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19/02/1991 | FRANCE | N°89LY01819

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3e chambre, 19 février 1991, 89LY01819


Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 12 octobre 1989, présentée pour M. Y... demeurant ... (95250) Belloy-en-France par Me Z..., avocat ;
M. Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 mai 1989 du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la commune de Vaison-la-Romaine et de l'entreprise Missolin à réparer le préjudice qu'il a subi du fait des désordres causés à l'immeuble dont il était locataire par des travaux publics réalisés en 1980, 2°) de condamner solidairement la commun

e de Vaison-la-Romaine et l'entreprise Missolin à lui verser, d'une par...

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 12 octobre 1989, présentée pour M. Y... demeurant ... (95250) Belloy-en-France par Me Z..., avocat ;
M. Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 mai 1989 du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la commune de Vaison-la-Romaine et de l'entreprise Missolin à réparer le préjudice qu'il a subi du fait des désordres causés à l'immeuble dont il était locataire par des travaux publics réalisés en 1980, 2°) de condamner solidairement la commune de Vaison-la-Romaine et l'entreprise Missolin à lui verser, d'une part, outre les intérêts de droit capitalisés, la somme de 407.477,12 francs en réparation du préjudice afférent au coût des travaux d'aménagement, à la moins-value de son fonds, à la perte de rentabilité des fonds investis, à la perte d'exploitation, au montant des loyers, d'autre part, 10.000 francs au titre des frais irrépétibles ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 22 janvier 1991 :
- le rapport de Mme Devilliers conseiller ;
- les observations de Me A... substituant Me Odent, avocat de la société Missolin ;
- et les conclusions de M. Chavrier, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. Y... demande tant en première instance qu'en appel que la commune de Vaison-la-Romaine et l'entreprise Missolin soient solidairement condamnées à l'indemniser des préjudices résultant de l'impossibilité d'exploiter un fonds de commerce dont il est propriétaire à Vaison-la-Romaine du fait d'infiltrations d'eau de pluies imputables à des travaux publics exécutés par l'entreprise Missolin pour le compte de la commune ;
Sur la compétence de la juridiction administrative et la recevabilité de la demande au tribunal administratif :
Considérant que M. Y... impute le préjudice résultant du paiement en pure perte des loyers de son local commercial à des travaux publics ; que la juridiction administrative est seule compétence pour connaître des litiges relatifs à des dommages de travaux publics ; que par suite la commune n'est pas fondée à soutenir que le litige a été porté devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Considérant que M. Y... a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la réparation d'un préjudice résultant selon lui de travaux publics ; qu'il a ainsi précisé le fondement juridique de sa demande ; que par suite celle-ci était recevable ;

Sur le moyen tiré des irrégularités d'un jugement n° 85-1115 du 25 mai 1989 :
Considérant que M. Y... ne saurait utilement se prévaloir au soutien de ses conclusions dirigées contre le jugement attaqué d'irrégularités entachant selon lui un autre jugement (n° 85 1115) rendu le 25 mai 1989 par le tribunal administratif de Marseille ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'après avoir acquis le 19 août 1983 le droit au bail d'un local commercial appartenant à Mme X..., situé ... à Vaison-la-Romaine, M. Y... a fait procéder à divers travaux d'aménagement ; qu'à partir du mois de novembre 1984 d'importantes infiltrations se sont produites dans sa boutique au point de la rendre inexploitable ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction notamment des pièces produites par le requérant que les infiltrations constatées à partir du mois de novembre 1984 dans le local loué par M. Y... ont pour origine les travaux publics de démolition d'un immeuble adjacent à celui où est installé sa boutique, réalisés en 1980 par l'entreprise Missolin pour le compte de la commune de Vaison-la-Romaine ;
Considérant qu'il résulte également de l'instruction que les désordres qui s'étaient manifestés avant le mois de novembre 1984, étaient peu importants ; qu'il résulte du 2ème rapport de l'expert désigné en référé que l'aggravation des désordres constatée en 1984 a pour cause exclusive la carence de la commune qui n'a pas réalisé les travaux préconisés dans un 1er rapport d'expertise pour faire cesser les infiltrations d'eau de pluie ; que dans ces conditions, seule la responsabilité de la commune de Vaison-la-Romaine est engagée à l'égard de M. Y... ; que les conclusions que celui-ci dirige contre l'entreprise Missolin doivent, en conséquence être rejetées ;

