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25/02/1991 | FRANCE | N°89LY00427

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 25 février 1991, 89LY00427


Vu la décision en date du 2 janvier 1989, enregistrée au greffe de la cour le 20 janvier 1989, par laquelle le président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée pour GAZ DE FRANCE ;
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les 9 novembre 1987 et 9 mars 1988, présentés pour GAZ DE FRANCE, dont le siège est ..., représenté par son directeur général en exe

rcice, par Me X..., avocat aux conseils ;
GAZ DE FRANCE demande au Cons...

Vu la décision en date du 2 janvier 1989, enregistrée au greffe de la cour le 20 janvier 1989, par laquelle le président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret n° 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée pour GAZ DE FRANCE ;
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les 9 novembre 1987 et 9 mars 1988, présentés pour GAZ DE FRANCE, dont le siège est ..., représenté par son directeur général en exercice, par Me X..., avocat aux conseils ;
GAZ DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 9 juin 1987 par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamné à verser à Mme Y... une indemnité de 660 000 francs en réparation des préjudices qui lui ont été causés par la mort accidentelle de son mari, à rembourser à l'établissement national des invalides de la marine la somme de 451 913,90 francs, à rembourser à la société "Fouquet Sacop Maritime" 30 % des sommes et des intérêts que ladite société a été condamnée à verser à Mme Y..., et a rejeté les conclusions de la demande et l'appel en garantie de GAZ DE FRANCE dirigés contre le Port Autonome de Marseille ;
2°) de faire droit aux conclusions de GAZ DE FRANCE contre le Port Autonome de Marseille avec intérêts et intérêts des intérêts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 12 février 1991 :
- le rapport de Mme LEMOYNE de FORGES, conseiller ;
- les observations de la SCP COUTARD, MAYER, avocat de GAZ DE FRANCE ;
- et les conclusions de M. JOUGUELET, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le 17 novembre 1979, vers 22 H 30, alors qu'il empruntait le canal de Caronte en direction de l'étang de Berre, le caboteur pétrolier "Le Ginouse", appartenant à la société "Fouquet Sacop Maritime" a perdu accidentellement son ancre, laquelle, au cours de la manoeuvre de relevage, a accroché et arraché la conduite de gaz naturel qui traverse le chenal dans une souille pour relier le terminal méthanier de GAZ DE FRANCE de Fos-sur-Mer à la ville de Martigues ; que la rupture de ce gazoduc a provoqué une déflagration qui a entraîné le naufrage d'une embarcation appartenant à l'entreprise de batelage Y..., dont le capitaine est mort noyé ; que GAZ DE FRANCE fait appel du jugement du 9 juin 1987 par lequel le tribunal administratif de Marseille a retenu sa responsabilité, l'a condamné à verser une somme de 660 000 francs à Mme Y..., de 451 913,20 francs à l'établissement national des invalides de la marine et à rembourser 30 % des sommes et des intérêts que la société Fouquet Sacop Maritime a été condamnée à verser à Mme Y..., a écarté son appel en garantie contre le Port Autonome de Marseille, et a rejeté ses conclusions tendant à ce que ledit port soit condamné à lui verser en réparation de son préjudice la somme de 6 474 863,09 francs augmentée des intérêts de droit ;
Sur la responsabilité de GAZ DE FRANCE :
En ce qui concerne les demandes des héritiers de M. Y... et de l'établissement national des invalides de la marine :
Considérant que le gazoduc qui, ayant été accroché par l'ancre, s'est rompu, se trouvait incorporé au fond du canal de Caronte qui, susceptible de recevoir les ancres des bateaux placés dans l'obligation de mouiller, est indissociable de la voie de circulation représentée par ce canal ; que par suite M. Y..., qui circulait sur ce canal, était vis à vis de la canalisation en situation d'usager lorsque le dommage s'est produit ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'aucune signalisation n'avertissait les usagers de la présence au fond du canal de cette canalisation qui, non remblayée, était susceptible d'être accrochée par une ancre ; que l'interdiction générale de mouiller dans les passes ne pouvait être regardée comme avertissant suffisamment les usagers de tels risques ; que par suite il n'est pas établi que l'ouvrage ait fait l'objet d'un entretien normal ; qu'aucune faute n'étant invoquée à l'encontre de M. Y..., GAZ DE FRANCE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué l'a déclaré responsable des conséquences du décès de ce dernier ;
En ce qui concerne la société Fouquet Sacop Maritime :
Considérant que GAZ DE FRANCE se prévaut des fautes qui auraient été commises par l'équipage du Ginouse en ne prenant aucune précaution, après une première chute accidentelle de l'ancre, pour que cet incident ne se reproduise pas, et en remontant sans précaution l'ancre après sa seconde chute ;

