La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2011 | FRANCE | N°10DA00831

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (bis), 01 décembre 2011, 10DA00831


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le 8 juillet 2010 par télécopie et régularisée par la production de l'original le 9 juillet 2010, présentée pour LA POSTE, dont le siège est 44, Boulevard Vaugirard à Paris (75757 cedex 15), représentée par le Président de son conseil d'administration, par Me Bellanger ; LA POSTE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901596 en date du 12 mai 2010 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a, d'une part, annulé la décision du directeur de LA POSTE du 6 avril 2009 prononçant l

a révocation de Mme A, d'autre part, ordonné à LA POSTE de procéder à la...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le 8 juillet 2010 par télécopie et régularisée par la production de l'original le 9 juillet 2010, présentée pour LA POSTE, dont le siège est 44, Boulevard Vaugirard à Paris (75757 cedex 15), représentée par le Président de son conseil d'administration, par Me Bellanger ; LA POSTE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901596 en date du 12 mai 2010 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a, d'une part, annulé la décision du directeur de LA POSTE du 6 avril 2009 prononçant la révocation de Mme A, d'autre part, ordonné à LA POSTE de procéder à la réintégration de Mme A et à la reconstitution de sa carrière à compter du 16 avril 2009 et, enfin, condamné LA POSTE à payer à Mme A la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande de Mme A ;

3°) de condamner Mme A à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'Etat ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom ;

Vu l'instruction du 23 août 2006 portant règlement intérieur dans toutes les entités de La Poste ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Antoine Durup de Baleine, premier conseiller, les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Gueutier, pour LA POSTE et Me Vervisch, pour Mme A ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 novembre 2011 par télécopie et régularisée par la production de l'original le 22 novembre 2011, présentée pour LA POSTE ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 novembre 2011, présentée pour Mme A ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant, en premier lieu, que, comme rappelé par le premier des motifs du jugement, il résulte des termes mêmes de la décision du 6 avril 2009 infligeant à Mme A la sanction de la révocation qu'elle est motivée par un unique motif énoncé comme il suit : Non-respect de l'art. 19 et de l'annexe 4 du règlement intérieur du 23 août 2006 par l'acceptation à son profit de la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie souscrit par un client ; qu'il incombait seulement aux premiers juges, saisis par Mme A d'un recours tendant à l'annulation de cette sanction, d'en apprécier la légalité au regard du motif qu'elle énonce ; qu'ainsi, en l'absence d'une demande de substitution de motif, ils n'avaient pas à répondre à l'argumentation inopérante exposée en défense devant eux par LA POSTE et tirée de ce que Mme A aurait commis une faute passible d'une sanction disciplinaire en s'abstenant d'informer LA POSTE d'un risque d'un conflit d'intérêts susceptible de résulter de la circonstance qu'elle avait été désignée bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie souscrit par un client de LA POSTE, une telle faute étant distincte de celle énoncée par la décision du 6 avril 2009 ;

Considérant, en second lieu, qu'après avoir rappelé les termes notamment des quatrième et cinquième alinéas de la subdivision Règles de comportement de l'annexe 4 à l'instruction susvisée du 23 août 2006, termes dont il résulte que les obligations qu'énoncent ces alinéas s'imposent à tout agent, dans l'exercice de sa profession , les premiers juges ont estimé qu'au moment, en octobre 2006, où Mme A a été désignée au nombre des bénéficiaires du contrat d'assurance vie souscrit par M. D. et au moment où, en 2008 et à la suite du décès de M. D., elle a autorisé l'assureur à transmettre au notaire de M. D. tous les renseignements nécessaires au règlement de la succession de ce dernier ainsi qu'accepté le bénéfice de cette succession, Mme A entretenait avec M. D. des relations strictement privées et n'agissait pas dans l'exercice de sa profession ; que, ce faisant, ils ont, nécessairement, écarté l'argumentation exposée en défense par LA POSTE et selon laquelle les obligations dont s'agit s'imposent non seulement à l'égard des agents de LA POSTE dans leurs relations professionnelles avec leurs clients mais aussi à l'égard de tout agent de LA POSTE à l'égard d'un quelconque client de cette entreprise, même un client avec lequel l'agent n'entretiendrait pas de relation professionnelle, ainsi que, eu égard aux termes de ces deux alinéas, exposé la raison pour laquelle cette argumentation ne pouvait être retenue ; que, dès lors et contrairement à ce qui est soutenu, le jugement est suffisamment motivé ;

Sur la légalité de la décision du 6 avril 2009 :

