La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/11/2010 | FRANCE | N°09DA00026

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 02 novembre 2010, 09DA00026


Vu la requête, enregistrée le 7 janvier 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Guillaume A et Mme Anne-Laure B épouse A, agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs trois filles mineures, Agathe, Claire et Priscille A, demeurant ..., par Me Julia ; M. et Mme A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600107 du 13 novembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier de Dieppe soit condamné à leur verser la somme de 1 790 055

,80 euros ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L....

Vu la requête, enregistrée le 7 janvier 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Guillaume A et Mme Anne-Laure B épouse A, agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs trois filles mineures, Agathe, Claire et Priscille A, demeurant ..., par Me Julia ; M. et Mme A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0600107 du 13 novembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier de Dieppe soit condamné à leur verser la somme de 1 790 055,80 euros ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner, à raison des fautes commises lors de l'accouchement de Mme A le 2 novembre 1998, le centre hospitalier de Dieppe à les indemniser du préjudice économique d'Agathe, à hauteur de la somme de 200 000 euros à titre de provision, du préjudice professionnel d'Agathe, à hauteur de la somme de 100 000 euros à titre de provision, du préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne, à hauteur de la somme de 1 335 377,80 euros, du préjudice lié à l'aménagement d'un véhicule, à hauteur de la somme de 44 418 euros, du préjudice lié à l'aménagement de la maison, à hauteur de la somme de 10 000 euros, à titre de provision, outre la mise en place d'une expertise, du préjudice personnel d'Agathe, à hauteur de la somme de 250 000 euros à titre de provision, des préjudices de ses soeurs, à hauteur de la somme de 20 000 euros chacune, et de leurs propres préjudices, à hauteur de la somme de 50 000 euros chacun ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que Mme A a été hospitalisée au centre hospitalier de Dieppe le 1er novembre 1998 du fait d'une rupture prématurée de la poche des eaux ; qu'il ressort du rapport d'expertise que les troubles du rythme cardiaque foetal constatés le 2 novembre suivant à partir de 11 heures constitués par une bradycardie associée à une hypertonie utérine se sont compliqués à partir de 19 heures 10 par une tachycardie associée à une élévation de la température de la mère ; que le rythme cardiaque foetal est resté pathologique entre 19 heures 10 et 23 heures 10 ; que, malgré cette situation, qui constitue une chorioamniotite, aucun prélèvement bactériologique n'a été réalisé et aucun antibiotique administré ; que ce n'est qu'à 23 heures 37 qu'une césarienne a été pratiquée ; que l'enfant est née en détresse vitale, sans respiration spontanée, puis a présenté des troubles neurologiques précoces et un coma au 3ème jour évoquant un oedème cérébral ; que la relation entre l'état de l'enfant et la souffrance foetale subie pendant l'accouchement est appréciée à travers 3 critères majeurs et 5 critères mineurs ; que la situation de la jeune Agathe réunit 2 des 3 critères majeurs et 4 des 5 critères mineurs ; que la souffrance foetale aiguë n'a pas été diagnostiquée et n'a pas été prise en charge et que la chorioamniotite ne l'a pas été davantage, de telle sorte que l'enfant a été exposée pendant 4 heures à ces 2 types d'atteintes ; que ces carences constituent des fautes de l'établissement hospitalier et que ces dernières sont à l'origine du handicap dont souffre l'enfant ; que, pour écarter la responsabilité de l'hôpital, le tribunal s'est fondé sur le non-respect d'un des critères majeurs, à savoir l'absence d'acidose métabolique caractérisée par un pH supérieur à 7 ; que, toutefois, la mesure de ce dernier à 7,24 est intervenue plus de 40 minutes après la naissance, ce qui ne permet pas d'établir que lors de celle-ci ce pH était également supérieur à 7 ; que la prise en compte des 4 critères mineurs, réunis en l'espèce, est également de nature à établir la relation entre l'infirmité dont souffre la jeune Agathe et les fautes commises par le service hospitalier lors de l'accouchement ; que l'enfant est atteinte d'un handicap neurologique sévère correspondant à une incapacité permanente partielle proche de 80 % avec une incapacité temporaire totale de la naissance jusqu'à la consolidation ; qu'elle ne sera jamais autonome et subit, de ce fait, un préjudice professionnel ; qu'elle nécessitera en permanence la présence d'une tierce personne pour tous les actes de la vie quotidienne ; que son état nécessite l'aménagement d'un véhicule et de son habitation ; qu'elle subit un préjudice d'agrément, un préjudice esthétique et un pretium doloris importants ; que sa famille subit également des préjudices ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 7 octobre 2009 et confirmé par la production de l'original le 12 octobre 2009, présenté pour le centre hospitalier de Dieppe, dont le siège social est situé avenue Pasteur à Dieppe cedex (76202), par Me Boizard ; il conclut au rejet de la requête par les motifs qu'il ne ressort pas du rapport d'expertise qu'il existerait un rapport de causalité entre le handicap, dont est atteinte la jeune Agathe, et les conditions dans lesquelles Mme A a accouché au centre hospitalier de Dieppe ; qu'en premier lieu, la cause anoxique de l'infirmité n'est pas établie en l'absence de l'un des 3 critères cumulatifs essentiels requis, soit en l'occurrence, l'existence d'un pH inférieur à 7 à la naissance, pour établir l'existence de cette cause ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les conditions dans lesquelles ce pH a été mesuré dans l'heure suivant la naissance ne sont pas contraires aux préconisations du collège national des gynécologues et obstétriciens français ; que la référence au score d'AGPAR, inférieur à 7 pendant 5 minutes, date de 1999 et a depuis fait l'objet d'une révision qui retient un score entre zéro et 3 au-delà de 5 minutes alors que, dans le cas présent, le score de l'enfant était de 7 ; que, s'agissant de l'infection, il n'a pas été relevé de signes infectieux en postopératoire ; que nonobstant le reproche formulé par l'expert d'absence de traitement antibiotique en présence d'une chorioamniotite, ledit expert a relevé que rien n'établissait que, même avec une césarienne pratiquée plus tôt, l'état de l'enfant serait différent ; que les services du centre hospitalier n'ont commis aucune faute, tant en ce qui concerne l'analyse du rythme cardiaque foetal que dans l'analyse du problème infectieux ou dans celle de la durée de l'extraction de l'enfant ; qu'en particulier, sur le premier point, l'expert a commis une certaine confusion entre les notions de rythme cardiaque foetal pathologique et de simple stress foetal ; que, sur le plan infectieux, compte tenu des germes observés à la suite des prélèvements bactériologiques réalisés lors de l'admission de la patiente, et à l'absence de streptocoques B, le centre hospitalier n'a pas commis de faute en n'administrant pas d'antibiotiques à la parturiente ; qu'en tout état de cause, compte tenu de l'heure à laquelle l'infection a été constatée, 21 heures 40, l'administration d'un tel traitement aurait été sans incidence sur l'état de l'enfant ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 13 novembre 2009 et confirmé par la production de l'original le 17 novembre 2009, présenté par la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime, dont le siège social est situé Cité de l'Agriculture à

