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28/06/2012 | FRANCE | N°11DA00971

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (ter), 28 juin 2012, 11DA00971


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai les 23 juin 2011 et 13 juillet 2011, présentée pour M. Léonce A, demeurant ..., par Me Arnoux, avocat ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0901458-0903377 du 13 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant d'une part, à l'annulation de la décision du 30 décembre 2008 par laquelle la Poste lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans et d'autre part, à la condamnation de la Poste à lui vers

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai les 23 juin 2011 et 13 juillet 2011, présentée pour M. Léonce A, demeurant ..., par Me Arnoux, avocat ; M. A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0901458-0903377 du 13 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant d'une part, à l'annulation de la décision du 30 décembre 2008 par laquelle la Poste lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans et d'autre part, à la condamnation de la Poste à lui verser les sommes de 990,85 euros et de 5 000 euros au titre des préjudices respectivement matériel et moral qu'il a subis ;

2°) d'annuler cette décision du 30 décembre 2008 ;

3°) de condamner la Poste à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

4°) de mettre à la charge de La poste la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la Poste et de France Télécom ;

Vu le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvie Appèche-Otani, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,

- les observations de Me Arnoux, avocat, pour M. A et de Me Cliquennois, avocat, pour la Poste ;

Considérant que M. A relève appel du jugement du 13 avril 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 30 décembre 2008 par laquelle La Poste lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans et à la condamnation de La Poste à lui verser la somme de 5 990,85 euros en réparation de son entier préjudice ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par La Poste :

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient La Poste, le jugement attaqué a été produit devant la cour administrative d'appel, conformément à l'article R. 412-1 du code de justice administrative ; que par suite, le moyen tiré du défaut de production du jugement attaqué doit être écarté ;

Considérant, en second lieu, que M. A ne se borne pas en appel à la seule reproduction littérale de son argumentation de première instance mais énonce de manière précise, et à nouveau, les fondements de sa demande devant le tribunal administratif et critique également le jugement attaqué ; que, par suite, La Poste n'est pas fondée à soutenir que la requête de M. A serait irrecevable ;

Sur les conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant que par la décision contestée du 30 décembre 2008, La Poste a prononcé à l'encontre de M. A, chef d'équipe affecté au centre de tri de Lille Moulins, une sanction d'exclusion temporaire d'une durée de deux ans au motif que ce dernier a eu un " comportement managérial inadapté et équivoque à l'égard d'agents féminines placées sous son autorité, constitutif d'un harcèlement moral et sexuel " ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des différents témoignages d'agents ayant côtoyé M. A dans ses fonctions de chef d'équipe que ce dernier s'est comporté de façon très familière avec plusieurs agents de sexe féminin placés sous son autorité ; qu'en particulier, Mme B, affectée au guichet, a déclaré lors de l'enquête pour harcèlement, diligentée par la direction de La Poste, avoir fait à plusieurs reprises l'objet d'attentions particulières de la part de M. A et que celui-ci avait eu à son encontre " des gestes déplacés (...) : main sur le genou, sur les hanches, sur les fesses. Propos destinés à me faire comprendre qu'il avait de l'affection ", et ce, sur une période de plus de dix ans interrompue par un congé parental d'un an et demi en 2004 pris par Mme B ; que la circonstance, dont se prévaut le requérant, selon laquelle cette dernière lui avait adressé un mot de sympathie à l'occasion de son départ en 2000 dans un autre bureau de poste ne suffit à remettre en cause la réalité du comportement inapproprié empreint de privautés adopté par M. A avec certaines de ses collègues féminines ; que M. A ne peut, par ailleurs, sérieusement prétendre que les comportements qui lui sont reprochés ne devaient être interprétés que comme des témoignages d'affection et de sympathie ou l'expression d'un paternalisme bienveillant ; qu'ainsi, et alors même que le requérant produit quelques témoignages en sa faveur et qu'une des pièces du dossier serait à écarter, la matérialité des faits reprochés à M. A doit être regardée comme établie ;