Sur le préjudice et sa réparation :
En ce qui concerne la moins value du fonds de commerce et la perte d'exploitation :
Considérant que si M. Y... fait état d'un préjudice de 80.000 francs correspondant à la moins-value de son fonds de commerce dont il a acquis le 19 août 1983 pour 100.000 francs le droit au bail, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait revendu ce dernier à perte ; qu'ainsi, le préjudice allégué est éventuel et ne peut dès lors donner lieu à indemnisation ;
En ce qui concerne la perte d'exploitation :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la perte d'exploitation que M. Y... prétend avoir subie a exclusivement pour origine la défection du gérant qu'il avait pressenti pour exploiter le fonds de commerce de tapissier-décorateur qu'il avait l'intention de créer dans le local en question ; qu'il ne peut prétendre à aucune indemnité de la part de la commune du fait de ce préjudice ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif a rejeté sa demande en réparation des deux chefs de préjudice susmentionnés ;

En ce qui concerne le préjudice résultant du paiement des loyers des travaux d'aménagement et de la perte de rentabilité des fonds investis :
Considérant en premier lieu que M. Y... chiffre à 49.820 francs le montant des loyers payés en pure perte ; qu'il résulte de l'instruction qu'il a réglé la totalité des 47 mensualités dues à la propriétaire des murs pendant toute la période d'indisponibilité des locaux jusqu'à la date de résiliation du bail intervenue le 17 octobre 1988 ; qu'ainsi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif le préjudice doit être regardé comme établi ; qu'il y a lieu, en conséquence de condamner la commune de Vaison-la-Romaine à verser la somme de 49.820 francs à M. Y... à titre d'indemnité ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Y... a exposé une dépense de 18.677,12 francs TTC pour la remise en état des locaux avant d'y installer un gérant ; qu'au moment où M. Y... a entrepris les travaux, les infiltrations qui s'étaient produites n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles rendaient manifestement le local inexploitable ; que c'est par suite à tort, que le tribunal administratif a estimé que les travaux avaient été entrepris aux risques et périls du requérant pour lui refuser l'indemnisation de ce chef de préjudice ; qu'il résulte toutefois également de l'instruction que les désordres ont été en partie causés par des infiltrations provenant de la toiture terrasse de l'immeuble qui sont dépourvues de tout lien avec les travaux publics litigieux ; que ces infiltrations ont notamment contribué à la détérioration du plancher, du faux plafond et de ses installations électriques ; que dans les circonstances de l'espèce il sera fait une juste appréciation de l'indemnité réparant le préjudice résultant de la détérioration des aménagements réalisés par M. Y... en la fixant à 12.000 francs ;

Considérant que M. Y... évalue à 45 600 francs le préjudice afférent à la perte de rentabilité des fonds investis, entre le 19 août 1983 et le 17 octobre 1988 ; qu'il résulte de l'instruction que le préjudice dont il se prévaut ne peut être regardé comme certain qu'à compter du 2 août 1984, date à laquelle il a donné mandat à une agence de vendre son fonds de commerce pour un prix raisonnable compte tenu des investissements réalisés ; qu'ainsi, à partir de cette date, M. Y... a été privé des revenus qu'il aurait pu tirer du placement des capitaux provenant de la vente qui du fait des dommages des travaux publics incriminés n'a pu se réaliser ; que par suite M. Y... a droit à réparation de ce préjudice qui a été regardé à tort comme éventuel par le tribunal administratif ; que le requérant ne justifiant pas le taux de rentabilité de 14 % des fonds investis dont il se prévaut, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité à laquelle il peut prétendre à ce titre en la fixant à 25.000 francs ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif a rejeté sa demande en réparation du préjudice afférent aux dépenses de loyers, au coût des aménagements détériorés et à la perte de rentabilité de ses fonds ; qu'il y a lieu de réformer le jugement du tribunal administratif et de condamner la commune de Vaison-la-Romaine à payer à M. Y... la somme de 86.810 francs ;