Bois-Guillaume cedex (76236), par lequel elle fait état d'une créance de 22 041,86 euros au titre des débours associés aux soins pris en charge entre le 2 juillet 2001 et le 2 décembre 2003 et d'une estimation de frais futurs de 1 182 044,69 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 décembre 2009, présenté pour la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime, par Me Waast, par lequel elle fait état d'une créance de 22 041,86 euros au titre des débours associés aux soins pris en charge par elle entre le 2 juillet 2001 et le 2 décembre 2003 et d'une estimation de frais futurs de 1 182 044,69 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 avril 2010, présenté pour M. A et Mme B épouse A qui concluent aux mêmes fins que leur requête et invoquent les conclusions du Dr C, expert honoraire près la Cour de cassation, selon lesquelles les fautes imputables au centre hospitalier de Dieppe seraient à l'origine du handicap d'Agathe compte tenu des troubles persistants du rythme cardiaque entre 19 heures 10 et 23 heures 10, que la position de la tête du foetus était une indication de césarienne et que, malgré l'élévation de température de la mère aucun prélèvement biologique et aucun traitement antibiotique n'ont été entrepris ; que le seul argument de l'absence d'acidose à la naissance n'est pas déterminant compte tenu des conditions dans lesquelles la mesure du taux de pH est intervenue ; qu'il ressort également de l'avis émis par le Dr D que, dès la manifestation des premiers signes d'infection foeto maternelle le 2 novembre 1998 à 11 heures, des mesures immédiates de dégagement auraient dû être entreprises, alors qu'il faudra attendre 31 heures 20 minutes pour que le gel de prostaglandine soit appliqué ; que le retard à la césarienne est également évident ; que l'absence d'antibiothérapie en présence d'une infection a entraîné une importante perte de chance d'éviter des complications ;