Considérant qu'aux termes de l'article 19 du règlement intérieur de LA POSTE du 23 août 2006 : La réalisation des opérations bancaires et financières, dans le cadre des relations entre La Poste et la Banque Postale, est soumise à la déontologie bancaire et financière. / Cette dernière constitue un ensemble de principes et de règles de conduite individuelles ou collectives destiné à être appliqué par chaque agent concerné. / Ces règles de conduite constituent une obligation professionnelle dont le manquement est constitutif de faute. / Les principes généraux ainsi que certaines règles sont présentés en annexe 4 du présent règlement intérieur ; qu'aux termes de cette annexe 4 : Règles de comportement. / Il est attendu des agents qu'ils respectent les règles énoncées dans le Recueil de déontologie et ses annexes. Il est expressément rappelé que : / (...) / - tout agent doit par principe refuser tout cadeau ou avantage (y compris invitation à des voyages) qui, par son importance ou son caractère inhabituel, serait de nature disproportionnée par rapport à une manifestation de courtoisie conforme aux usages. L'acceptation de tels cadeaux ou avantages est présumée fausser le comportement de l'agent à l'égard du client et peut nuire gravement à la réputation de la Banque Postale. Le Recueil de déontologie précise les comportements et les procédures à adopter face à ce principe, / - tout agent, dans l'exercice de sa profession, ne peut bénéficier, ou faire bénéficier, un membre de sa famille, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, de prêts, dons, legs, et plus généralement de toute libéralité ou transfert patrimonial de la part d'un client, sauf s'il s'agit d'un membre de sa famille, / - tout agent, dans l'exercice de sa profession, ne peut se faire porter, ou faire porter un membre de sa famille, comme bénéficiaire d'un contrat de quelque nature que ce soit, souscrit par un client, sauf s'il s'agit d'un membre de sa famille. Toute captation d'héritage, sous quelque forme que ce soit, est strictement interdite / (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A, agent de LA POSTE, alors affectée au bureau de Tôtes (Seine-Maritime) a, à l'occasion de l'exercice de sa profession, fait la connaissance de M. D., né en 1916 ; que, le 17 décembre 2003, M. D. a, par l'intermédiaire de Mme A, souscrit un contrat d'assurance vie auprès de la CNP Assurances ; qu'après le déménagement de M. D. à Offranville en 2004, Mme A, qui a pour sa part été affectée en avril 2005 à la direction départementale de la Poste de la Seine-Maritime, à Rouen, a cessé toute relation professionnelle de clientèle avec M. D. ; qu'à la suite du décès de sa compagne en mars 2006, M. D., hospitalisé à Dieppe en mai 2006, a demandé le soutien urgent à titre personnel et privé de M. et Mme A, avec lesquels il avait conservé des liens d'amitié ; que M. et Mme A lui ont apporté ce soutien en l'hébergeant pendant une quinzaine de jours à leur domicile de Pavilly (Seine-Maritime) et en l'aidant à trouver un logement dans une résidence pour personnes âgées dans la même commune ; qu'ils ont par la suite entretenu des liens amicaux étroits, sous forme notamment d'aide pour les courses, d'invitation à leur domicile et de visites régulières ;

Considérant que, par lettre du 20 octobre 2006 à l'assureur, M. D. a modifié la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie souscrit le 18 décembre 2003, en désignant comme premier bénéficiaire la personne désignée par testament olographe déposé chez un notaire, comme deuxième bénéficiaire et à défaut , Mme A, comme troisième bénéficiaire et à défaut , M. A et, en quatrième lieu, à défaut mes héritiers ; qu'il ressort des pièces du dossier que cette modification est intervenue à la seule demande expresse de M. D. exprimée auprès de son notaire et que cette lettre a été établie d'après un modèle établi par ce notaire lors d'un rendez-vous en son étude au mois d'octobre 2006 ; que ni Mme A ni son époux n'étaient présents lors de ce rendez-vous ; que LA POSTE n'établit pas et qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que Mme ou M. A aurait sollicité de M. D. une telle modification de cette clause bénéficiaire ou l'aurait à dessein incité à agir en un tel sens ; qu'il n'est pas non plus établi, pas davantage qu'il ne ressort des pièces du dossier, que M. D. ou une autre personne aurait informé Mme A ou son époux de la nouvelle teneur de cette clause, à l'époque où elle a été modifiée en octobre 2006 et ce, avant le décès de M. D. le 2 décembre 2007 ; qu'il ressort des déclarations du notaire de M. D., en particulier à l'occasion de son audition par un officier de police judiciaire le 27 août 2008 ainsi que dans une lettre du 17 juin 2008 adressée à LA POSTE, que Mme A et son époux ne sont jamais intervenus directement ou indirectement dans cette modification de la clause désignant le bénéficiaire du contrat d'assurance vie et que M. D. en avait décidé librement et lucidement ; qu'ainsi, cette modification est étrangère à l'exercice par Mme A de ses fonctions en qualité de préposée de La Poste et, en octobre 2006, M. D. n'était pas placé sous la dépendance de cette préposée ; qu'il n'est pas établi que, malgré son âge, M. D. aurait été un homme particulièrement vulnérable ou très influençable ; que Mme A, ni ne s'est fait porter, ni n'a fait porter un membre de sa famille, comme bénéficiaire du contrat d'assurance vie souscrit par M. D. en 2003 ;

