La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/12/2010 | FRANCE | N°09DA01203

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (bis), 14 décembre 2010, 09DA01203


Vu la requête, enregistrée le 10 août 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Denis A et Mme Isabelle A, demeurant ..., par Me J.A Preziosi et Me A. Ceccaldi, avocats ; M. et Mme A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0702522-0803329 du 25 juin 2009 du Tribunal administratif de Rouen en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et du centre hospitalier universitaire de Rouen, à leur payer une rente de 480 euros par jour ent

re le 16 juillet 2003 et le 25 juin 2009 ainsi qu'une somme de 7 ...

Vu la requête, enregistrée le 10 août 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Denis A et Mme Isabelle A, demeurant ..., par Me J.A Preziosi et Me A. Ceccaldi, avocats ; M. et Mme A demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0702522-0803329 du 25 juin 2009 du Tribunal administratif de Rouen en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et du centre hospitalier universitaire de Rouen, à leur payer une rente de 480 euros par jour entre le 16 juillet 2003 et le 25 juin 2009 ainsi qu'une somme de 7 019 495,2 euros en réparation de l'ensemble des préjudices consécutifs aux fautes commises par ces établissements hospitaliers dans le traitement de la maladie dont était atteint leur fils Antton, ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et le centre hospitalier universitaire de Rouen, au nom de leur fils Antton, à leur verser les sommes de 963 600 euros au titre des arrérages échus pour l'assistance d'une tierce personne depuis le retour au domicile le 17 juillet 2003 jusqu'au 1er janvier 2009, 732 160 euros au titre des arrérages à échoir pour le même objet jusqu'à l'âge de 18 ans et à compter du 1er janvier 2009, 311 520 euros en sus au même titre et de réserver le poste de préjudice tierce personne au delà de la 18ème année de l'enfant, puis une somme de 623 157,28 euros au titre de la perte future de gain professionnel, une somme de 17 100 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, une somme de 30 000 euros au titre des souffrances temporaires endurées, une somme de 570 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, une somme de 60 000 euros au titre du préjudice d'agrément, une somme de 60 000 euros au titre du préjudice sexuel et d'établissement ainsi que, pour eux-mêmes, une somme de 100 000 euros à chacun au titre de leur préjudice moral, 100 000 euros à chacun au titre de leur préjudice extra patrimonial exceptionnel et une somme de 300 000 euros à M. A en indemnisation de son préjudice professionnel ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. et Mme A soutiennent que les deux établissements hospitaliers sont également responsables des dommages subis par leur fils par suite des carences mises à diagnostiquer et à traiter la méningite dont il était atteint ; que l'indemnisation allouée par le tribunal administratif est insuffisante par rapport aux préjudices subis ; qu'en particulier, la rente annuelle de 35 000 euros au titre des frais liés au handicap ne permet pas de rémunérer une tierce personne en permanence alors que l'état de leur fils requiert une telle assistance ; qu'il y a lieu de réserver les frais d'aménagement du logement nécessaires pour permettre l'accueil de leur fils ; qu'il convient également de réserver le poste relatif à l'acquisition d'un véhicule adapté ; que, s'agissant des frais liés au handicap correspondant à la présence d'une tierce personne le préjudice représente une somme de 963 600 euros du 17 juillet 2003 au 1er janvier 2009, de 732 160 euros au titre des arrérages à échoir jusqu'à l'âge de 18 ans et de 311 520 euros à compter du 1er janvier 2009 ; que la perte des gains professionnels futurs de leur fils peut être évaluée à 623 155,28 euros ; qu'au titre des préjudices extra patrimoniaux le déficit fonctionnel temporaire représente un montant de 17 100 euros, les souffrances endurées un préjudice de 30 000 euros, le déficit fonctionnel permanent un préjudice de 570 000 euros, le préjudice d'agrément un montant de 60 000 euros, le préjudice