Vu le mémoire, enregistré le 9 août 2010, présenté pour M. A et Mme B épouse A qui concluent aux mêmes fins que leur requête et invoquent les résultats de l'examen d'Agathe par IRM sous anesthésie générale, effectué par le Dr E lors d'une hospitalisation du 31 mai au 1er juin 2010, duquel il ressort que les anomalies rolandiques bilatérales, les hypersignaux T2 et FLAIR notés au niveau des putamens et des thalami bilatéraux mettent en évidence une séquelle d'anoxie cérébrale ; que l'origine périnatale de cette dernière est très probable compte tenu du caractère non évolutif des lésions ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 12 octobre 2010 et confirmé par la production de l'original le 15 octobre 2010, présenté pour le centre hospitalier de Dieppe qui conclut au rejet de la requête par les mêmes motifs que précédemment et il ajoute que les conclusions du Dr D, produites par les requérants, sont dépourvues de fondement en ce qui concerne l'origine infectieuse du handicap par chorio amniotite et que celles du Dr G le sont également s'agissant de l'origine anoxique de ce handicap en raison du caractère pertinent de la mesure du pH à 7,24 effectuée 45 minutes après la naissance ; que les conclusions du Dr F tirées de l'IRM ne peuvent être discutées faute de production des images aux débats ; que la faute imputée au centre hospitalier ne peut être au plus qu'associée à une perte de chance de l'enfant d'éviter l'infirmité et non à une relation de cause à effet ; que les requérants ne fondent pas leur demande sur la perte de chance ; qu'en l'absence de consolidation, il est prématuré de demander une indemnisation en capital du poste tierce personne ; que la caisse ne pourra qu'être déboutée de sa demande de capitalisation des frais futurs et ne pourrait, en tout état de cause, qu'obtenir des remboursements au fur et à mesure de la justification de ses débours ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Michel Durand, président-assesseur, les conclusions de M. Patrick Minne, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Jegu, pour

M. et Mme A, Me Boizard, pour le centre hospitalier de Dieppe ;

Considérant que Mme A a accouché au centre hospitalier de Dieppe, le 2 novembre 1998, d'une petite fille prénommée Agathe, née en état de mort apparente et qui est atteinte d'infirmité motrice cérébrale ; que M. et Mme A relèvent appel du jugement du Tribunal administratif de Rouen du 13 novembre 2008 qui rejette leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Dieppe à réparer les séquelles dommageables présentées par leur fille au motif que l'existence d'un lien de causalité entre les fautes commises par l'hôpital et le handicap de l'enfant n'était pas établi ;

Sur la responsabilité :

