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21/11/1991 | FRANCE | N°90LY00505

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Pleniere, 21 novembre 1991, 90LY00505


Vu la requête enregistrée le 9 juillet 1990 au greffe de la cour, présentée pour M. et Mme Y... demeurant ... (06000 NICE), agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'administrateurs des biens de leur fils Mathieu, par Me Bernard X..., avocat ;
M. et Mme Y... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 mai 1990 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande présentée tant en leur nom propre qu'en qualité d'administrateurs des biens de leur fils Mathieu et tendant à ce que le centre hospitalier régional de Nice soit condamné à répare

r les conséquences dommageables de l'absence de diagnostic d'une tris...

Vu la requête enregistrée le 9 juillet 1990 au greffe de la cour, présentée pour M. et Mme Y... demeurant ... (06000 NICE), agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'administrateurs des biens de leur fils Mathieu, par Me Bernard X..., avocat ;
M. et Mme Y... demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 mai 1990 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande présentée tant en leur nom propre qu'en qualité d'administrateurs des biens de leur fils Mathieu et tendant à ce que le centre hospitalier régional de Nice soit condamné à réparer les conséquences dommageables de l'absence de diagnostic d'une trisomie 21 à la suite de l'examen d'amniocentèse pratiqué sur Mme Y... au service de pathologie cellulaire et génétique de cet établissement ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional de Nice à leur verser :
- en réparation de leur préjudice moral, une somme de 2 000 000 francs ;
- en réparation de leur préjudice matériel, une rente mensuelle de 7.500 francs indexée sur l'indice mensuel des prix à la consommation des ménages urbains jusqu'au décès de l'enfant, étant précisé qu'en cas de pré-décès du ou des parents, cette rente devra être versée au représentant légal du mineur ou du majeur protégé ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 novembre 1991 :
- le rapport de Mme du GRANRUT, conseiller ;
- les observations de Me Z... de la SCP LYON-CAEN-FABIANI-THIRIEZ, avocat de M. et Mme Y..., de Me GABOLDE, avocat du centre hospitalier régional de Nice, et de Me COHENDY, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes ;
- et les conclusions de M. RICHER, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme Y... alors âgée de 42 ans et qui était dans la 17ème semaine de sa grossesse a subi à sa demande, au service de pathologie cellulaire et de génétique du centre hospitalier régional de Nice, une amniocentèse afin qu'il soit procédé à un examen chromosomique des cellules du foetus qu'elle portait ; qu'alors que cet examen n'avait révélé aucune anomalie, elle a donné naissance, le 28 avril 1987, à un enfant de sexe masculin atteint d'une trisomie libre et régulière ; que M. et Mme Y... font appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande, tendant à ce que le centre hospitalier soit condamné à indemniser les préjudices que la faute qu'ils lui imputent a causés tant à eux-mêmes qu'à leur enfant ;
Considérant que le mémoire de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes, en date du 15 octobre 1991, par lequel elle déclare qu'elle n'a rien à réclamer ni n'aura jamais rien à réclamer au centre hospitalier régional de Nice doit être regardé comme un désistement pur et simple de son action ; qu'il y a lieu de lui en donner acte ;

Sur la régularité de l'expertise ordonnée par les premiers juges :
Considérant que si devant le tribunal administratif, les requérants ont contesté la pertinence du rapport d'expertise, ils n'ont pas soutenu que les conclusions de l'expert résultaient, en tout ou partie, d'une expertise conduite de façon irrégulière ; que, dès lors, ils ne sont pas recevables à soutenir pour la première fois en appel que l'expertise aurait été conduite de façon non contradictoire ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le prélèvement de liquide amniotique réalisé sur Mme Y... n'a permis de recueillir qu'une cellule de mauvaise qualité qui n'a produit qu'un seul clone ; que l'expertise prescrite par les premiers juges fait apparaître que l'examen chromosomique pratiqué dans ces conditions par le service spécialisé du centre hospitalier régional de Nice ne permettait pas d'exclure l'existence d'une trisomie avec la très faible marge d'erreur habituellement constatée dans cette matière ; qu'ainsi, en se bornant à annoncer à Mme Y... que cet examen n'avait révélé aucune anomalie détectable par les moyens actuels, ledit service a commis une faute médicale lourde ; que cette faute, qui rendait sans objet une nouvelle amniocentèse que Mme Y... aurait pu faire pratiquer dans la perspective d'une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique sur le fondement de l'article L. 162-12 du code de la santé publique, doit, dès lors, être regardée comme la cause des préjudices qu'a entraînés tant pour les parents du jeune Mathieu que pour celui-ci, l'infirmité dont il est atteint ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué ;

Sur la réparation :
En ce qui concerne Mathieu Y... :
Considérant, d'une part, que les troubles de toutes natures dans les conditions d'existence du jeune Mathieu justifient que le centre hospitalier régional de Nice soit condamné à lui verser à compter de sa naissance et jusqu'à sa majorité une rente viagère mensuelle de 5.000 francs qui sera majorée par application des coefficients de revalorisation prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, le point de départ de cette majoration étant fixé à la date de la première révision des rentes en application de ces dispositions intervenant après le présent arrêt ;
Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu de renvoyer le jeune Mathieu à se pourvoir devant le tribunal administratif lorsqu'il aura atteint l'âge de 18 ans, pour qu'il soit statué définitivement sur la réparation complémentaire qui lui est due ;
En ce qui concerne M. et Mme Y... :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral, des troubles dans les conditions d'existence de M. et Mme Y... ainsi que des préjudices matériels dont ils font état en condamnant le centre hospitalier de Nice à payer à chacun d'eux une indemnité de 100.000 francs ;