esthétique un montant de 100 000 euros et le préjudice sexuel et d'établissement un montant de 60 000 euros ; que les bouleversements apportés à leur vie familiale représentent, pour chacun, un préjudice de 100 000 euros ; que l'entreprise dirigée par M. A a été mise en liquidation judiciaire par suite de l'impossibilité pour ce dernier de consacrer tout le temps nécessaire à son activité professionnelle, ce qui représente un préjudice évalué à 300 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 26 août 2009 et confirmé par la production de l'original le 2 septembre 2009, présenté pour le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux, dont le siège social est situé 17 rue Saint Louis à Evreux (27000), par Me Boizard, avocat ; le centre hospitalier conclut, à titre principal, au rejet de la requête et demande, par appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif en tant qu'il l'a jugé responsable des séquelles dont est atteint le jeune Antton et, à titre subsidiaire, de considérer que le préjudice subi par l'enfant est limité à la réparation d'une perte de chance à laquelle le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux n'a pas contribué, à titre encore plus subsidiaire, de considérer que la responsabilité du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux ne saurait excéder 20 % du montant du dommage, plus subsidiairement encore, de confirmer le jugement du tribunal administratif et, enfin, en dernier lieu de limiter le montant des indemnités allouées à une rente annuelle de 105 600 euros au titre de la tierce personne, une somme de 440 325 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence, une somme de 10 000 euros au titre du préjudice esthétique, une somme de 20 000 euros au titre des souffrances endurées et, s'agissant des parents, de leur allouer une indemnité de 10 000 euros, chacun, en réparation de leur préjudice moral et au rejet du surplus des conclusions de la requête par les motifs que le retard de diagnostic imputé au centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux n'est pas directement la cause du dommage dans la mesure où l'IRM encéphalique, effectuée à Rouen le 21 mai 2003, n'a pas révélé une lésion ischémique cérébrale ; que le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux n'est pas à l'origine du dommage dans la mesure où il ne dispose pas de compétences en neurochirurgie et qu'il a orienté le patient vers l'établissement hospitalier régional et universitaire de Rouen dès que le diagnostic a été posé, le 21 mai, après la réalisation de l'IRM ; que c'est le centre hospitalier universitaire de Rouen qui a cherché à juguler l'infection en priorité ; que ce n'est qu'en présence d'un coma aréactif le 26 mai 2003, qu'une IRM a été pratiquée et a conduit le service de neurochirurgie de l'hôpital à modifier sa stratégie thérapeutique pour pratiquer une intervention chirurgicale ; que la stratégie adoptée par le centre hospitalier universitaire de Rouen aurait été identique quelle que soit la date à laquelle le diagnostic a été posé par le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux ; qu'en tout état de cause la responsabilité dudit établissement correspond tout au plus à la faible part d'une perte de chance ; qu'il n'y a pas lieu de condamner les deux parties solidairement dans la mesure où elles n'ont pas concouru à la réalisation du même dommage ; que les préjudices relatifs aux dépenses de santé, aux frais de logement et de véhicule adapté ne pourront être indemnisés que sur justificatif ; que l'indemnité pour assistance par une tierce personne correspond à un coût horaire de 11 euros par heure et non de 20 euros comme il est réclamé par les requérants ce qui aboutit à un montant annuel de 105 600 euros ; que le taux de rente retenu par les requérants de 3,20 %, dit TD 2001, n'est pas pertinent et doit être remplacé par la prise en compte du barème dit TD 88/90 à 4,2 % ; que les troubles dans les conditions d'existence devront être pris en compte à hauteur de 440 325 euros, ainsi qu'il avait été proposé par l'assureur, et non de 1 253 155,28 euros demandés par les requérants ; que les souffrances endurées ne sauraient excéder 20 000 euros et le préjudice