Considérant en premier lieu que le dommage n'a pas eu pour cause directe la chute de l'ancre, mais son relevage ; que par suite les négligences reprochées à l'équipage sont, en ce qu'elles ont pu être à l'origine de cette chute, sans influence sur la responsabilité encourue par GAZ DE FRANCE à l'égard de la société Fouquet Sacop Maritime qui, comme M. Y..., était usager du canal et des éléments qui y étaient incorporés ;
Considérant en second lieu que la présence de canalisations au lieu du mouillage accidentel n'était, ainsi qu'il a été dit, pas signalée aux usagers ; que dans ces conditions l'équipage du Ginouse n'a, en procédant rapidement au relevage de l'ancre qu'exigeait la conduite normale du bateau, commis aucune faute alors surtout qu'il n'est ni établi ni même soutenu que pouvait être perçue lors de cette manoeuvre une résistance anormale à la remontée ;
Considérant qu'il suit de là que si GAZ DE FRANCE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a retenu sa responsabilité, la société Fouquet Sacop Maritime est en revanche fondée, par son appel incident, à demander que la part de responsabilité de GAZ DE FRANCE soit portée à 100 % ; que le jugement attaqué doit être réformé sur ce point ;
Sur les préjudices et la réparation due par GAZ DE FRANCE :
Considérant en premier lieu qu'en fixant à 60 000 francs le préjudice subi par Mme Y... en raison de la douleur morale que lui a causée le décès de son mari, le tribunal administratif n'en a pas fait une évaluation exagérée ;
Considérant en second lieu qu'il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par la société Fouquet Sacop Maritime, qui a été condamnée par la cour d'appel d'Aix en Provence à verser diverses sommes à certains héritiers de M. Y..., en le fixant à la somme de 290 000 francs ; que si la société Fouquet Sacop Maritime a également dû supporter, en exécution de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence en date du 14 septembre 1984 les intérêts de la condamnation qu'il prononçait, ces derniers partaient du 14 septembre 1984 ; que par suite leur charge, qui n'est imputable qu'au retard de la société Fouquet Sacop Maritime à s'acquitter de sa dette, ne saurait être comprise dans le préjudice imputable à GAZ DE FRANCE ;
Considérant qu'il suit de là qu'il y a lieu de porter à 290 000 francs le montant de la condamnation de GAZ DE FRANCE prononcée par le jugement attaqué au bénéfice de la société Fouquet Sacop Maritime ;
Sur les conclusions de GAZ DE FRANCE dirigées contre le Port Autonome de Marseille :
Considérant qu'au nombre des causes de l'accident figure l'insuffisante protection de la canalisation qui n'avait pas été recouverte par un remblai ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par lettre du 24 novembre 1978, le Port Autonome de Marseille avait accordé à GAZ DE FRANCE l'autorisation d'occuper le domaine public maritime pour y poser le gazoduc "sous réserve que la réalisation (de la pose) se fasse suivant les prescriptions du cahier des charges générales des canalisations établies sur les terrains faisant partie du domaine public ou privé du Port Autonome" ; que si l'article 8 dudit cahier des charges prévoyait que "les canalisations...seront recouvertes avec des matériaux jusqu'à 0,80 mètres au-dessus de leurs génératrices supérieures", les dispositions précitées applicables à la traversée du domaine public terrestre ne visaient pas le cas particulier de la traversée du canal de Caronte qui était réglé par l'article 10-2-8 dudit cahier ; qu'aux termes dudit article, aucune disposition spéciale ne prévoyait le remblaiement de la souille ; qu'ainsi GAZ DE FRANCE ne peut se voir opposée une violation des textes applicables en l'espèce ;
Considérant toutefois que cet établissement, qui a l'expérience de la pose de canalisations et ne devait pas ignorer les risques créés par l'installation envisagée, a commis une imprudence en prévoyant d'installer sans remblaiement une canalisation dans un chenal de navigation ;
Considérant à l'inverse que le Port Autonome de Marseille, qui a acquiescé expressément aux travaux effectués, alors qu'il disposait du droit d'imposer des prescriptions à GAZ DE FRANCE, et qui ne pouvait non plus ignorer le danger présenté par la canalisation ainsi installée, a commis une faute dont GAZ DE FRANCE est fondé à se prévaloir ; que le Port Autonome de Marseille a d'autre part manqué, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à son obligation de signalisation de la présence de la canalisation, et ainsi commis une faute en relation directe avec l'accident ;
Considérant qu'il sera fait une exacte appréciation des circonstances de l'espèce en fixant au tiers la responsabilité de GAZ DE FRANCE, et aux deux tiers celle du Port Autonome de Marseille ; que GAZ DE FRANCE est dès lors fondé à demander que le Port Autonome de Marseille soit condamné à le garantir des deux tiers des condamnations prononcées contre lui ;