Sur les intérêts :
Considérant que les requérants ont droit, d'une part, à compter du 18 février 1988 aux intérêts tant des indemnités ci-dessus mentionnées que des arrérages de la rente ci-dessus mentionnée échus à cette date et, d'autre part, aux intérêts des arrérages de cette rente échus après cette date à compter de chaque échéance mensuelle ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que les requérants ont demandé la capitalisation des intérêts le 22 février 1991 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts sur les indemnités en capital et sur les arrérages de la rente échus au plus tard le 22 février 1990 ; que, dès lors, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit pour ces seuls intérêts à la demande de capitalisation ; qu'en revanche s'agissant des intérêts correspondant aux arrérages échus après la date susmentionnée du 22 février 1990, une année n'étant pas écoulée à la date de la demande de capitalisation les concernant, cette demande ne peut qu'être rejetée ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que les requérants sont fondés à demander que les frais d'expertise taxés à la somme de 2 000 francs par l'ordonnance du 12 février 1990 du président du tribunal administratif soient mis à la charge du centre hospitalier de Nice ;
Sur l'application des dispositions de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces dispositions, de condamner le centre hospitalier de Nice à verser la somme de 10.000 francs à M. et Mme Y... ;

ARTICLE 1er : Il est donné acte du désistement d'action de la CPAM des Alpes-Maritimes.

ARTICLE 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 9 mai 1990 est annulé. ARTICLE 3 : Le centre hospitalier régional de Nice est condamné à payer à M. et Mme Y... en tant qu'administrateurs de leur fils Mathieu une rente viagère mensuelle de 5.000 francs à compter de sa naissance et jusqu'à l'âge de sa majorité. Cette rente sera indexée sur les coefficients de revalorisation prévus par l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, le point de départ de cette indexation étant fixé à la date de la première révision des rentes en application de ces dispositions qui suivra le présent arrêt.

ARTICLE 4 : Le centre hospitalier régional de Nice est condamné à payer à chacun des époux Y... une somme de 100.000 francs.

ARTICLE 5 : Les indemnités prévues à l'article 4 ci-dessus ainsi que les arrérages échus avant le 18 février 1988 de la rente prévue à l'article 3 ci-dessus porteront intérêt à compter de cette date.

ARTICLE 6 : Les arrérages de la rente prévue à l'article 3 ci-dessus échus après le 18 février 1988 porteront intérêt à compter de chacune de leurs échéances mensuelles.

ARTICLE 7 : Les intérêts prévus à l'article 5 seront capitalisés à la date du 22 février 1991 pour produire eux-même intérêts.

ARTICLE 8 : Les intérêts prévus à l'article 6 sur les arrérages échus au plus tard le 22 février 1990 seront capitalisés à la date du 22 février 1991 pour produire eux-mêmes intérêts.

ARTICLE 9 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge du centre hospitalier régional de Nice.

ARTICLE 10 : Le centre hospitalier régional de Nice est condamné à payer à M. et Mme Y... la somme de 10.000 francs en application de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

ARTICLE 11 : Le jeune Mathieu Y... est renvoyé à se pourvoir devant le tribunal administratif lorsqu'il aura atteint l'âge de 18 ans pour qu'il soit statué définitivement sur la réparation complémentaire qui lui est due.

ARTICLE 12 : Le surplus des conclusions de M. et Mme Y... est rejeté.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Pleniere
Numéro d'arrêt : 90LY00505
Date de la décision : 21/11/1991
Sens de l'arrêt : Annulation indemnités
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

- RJ1 RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE : ACTES MEDICAUX - EXISTENCE D'UNE FAUTE LOURDE - ERREUR DE DIAGNOSTIC - Anomalie chromosomique non détectée lors d'un examen de liquide amniotique opéré dans des conditions de fiabilité insuffisantes (1).

60-02-01-01-02-01-01 Examen chromosomique après amniocentèse pratiqué dans des conditions non fiables sans que l'intéressée en soit avertie. L'erreur de disgnostic qui en a résulté constitue une faute lourde.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE DIRECT DU PREJUDICE - EXISTENCE - Préjudice résultant pour un enfant d'une trisomie non détectée lors d'un examen chromosomique insuffisant - Lien direct entre l'insuffisance fautive de l'examen et le préjudice.

60-04-01-03-02 Expertise ayant fait apparaître que les conditions de réalisation de l'amniocentèse ne permettaient pas d'exclure l'existence d'une trisomie avec la très faible marge d'erreur habituellement constatée dans cette matière. En se bornant à annoncer que l'examen chromosomique n'avait révélé aucune anomalie détectable par les moyens actuels, le service hospitalier a commis une faute médicale lourde. Cette faute qui rendait inutile la pratique d'une nouvelle amniocentèse dans la perspective d'une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeuthique sur le fondement de l'article L. 162-12 du code de la santé publique, doit être regardée comme la cause des préjudices qu'a entraînés tant pour les parents que pour l'enfant, l'infirmité dont il est atteint.


Références :

Code civil 1154
Code de la santé publique L162-12
Code de la sécurité sociale L434-17
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R222

1.

Rappr. CE, 1989-09-27, Mme Karl c/ CPAM de la Marne, p. 176


Composition du Tribunal
Président : Mme Latournerie
Rapporteur ?: Mme du Granrut
Rapporteur public ?: M. Richer

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1991-11-21;90ly00505 ?
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