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07/02/2017 | FRANCE | N°15DA01020

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 07 février 2017, 15DA01020


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser une somme de 150 770,85 euros, majorée des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et de la perte de chance sérieuse d'accéder à la profession de chauffeur de taxi, du fait de l'illégalité de la délibération du jury de l'examen de capacité professionnelle de conducteur de taxi.

Par un jugement n° 1300746 du 7 mai 2015, le tribunal administrat

if d'Amiens a condamné l'Etat à verser à M. D...la somme globale de 4 000 euros.

Pro...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...D...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser une somme de 150 770,85 euros, majorée des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et de la perte de chance sérieuse d'accéder à la profession de chauffeur de taxi, du fait de l'illégalité de la délibération du jury de l'examen de capacité professionnelle de conducteur de taxi.

Par un jugement n° 1300746 du 7 mai 2015, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à verser à M. D...la somme globale de 4 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 juin et 9 octobre 2015, M.D..., représenté par Me F...E..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 7 mai 2015 ;

2°) de porter la somme de 4 000 euros que l'Etat a été condamné à lui verser par le jugement du tribunal administratif d'Amiens à la somme de 150 770,85 euros, majorée des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 480 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le tribunal a omis de statuer sur sa demande d'indemnisation de son préjudice moral ;

- l'illégalité de la délibération du jury concernant le déclarant non admis au certificat de capacité professionnelle des conducteurs de taxi, à l'issue des épreuves correspondant à la quatrième unité de valeur est à l'origine des préjudices dont il se prévaut ;

- la période d'indemnisation n'a pas à être limitée à la période du 18 mai au 22 septembre 2010 ;

- il n'a commis aucune faute d'imprudence de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat, en démissionnant du ministère de l'éducation nationale avant d'être admis au certificat de capacité professionnelle des conducteurs de taxi ;

- il établit avoir recherché un emploi pendant la période du 18 mai au 22 septembre 2010 ;

- il a engagé de nombreux frais pour accéder à la profession de conducteur de taxi, à hauteur de 4 944,63 euros ;

- son préjudice financier, au titre de sa perte de revenus et de ses droits à la retraite peut être chiffré a minima à la somme de 105 826,22 euros ;

- son préjudice moral doit être chiffré à la somme de 40 000 euros.

Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés le 3 septembre 2015 et le 8 décembre 2016, le préfet de l'Aisne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'Etat ne saurait être tenu responsable de la décision prise par M.D..., fonctionnaire de l'Etat, de démissionner de manière anticipée du ministère de l'éducation nationale avant sa réussite à l'examen du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi ;

- M. D...pouvait repasser l'unité de valeur 4 dès le 22 septembre 2010, ce qu'il s'est abstenu de faire ;

- la situation actuelle de M. D...résulte du choix personnel de ce dernier.

M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 29 juin 2015.

Vu la demande indemnitaire préalable.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des transports ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995, relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi ;

- le décret n° 95-935 du 17 août 1995, portant application de la loi n° 95-66 du 20 janvier 1995 susvisée ;

- le décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 instituant une indemnité de départ volontaire ;

- l'arrêté du 3 mars 2009, relatif aux conditions d'organisation de l'examen du certificat de capacité professionnelle de conducteur ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.

1. Considérant que M.D..., professeur de mathématiques, a démissionné du ministère de l'éducation nationale à compter du 1er septembre 2009, dans la perspective de devenir chauffeur de taxi ; qu'il a été déclaré admissible à l'obtention du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi, suite à sa réussite aux épreuves des trois premières unités de valeur de l'examen préalable, mais a été informé, le 28 mai 2010, de son ajournement à l'épreuve d'admission ; que, par un arrêt du 27 septembre 2012, la présente cour a annulé la délibération du jury en tant qu'elle déclarait non admis M. D...en raison de l'irrégularité du déroulement de l'épreuve d'admission ; que M. D...relève appel du jugement du 7 mai 2015 par lequel le tribunal administratif d'Amiens n'a fait que partiellement droit à ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la délibération du jury de l'examen de capacité professionnelle de conducteur de taxi ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'il ressort des termes du jugement attaqué que si les premiers juges ont indiqué au point 6 du jugement, que M. D...demandait une somme de 40 000 euros " au titre de son préjudice moral et de la perte de chance d'exercer la profession de taxi " et lui ont ensuite alloué une somme de 1 500 euros au titre de sa perte de chance d'exercer la profession de taxi, ils ont omis de se prononcer sur la demande présentée au titre du préjudice moral ; que le jugement attaqué sera annulé, dans cette mesure, en tant qu'il est entaché de cette omission à statuer ; qu'il y a donc lieu de statuer dans le cadre de l'évocation sur les conclusions de M. D... devant le tribunal en tant qu'elles portent sur son préjudice moral et de statuer par la voie de l'effet dévolutif pour les autres conclusions ;