Considérant que le Port Autonome de Marseille oppose à la demande par laquelle GAZ DE FRANCE réclame l'indemnisation des dommages causés à ses installations l'article 15 du cahier des charges, aux termes duquel : "le permissionnaire demeurera seul et entièrement responsable des dégâts qui seraient éventuellement occasionnés aux canalisations et installations existantes tant à l'intérieur des bandes que sur leur pourtour, du fait des travaux de premier établissement et de l'exploitation de sa ou de ses canalisations" ; que ces dispositions, qui concernent les dommages causés par le permissionnaire aux installations existantes lors de l'installation ou de l'entretien de se propres installations, ne sont pas applicables à la demande de GAZ DE FRANCE ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que GAZ DE FRANCE est fondé à demander que le Port Autonome de Marseille soit condamné à réparer les 2/3 des dommages qu'il a subis ; que le préjudice correspondant, qui doit être limité au coût de reconstruction à l'identique de la canalisation détériorée, s'élève à la somme de 1 727 495 francs ; qu'il y a donc lieu de condamner le Port Autonome de Marseille à verser à GAZ DE FRANCE la somme de 1 151 963 francs ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que GAZ DE FRANCE a droit aux intérêts de la somme de 1 151 963,30 francs à compter du jour de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Marseille ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 8 novembre 1983 et 9 novembre 1987 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur la subrogation :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que GAZ DE FRANCE a obtenu par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 10 février 1984 que la société Fouquet Sacop Maritime soit condamnée à lui verser la somme de 1 356 699,40 francs avec intérêts de droit à compter du 4 février 1980 en réparation du dommage subi par la canalisation ; qu'il y a donc lieu, pour la cour, aux fins d'éviter que GAZ DE FRANCE ne soit indemnisé deux fois, de subroger le Port Autonome de Marseille, dans la limite de la condamnation qui vient d'être prononcée, dans les droits que GAZ DE FRANCE détient sur la société Fouquet Sacop Maritime en application du jugement susmentionné ;
Sur l'appel provoqué de la société Fouquet Sacop Maritime :
Considérant que la société Fouquet Sacop Maritime demande, par la voie de l'appel provoqué, que le Port Autonome de Marseille soit condamné solidairement avec GAZ DE FRANCE à l'indemniser de la totalité des conséquences dommageables du sinistre ;
Considérant que la situation de la société Fouquet Sacop Maritime n'est pas aggravée par le présent arrêt ; que, dès lors, ses conclusions d'appel provoqué sont irrecevables ;
Sur les frais d'expertise exposés en première instance :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre les frais d'expertise et du constat d'urgence ordonné en référé à la charge de GAZ DE FRANCE ;
Article 1er : La somme que GAZ DE FRANCE a été condamné à verser à la société Fouquet Sacop Maritime par le jugement attaqué du tribunal administratif de Marseille est portée à 290 000 francs.
Article 2 : Le Port Autonome de Marseille est condamné à verser à GAZ DE FRANCE la somme de 1 151 963,30 francs avec intérêts au taux légal à compter du 15 février 1982. Les intérêts échus les 8 novembre 1983 et 9 novembre 1987 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le Port Autonome de Marseille est subrogé, dans la limite fixée à l'article 2, dans les droits que GAZ DE FRANCE détient contre la société Fouquet Sacop Maritime en vertu du jugement du 10 février 1984 du tribunal de commerce de Marseille.
Article 4 : Les frais d'expertise et de constat d'urgence exposés en première instance sont mis à la charge de GAZ DE FRANCE.
Article 5 : Le Port Autonome de Marseille est condamné à garantir à concurrence des deux tiers GAZ DE FRANCE des condamnations prononcées contre lui par le présent arrêt et les dispositions non modifiées du jugement attaqué du tribunal administratif de Marseille du 9 juin 1987.
Article 6 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 9 juin 1987 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions de GAZ DE FRANCE, du Port Autonome de Marseille et de la société Fouquet Sacop Maritime est rejeté.


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