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17/10/1991 | FRANCE | N°90LY00711

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 17 octobre 1991, 90LY00711


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés respectivement au greffe de la cour les 13 septembre et 24 octobre 1990, présentés pour M. et Mme X..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, demeurant ..., par la SCP d'avocats au Conseil d'Etat RICHE-BLONDEL-THOMAS-RAQUIN ;
M. et Mme X... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 juin 1990 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier de Voiron soit déclaré responsabl

e des conséquences dommageables pour eux et leur fille Virginie des ...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés respectivement au greffe de la cour les 13 septembre et 24 octobre 1990, présentés pour M. et Mme X..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, demeurant ..., par la SCP d'avocats au Conseil d'Etat RICHE-BLONDEL-THOMAS-RAQUIN ;
M. et Mme X... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 juin 1990 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier de Voiron soit déclaré responsable des conséquences dommageables pour eux et leur fille Virginie des fautes commises lors de l'accouchement de Mme X... les 13 et 14 mars 1983 et qu'il soit condamné à leur verser une indemnité de 4 millions de francs au titre du préjudice corporel et moral subi par leur fille, une indemnité de 100 000 francs à chacun d'eux en réparation de leur préjudice personnel ainsi qu'à Mme X... une indemnité de 500 000 francs au titre du préjudice afférent à la perte de son emploi ;
2°) de déclarer le centre hospitalier responsable des conséquences dommageables dudit accouchement et de le condamner à leur verser les indemnités ci-dessus mentionnées majorées des intérêts de droit à compter de la date de la saisine du tribunal administratif, eux mêmes capitalisés à la date du 13 septembre 1990 pour produire intérêts, ainsi que la somme de 10 000 francs au titre des frais irrépétibles et à supporter tous les dépens ; subsidiairement d'ordonner une nouvelle expertise avant de statuer sur leurs préjudices ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er octobre 1991 :
- le rapport de Mme DEVILLERS, conseiller ;
- les observations de Me BLONDEL, avocat de M. et Mme X..., de Me FALALA, substituant Me FOUSSARD, avocat du centre hospitalier de Voiron et de Me COHENDY, avocat de la C.P.A.M. de Grenoble ;
- et les conclusions de M. CHANEL, commissaire du gouvernement ;

Sur la responsabilité :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
Considérant que les ordonnances de non lieu rendues par le juge pénal n'ont pas l'autorité de la chose jugée ; qu'il s'ensuit que l'hôpital de Voiron ne peut utilement opposer aux requérants celle qui a été rendue à la suite de la plainte qu'ils ont déposée ;
Considérant qu'il est constant que l'infirmité motrice cérébrale dont est atteinte Virginie X... a pour origine la souffrance foetale qui s'est manifestée 50 minutes avant sa naissance ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'accouchement de Mme X... comportait un risque particulier dès lors que l'enfant se présentait par le siège ; que si le personnel médical du centre hospitalier de Voiron qui avait assuré la surveillance prénatale avait néanmoins pu opter pour un accouchement par voie basse, l'éventualité d'une modification du choix thérapeutique en cours de travail et d'une intervention chirurgicale en extrême urgence ne pouvait être exclue ;
Considérant qu'il résulte également de l'instruction que Mme X... a été admise le 13 mars 1983 à 18 heures à la maternité du centre hospitalier de Voiron par une sage-femme qui n'a pas informé le médecin obstétricien d'astreinte de son arrivée dans le service ; qu'à 0 h 20 heures, le 14 mars, ont été enregistrés des signes de souffrance foetale ; que la sage-femme a joint au téléphone le médecin d'astreinte à 0 h 33 ; que ce dernier a procédé à l'accouchement par voie basse dès son arrivée au chevet de Mme X... à 1 h 10 ; qu'il est établi qu'entre 0 h 20 et 1 h 10, aucune manoeuvre n'a été effectuée pour mettre fin à la souffrance foetale ;
Considérant qu'il résulte du rapport des experts commis en première instance que seules des manoeuvres obstétricales immédiates pouvaient permettre de prévenir les lésions irréparables qui sont la conséquence inévitable d'une souffrance foetale qui se prolonge au-delà de 6 à 10 minutes ; qu'ainsi, la circonstance qu'un obstétricien n'ait pas été en mesure d'intervenir dans ce délai révèle, dans les circonstances de l'espèce, une faute dans l'organisation du service hospitalier qui engage à l'égard des requérants la responsabilité de l'hôpital de Voiron ; que par suite, M. et Mme X... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande ; qu'il y a lieu, en conséquence, de l'annuler ;
Sur les préjudices et leur réparation :
En ce qui concerne le préjudice subi par l'enfant :
Considérant qu'il résulte du rapport des experts que la jeune Virginie est atteinte d'une infirmité motrice cérébrale qui entraîne une incapacité permanente partielle qu'ils évaluent à 95 % ; que, toutefois, son état ne peut être regardé comme consolidé ; que dans ces conditions, il y a lieu de réserver jusqu'à l'âge de sa majorité la fixation de l'indemnité définitive à laquelle elle pourra prétendre compte tenu des dommages permanents de toute nature dont elle demeurera alors atteinte ;