Sur la responsabilité :

3. Considérant que la décision du 18 mai 2010 déclarant illégalement M. D...non admis au certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi à l'issue de l'épreuve d'admission est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que les premiers juges ont cependant limité la période de responsabilité de l'Etat entre le 18 mai et le 22 septembre 2010, date à laquelle se déroulait une nouvelle session permettant de repasser l'épreuve d'admission à laquelle M. D...a été ajourné ;

4. Considérant que M. D...soutient que la session du 22 septembre 2010 se déroulait trop tardivement pour réaliser l'acquisition d'une autorisation de stationnement sur le territoire de sa commune appartenant à un chauffeur de taxi qui partait à la retraite et qu'il était profondément affecté par son échec et craignait de voir se reproduire les mêmes irrégularités lors de la nouvelle session ; que, toutefois, ces circonstances ne sauraient justifier que la responsabilité de l'Etat soit engagée au-delà du 22 septembre 2010 ; qu'en effet, il est constant que M.D..., qui s'était pourtant inscrit le 2 juillet 2010 à la nouvelle session du 22 septembre 2010, s'est abstenu de se présenter à cette session d'examen ; que l'obtention du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi le 22 septembre 2010 lui aurait permis d'exercer la profession de chauffeur de taxi en qualité de salarié ou d'artisan, après obtention de la carte professionnelle et ainsi, de racheter une autorisation de stationnement déjà existante ou de solliciter la création d'une nouvelle autorisation, à titre gratuit, dans la commune de son choix, après passage devant la commission compétente ; que, par ailleurs, les craintes invoquées, au demeurant non établies, ne l'empêchaient pas de se présenter à cette nouvelle session d'examen ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont limité la période de responsabilité de l'Etat entre le 18 mai et le 22 septembre 2010 ;

5. Considérant que le tribunal après avoir indiqué, d'une part, que M. D...n'établissait pas avoir recherché un emploi pendant la période de responsabilité de l'Etat et, d'autre part, qu'il avait démissionné de ses fonctions de professeur de mathématiques moyennant une indemnité de départ volontaire alors qu'il pouvait solliciter une mise en disponibilité, en a déduit que ce dernier avait commis une imprudence de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat et a fixé la part de responsabilité résultant du comportement de l'intéressé à un tiers du préjudice subi par lui ;

6. Considérant toutefois, que M. D...établit avoir publié une petite annonce sur un site spécialisé afin de dispenser des cours de mathématiques et avoir travaillé 94 heures au cours du mois d'août 2010 puis du 18 au 23 septembre 2010 ; que, dans ces conditions, le requérant ne peut être regardé comme s'étant abstenu de rechercher un emploi pendant la période d'indemnisation ; que, par ailleurs, M. D...fait valoir que sa démission du ministère de l'éducation nationale s'inscrivait dans le cadre du dispositif mis en place par le décret n° 2008-368 du 17 avril 2008 instituant une indemnité de départ volontaire afin de permettre le soutien financier des agents publics qui y sont éligibles dans leur démarche de mobilité ou d'accomplissement d'un projet personnel ; que cette indemnité de départ volontaire vise notamment la situation des agents qui, comme M.D..., souhaitent se réorienter professionnellement et pour lesquels cette indemnité de départ volontaire permet de les accompagner financièrement le temps de mettre en place ce projet, soit dans la création ou la reprise d'une entreprise, soit pour un autre projet professionnel, alors qu'une mise en disponibilité les prive de tout traitement pendant cette période ; que le versement de cette indemnité de départ volontaire est conditionnée à la démission de l'agent ; que la préparation au certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi se déroulant sur plusieurs mois, il ne saurait être reproché à M.D..., contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, une quelconque faute d'imprudence d'avoir demandé à bénéficier des dispositions du décret du 17 avril 2008 et, en conséquence, d'avoir démissionné de ses fonctions de professeur de mathématiques ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les frais exposés :

