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10/06/2010 | FRANCE | N°10DA00307

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (ter), 10 juin 2010, 10DA00307


Vu la requête, enregistrée le 15 mars 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée par le PREFET DU VAL-DE-MARNE, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000210 du 2 février 2010 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a, sur la demande de Mlle Nafissatou A, d'une part, annulé l'arrêté du 28 janvier 2010 du PREFET DU VAL-DE-MARNE décidant sa reconduite à la frontière et la décision du même jour fixant le pays de destination de la reconduite et, d'autre part, condamné l'Etat à verser à Me Demir la somme de 1 000 euros au titr

e de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

2°) de rejeter la dema...

Vu la requête, enregistrée le 15 mars 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée par le PREFET DU VAL-DE-MARNE, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1000210 du 2 février 2010 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a, sur la demande de Mlle Nafissatou A, d'une part, annulé l'arrêté du 28 janvier 2010 du PREFET DU VAL-DE-MARNE décidant sa reconduite à la frontière et la décision du même jour fixant le pays de destination de la reconduite et, d'autre part, condamné l'Etat à verser à Me Demir la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

2°) de rejeter la demande de Mlle A ;

Il soutient qu'en décidant la reconduite, il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation d'une telle mesure sur la situation personnelle de l'intéressée ; que l'arrêté est régulièrement motivé et ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la décision fixant le pays de destination de la reconduite ne méconnaît pas l'article 3 de cette convention ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 21 mai 2010 et régularisé par la production de l'original le 25 mai 2010, présenté pour Mlle Nafissatou A, demeurant ..., par Mme Demir, avocat ; Mlle A conclut au rejet de la requête du PREFET DU VAL-DE-MARNE et à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle fait valoir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation, eu égard à la durée de son séjour en France et aux démarches entreprises en vue d'une régularisation ; qu'elle justifie de perspectives d'insertion professionnelle et que l'utilisation d'une fausse carte de séjour ne peut, à elle seule, justifier la reconduite ou le refus d'un titre de séjour ; que l'arrêté de reconduite n'est pas régulièrement motivé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique et le décret

n° 91-1266 du 19 décembre 1991, modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Antoine Durup de Baleine, premier conseiller, les conclusions de M. Alain de Pontonx, rapporteur public et, les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Demir, avocat de Mlle A ;

Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière et de la décision fixant le pays de destination :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mlle A, qui, née en 1975, est de nationalité malienne, est entrée en France, d'après ses déclarations, au mois de mai 2003, munie d'un passeport non revêtu du visa exigé par les dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, si elle justifie de sa résidence habituelle en France depuis cette époque, elle a, avant cela, résidé pendant près de vingt-huit ans au Mali ; que, lors de son interpellation le 27 janvier 2010, elle a été trouvée en possession d'une carte de résident falsifiée établie à son identité et dont il résulte de ses déclarations qu'elle se l'était procurée en 2003 moyennant le paiement d'une somme d'argent ; que, si elle a exercé pendant plus de six ans des activités professionnelles en France, elle n'était, toutefois, titulaire d'aucun titre de séjour, qu'elle n'établit pas avoir demandé avant le 2 février 2010, l'autorisant à exercer dans ce pays une activité salariée, alors qu'il ressort du dossier que, pour exercer ces activités, elle a usé du titre de séjour falsifié susmentionné ; qu'elle est célibataire et n'a personne à charge en France, où elle ne justifie d'aucune attache familiale ; qu'elle n'est, en revanche, pas dépourvue d'attaches au Mali, où réside sa fille, âgée de 15 ans et dont elle a déclaré qu'elle est à sa charge, ainsi que son père et une personne présentée comme sa mère adoptive et à laquelle elle a déclaré avoir confié sa fille ; qu'elle a conservé des liens avec le Mali, dès lors qu'outre les éléments qui viennent d'être constatés, il ressort du dossier que, le 28 février 2007, un nouveau passeport lui a, à sa demande, été délivré par l'autorité malienne et qu'elle a réalisé à plusieurs reprises des transferts d'argent dans ce pays, sur un compte ouvert à son nom auprès d'une banque implantée, notamment, à Bamako ; que les circonstances qu'elle a adhéré à un parti politique ainsi qu'à une organisation syndicale de travailleurs salariés, qu'en vue de la régularisation de sa situation au regard du droit au séjour en France elle a reçu le soutien d'élus locaux et que son employeur se serait engagé au mois de janvier 2010 à prendre attache avec la préfecture pour tenter d'obtenir la régularisation de la situation de sa salariée sur le territoire français sont sans influence ; que, compte tenu de l'ensemble des éléments caractérisant ainsi la situation personnelle de Mlle A sur le territoire français et en dépit des liens de toute nature qu'elle aurait pu y nouer depuis le mois de mai 2003, le PREFET DU VAL-DE-MARNE, en décidant la reconduite à la frontière, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une telle mesure d'éloignement sur la situation personnelle de l'intéressée ; que, dès lors, le préfet est fondé à soutenir que le premier juge n'a pu légalement, motif pris d'une telle erreur, annuler l'arrêté de reconduite pris à l'encontre de Mlle A et la décision du même jour fixant le pays de destination de la reconduite ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mlle A :