esthétique 10 000 euros ; que le préjudice moral des parents devrait être évalué à 10 000 euros pour chacun ; que le lien direct entre les fautes imputées au centre hospitalier et la liquidation judiciaire de l'entreprise de M. A n'est pas établi ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 juin 2010, présenté pour la Mutuelle générale de l'éducation nationale, dont le siège social est situé 3 square Max Hymans à Paris cedex 15 (75748), par Me Aritzia, avocat ; elle conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à ses demandes et à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et du centre hospitalier universitaire de Rouen à lui payer une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et fait valoir une demande globale de 15 387,15 euros au titre de ses débours après capitalisation de la rente annuelle de 333,60 euros ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 21 juin 2010 et confirmé par la production de l'original le 22 juin 2010, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Rouen, dont le siège social est situé 1 rue de Germont à Rouen cedex (76031), par Me Le Prado, avocat ; il conclut au rejet de la requête et à ce que soit ordonnée la suspension du versement de la rente annuelle au titre de la tierce personne pour les périodes durant lesquelles la prise en charge de l'enfant ne s'effectue pas au domicile et à ce que soit fixé un taux quotidien forfaitaire de rente, par les motifs que l'attribution d'un capital n'est pas une formule adaptée au caractère évolutif de certains des préjudices ; que s'agissant de la tierce personne, la somme de 311 520 euros demandée par les requérants n'est pas justifiée ; que, d'une part, il y a lieu d'imputer sur les droits de la caisse les dépenses exposées lors des périodes de placement dans un établissement spécialisé ; que, d'autre part, il convient à ce titre de fixer un taux quotidien de rente, laquelle doit être versée au prorata du nombre de nuits que l'enfant aura passées au domicile familial ; qu'ainsi, le fait que l'enfant soit pris en charge hors du domicile familial depuis le 1er janvier 2009 est de nature à rendre sans fondement les demandes indemnitaires présentées par les consorts A ; que l'estimation effectuée par les premiers juges d'une rente annuelle de 35 000 euros est suffisante ; que le préjudice professionnel, pour lequel il est demandé une somme de 623 157,28 euros, correspond à un poste de préjudice nouveau dont la présentation n'est pas recevable ; que les sommes de 17 100 euros, 30 000 euros, 570 000 euros, 60 000 euros, 100 000 euros et 60 000 euros correspondant aux préjudices extra patrimoniaux sont excessives ; qu'il y a lieu de confirmer l'attribution d'une rente annuelle de 10 000 euros par le tribunal administratif ; que les demandes s'élevant à 100 000 euros relatives au préjudice moral des parents présentent également un caractère excessif ; qu'il conviendra par suite de confirmer la somme de 40 000 euros allouée par les premiers juges ; que le préjudice professionnel de 300 000 euros invoqué par M. A ne présente aucun lien direct avec le handicap dont est victime son enfant ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 juillet 2010, présenté pour M. et Mme A qui demandent à la Mutuelle générale de l'éduction nationale de préciser la nature de la prestation handicap dont elle demande le paiement ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 juillet 2010, présenté pour la Mutuelle générale de l'éducation nationale ; elle conclut aux mêmes fins que son mémoire précédent ; elle précise que la prestation handicap est prévue par l'article 18 du règlement mutualiste en faveur des mutualistes de moins de 60 ans, présentant une atteinte chronique de leurs facultés, qui ne bénéficient pas d'une prestation dépendance totale ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 15 septembre 2010 et confirmé par la production de l'original le 20 septembre 2010, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Rouen ; il conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire ; il précise, en outre, que le taux quotidien forfaitaire de la rente doit être fixé à 96 euros compte tenu d'une indemnité annuelle de 35 000 euros ;

