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28/01/2016 | FRANCE | N°13DA01570

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 28 janvier 2016, 13DA01570


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite du président du syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) refusant de prononcer la résiliation du contrat de délégation de service public portant sur l'exploitation de la liaison maritime entre Dieppe et Newhaven.

Par un jugement n° 1100887 du 16 juillet 2013, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2013, la société anon...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite du président du syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) refusant de prononcer la résiliation du contrat de délégation de service public portant sur l'exploitation de la liaison maritime entre Dieppe et Newhaven.

Par un jugement n° 1100887 du 16 juillet 2013, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2013, la société anonyme France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD, représentées par la SCP Boivin et associés, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 16 juillet 2013 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite du président du SMPAT ;

3°) d'enjoindre au SMPAT de prononcer la résolution du contrat de délégation de service public ou de saisir le juge du contrat à cette fin, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter d'un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du SMPAT une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le SMPAT n'est pas compétent pour conclure un contrat impliquant une liaison maritime internationale ;

- l'intérêt public de la liaison maritime en cause n'est pas établi ;

- le contrat de délégation de service public est contraire au principe de la liberté du commerce et de l'industrie dès lors que les moyens dévolus au service sont surdimensionnés ;

- le contrat de délégation méconnaît le principe de gestion à l'équilibre des services publics industriels et commerciaux ;

- le contrat de délégation a été conclu au terme d'une procédure de passation irrégulière ;

- les compensations prévues au contrat et versées au délégataire constituent des aides d'Etat contraires au droit communautaire ;

- le régime des services annexes prévu par le contrat de délégation du service public est illégal ;

- la convention a été modifiée de manière substantielle sans qu'une nouvelle consultation ne soit organisée ;

- le contrat de délégation méconnaît l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales dès lors que le montant des redevances versées par le délégataire n'est pas justifié dans la convention ;

- les services annexes sont insuffisamment encadrés, en méconnaissance de l'article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 décembre 2014 et 24 novembre 2015, le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche, représenté par Me B...D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 12 000 euros soit mise à la charge des sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable faute pour les requérantes d'avoir un intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD ne sont pas fondés.

Par des mémoires, enregistrés les 4 août 2015 et 11 décembre 2015, les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures par les mêmes moyens et font valoir en outre que :

- leur requête est irrecevable ;

- la durée d'exécution de la convention a été portée au 31 décembre 2017.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2015 le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens et ajoute en outre que :

- à supposer la procédure de dévolution du contrat irrégulière, ce vice n'est pas d'une particulière gravité ;

- l'intérêt général lié à la continuité du service public et à la circonstance qu'en cas de résolution ou de résiliation du contrat, le montant des emprunts souscrits pour financer les deux navires assurant la desserte maritime devra être supporté par les contribuables, s'oppose à la résolution ou à la résiliation de la convention.

Un mémoire produit par les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD a été enregistré le 8 janvier 2016.

Un mémoire produit par le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche en défense, a été enregistré 8 janvier 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

-le règlement (CEE) n° 3577/92 du Conseil du 7 décembre 1992 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Maryse Pestka, rapporteur public,

- et les observations de Me A...C..., représentant la société anonyme France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD et de Me B...D..., représentant le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT).

Une note en délibéré présentée pour la société anonyme France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD a été enregistrée le 15 janvier 2016.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche à la demande de première instance :

1. Considérant que, par une convention de délégation de service public du 29 novembre 2006, le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) a délégué à la société Louis Dreyfus Armateurs SAS, l'exploitation, au moyen de deux navires, de la liaison maritime Dieppe-Newhaven ; que les deux sociétés requérantes qui exploitent, sous le nomE..., le tunnel sous la manche, ont demandé par lettre du 19 novembre 2010 au SMPAT de prononcer la résiliation de ce contrat ; qu'elles se prévalent, pour demander l'annulation du refus implicite qui leur a été opposé, de l'atteinte à leur intérêt commercial compte tenu de la situation de concurrence existant entre la liaison transmanche objet de la convention en litige et l'exploitation du tunnel sous la Manche ; que cet intérêt leur donne qualité pour agir contre un acte détachable du contrat en litige ; qu'elles sont en outre à l'origine de la décision de refus dont elles demandent l'annulation pour excès de pouvoir ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, d'une part, l'article 11.1 du cahier des charges annexé à la convention conclu entre le SMPAT et la société Louis Dreyfus Armateurs SAS prévoit qu'en exécution de ses obligations de service public, le délégant verse au délégataire des compensations ; que leur montant est déterminé, en vertu de l'article 11.2 du cahier des charges, en comparant le résultat prévisionnel annuel de la délégation, tel qu'il est prévu par le délégataire et approuvé par le délégant, au résultat définitif de la société délégataire ; que la différence qui apparaît entre le résultat prévisionnel et celui effectivement constaté, à l'issue de l'exercice, détermine le montant maximum de la compensation pour l'année en cause ; que le dernier alinéa de cet article prévoit que le maximum des compensations prévues est constitué par celles qui seront atteintes pour l'année 2008 et que le résultat après compensation, correspondant à la marge du délégataire, ne pourra être supérieur à 500 000 euros ; que l'article 11.4 du même cahier des charges prévoit que si le résultat réel est inférieur au résultat prévisionnel, le délégataire ne peut prétendre à rien de plus que la compensation telle qu'elle a été déterminée ; que, s'il est supérieur, une part de la compensation variant de 25% à 45% en fonction du niveau de cet excédent, est acquise au délégataire ; que, d'autre part, en application des articles 11.3 et 11.6, les variations de soute qui correspondent principalement aux dépenses de combustibles, font l'objet d'une compensation spécifique à l'euro près ;

