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10/07/1992 | FRANCE | N°89LY01400

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 10 juillet 1992, 89LY01400


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 avril et 22 juin 1989 au greffe de la cour, présentés pour le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE, représenté par son directeur en exercice, par Me GABOLDE, avocat au barreau de Lyon ;
Le centre hospitalier général (CHG) de SALON-DE-PROVENCE demande à la cour :
1°) d' annuler le jugement en date du 20 décembre 1988 par lequel le tribunal administratif de MARSEILLE l'a déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de l'opération subie par M. Denis A... le 3 avril 1984,

l'a condamné à verser :
- à Mme A..., ès qualité d'administrateur légal...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 avril et 22 juin 1989 au greffe de la cour, présentés pour le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE, représenté par son directeur en exercice, par Me GABOLDE, avocat au barreau de Lyon ;
Le centre hospitalier général (CHG) de SALON-DE-PROVENCE demande à la cour :
1°) d' annuler le jugement en date du 20 décembre 1988 par lequel le tribunal administratif de MARSEILLE l'a déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de l'opération subie par M. Denis A... le 3 avril 1984, l'a condamné à verser :
- à Mme A..., ès qualité d'administrateur légal de son fils Denis, la somme de 2 550 000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 1986, les intérêts échus le 23 novembre 1988 étant capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts,
- à M. et Mme Y...
A..., 100 000 francs chacun, et a mis à sa charge le remboursement des frais de l'expertise ;
2°) de rejeter les demandes de M. Denis A... et de M. et Mme Y...
A... ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er juillet 1992 :
- le rapport de Mme du GRANRUT, conseiller ;
- les observations de Me BUFFET, substituant Me GABOLDE, avocat du centre hospitalier de SALON-DE-PROVENCE, de Me Z... pour les consorts A... et de Me X... pour la CPAM des BOUCHES-DU-RHONE ;
- et les conclusions de M. RICHER, commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, pour déclarer le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE entièrement responsable des conséquences dommageables du préjudice subi par M. Denis A... à la suite de l'opération pratiquée dans cet établissement le 3 avril 1984 et le condamner à verser à ce dernier une somme de 2 550 000 francs, le tribunal administratif de MARSEILLE s'est fondé sur le rapport de l'expertise médicale qu'il avait ordonnée mais également sur le mémoire du 23 novembre 1988 présenté par Mme Eliane A..., ès qualité d'administrateur légal de son fils Denis, et notifié 3 jours avant l'audience à l'avocat de l'hôpital ; que ce dernier, bien qu'il ait produit le jour même de l'audience un très court mémoire à la suite d'un refus du tribunal de reporter l'affaire à une audience ultérieure, n'a pas disposé de la possibilité de répondre aux arguments nouveaux développés par M. Denis A... devant les premiers juges ; que, dans les circonstances de l'espèce, le centre hospitalier est, par suite, fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu sur une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes des consorts A... et de la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les plaies de la crosse aortique révélées lors de l'opération de M. Denis A..., le 15 avril 1984, à l'hôpital Salvator à MARSEILLE, trouvent leur origine dans la migration de la broche introduite, le 4 avril 1984, au cours d'une intervention chirurgicale réalisée au centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE aux fins de réduire une luxation sterno-claviculaire gauche ; que si l'intervention a été conduite selon les règles de l'art, le chirurgien, qui a choisi la pose d'une broche non recourbée et ne pouvait de ce fait écarter tout risque de migration, a, toutefois, négligé d'en informer M. Denis A... et de lui recommander la prudence nécessaire d'autant que le bras n'était pas immobilisé ; que les erreurs ainsi commises constituent une faute médicale de nature à engager la responsabilité de l'hôpital ;
Considérant, cependant, qu'il résulte également de l'instruction que M. Denis A... a été victime d'un malaise grave survenu dans une discothèque au cours de la nuit du 14 au 15 avril 1984 ; que le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE, en faisant état, dans ses différents mémoires du retard important à assurer à la victime des soins médicaux ainsi que des conditions de son transport, doit être regardé comme établissant l'existence de faits de tiers de nature à atténuer sa propre faute ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une exacte appréciation de la part de responsabilité incombant au centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE en la limitant à 2/3 des conséquences dommageables des consorts A... ;
Sur le montant du préjudice de M. Denis A... :
En ce qui concerne son préjudice matériel :