Sur les intérêts :
Considérant que M. Y... a droit aux intérêts de la somme de 86.820 francs à compter du 11 septembre 1987, date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Marseille ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 12 octobre 1989 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil il y a lieu de faire droit à la demande de M. Y... ;
Sur les appels incidents de la commune et de l'entreprise Missolin :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'il paraît inéquitable de laisser à la charge d'une partie des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut condamner l'autre partie à lui payer le montant qu'il ou elle détermine" ;
Considérant que par la voie de l'appel incident la commune de Vaison-la-Romaine et l'entreprise Missolin demandent la réformation du jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il les a solidairement condamnées à verser à M. Y..., en application des dispositions précitées, la somme de 2.500 francs ;
Considérant que les premiers juges ont suffisamment motivé leur décision ; qu'il y a lieu toutefois de faire droit aux conclusions de l'entreprise Missolin qui n'est en rien responsable des dommages subis par M. Y... en reformant le jugement attaqué en ce qu'il l'a condamné solidairement avec la commune de Vaison-la-Romaine à payer cette somme à M. Y... ; qu'en revanche, dans les circonstances de l'espèce il convient de rejeter les conclusions de ladite commune sur ce point ;

Sur les conclusions de M. Y... et de la commune de Vaison-la-Romaine tendant à l'application des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article R. 222 et de condamner la commune de Vaison-la-Romaine à payer à M. Y... la somme de 5.000 francs au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ; qu'en revanche il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions et de condamner M. Y... à payer à la commune de Vaison-la-Romaine l'indemnité qu'elle réclame au titre des frais irrépétibles ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a condamné l'entreprise Missolin à verser à M. Y... la somme de 2.500 francs.
Article 2 : La commune de Vaison-la-Romaine est condamnée à verser une indemnité de 86.820 francs à M. Y....
Article 3 : L'indemnité de 86.820 francs prévue à l'article 1er, portera intérêt au taux légal à compter du 11 septembre 1987, les intérêts échus le 12 octobre 1989 étant capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 mai 1989 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La commune de Vaison-la-Romaine versera à M. Y... 5.000 francs au titre de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 6 : Le surplus de la requête de M. Y... ainsi que l'appel incident de la commune de Vaison-la-Romaine sont rejetés.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 89LY01819
Date de la décision : 19/02/1991
Sens de l'arrêt : Annulation partielle indemnité
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - CONCLUSIONS RECEVABLES EN APPEL - CONCLUSIONS INCIDENTES - Conclusions recevables - Appel incident sur la condamnation prononcée au titre des frais non compris dans les dépens alors que l'appel principal porte sur le principe et le montant de la réparation.

54-08-01-02-02 Jugement du tribunal administratif ayant rejeté la demande indemnitaire principale mais alloué une somme au demandeur en application de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. L'appel incident portant sur l'allocation de cette somme, qui ne soulève pas un litige distinct de l'appel principal portant sur le rejet de la demande indemnitaire, est recevable (sol. impl.).

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE CERTAIN DU PREJUDICE - EXISTENCE - Préjudice découlant de la perte de rentabilité des fonds investis pour l'acquisition d'un fonds de commerce dont la vente n'a pu se réaliser du fait de dommages de travaux publics.

60-04-01-02-02, 60-04-03-02-01-05, 67-03-04 Le préjudice découlant de la perte de rentabilité des fonds investis pour l'acquisition d'un fonds de commerce dont la vente n'a pu se réaliser du fait de dommages de travaux publics ne peut être regardé comme certain qu'à compter de la date à laquelle le requérant a donné mandat à une agence de vendre ledit fonds pour un prix raisonnable compte tenu des investissements réalisés. En l'absence de justifications du taux de rentabilité de 14 %, dont l'application sur une période de 5 ans aboutirait à la somme réclamée de 45.600 F, fixation forfaitaire de l'indemnité pour une période de 4 ans à un montant de 25.000 F.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE MATERIEL - PERTE DE REVENUS - DIMINUTION DE RESSOURCES RESULTANT DE L'EXECUTION DE TRAVAUX PUBLICS - Perte de rentabilité de fonds investis.

TRAVAUX PUBLICS - DIFFERENTES CATEGORIES DE DOMMAGES - DOMMAGES CREES PAR L'EXECUTION DES TRAVAUX PUBLICS - Dommages ayant notamment empêché la vente d'un fonds de commerce.


Références :

Code civil 1154
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R222


Composition du Tribunal
Président : M. Lopez
Rapporteur ?: Mme Devillers
Rapporteur public ?: M. Chavrier

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1991-02-19;89ly01819 ?
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