3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la rémunération du cocontractant est liée à la différence arithmétique existant entre les résultats prévisionnels et les résultats définitifs ; que le premier des termes de cette comparaison, qui ne résulte pas de l'exécution du service, est prévu par le seul délégataire ; que, par suite, en minorant le montant de son résultat prévisionnel d'exploitation, le cocontractant supprime tout aléa financier et est, de surcroît, susceptible de conserver une partie de la compensation versée, alors même que le maximum des compensations prévues est constitué par celles atteintes pour l'année 2008 et que le résultat après compensation, correspondant à la marge du délégataire, ne peut être supérieur à 500 000 euros ; que les variations de soute, correspondant principalement aux dépenses de combustibles, font aussi, ainsi qu'il a été dit au point 2, l'objet d'une compensation spécifique, à l'euro près ; que, dans ces circonstances, en l'absence de risque réel d'exploitation, la rémunération du cocontractant ne peut être regardée comme substantiellement assurée par les résultats d'exploitation du service ; que, dès lors, le contrat conclu le 26 novembre 2006 doit être analysé, non comme une délégation de service public, mais comme un marché, dont la passation était soumise aux règles du code des marchés publics ; qu'il n'est pas contesté que ces règles n'ont pas été respectées ; qu'il suit de là que les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que le contrat en litige a été conclu au terme d'une procédure irrégulière et que la décision implicite attaquée est de ce fait entachée d'illégalité ; qu'il y a lieu, dès lors, les autres moyens soulevés par les sociétés requérantes n'étant pas fondés, d'annuler le jugement du 16 juillet 2013 du tribunal administratif de Rouen et la décision implicite du président du syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche refusant de prononcer la résiliation du contrat de délégation de service public portant sur l'exploitation de la liaison maritime entre Dieppe et Newhaven.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

4. Considérant que l'annulation d'un acte détachable d'un contrat n'implique pas nécessairement que le contrat en cause doive être annulé ; qu'il appartient au juge de l'exécution, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, d'enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d'une particulière gravité, d'inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d'entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu'il en règle les modalités s'il estime que la résolution peut être une solution appropriée ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le contrat, dont le terme était fixé au 31 décembre 2014, a été prorogé par les avenants 8 et 9 jusqu'au 31 décembre 2017 ; que l'illégalité entachant la procédure de dévolution du contrat suivie par le SMPAT, n'affecte pas le consentement des parties au contrat et n'implique pas, non plus, la résolution du contrat qui a reçu exécution pour que soit assuré le service public de desserte maritime entre Dieppe et Newhaven ; que la nature du vice relevé au point 3 rend cependant impossible une éventuelle mesure de régularisation ; que, contrairement aux allégations du SMPAT, la résiliation du contrat en cause, qui devait d'ailleurs, selon la volonté initiale des parties, s'achever le 31 décembre 2014, ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général dès lors qu'il lui revient encore de préciser des modalités futures de la poursuite de la desserte maritime ou de son interruption ; que, dans ces conditions, afin de permettre au SMPAT d'assurer la continuité du service public et de rechercher une solution, il y a lieu de lui enjoindre de procéder à la résiliation de cette convention dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir l'injonction d'une astreinte ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 juillet 2013, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SMPAT le versement d'une somme de 3 000 euros à verser aux sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge des sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD, le versement de la somme que le SMPAT demande à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 16 juillet 2013 du tribunal administratif de Rouen et la décision implicite du président du syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche refusant de prononcer la résiliation du contrat de délégation de service public portant sur l'exploitation de la liaison maritime entre Dieppe et Newhaven sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche de résilier le contrat du 29 novembre 2006 conclu avec la société Louis Dreyfus Armateurs SAS dans un délai de six mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions du syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche versera aux sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société France-Manche SA, à la société The Channel Tunnel Group LTD et au syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 14 janvier 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.

Lu en audience publique le 28 janvier 2016.

Le rapporteur,

Signé : O. NIZETLe président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINI

Le greffier,

Signé : B. LEFORT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier

Béatrice Lefort

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N°13DA01570


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13DA01570
Date de la décision : 28/01/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-02-01 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Mode de passation des contrats. Délégations de service public.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Olivier Nizet
Rapporteur public ?: Mme Pestka
Avocat(s) : SCP BOIVIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-01-28;13da01570 ?
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