Considérant toutefois qu'il y a lieu, en attendant cette date, d'attribuer à l'enfant, en raison du préjudice qu'elle subit du fait de son invalidité une rente annuelle payable par trimestre échu en jouissance au 14 mars 1983 ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 120 000 francs par an le montant de cette rente et à 110 000 francs la part de cette somme réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime ; que ladite rente sera indexée sur les coefficients de revalorisation prévus à l'article L 434-17 du code de la sécurité sociale ;
En ce qui concerne le préjudice des parents :
Considérant, en premier lieu, que Mme X... ne peut prétendre à être indemnisée des pertes de salaires qu'elle prétend subir à raison de l'assistance qu'elle apporte à sa fille dès lors que la rente allouée par la présente décision tient compte de la nécessité de l'aide constante d'une tierce personne ; que dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et de la douleur morale subis par les parents de la jeune Virginie en condamnant le centre hospitalier de Voiron à verser à ces deux titres 60 000 francs à M. X... et 100 000 francs à Mme X... ;
Sur les droits de la C.P.A.M. de Grenoble :
Considérant, en premier lieu, que la C.P.A.M. de Grenoble a droit au remboursement des prestations qu'elle a versées et dont le montant non contesté s'élève à 219 627,55 francs ;
Considérant en second lieu que la caisse n'est pas fondée à demander le paiement par le centre hospitalier dans la limite d'un capital qu'elle évalue à 1 542 342,37 francs des soins qui doivent être dispensés dans le futur à la jeune Virginie, en dehors de toute hospitalisation ou admission en établissement spécialisé et qui n'ont pas à ce jour, un caractère certain ; que la caisse requérante est seulement fondée à demander que les frais de soins lui soient remboursés au fur et à mesure de leur survenance et sur justification de leur montant, par le centre hospitalier de Voiron sans que ce dernier puisse imputer ses versements sur le montant de la rente ; que dans la mesure où la C.P.A.M. serait conduite à exposer des frais autres que médicaux, pharmaceutiques, paramédicaux ou d'hospitalisation liés à la prise en charge de l'hébergement de l'enfant dans un établissement spécialisé, elle serait en droit d'en demander au centre hospitalier le remboursement ; que les sommes versées à ce titre devront alors s'imputer sur la part de la rente réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la jeune Virginie ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. et Mme X... ont droit, ainsi qu'ils le demandent, d'une part à compter du 12 décembre 1986 date de l'enregistrement de leur demande devant le tribunal administratif, aux intérêts des indemnités qui leur sont dues ainsi que des arrérages de la rente susmentionnée échus avant cette date, d'autre part à compter de leur échéance périodique aux intérêts des arrérages échus entre cette date et celle du présent arrêt ;

Considérant que la C.P.A.M. a droit aux intérêts de la somme de 219 627,55 francs à compter du 6 septembre 1988, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que M. et Mme X... ont demandé la capitalisation des intérêts les 13 septembre 1990 et 16 septembre 1991 ; qu'à ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les dépens de première instance :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise à la charge du centre hospitalier de Voiron ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article R.222 du code des ùtribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article R.222 et de condamner le centre hospitalier de Voiron à verser à M. et Mme X... ainsi qu'à la C.P.A.M. respectivement 5 000 francs et 3 000 francs au titre des sommes qu'ils ont exposées et qui ne sont pas comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 28 juin 1990 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Voiron est condamné à verser à M. et Mme X..., en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, et jusqu'à la date de la majorité de celle-ci, une rente d'un montant annuel de 120 000 francs payable par trimestre échu à compter du 14 mars 1983.
Article 3 : Le point de départ de l'indexation de la rente ci-dessus mentionnée est fixé à la date de la première révision des rentes intervenant après la présente décision par application des dispositions de l'article L 434-17 du nouveau code de la sécurité sociale.
Article 4 : Les arrérages échus avant le 12 décembre 1986 porteront intérêts à compter de cette date. Le surplus des arrérages échus entre cette date et celle du présent arrêt portera intérêts à compter de leur échéance respective. Les intérêts seront capitalisés aux dates du 13 septembre 1990 et 16 septembre 1991 pour produire intérêts.
Article 5 : Le centre hospitalier de Voiron est condamné, en outre, à verser 60 000 francs à M. X... et 100 000 francs à Mme X.... Ces indemnités seront majorées des intérêts dus à compter du 12 décembre 1986 eux-mêmes capitalisés aux dates du 13 septembre 1990 et du 16 septembre 1991 pour produire intérêts.
Article 6 : Le C.H. de Voiron est condamné à verser à la C.P.A.M. de Grenoble la somme de 219 627,55 francs. Cette somme portera intérêts à compter du 6 septembre 1988.
Article 7 : Les frais d'expertise sont mis à la charge du centre hospitalier de Voiron.
Article 8 : Le centre hospitalier de Voiron versera à M. et Mme X... d'une part à la C.P.A.M. de Grenoble, d'autre part les sommes de 5 000 et de 3 000 francs au titre des frais irrépétibles.
Article 9 : Le surplus des conclusions de la C.P.A.M. de Grenoble et de M. et Mme X..., à l'exception en ce qui concerne ces derniers de celles relatives à l'indemnisation du préjudice subi par leur fille qui devront être présentées à nouveau lorsque celle-ci aura atteint sa majorité est rejeté ;


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Numéro d'arrêt : 90LY00711
Date de la décision : 17/10/1991
Type d'affaire : Administrative

Analyses

60-02-01-01-01-02 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - ABSENCE DE FAUTE


Références :

Code civil 1154,
Code de la sécurité sociale L434-17
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R222


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: DEVILLERS
Rapporteur public ?: CHANEL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1991-10-17;90ly00711 ?
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