7. Considérant que les premiers juges ont, à bon droit, écarté la demande de M. D...tendant au remboursement des frais de visites médicales, de déplacements et de formations qu'il a exposés en vue de l'obtention du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi dès lors que ces frais auraient été exposés par le requérant même en l'absence des irrégularités commises lors du déroulement de l'épreuve de la dernière unité de valeur ; que si M. D...soutient qu'il aurait dû acquitter ces frais une seconde fois s'il s'était représenté à la dernière unité de valeur, il est constant qu'il ne s'est pas présenté aux épreuves de cette unité de valeur le 22 septembre 2010 et n'établit pas avoir effectivement exposé ces frais une seconde fois ;

En ce qui concerne la perte de revenus et l'incidence sur ses droits à la retraite :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D...a perdu une chance sérieuse d'exercer la profession de chauffeur de taxi dès l'obtention du certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 3, les demandes de l'intéressé au titre de la perte de revenus doivent être limitées à la période de responsabilité de l'Etat qui s'étend du 18 mai 2010 au 22 septembre 2010 ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice de M. D...en lui allouant au titre de la perte de revenus et de l'incidence sur les droits à la retraite la somme de 10 000 euros, qui tient notamment compte des estimations non contredites des montants de revenus qu'il aurait perçus, diminuées des sommes dont il a effectivement bénéficié du 18 mai au 22 septembre 2010 et de l'incidence de cette perte de revenus sur ses droits à la retraite ;

En ce qui concerne la réparation de son préjudice moral :

9. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de M. D...en lui allouant une somme de 1 000 euros ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité totale mise à la charge de l'Etat en réparation des préjudices de M. D...du fait de l'illégalité de la délibération du jury de l'examen de capacité professionnelle de conducteur de taxi doit être portée de la somme de 4 000 euros à la somme de 11 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

11. Considérant que la somme de 11 000 euros attribuée à M. D...en réparation des préjudices subis portera intérêt au taux légal à compter du 11 décembre 2012, date de réception de sa demande préalable indemnitaire par l'Etat ;

12. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par M. D...dans sa requête devant le tribunal enregistrée le 22 mars 2013 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 11 décembre 2013, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D...est seulement fondé à demander, dans la mesure précitée, la réformation du jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que M. D...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 55 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Douai du 29 juin 2015 ; qu'il établit, par la convention d'honoraires conclue avec son conseil avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre pour un montant de 480 euros ; que, dans ces conditions, il y a donc lieu de condamner l'Etat à rembourser à M. D... la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par le bureau d'aide juridictionnelle, soit une somme de 480 euros ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 7 mai 2015 du tribunal administratif d'Amiens est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions indemnitaires de M. D...relatives à son préjudice moral.

Article 2 : La somme que l'Etat est condamné à verser à M. D...au titre de son préjudice moral est fixée à 1 000 euros.

Article 3 : La somme de 4 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. D...par le jugement du tribunal administratif d'Amiens est portée à la somme de 11 000 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 11 décembre 2012. Les intérêts échus à la date du 11 décembre 2013, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le jugement n° 1300746 du 7 mai 2015 du tribunal administratif d'Amiens est, pour sa partie qui n'a pas été annulée en vertu de l'article 1er, réformé en ce qu'il est contraire à l'article 3 ci-dessus.

Article 5 : L'Etat versera à M. D...une somme de 480 euros correspondant à la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par la décision du 29 juin 2015 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Douai.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aisne.

Délibéré après l'audience publique du 24 janvier 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme C...B..., première conseillère,

- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 février 2017.

Le rapporteur,

Signé : R. FERALLe président-assesseur,

Signé : M. G...

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Marie-Thérèse Lévèque

7

N°15DA01020


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01020
Date de la décision : 07/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Procédure - Jugements - Chose jugée - Chose jugée par la juridiction administrative - Effets.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Causes exonératoires de responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. Lavail Dellaporta
Rapporteur ?: M. Rodolphe Féral
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SCP CATHERINE MAIZIERE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/02/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-02-07;15da01020 ?
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