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23/09/2010 | FRANCE | N°08DA01669

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (bis), 23 septembre 2010, 08DA01669


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le 2 octobre 2008, présentée pour M. et Mme Didier A, demeurant ..., par Me Devaux, avocat ; M. et Mme A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Lille n° 0302211 du 29 juillet 2008 qui a rejeté leur demande tendant à dire que l'implantation sur leur terrain cadastré BA 77 d'une canalisation d'eau potable est irrégulière, à condamner la Société des Eaux du Touquet et la commune d'Etaples-sur-mer à détourner la canalisation et le câble de télécommande se

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le 2 octobre 2008, présentée pour M. et Mme Didier A, demeurant ..., par Me Devaux, avocat ; M. et Mme A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Lille n° 0302211 du 29 juillet 2008 qui a rejeté leur demande tendant à dire que l'implantation sur leur terrain cadastré BA 77 d'une canalisation d'eau potable est irrégulière, à condamner la Société des Eaux du Touquet et la commune d'Etaples-sur-mer à détourner la canalisation et le câble de télécommande selon les conditions précisées par l'expert commis dans l'instance et de dire que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 500 euros par jour de retard ;

2°) de dire que l'implantation sur leur terrain cadastré BA 77 d'une canalisation d'eau potable est irrégulière, à condamner la Société des Eaux du Touquet et la commune d'Etaples-sur-mer à détourner la canalisation et le câble de télécommande selon les conditions précisées par l'expert commis dans l'instance et de dire que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de condamner l'Etat à leur payer la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à prendre en charge tous les dépens y compris les frais d'expertise ;

Ils soutiennent que c'est à tort que le Tribunal administratif a rejeté leur requête au motif que les inconvénients subis ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt général qui s'attache au maintien de la canalisation dont le déplacement s'avère très onéreux ; qu'en effet, le coût prétendument excessif de ces travaux de dévoiement n'a été précisé par aucun défendeur ; que le maintien de cet ouvrage porte atteinte à leur droit de propriété protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 545 du code civil ; que la servitude créée par la canalisation n'a pu être acquise par prescription ; qu'il n'a été mentionné aucune servitude dans l'acte de vente notarié ; que les prescriptions du code rural relatives à l'établissement des servitudes ont été méconnues ; que sont responsables de ce préjudice, la commune d'Etaples, maître d'ouvrage des travaux, la Société des Eaux du Touquet, concessionnaire du service, devenue Générale des Eaux et la direction départementale de l'équipement, maître d'oeuvre des travaux de pose ; que l'erreur d'implantation a été reconnue par les services de l'Etat ; qu'il n'est pas attenté à l'intangibilité de cet ouvrage dont seul le dévoiement est demandé ; qu'aucun défendeur n'a chiffré ces travaux tout en soutenant que leur coût est excessif pour la collectivité ; que les époux A sont en revanche empêchés de procéder à l'extension de leur maison du fait de la présence de cet ouvrage ; que le préjudice lié à la perte de valeur de l'immeuble a été évalué à 15 % de celle-ci ; que d'ailleurs, EDF a été sévèrement condamnée par la juridiction judiciaire pour procéder au dévoiement de son câble ; que la jurisprudence reconnaît désormais que les ouvrages publics ne sont pas intangibles ; que si l'erreur d'implantation a été commise de bonne foi, l'emprise n'en demeure pas moins de façon irrégulière ; que la demande est recevable dès lors qu'en tout état de cause, l'administration a été mise en cause par un courrier du 31 août 2000 adressé la sous-préfecture d'Arras, à la Société des Eaux du Touquet et à EDF-GDF ; qu'il n'est nullement établi que le terrain d'emprise a été annexé par les requérants alors qu'il était destiné à entrer dans le domaine public ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu l'ordonnance, en date du 17 octobre 2008, fixant la clôture de l'instruction au 16 avril 2009 à 16 h 30 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 21 novembre 2008 et régularisé par la production de l'original le 24 novembre 2008, présenté pour la Société des Eaux du Touquet, dont le siège est 64 rue de Londres au Touquet (62520), par la SCP d'avocats Faucquez et Bourgain, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation des époux A à lui verser une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que le principe d'intangibilité des ouvrages publics reste en vigueur mais est tempéré par la possibilité pour le juge administratif, selon les circonstances de l'espèce, de rechercher si une régularisation est possible ; que le rapport d'expertise lui-même et les requérants dans leurs écritures devant le Tribunal de grande instance de Boulogne ont évalué à environ 91 469 euros le coût des travaux de dévoiement tandis que le préjudice lié à la perte de valeur du terrain est au pire de 11 433,68 euros ; qu'ainsi, l'intérêt général l'emporte sur l'intérêt particulier des requérants ; qu'en tout état de cause, la Société des Eaux du Touquet n'est pas propriétaire de la canalisation ; qu'elle ne peut dès lors être condamnée à participer à d'éventuels travaux de dévoiement qui incombent à la commune d'Etaples-sur-Mer ; que le préjudice résulte non des travaux publics exécutés mais de l'implantation de l'ouvrage ; que les entreprises ne peuvent donc être attraites à ce titre ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 mars 2009, présenté par le ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, qui conclut au rejet de la requête aux motifs que celle-ci n'est dirigée contre l'Etat qu'en ce qui concerne la prise en charge des dépens ; que de ce point de vue, dès lors que l'Etat n'est responsable à aucun titre et que l'ensemble des frais d'expertise a été ordonné devant la juridiction judiciaire, il y a lieu de rejeter la demande ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 juin 2009, présenté pour la commune d'Etaples-sur-mer, représentée par son maire en exercice, par Me Rangeon, avocat, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation des requérants à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que seule la juridiction judiciaire est compétente s'agissant d'une voie de fait ; que la ville d'Etaples-sur-Mer n'était pas propriétaire du terrain au moment des faits et que sa responsabilité ne peut donc être engagée ; que M. A a violé la réglementation par son comportement ; que la canalisation a été implantée à un endroit où le terrain devait faire partie du domaine public ; qu'il n'y a donc nullement une dépossession du bien des époux A ; que la limite réelle de la parcelle des requérants reste douteuse ; que l'expert conclut qu'à supposer qu'une erreur ait été commise, il ne s'agissait aucunement d'une irrégularité au moment où elle a été commise ; que le recours direct des époux A en constatation d'emprise irrégulière, tendant à faire déplacer l'ouvrage, est irrecevable ; que la responsabilité de la ville d'Etaples-sur-Mer ne saurait être engagée ;