Vu l'ordonnance, en date du 16 juin 2006, par laquelle le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et le centre hospitalier universitaire de Rouen ont été condamnés à verser solidairement à M. et Mme Denis A une provision totale de 140 000 euros ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Michel Durand, président-assesseur, les conclusions de M. Patrick Minne, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Lelièvre-Boucharat pour M. et Mme A et Me Boizard pour le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux ;

Considérant que M. Antton A, né le 11 mars 2002, a été hospitalisé le 14 mai 2003 au centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux puis, à la suite de l'aggravation de son état de santé au centre hospitalier universitaire de Rouen ; que M. et Mme A, qui ont recherché la responsabilité de ces hôpitaux du fait des conséquences dommageables résultant des carences imputées à ces établissements tant en ce qui concerne le diagnostic de la méningite dont leur fils était atteint que dans la mise en oeuvre d'une thérapeutique adaptée, relèvent appel du jugement du 25 juin 2009 du Tribunal administratif de Rouen en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes de condamnation desdits établissements ; que le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux forme appel incident contre ledit jugement qui l'a déclaré responsable, pour moitié, du préjudice subi par M. Antton A ;

Sur la responsabilité :

Considérant, en premier lieu, que l'enfant Antton A, qui est porteur d'un angiome lombaire congénital comportant un petit orifice borgne, a été admis au centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux le 14 mai 2003, après plusieurs accès de fièvre survenus depuis le 21 février 2003, qui l'avaient déjà conduit au service d'urgence de cet hôpital ; que, le même jour, une infection urinaire a été diagnostiquée et que l'examen pratiqué, le 15 mai suivant, n'a pas révélé de syndrome méningé ; que, malgré la persistance de l'état fiévreux, la sortie de l'enfant est intervenue le 16 mai accompagnée d'un traitement par antibiotiques ; que, toutefois, il a été réadmis dès le lendemain au vu d'un tympan droit congestif et d'une discrète raideur de la nuque ; qu'après l'échec de la tentative de ponction lombaire effectuée ce jour là, la ponction réalisée le lendemain, le 18 mai, a mis en évidence un liquide de méningite ; que cette infection a été confirmée par une nouvelle ponction lombaire pratiquée le 20 mai puis par l'examen par IRM effectué le lendemain, lequel a révélé une fistule reliant la région cutanée au rachis et à la dure-mère ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi par le Pr B que, d'une part, la méningite aurait pu être diagnostiquée dès le 14 mai 2003, si le service avait considéré l'hypothèse de cette affection en présence d'une élévation thermique à répétition, d'une raideur dorsale et de l'anomalie lombaire dont l'enfant est porteur ; que, d'autre part, compte tenu du contexte fébrile de l'enfant, ce diagnostic aurait dû être fait au plus tard le 17 mai 2003 et être immédiatement suivi d'un examen par IRM permettant de mettre la fistule en évidence ; que, dans ces conditions, les services du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux ont tardé à diagnostiquer l'affection méningée, ce qui a retardé au 21 mai 2003 le constat d'une infection qui aurait pu être fait dès le 14 mai précédent ou au plus tard le 17 mai ; qu'ainsi, il résulte du rapport d'expertise qu'au vu des éléments dont disposait le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux pour la pathologie en cause, et nonobstant le fait que ledit centre ait pris le soin de solliciter l'assistance des services de l'hôpital Robert Debré de Paris, ce retard d'au moins 4 jours pris pour diagnostiquer la méningite dont l'enfant Antton était atteint présente un caractère fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux ;