Considérant que Mme A a été hospitalisée, le 1er novembre 1998, une semaine avant le terme prévu, à la maternité du centre hospitalier de Dieppe en raison d'une perte de liquide amniotique caractérisant une rupture prématurée des membranes ; que, le 2 novembre suivant, en l'absence de travail spontané, le déclenchement de l'accouchement a été recherché par la pose à 9 heures 20 minutes d'un gel de prostaglandine ; que, vers 11 heures, le rythme cardiaque foetal a chuté de 140 à 80 lors d'une bradycardie foetale qui a entraîné une injection de Salbutamol, l'administration d'oxygène et un transfert en salle de travail ; que si cette bradycardie, d'une durée d'environ 12 minutes, n'imposait pas un accouchement immédiat par césarienne, il ressort cependant des recommandations élaborées par le collège national des gynécologues et obstétriciens français, produites par le centre hospitalier, qu'une bradycardie sévère subite, c'est-à-dire inférieure à 90, fait partie des anomalies à risque majeur d'acidose ; qu'ensuite, le rythme cardiaque foetal s'est rétabli normalement et n'a recommencé à se dégrader qu'à partir de 19 heures ; qu'il ressort du rapport d'expertise médicale, établi le 23 juin 2004 par le Dr H Maria désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen, qu'à partir de 19 h 10, la température est de 37°8 et le rythme cardiaque foetal se dégrade : ralentissements variables résiduels d'amplitude 60, pendant 20 mn (19 h 10 à 19 h 30), puis tachycardie entre 180 et 160 pendant 10 mn (19 h 30 à 19 h 40) suivie d'un ralentissement de 1 mn, d'amplitude 60 à 19 h 40. Ensuite, jusqu'à 20 h 45, tachycardie à 160, avec épisode de faibles oscillations pendant 40 mn. De 20 h 50 à 21 h 10, d'autres ralentissements variables, d'amplitude 30 à 50. Vers 21 h 20, la dilatation du col est complète, et sur le rythme cardiaque foetal, survient une bradycardie à 100 pendant 6 mn. Après 21 h 30, le rythme cardiaque foetal est tachycarde à 180 pendant 12 mn. Ensuite, le rythme cardiaque foetal montre une tachycardie à 160 avec des ralentissements réguliers, chaque contraction utérine, d'amplitude 20 à 40 jusqu'à 23 h 10, heure de transfert au bloc opératoire. De 19 h 10 à 23 h 10, soit pendant 4 h, le rythme cardiaque foetal est constamment pathologique. La température de Mme A est à 38° à 21 h 40, et de 38° 2 à 22 h 30. Aucun prélèvement bactériologique n'est réalisé, aucun antibiotique n'est prescrit. ; qu'il ressort dudit rapport d'expertise que l'absence de traitement antibiotique et le retard mis pour décider l'accouchement par césarienne, malgré une période de 4 heures pendant laquelle le foetus a connu des troubles du rythme cardiaque, sont à l'origine d'une situation de souffrance foetale ; que, si une telle souffrance est susceptible d'entraîner une acidose métabolique pouvant induire des lésions cérébrales, l'expert n'a pas pour autant associé cette souffrance à l'infirmité affectant l'enfant dès lors, qu'au vu de l'état de l'enfant, seuls deux critères essentiels, soit une encéphalopathie néonatale sévère d'installation précoce à 40 SA et une infirmité motrice cérébrale, sont réunis en l'espèce sur les trois définis par le consensus international, compte tenu d'une absence d'acidose métabolique établie par un pH sanguin de 7,24 alors que ladite acidose est établie par un pH inférieur à 7 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction, qu'en l'absence de la mesure du pH sanguin immédiatement à la naissance, la valeur du pH de 7,24, associée à un test effectué 40 minutes après la naissance de l'enfant, ne suffit pas pour écarter l'existence d'une acidose métabolique à la naissance ; que l'expert a également relevé que la situation de la jeune Agathe satisfaisait à 4 critères non spécifiques sur 5, suggérant une survenue des facteurs de l'infirmité motrice cérébrale pendant le travail ; que, par suite, M. et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Rouen a considéré que ce taux de pH de 7,24 suffisait pour exclure tout lien de causalité entre les conditions dans lesquelles s'est déroulé l'accouchement et le handicap dont souffre la jeune Agathe ;

Considérant, en revanche, qu'au regard des risques d'affection neurologique associés à la souffrance foetale infligée à l'enfant, l'expert conclut qu'une césarienne aurait dû être pratiquée avant 21 heures, soit plus de deux heures avant l'heure à laquelle cette intervention a été pratiquée ; que ce retard a prolongé les souffrances foetales et, par voie de conséquence, a été de nature à aggraver les lésions cérébrales ; que, dès lors que non seulement l'évaluation de l'acidose métabolique ne constitue qu'un paramètre d'appréciation parmi divers autres critères, mais que de surcroît le prélèvement du sang utilisé pour mesurer le pH n'est pas intervenu immédiatement à la naissance malgré le contexte de souffrance foetale, l'établissement hospitalier ne saurait soutenir que le seul facteur relatif au taux du pH de l'enfant, qui se situait à 7,24 quarante cinq minutes après la naissance, exclurait toute relation causale entre l'infirmité motrice cérébrale et une asphyxie per partum ; que, dès lors, le retard dans la mise en oeuvre de la césarienne est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ; que, par suite, le centre hospitalier de Dieppe n'est pas fondé à contester l'existence d'un lien de causalité entre une prise en charge inappropriée de l'accouchement de Mme A et une partie du handicap de l'enfant ;

Considérant, toutefois, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ;

Considérant, en l'espèce, que les opérations d'expertise ont permis d'établir que l'enfant aurait pu naître deux heures plus tôt si l'équipe obstétricale avait pris la décision de pratiquer une césarienne dès 21 heures au lieu d'attendre une expulsion naturelle puis d'essayer, au préalable, un engagement par ventouse ; que l'extraction tardive du foetus en résultant n'était pas justifiée et a privé l'enfant Agathe d'échapper aux lésions cérébrales ; qu'eu égard à ces divers éléments, la perte de chance doit, dans les circonstances de l'espèce, être fixée à 50 % des préjudices indemnisables ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A sont fondés à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Dieppe ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale, doit, pour chacun des postes de préjudice patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;