Vu l'ordonnance en date du 5 juin 2009 portant réouverture de l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Bertrand Boutou, premier conseiller, les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Lecat, substituant Me Devaux, pour M. et Mme A et Me Mazier, avocat, substituant Me Bourgoin, avocat, pour la Société des Eaux du Touquet ;

Sur l'exception d'incompétence soulevée par la commune d'Etaples-sur-Mer :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de la décision du Tribunal des conflits n° 3586 en date du 17 décembre 2007 que des travaux de pose d'une canalisation d'eau potable dans le sous-sol de la parcelle cadastrée BA n° 77, située à Etaples-sur-mer, appartenant aux époux A et auparavant à la société d'HLM du Pas-de-Calais et du Nord, ont été effectués par la Société des Eaux du Touquet pour la commune d'Etaples-sur-mer ; qu'il est constant que la pose de cette canalisation n'a été précédée ni par une expropriation pour cause d'utilité publique, ni par l'institution de servitudes dans les conditions prévues aux articles L. 152-1, L. 152-2 et R. 152-1 à R. 152-15 du code rural, ni par l'intervention d'un accord amiable avec les propriétaires ; que l'implantation irrégulière de cette canalisation d'eau potable a dépossédé les époux A d'un élément de leur droit de propriété sur une partie de leur terrain ; que toutefois, dès lors que l'ouvrage public litigieux a été construit en raison d'erreurs matérielles de délimitation tenant à la configuration des lieux, l'implantation de celui-ci ne saurait être constitutive d'une voie de fait ; qu'il n'appartient ainsi qu'à la juridiction administrative de statuer sur les mesures propres à mettre fin à l'emprise irrégulière ainsi constatée ; que l'exception d'incompétence soulevée par la commune d'Etaples-sur-Mer ne peut qu'être rejetée ;

Sur la régularité du jugement de première instance :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ; que s'il appartient au juge administratif de statuer par voie d'injonction sur les mesures propres à mettre fin à une emprise irrégulière, c'est à la condition préalable qu'il ait été saisi et qu'il ait statué sur la légalité de la décision de l'autorité administrative ayant refusé de procéder à ces mesures sur la demande des personnes concernées ; qu'à défaut, il ne peut être saisi d'aucune demande d'exécution en application des dispositions précitées de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les époux A n'ont saisi à aucun moment la commune d'Etaples-sur-Mer, propriétaire de l'ouvrage en litige, d'une demande tendant à faire cesser l'emprise irrégulière dont ils se plaignent, alors qu'ils ont en revanche, adressé de telles demandes à l'Etat, à la Société des Eaux du Touquet et à EDF ; qu'ils n'ont, par voie de conséquence, pas davantage saisi le tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation du refus de la commune de procéder à ces mesures ; que par suite, leur demande devant le Tribunal administratif de Lille, qui tendait à ce que l'emprise irrégulière soit constatée et à ce qu'il soit directement enjoint à la commune d'Etaples-sur-Mer de procéder au déplacement de la canalisation d'eau implantée dans leur propriété, était irrecevable ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la commune d'Etaples-sur-Mer est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a admis la recevabilité des conclusions des époux A tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune d'Etaples-sur-Mer de déplacer l'ouvrage en litige ; qu'il y a lieu d'évoquer ces conclusions et de les rejeter comme non recevables ;

Sur les conclusions relatives aux dépens :

Considérant qu'aucun dépens n'a été engagé dans le cadre de la présente instance, les frais d'expertise dont il est demandé le remboursement ayant été ordonnés dans le cadre de la procédure diligentée devant la juridiction judiciaire ; que dès lors, les conclusions présentées à cet égard par M. et Mme A sont dépourvues d'objet et, par suite, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;

Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. et Mme A doivent, dès lors, être rejetées ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée sur le même fondement par la commune d'Etaples-sur-Mer ; qu'en revanche, il y a lieu de faire droit à la demande de la Société des Eaux du Touquet présentée sur le même fondement à l'encontre des requérants en condamnant ces derniers à lui verser, à ce titre, une somme de 1 000 euros ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lille n° 0302211 du 29 juillet 2008 est annulé.

Article 2 : La demande de M. et Mme A devant le Tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : M. et Mme A sont condamnés à payer une somme de 1 000 euros à la Société des Eaux du Touquet en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A est rejeté.

Article 5 : La demande de la commune d'Etaples-sur-Mer fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Didier A, à la commune d'Etaples-sur-Mer, à la Société des Eaux du Touquet et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer.

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N°08DA01669 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 08DA01669
Date de la décision : 23/09/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Appeche-Otani
Rapporteur ?: M. Bertrand Boutou
Rapporteur public ?: Mme Baes Honoré
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS DEVAUX et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-09-23;08da01669 ?
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