Considérant, en second lieu, qu'en raison de la gravité de son état, l'enfant Antton a été transféré au service de neurochirurgie du centre hospitalier universitaire de Rouen le 21 mai 2003 ; que, toutefois, nonobstant les éléments établissant la présence d'une fistule constituant la porte d'entrée de la méningite et en présence d'une infection que le traitement antibiotique n'avait pas réussi à éliminer, le service a néanmoins attendu que l'enfant soit pris de crises convulsives et sombre dans le coma pour pratiquer une nouvelle IRM mettant en évidence l'existence d'un abcès lombaire et de complications encéphaliques ; qu'il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise que, dans ces conditions, l'intervention chirurgicale pratiquée le 26 mai 2003 est intervenue tardivement, alors que la méningite d'infection locale diagnostiquée par le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux s'était compliquée d'une vascularite infectieuse au niveau cérébral occasionnant des lésions ischémiques ; que, par suite, le retard mis par le service de neurochirurgie pour pratiquer l'intervention chirurgicale est directement à l'origine des séquelles dont le jeune Antton est atteint ; que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la résistance de l'infection au traitement antibiotique et de la particularité anatomique de l'enfant, le retard mis pour procéder à l'intervention chirurgicale présente un caractère fautif de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Rouen ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'enfant Antton A a quitté le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux après qu'il ait été diagnostiqué, avec un retard compris entre 4 et 7 jours, qu'il était atteint d'une méningite ; que, toutefois, les graves séquelles dont il est atteint résultent essentiellement du retard mis par le centre hospitalier universitaire de Rouen à pratiquer l'intervention chirurgicale qui n'a été réalisée que le 26 mai 2003 alors que l'enfant se trouvait plongé dans le coma ; que, par suite, le handicap dont est victime le jeune Antton est la conséquence directe des fautes commises par les établissements hospitaliers susmentionnés ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité de chacun en mettant à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen les deux tiers du préjudice indemnisable et en fixant au tiers la part de responsabilité du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux, qui est donc fondé à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué qui lui imputait la moitié de la responsabilité des préjudices subis par l'enfant ;

Considérant, enfin, que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du préjudice subi, déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'il résulte de ce qui précède que le retard mis par le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux pour diagnostiquer la méningite a seulement privé le jeune Antton d'une chance d'échapper aux séquelles associées à cette pathologie ; qu'en l'espèce, cette perte de chance peut être évaluée à 20 % de la part des préjudices imputable audit centre hospitalier ;

Sur les préjudices :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;

Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;

En ce qui concerne les dépenses de santé :

Considérant que la Mutuelle générale de l'éducation nationale demande en appel comme en première instance une somme d'un montant de 3 005,48 euros au titre des frais médicaux, pharmaceutiques, de transport et de laboratoire qu'elle justifie avoir supporté du fait des dommages subis par le jeune Antton ; qu'il y a donc lieu de lui attribuer cette somme ;

En ce qui concerne les frais liés au handicap :

Considérant que la Mutuelle générale de l'éducation nationale justifie du versement de frais liés au handicap du jeune Antton pour un montant de 1 668 euros ainsi qu'une rente annuelle de 333,60 euros et, au titre des frais d'aide technique, une somme de 1 191,73 euros ; qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande de la mutuelle correspondant à la somme de 2 859,73 euros et à la rente annuelle de 333,60 euros ;

Considérant que si le juge n'est pas en mesure de déterminer, lorsqu'il se prononce, si l'enfant sera placé dans une institution spécialisée ou s'il sera hébergé au domicile de sa famille, il lui appartient d'accorder à l'enfant une rente trimestrielle couvrant les frais de son maintien au domicile familial, en fixant un taux quotidien et en précisant que la rente sera versée au prorata du nombre de nuits que l'enfant aura passées à ce domicile au cours du trimestre considéré ; que les autres chefs de préjudice demeurés à la charge de l'enfant doivent être indemnisés par ailleurs, sous la forme soit d'un capital, soit d'une rente distincte ;

Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise que le jeune Antton A est atteint d'un taux d'IPP de 95 % ; qu'il présente des troubles cognitifs majeurs avec apragmatisme et perte de l'autonomie, des troubles du langage et un déficit sensitivomoteur majeur le rendant incapable de mouvements volontaires adaptés et inapte à une vie relationnelle normale ; qu'en l'absence d'éléments nouveaux apportés en appel, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une insuffisante appréciation des frais afférents au maintien du jeune Antton au domicile de ses parents, eu égard notamment à la nécessité de l'assistance d'une tierce personne relevée par le rapport d'expertise, en lui attribuant à ce titre, avec jouissance au 11 mai 2003, une rente versée par trimestres échus dont le montant annuel, fixé à 35 000 euros à la date du jugement, sera revalorisé par la suite par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ; que si l'expert a fixé la date de consolidation de l'enfant au 15 décembre 2004, le juge pourra toutefois, sur demande, réviser cette rente en cas d'évolution de l'étendue des préjudices indemnisables notamment au regard de l'évolution liée à la croissance de l'enfant ou si la prise en charge ne pouvait continuer au domicile ; que cette rente, versée par trimestres échus, sera due au prorata du nombre de jours qu'Antton passera effectivement au domicile de ses parents ; que, pour les périodes éventuellement passées en établissement spécialisé, les frais pris en charge seront constitués par les débours justifiés exposés par la mutuelle générale de l'éducation nationale ;

Considérant, enfin, que si M. et Mme A demandent la prise en charge de frais constitués par l'aménagement de leur logement et par la nécessité de disposer d'un véhicule qui devra faire l'objet d'un aménagement spécial, ils n'apportent aucun élément établissant le montant des préjudices dont ils demandent la prise en compte ;

En ce qui concerne les pertes de revenus futurs :

Considérant que si M. et Mme A, en leur qualité de représentants légaux de leur fils Antton, demandent une somme de 623 157,28 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs de leur enfant, ce préjudice, dès lors qu'Antton a été victime d'une méningite lui ayant laissé de graves séquelles neurologiques à l'âge de 13 mois, ne présente aucun caractère direct et certain et n'ouvre pas droit, par suite, à indemnité ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant qu'il résulte du rapport de l'expertise qu'Antton A est en situation de dépendance complète et qu'il est atteint de handicaps représentant un préjudice esthétique de 7/7 résultant notamment de l'incoordination des mouvements, un préjudice d'agrément total, de troubles de toutes nature dans ses conditions d'existence et également d'un préjudice lié aux souffrances physiques endurées à 5/7 ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que c'est à tort que les premiers juges ont accordé au jeune Antton, en réparation de ces préjudices, une rente annuelle de 10 000 euros, ni que l'intéressé aurait subi un préjudice distinct des préjudices ci-dessus indemnisés, constitué par une incapacité temporaire antérieure à la date de consolidation le 15 décembre 2004 ;

En ce qui concerne les préjudices subis par M. et Mme A :

Considérant que M. et Mme A n'apportent, en appel, aucun élément établissant que les premiers juges auraient insuffisamment évalué leurs préjudices moral et d'accompagnement résultant des séquelles définitives conservées par leur fils Antton, en leur accordant une somme de 40 000 euros, à chacun ;

Considérant que, nonobstant l'argument selon lequel l'état de santé de leur fils Antton aurait contraint M. et Mme A à quitter leur lieu de résidence pour s'installer à Lyon, il ne résulte pas de l'instruction que l'enfant ne pouvait être pris en charge que dans cette ville ; que, par suite, leur demande de prise en charge des frais de déménagement, en conséquence des fautes imputables aux établissements hospitaliers, doit être rejetée ;

Considérant, enfin, que si M. A soutient que la déconfiture de l'entreprise dont il avait la charge serait imputable au handicap dont son fils est atteint, il ne résulte pas de l'instruction que cette déconfiture serait la conséquence directe du handicap ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à demander une indemnité à ce titre ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu du partage de responsabilité, les indemnités dues à Antton A et à M. et Mme A doivent être mises à la charge du centre hospitalier universitaire de Rouen à hauteur de 66, 66 % ; que, s'agissant du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux, compte tenu du partage de responsabilité et de l'indemnisation de la seule perte de chance, ces indemnités représentent 6,66 % du préjudice total ; que, par suite, il y a lieu de condamner, d'une part, le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux à leur payer une rente de 3 000 euros et, d'autre part, le centre hospitalier universitaire de Rouen à leur payer une rente annuelle de 30 000 euros, en qualité de représentants légaux de leur fils Antton, sous déduction de la provision de 120 000 euros que lesdits établissements ont éventuellement payée en exécution de l'ordonnance susvisée du 16 juin 2006 ;