En ce qui concerne l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant, en premier lieu, que l'arrêté de reconduite à la frontière pris par le PREFET DU VAL-DE-MARNE le 28 janvier 2010 à l'encontre de Mlle A comporte l'énoncé des raisons de fait et de droit pour lesquelles il a été pris, lesquelles raisons se rapportent, ainsi qu'il ressort de leur énoncé même, à la situation particulière de Mlle A et non à celles d'autres personnes et ne présentent par suite pas un caractère stéréotypé ; qu'il est ainsi régulièrement motivé ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; que Mlle A ne peut justifier être entrée régulièrement en France et n'est pas, au 28 janvier 2010, titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; que, dès lors, elle se trouve dans le cas prévu par les dispositions précitées, où le préfet peut décider la reconduite à la frontière ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ;

Considérant que, comme il a été dit, Mlle A ne justifie d'aucune attache familiale en France ; qu'il est établi qu'elle a des attaches familiales au Mali ; qu'elle a séjourné irrégulièrement en France pendant plus de six années ainsi que munie d'un titre de séjour falsifié, dont elle a usé ; que, compte tenu tant de la durée que des conditions du séjour de l'intéressée en France, le PREFET DU VAL-DE-MARNE, en décidant sa reconduite à la frontière, n'a pas porté au droit de Mlle A au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts dans lesquels a été prise cette décision ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'étranger qui est obligé de quitter le territoire français ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ce dernier texte énonce que : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; que ces dispositions et stipulations combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que, si Mlle A soutient qu'en fixant notamment le Mali comme pays de destination de la reconduite, le PREFET DU VAL-DE-MARNE a méconnu les stipulations de l'article 3 précité, elle n'apporte toutefois aucun commencement de preuve de nature à établir qu'elle serait exposée dans ce pays à un risque réel pour sa personne ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Rouen a fait droit à la demande de Mlle A ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais non compris dans les dépens ; que, par suite, les conclusions tendant à ce que soit à ce titre alloué à Me Demir une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 ou à Mlle A une somme de 1 500 euros en application dudit article L. 761-1 ne peuvent être accueillies ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1000210 du 2 février 2010 du Tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mlle A devant le Tribunal administratif de Rouen et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et à Mlle Nafissatou A.

Copie sera transmise au PREFET DU VAL-DE-MARNE.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 10DA00307
Date de la décision : 10/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Gayet
Rapporteur ?: M. Antoine Durup de Baleine
Rapporteur public ?: M. de Pontonx
Avocat(s) : DEMIR

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-06-10;10da00307 ?
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