Considérant que, M. D. étant décédé le 2 décembre 2007 sans avoir désigné par testament olographe déposé chez un notaire le premier bénéficiaire du contrat d'assurance vie susmentionné, Mme A, sur demande expresse du notaire de M. D. par lettre du 29 avril 2008 elle-même adressée à la suite d'une demande exprimée par la CNP Assurances, a, le 5 mai 2008, établi un acte dit de réquisition autorisant cet assureur à communiquer à ce notaire tous renseignements relatifs à ce contrat d'assurance et notamment la teneur de la clause bénéficiaire, dans son intégralité ; que les conditions dans lesquelles M. D. avait, en octobre 2006, désigné Mme A parmi les bénéficiaires de ce contrat, ne révèlent aucune faute disciplinaire de la part de Mme A et, en particulier, aucun manquement aux dispositions précitées du règlement intérieur de LA POSTE et de l'annexe 4 à ce règlement ; que, dès lors, Mme A, aux mois de mai et juin 2008, alors qu'elle avait cessé d'exercer sa profession à l'égard de M. D. depuis plus de trois ans, en autorisant la CNP Assurances à communiquer de tels renseignements au notaire chargé de la succession de M. D., ainsi qu'en ne renonçant pas au bénéfice de ce contrat d'assurance vie, a agi en dehors de l'exercice de sa profession, n'a pas, dès lors, agi en qualité de préposée de LA POSTE ou au nom et pour le compte de la Banque Postale et n'a pas davantage méconnu ces dispositions ni, de façon générale, l'obligation de probité et de désintéressement s'imposant à tout agent public et ce, quelle que soit la date à laquelle, après le décès de M. D., elle a été informée de ce que ce dernier l'avait comptée au nombre des bénéficiaires du contrat dont s'agit ; que, contrairement à ce que soutient LA POSTE, les interdictions énoncées par l'annexe 4 à son règlement intérieur ne s'imposent pas à un agent dans ses relations avec un client de l'entreprise lorsque cet agent n'exerce plus sa profession à l'égard de ce client et que le maintien de relations de nature privée entre ce dernier et l'agent ne procède pas, comme dans les circonstances de la présente affaire, de l'exercice antérieur de la profession à l'égard de ce client ; que, compte tenu des faits de l'espèce ci-dessus constatés, Mme A n'a pas non plus méconnu l'interdiction faite aux agents publics de se faire rémunérer directement ou indirectement par les usagers du service ; qu'ainsi, elle n'a pas commis la faute disciplinaire dont lui fait grief la décision du 6 avril 2009 ; que, contrairement à ce que soutient LA POSTE, la circonstance qu'en décembre 2003 le contrat d'assurance vie avait été souscrit par M. D. sur la proposition de Mme A ne faisait pas en elle-même obligation à cette dernière, en 2008, de renoncer au bénéfice de sa désignation en octobre 2006 par le souscripteur comme bénéficiaire de ce contrat ; que si, par lettre du 29 juin 2010, un avocat, agissant au nom du fils de M. D., s'est adressé à LA POSTE en estimant que, d'après lui, Mme A aurait violé des règles déontologiques en acceptant le bénéfice du contrat et en précisant que son client lui a donné pour instruction d'engager une action en responsabilité contre LA POSTE en sa qualité d'employeur de Mme A, cette circonstance, postérieure de plus de quatorze mois à la décision du 6 avril 2009, est sans influence sur l'appréciation de sa légalité ;

Considérant que LA POSTE ne saurait utilement soutenir que Mme A aurait, d'après elle, commis une faute disciplinaire en n'informant pas en 2008 le déontologue de LA POSTE ou son représentant d'un risque de conflit d'intérêts, la sanction infligée le 6 avril 2009 reposant seulement sur un manquement d'une autre nature ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que LA POSTE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen, qui n'a pas commis d'erreurs de droit, a annulé la décision du 6 avril 2009 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à LA POSTE la somme que cette dernière demande à ce titre ; qu'en revanche, il y a lieu de faire application de ces dispositions et de condamner LA POSTE à payer à Mme A la somme de 1 500 euros qu'elle demande à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de LA POSTE est rejetée.

Article 2 : LA POSTE versera à Mme A la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à LA POSTE et à Mme Katy A.

''

''

''

''

N°10DA00831 2


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award