En ce qui concerne les frais médicaux :

Considérant que la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime a pris en charge, depuis le 2 juillet 2001, des dépenses d'hospitalisation ainsi que des frais médicaux, pharmaceutiques, de transport et d'appareillage s'élevant à la somme non contestée de 168 457,57 euros, ainsi qu'il résulte des attestations produites au dossier ; que, compte tenu de la fraction du préjudice devant donner lieu à réparation, la caisse peut seulement prétendre au remboursement, par le centre hospitalier de Dieppe, d'une somme de 84 228,78 euros ;

Considérant que le préjudice indemnisable subi par Agathe A comprend l'ensemble des frais exposés à son profit par la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime ou qui le seront ultérieurement, de manière certaine, en relation directe avec la faute du centre hospitalier de Dieppe ; que, toutefois, en l'état des justificatifs produits, tel n'est pas le cas des dépenses futures qu'exigerait ultérieurement l'état de santé d'Agathe A, dont ladite caisse demande la prise en charge, couvrant des frais d'hospitalisation continue jusqu'à l'âge de 18 ans, de visite médicale, de soins infirmiers à domicile jusqu'à 55 ans, de kinésithérapie pour une durée de 3 ans et de fournitures comprenant un fauteuil roulant et un matelas jusqu'à l'âge de 60 ans ; que, par suite, la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime n'est pas fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Dieppe à lui payer lesdits frais médicaux futurs ;

En ce qui concerne les frais liés au handicap :

Considérant que si le juge n'est pas en mesure de déterminer, lorsqu'il se prononce, si l'enfant sera placé dans une institution spécialisée ou s'il sera hébergé au domicile de sa famille, il lui appartient d'accorder à l'enfant une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien au domicile familial, en fixant un taux quotidien et en précisant que la rente sera versée au prorata du nombre de nuits que l'enfant aura passées à ce domicile au cours du trimestre considéré ; que les autres chefs de préjudice demeurés à la charge de l'enfant doivent être indemnisés, par ailleurs sous la forme soit d'un capital, soit d'une rente distincte ;

Considérant qu'en absence de consolidation de l'état de la jeune Agathe, il sera fait, eu égard à la nécessité de l'assistance d'une tierce personne, une juste appréciation des frais afférents à son maintien au domicile de ses parents, en attribuant à l'enfant, depuis le 26 novembre 1998, date de son retour au domicile familial après une hospitalisation au centre hospitalier universitaire de Rouen et jusqu'à son dix-huitième anniversaire, une rente calculée sur la base d'un taux quotidien dont le montant est fixé à 120 euros, à la date du jugement attaqué ; que le taux de la rente devra être revalorisé par la suite en fonction des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ; que cette rente, versée par trimestres échus, sera due au prorata du nombre de nuits que l'enfant aura passées au domicile familial ; que, pour les périodes éventuellement passées en établissement spécialisé, les frais pris en charge seront constitués par les débours justifiés exposés par la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime ;

Considérant que si M. et Mme A, en leur qualité de représentants légaux de leur fille Agathe, demandent le remboursement de frais d'aménagement de leur logement, ils n'établissent ni avoir exposé de tels frais, ni la nécessité d'un aménagement spécial ; que le préjudice invoqué ne présente pas, par conséquent, en l'état de l'instruction, le caractère certain lui conférant la qualité de préjudice réparable ; qu'ils n'apportent pas davantage d'éléments justifiant qu'il soit ordonné une expertise destinée à déterminer lesdits aménagements ;

Considérant que la nécessité d'un véhicule adapté au handicap d'Agathe est, en revanche, établie ; que, compte tenu du devis produit par les requérants, il sera fait une juste appréciation du surcoût lié à l'acquisition d'un véhicule plus spacieux et du coût de son adaptation en les fixant à 15 000 euros ; que, par ailleurs, les droits à réparation devant être réévalués lorsque l'enfant aura atteint l'âge de la majorité, il n'y a pas lieu d'y inclure le coût de renouvellement de cet équipement ;

En ce qui concerne le préjudice personnel subi par l'enfant Agathe A :

