Vu la décision en date du 19 janvier 1989, enregistrée au greffe de la cour le 3 mars 1989, par laquelle le président de la 10e sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée par Me PRADON, avocat aux Conseils, pour la S.C.I de RIVE NEUVE, venant aux droits de la S.A.R.L. Société Immobilière du Quai de Rive Neuve "Nouvelle Criée aux Poissons", dont le siège est ... ;
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les 17 juillet et 13 septembre 1985, présentés pour la S.C.I. de RIVE NEUVE, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1) annule le jugement, en date du 30 mai 1985, par lequel le tribunal administratif de MARSEILLE a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat et la ville de MARSEILLE soient déclarés responsables de la perte de son fonds de commerce et solidairement condamnés à réparer le préjudice subi par elle ;
2) condamne solidairement l'Etat et la ville de MARSEILLE à lui payer la somme de 3 348 037,90 francs avec intérêts de droit à compter du 14 décembre 1981 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 65-28 du 11 janvier 1965 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 1er mars 1990 :
- le rapport de Mme LEMOYNE de FORGES, conseiller ;
- les observations de Me X..., substituant la S.C.P. COUTARD, MAYER, avocat de la ville de MARSEILLE ;
- et les conclusions de M. JOUGUELET, commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance en ce qu'elle était dirigée contre la ville de MARSEILLE :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 11 janvier 1965 alors applicable : "Sauf en matière de travaux publics, la juridiction administrative ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision ..." ;
Considérant que si la S.C.I. de RIVE NEUVE ne justifie de l'existence d'aucune décision préalable de la ville de MARSEILLE rejetant une demande d'indemnisation de son préjudice, il résulte de l'instruction que dans les observations en défense que la ville a présentées au tribunal administratif, elle a conclu au rejet de la demande de la S.C.I. comme mal fondée ; que ces conclusions, non présentées à titre subsidiaire, doivent être regardées comme constituant une décision de rejet susceptible de lier le contentieux devant la juridiction administrative saisie par la S.C.I. de RIVE NEUVE, alors même que la ville a opposé, à titre subsidiaire, à la demande une fin de non recevoir ; que dès lors la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de MARSEILLE a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la ville de MARSEILLE ; qu'ainsi, ledit jugement, en date du 30 mai 1985, doit être, dans cette mesure, annulé ;
Considérant qu'il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur lesdites conclusions et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la socité requérante ;
Considérant que la société requérante, qui exploitait à MARSEILLE un ensemble immobilier dans lequel se trouvait "La Nouvelle Criée aux Poissons" se plaint de ce que, par suite de la conjonction de la création du marché d'intérêt national de MARSEILLE dit de "Saumaty", assorti de certaines des mesures de protection prévues par l'ordonnance susvisée du 22 septembre 1967, et de l'expropriation desdits locaux, elle a perdu sans indemnité toute possibilité d'exploiter son fonds de commerce pendant la période qui a séparé la prise de possession des locaux par l'administration municipale, soit novembre 1976, du versement de l'indemnité d'expropriation, soit mai 1979, le juge de l'expropriation ayant considéré que la perte en cause n'était pas la conséquence directe de l'expropriation, mais de la création du marché d'intérêt national ; qu'elle demande réparation de ce préjudice à l'Etat et à la ville de MARSEILLE ;
En ce qui concerne la création du marché d'intérêt national :
Considérant qu'il est constant que les mareyeurs dont l'activité constituait l'exploitation du fonds de commerce dont s'agit l'avaient quitté dès l'ouverture du marché d'intérêt national, soit le 12 octobre 1976, en vue de s'installer sur ledit marché ; que l'édiction, le 13 juillet 1977, d'une mesure de protection dite "négative", en application de l'article 5 de l'ordonnance susvisée du 22 septembre 1967, n'a pu dès lors être la cause de cet abandon ayant eu pour effet de rendre impossible l'exploitation du fonds ; que si cette mesure a privé la requérante d'une possibilité de réinstallation, les dispositions de l'article 11 de ladite ordonnance, qui organisent un régime spécial d'indemnisation lié à l'édiction d'une mesure de protection dite "positive" par application de l'article 6 de la même ordonnance, font obstacle à l'admission d'une action en réparation des préjudices éventuellement causés par les autres mesures de protection prévues par cette ordonnance et légalement édictées, quel que soit le fondement invoqué au soutien d'une telle action ;
Considérant, d'autre part, que si l'ouverture du marché d'intérêt national a incité les mareyeurs, qui n'étaient pas liés à la requérante par un bail commercial et étaient ainsi fondés, compte-tenu des projets d'expropriation, à redouter de perdre leur emplacement commercial sans indemnité, à s'installer sans plus attendre sur ce marché, la création de cet équipement public et l'influence qu'elle a eue sur le comportement des agents économiques et notamment sur la clientèle de la requérante n'est, en l'absence de faute, pas susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
En ce qui concerne l'expropriation :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'expropriation des locaux dont s'agit, engagée et menée à bien en vue de la réalisation des projets culturels, aurait été en réalité diligentée dans le seul but d'obtenir la fermeture de l'exploitation de la requérante, et, compte-tenu de l'impossibilité pour elle de réinstaller son fonds de commerce en un autre lieu à la suite des mesures de protection du marché d'intérêt national, édictées en juillet 1979, de parvenir à la suppression effective de cette exploitation sans devoir édicter une mesure de protection donnant droit à indemnisation par application de l'article 11 de l'ordonnance susvisée du 22 septembre 1967 ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que l'expropriation dont s'agit procède d'un détournement de pouvoir susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique ;
En ce qui concerne les autres agissements reprochés à la ville de MARSEILLE :
Considérant qu'à supposer que la ville de MARSEILLE ait, comme le soutient la requérante, informé les mareyeurs de l'ouverture du marché d'intérêt national et des avantages qu'il présentait pour l'exercice de leurs activités, et ait souligné à leur intention les effets probables de l'expropriation en cours, un tel comportement, dont il n'est établi ni qu'il se soit accompagné de pressions ou d'actes administratifs illégaux, ni qu'il ait diffusé des informations inexactes, n'est pas constitutif d'une faute, alors même que le départ des mareyeurs aurait eu pour effet de permettre à la ville de satisfaire, par ailleurs, à des obligations contractuelles qu'elle avait vis-à-vis de la société exploitant le marché d'intérêt national ; qu'il n'est donc pas susceptible d'engager la responsabilité de cette collectivité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de la S.C.I. de RIVE NEUVE, dirigée contre la ville de MARSEILLE, ainsi que le surplus des conclusions de sa requête doivent être rejetés ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de MARSEILLE en date du 30 mai 1985 est annulé en tant qu'il a rejeté comme irrecevables les conclusions de la société requérante dirigées contre la ville de MARSEILLE.
Article 2 : La demande de la S.C.I. de RIVE NEUVE dirigée contre la ville de MARSEILLE et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.