Considérant, par ailleurs, qu'au soutien du grief de harcèlement moral dont aurait fait preuve M. A, il est reproché à ce dernier d'avoir noté Mme B en " B ", traduisant une " valeur professionnelle correspondant aux exigences du poste ", à compter de son retour de congé parental alors que celle-ci était auparavant en " E ", Excellent ; que toutefois, l'évolution de la notation de l'intéressée se justifie par la circonstance au titre de l'année 2005, qu'elle venait de reprendre à la fin de cette année son poste à temps partiel à la suite d'un congé parental et au titre de l'année 2006, par le fait qu'ayant obtenu une promotion dans un grade supérieur comme guichetière confirmée, elle débutait dans ces nouvelles fonctions ; que d'ailleurs les appréciations littérales étaient conformes auxdites notations ; qu'il n'est pas davantage établi que M. A aurait commis des faits de harcèlement moral au motif qu'il a pu publiquement adressé des reproches à Mme B ;

Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les faits reprochés à M. A, sans qu'ils puissent constituer des faits de harcèlement moral ou sexuel, étaient effectivement de nature à justifier une sanction disciplinaire ; que toutefois, eu égard à l'absence de toute sanction antérieure au cours des trente années de carrière de l'intéressé et à l'absence de caractère répété des faits reprochés, et à l'ensemble des circonstance de l'espèce, La Poste, a, en faisant le choix de la sanction la plus lourde du 3ème groupe, prononcé à l'encontre de ce dernier une sanction manifestement disproportionnée ; qu'il suit de là que M. A est fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de La Poste :

Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille " ;

Considérant que la suspension d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire, sans caractère disciplinaire, qui a pour objet d'écarter l'intéressé du service pendant la durée normale de la procédure disciplinaire et pour une durée qui ne peut dépasser quatre mois que si l'intéressé est l'objet de poursuites pénales ; qu'un fonctionnaire doit être regardé comme faisant l'objet de poursuites pénales au sens de ces dispositions lorsque l'action publique pour l'application des peines a été mise en mouvement à son encontre ; que le déclenchement de l'action publique peut résulter du simple dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile ou d'une citation directe de la victime ou de l'ouverture d'une information judiciaire sur réquisitoire du ministère public ; que la suspension peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure, à la date de l'arrêté litigieux, d'articuler à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A a été suspendu de ses fonctions par une décision du 11 avril 2008 ; que cette mesure est intervenue après qu'une procédure d'enquête interne pour des faits de harcèlement eut été ouverte par la direction de La Poste ; que par courrier du 1er septembre 2008, M. A a sollicité en vain sa réintégration ; que M. A a, par une réclamation du 25 février 2009, reçue par La Poste le 3 mars 2009, demandé la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prolongation au delà du délai de quatre mois de la mesure de suspension prononcée à son encontre ; que cette demande indemnitaire a été implicitement rejetée par La Poste et le requérant a contesté, devant le tribunal administratif de Lille, ce rejet par une requête enregistrée le 15 mai 2009 ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A a fait l'objet de quelconques poursuites pénales ; que sa situation a été définitivement réglée par une décision de sanction édictée le 30 décembre 2008 ; que, par suite, le requérant qui avait lui-même demandé sa réintégration, est fondé à soutenir que La Poste a commis une faute en ne le réintégrant pas à l'issue du délai de quatre mois prévu par l'article 30 précité de la loi du 13 juillet 1983 susvisée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que la prolongation illégale de sa suspension est de nature à engager la responsabilité de La Poste ;

En ce qui concerne le préjudice :

Considérant que M. A soutient avoir subi un préjudice moral qu'il évalue à un montant de 5 000 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A en lui allouant une somme de 500 euros ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner La Poste à verser à M. A la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris par les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande La Poste au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille en date du 13 avril 2011 est annulé.

Article 2 : La Poste versera à M. A une somme de 500 euros au titre du préjudice moral ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. A est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de La Poste présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Léonce A et à La Poste.

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N°11DA00971


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-04-01 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Sanctions. Erreur manifeste d'appréciation.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme Appeche-Otani
Rapporteur ?: Mme Sylvie Appeche-Otani
Rapporteur public ?: Mme Baes Honoré
Avocat(s) : ASSOCIATION BROCHEN-ARNOUX

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3 (ter)
Date de la décision : 28/06/2012
Date de l'import : 02/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 11DA00971
Numéro NOR : CETATEXT000026089886 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2012-06-28;11da00971 ?
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