Considérant, en premier lieu, que M. et Mme A réclament une provision de 200 000 euros pour leur fille au titre de la prise en compte de son incapacité temporaire et de son incapacité permanente ; que compte tenu de l'âge de la victime, ces préjudices ne peuvent être pris en compte en tant que tels mais sont compris dans le préjudice global de la victime à raison de ses troubles dans ses conditions d'existence, au titre desquels les requérants demandent une provision de 250 000 euros ; que, compte tenu de l'invalidité quasi totale de l'enfant depuis sa naissance, de ses souffrances physiques et de son préjudice esthétique élevé, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en accordant à Agathe une provision en capital de 250 000 euros, tous préjudices confondus ;

Considérant, en second lieu, qu'Agathe n'exerce aucune activité professionnelle et que le préjudice professionnel invoqué n'a qu'une nature purement éventuelle ; que, par suite, il ne peut donner lieu à indemnisation ;

Sur les préjudices de M. et Mme A et de leurs filles Claire et Priscille :

Considérant, en premier lieu, qu'au regard de l'importance du handicap dont est atteinte leur fille Agathe, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. et Mme A et des troubles de toute nature en les évaluant, pour chacun, à 30 000 euros ;

Considérant, en second lieu, que M. et Mme A réclament une indemnité de 20 000 euros, chacune, au titre des troubles apportés dans leurs conditions d'existence et de leur douleur morale, pour Claire et Priscille en leur qualité de soeurs de la victime ; que, toutefois, dès lors qu'elles sont nés en 2000 et 2003, postérieurement à la naissance en cause, leur préjudice est sans lien avec la faute commise ;

Sur le total des indemnités dues par le centre hospitalier de Dieppe :

Considérant que, compte tenu de la perte de chance dont a été victime Agathe A, le préjudice indemnisable doit être fixé à 50 % des dommages résultant des fautes commises à l'occasion de l'accouchement de Mme A ; que le centre hospitalier de Dieppe doit, dès lors, être condamné à indemniser la caisse à hauteur de cette fraction des préjudices subis, soit une somme de 84 228,78 euros ainsi que des débours justifiés exposés par la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime durant les périodes de placement d'Agathe en établissement spécialisé après application de la fraction de 50 % correspondant à la perte de chance ;

Considérant que, pour le même motif, la somme que le centre hospitalier de Dieppe est condamné à verser à Agathe A, au titre de ses préjudices personnels, doit être fixée à 125 000 euros et la rente relative aux frais liés au handicap à 60 euros par jour, la somme versée à M. et Mme A, au titre des frais liés au handicap, doit être fixée à 7 500 euros et celle versée à M. et Mme A, au titre du préjudice moral et des troubles de toute nature, à 15 000 euros pour chacun ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais de l'expertise ordonnée par la décision du 13 novembre 2003 du vice-président du Tribunal administratif de Rouen, taxés et liquidés à la somme de 3 600 euros, à la charge du centre hospitalier de Dieppe ; que, par suite, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont laissé les frais d'expertise à sa charge ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier de Dieppe une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier de Dieppe est condamné à verser à Agathe A, représentée par ses parents, la somme de 125 000 euros à titre provisionnel, ainsi qu'à compter du 26 novembre 1998 et jusqu'à son dix-huitième anniversaire, une rente de 60 euros par jour due au prorata du nombre de nuits qu'elle aura passées au domicile familial. Cette rente sera versée par trimestres échus et son montant, fixé à la date du présent arrêt, sera revalorisé par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 2 : Le centre hospitalier de Dieppe est condamné à verser à M. et Mme A une somme de 15 000 euros, chacun.

Article 3 : Le centre hospitalier de Dieppe est condamné à verser à M. et Mme A une somme de 7 500 euros.

Article 4 : Le centre hospitalier de Dieppe est condamné, d'une part, à verser à la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime une somme de 84 228,78 euros au titre des dépenses de santé et, d'autre part, pour les périodes passées hors du domicile familial, une fraction de 50 % des sommes que la caisse de Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime établira, sur justificatifs, avoir exposées au titre des périodes de placement en établissement spécialisé.

Article 5 : Le jugement n° 0600107 du Tribunal administratif de Rouen, en date du 13 novembre 2008, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le centre hospitalier de Dieppe versera à M. et Mme A une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A et des conclusions de la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Guillaume A, au centre hospitalier de Dieppe et à la caisse de la Mutualité sociale agricole de la Seine-Maritime.

''

''

''

''

2

N°09DA00026


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09DA00026
Date de la décision : 02/11/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Mortelecq
Rapporteur ?: M. Michel Durand
Rapporteur public ?: M. Minne
Avocat(s) : SELARL VAAST DEBLIQUIS MARTINUZZO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-11-02;09da00026 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award