Considérant que les indemnités dues à M. et Mme A, chacun en leur nom personnel, doivent être mises à la charge, à concurrence de 2 667 euros en ce qui concerne le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et à concurrence de 26 667 euros en ce qui concerne le centre hospitalier universitaire de Rouen, sous déduction de la provision de 20 000 euros que lesdits établissements ont éventuellement payée en exécution de l'ordonnance susvisée du 16 juin 2006 ;

Considérant que les sommes dues à la Mutuelle générale de l'éducation nationale s'élèvent à 391 euros et 22 euros au titre de la rente en ce qui concerne le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et à 3 910 euros et 222 euros au titre de la rente en ce qui concerne le centre hospitalier universitaire de Rouen ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. et Mme A à l'encontre du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux et du centre hospitalier universitaire de Rouen doivent, dès lors, être rejetées ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la Mutuelle générale de l'éducation nationale sur le fondement de ces dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La rente de 22 500 euros que le centre hospitalier universitaire de Rouen a été condamné à payer à M. et Mme A au nom de leur fils mineur, Antton A, par l'article 1er du jugement susvisé est portée à 30 000 euros et la somme de 20 000 euros, chacun, que ledit centre a été condamné à payer à M. et Mme A en leur nom propre est portée, chacun, à 26 667 euros, sous déduction des sommes versées au titre de la provision accordée par ordonnance du 16 juin 2006.

Article 2 : La somme de 2 932,60 euros que le centre hospitalier universitaire de Rouen a été condamné à payer à la Mutuelle générale de l'éducation nationale par l'article 3 du jugement susvisé est portée à 3 910 euros.

Article 3 : La rente de 166,80 euros que le centre hospitalier universitaire de Rouen a été condamné à payer à la Mutuelle générale de l'éducation nationale par l'article 4 du jugement susvisé est portée à 222 euros.

Article 4 : La rente de 22 500 euros que le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux a été condamné à payer à M et Mme A, au nom de leur fils mineur Antton A, par l'article 5 du jugement susvisé est ramenée à 3 000 euros et la somme de 20 000 euros que ledit centre a été condamné à payer à M. et Mme A, en leur nom propre, est ramenée, chacun, à 2 667 euros, sous déduction des sommes versées au titre de la provision accordée par ordonnance du 16 juin 2006.

Article 5 : La somme de 2 932,60 euros que le centre hospitalier intercommunal

Eure-Seine d'Evreux a été condamné à payer à la Mutuelle générale de l'éducation nationale par l'article 7 du jugement susvisé est ramenée à 391 euros.

Article 6 : La rente de 166,80 euros que le centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux a été condamné à payer à la Mutuelle générale de l'éducation nationale par l'article 8 du jugement susvisé est ramenée à 22 euros.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A est rejeté.

Article 8 : Le surplus des conclusions de l'appel incident du centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux est rejeté.

Article 9 : Les conclusions de la Mutuelle générale de l'éducation nationale tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article10 : Le jugement nos 0702522-0803329 du 25 juin 2009 du Tribunal administratif de Rouen est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 11 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Denis A, au centre hospitalier intercommunal Eure-Seine d'Evreux, au centre hospitalier universitaire de Rouen et à la Mutuelle générale de l'éducation nationale.

''

''

''

''

2

N°09DA01203


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Références :

Publications
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Président : M. Mortelecq
Rapporteur ?: M. Michel Durand
Rapporteur public ?: M. Minne
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS PREZIOSI CECCALDI

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (bis)
Date de la décision : 14/12/2010
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 09DA01203
Numéro NOR : CETATEXT000023563965 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-12-14;09da01203 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award