pris fin le 27 février 2007 après que la cour d'appel a prononcé la relaxe de l'intéressé ; que celui-ci a contesté ces décisions devant le Tribunal administratif de Lille qui, par un jugement du 29 juillet 2008, a confirmé la légalité de la suspension initiale, annulé le second arrêté prolongeant la suspension, et rejeté les conclusions de M. A tendant à la restitution des retenues opérées sur son traitement ; que M. A relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ces dernières conclusions ; que le ministre présente en outre des conclusions tendant à ce que l'annulation de l'arrêté du 28 septembre 2005 ne porte que sur la période du 24 septembre 2005 au 13 mars 2006, date de la citation à comparaître signifiée au requérant ;

Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. (...) Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent (...). ;

Sur les conclusions du ministre relatives à l'annulation de l'arrêté du 28 septembre 2005 :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle a été prononcée la prolongation de la suspension de M. A, celui-ci faisait l'objet d'une enquête préliminaire et le procureur avait annoncé son intention de procéder, après qu'aurait été menée à bien l'expertise psychiatrique exigée par les dispositions du code de procédure pénale, à une citation directe ; que c'est toutefois seulement le 13 mars 2006 qu'est intervenue cette citation qui, seule, a eu pour effet de mettre en mouvement l'action publique ; qu'ainsi, à la date à laquelle est intervenu l'arrêté prolongeant la suspension de M. A, celui-ci ne faisait pas l'objet de poursuites pénales ; que la légalité d'une décision administrative s'apprécie en fonction des éléments de droit et de fait existant à la date à laquelle elle intervient ; que dans le cas où cette décision est entachée d'illégalité, son annulation a pour effet de la faire intégralement disparaître de l'ordre juridique ; que par suite, et alors même que les conditions requises par les dispositions précitées de la loi du 13 juillet 1983 pour que le maintien de la suspension puisse être légalement prononcée se sont trouvées postérieurement réunies, le ministre n'est pas fondé, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces conclusions, à demander une annulation seulement partielle de la décision attaquée ; que ses conclusions tendant à ce le juge prononce l'annulation de l'arrêté du 28 septembre 2005 uniquement en tant qu'il porte sur la période du 24 septembre 2005 au 13 mars 2006 doivent en conséquence être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à la restitution des retenues sur traitement :

Considérant que si l'autorité compétente, lorsqu'elle estime que l'intérêt du service l'exige, peut écarter provisoirement de son emploi un agent public qui se trouve sous le coup de poursuites pénales ou fait l'objet d'une procédure disciplinaire, au terme de la période de suspension, cet agent a droit, dès lors qu'aucune sanction pénale ou disciplinaire n'a été prononcée à son encontre, au paiement de sa rémunération pour la période correspondant à la durée de la suspension ; que, par suite, M. A, qui a été définitivement relaxé de toute poursuite pénale en appel et n'a pas davantage fait l'objet de sanction disciplinaire, a droit au versement de l'intégralité de son traitement pour la période du 24 septembre 2005 au 26 février 2007 ; que, s'agissant d'un droit résultant de l'application directe de la loi et non de la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique dans le cadre d'un litige de plein contentieux, aucune demande préalable de l'agent ne peut être exigée ; que la fin de non-recevoir soulevée par l'administration doit donc être écartée ; que, pour le même motif, ne saurait être opposée l'absence de service fait ; que, dès lors, le jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 29 juillet 2008 doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A tendant à la restitution des demi-traitements retenus pendant la période de prolongation de sa suspension ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à la restitution des retenues opérées sur ses traitements entre le 24 septembre 2005 et le 26 février 2007 ;

Sur les conclusions du ministre tendant à la suppression de passages injurieux et diffamatoires :

Considérant que le passage incriminé du mémoire en réplique déposé par M. A, même s'il peut être regardé comme ayant un caractère polémique, ne présente pas le caractère de discours injurieux, outrageants ou diffamatoires qui justifieraient d'en prononcer la suppression en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. A tendant à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du présent litige et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à restituer à M. A des retenues opérées sur ses traitements entre le 24 septembre 2005 et le 26 février 2007.

Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Lille du 29 juillet 2008 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Etat tendant, d'une part, à une annulation seulement partielle de l'arrêté du 28 septembre 2005 et, d'autre part, à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative présentées par l'Etat sont rejetées.

Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Pierre A et au ministre d'Etat, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés.

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N°08DA01789


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 08DA01789
Date de la décision : 18/02/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Gayet
Rapporteur ?: Mme Marianne Terrasse
Rapporteur public ?: M. de Pontonx
Avocat(s) : SCP LELEU-DEMONT-HARENG

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-02-18;08da01789 ?
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