Considérant, d'une part, que, devant le tribunal administratif, l'intéressé n'a présenté aucune conclusion en indemnisation des frais nécessités pour la construction et l'aménagement de son logement ; que, par suite, il n'est pas recevable à demander pour la première fois en appel, alors même que la cour statue par la voie de l'évocation, une indemnité de ce chef ;
Considérant, d'autre part, qu'il n'appartient pas au juge administratif de réserver ses droits pour l'avenir ;
En ce qui concerne son préjudice corporel :
Considérant, en premier lieu, que M. Denis A... a indiqué dans sa demande avoir la qualité d'assuré social en tant qu'ayant droit de son père, M. César A..., affilié à la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE ; que, dans un mémoire, enregistré le 19 avril 1988, cette dernière a exposé qu'elle n'avait aucune réclamation à formuler ; que, par suite, elle n'est pas recevable à réclamer pour la première fois en appel, alors même que la cour statue par la voie de l'évocation, le remboursement, outre intérêts de droit, d'une somme de 487 775,16 francs représentant des honoraires médicaux, des frais d'hospitalisation et d'appareillage qu'elle a versés pour M. Denis A... en tant qu'ayant droit de son père ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'en cours de procédure, M. Denis A... a également indiqué qu'il avait lui-même la qualité d'assuré social auprès de la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE ; que cette dernière, mise en cause, est, dès lors, recevable, même pour la première fois devant la cour, à demander le remboursement, d'une part, d'une somme de 178 585,84 francs correspondant aux différentes prestations versées du chef de M. Denis A... du 27 décembre 1986 au 4 décembre 1990, d'autre part, d'une somme de 1 354 399,95 francs correspondant à un capital destiné aux dépenses qu'aura à exposer ladite caisse pour couvrir les frais médicaux, pharmaceutiques et d'auxiliaires médicaux rendus nécessaires après le 4 décembre 1990 par l'état de M. Denis A... ; qu'ainsi, une somme totale de 1 532 985,79 francs, dont l'hôpital ne conteste pas qu'elle constitue une préjudice certain, doit être comprise dans le montant du préjudice de M. Denis A... ;
Considérant, en troisième lieu, qu'à la suite de la seconde opération, M. Denis A... est devenu aveugle, tétraplégique et présente des troubles importants de l'articulation de la voix ; que son invalidité doit donc être évaluée à 100 % et non à 90 % ainsi que l'a chiffrée l'expert dans ses conclusions ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence, y compris son préjudice d'agrément, en les fixant à la somme de 1 700 000 francs, dont 1 400 000 francs représentent les troubles physiologiques subies par M. Denis A... ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation de l'important préjudice esthétique et des souffrances physiques endurées par M. Denis A... en les évaluant à 270 000 francs ;
Considérant, enfin, que la victime est incapable d'accomplir les geste de la vie courante sans l'assistance permanente d'une tierce personne ; qu'à ce titre, le préjudice s'élève à 1 200 000 francs ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice total résultant de l'accident s'élève à 4 702 985,79 francs, dont les 2/3, soit 3 135 323,86 francs doivent être mis à la charge du centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE ;
En ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE :
Considérant que, la caisse justifie de débours certains s'élevant à 1 532 985,79 francs à titre de frais médicaux, pharmaceutiques et d'auxiliaires médicaux ; que sa créance est inférieure à la part de la condamnation du centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE assurant la réparation de l'atteinte à l'intégrité physique de M. Denis A... soit, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, 1 955 323,86 francs ; que cette créance peut donc être intégralement recouvrée ; qu'il y a lieu, dès lors, de condamner le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE à verser, d'une part, une somme de 178 585,84 francs avec les intérêts de droit portant, à compter du 31 juillet 1991, sur la somme de 66 157,50 francs et, à compter du 21 octobre 1991, sur la somme de 112 428,34 francs à la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE ainsi que, en l'absence d'un accord du tiers responsable sur le versement du capital, d'un montant de 1 354 399,95 francs, une rente correspondant à ce capital et calculée, à compter du 4 décembre 1991, compte tenu de l'âge de la victime et selon les barèmes de la caisse nationale de prévoyance avec les intérêts de droit à compter du 4 décembre 1991 ;
En ce qui concerne les droits de M. Denis A... :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Denis A..., représenté par son administrateur légal, sa mère, Mme Eliane A..., a droit au versement d'une somme, qu'il n'y a pas lieu de transformer en rente viagère, de 1 602 338,07 francs représentant la différence entre la part de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier et la somme représentative des droits de la caisse ; qu'il a droit également aux intérêts de la somme de 1 602 338,07 francs, comme il l'a demandé, à compter du 14 novembre 1986, date d'enregistrement de sa demande au tribunal administratif ; que la capitalisation des intérêts ayant été demandée les 23 novembre 1988 et 28 décembre 1989 et à ces dates, au moins une année d'intérêts étant due, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les préjudices subis par M. et Mme Y...
A... :
Considérant qu'à la suite de l'accident survenu à leur fils, Denis, M. et Mme Y...
A... subissent une importante douleur morale ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et compte tenu de la responsabilité du centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE de condamner celui-ci à verser à chacun d'eux la somme de 60 000 francs ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que les frais d'expertise, taxés à la somme de 1 500 francs par une ordonnance du président du tribunal en date du 7 mars 1988, doivent être mis à la charge du centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :

Considérant que le bien fondé de ces conclusions doit être apprécié au regard des dispositions applicables à la date du présent arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L-8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours admi-nistratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tien compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raison tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE à payer à la caisse primaire d'assurance malaldie des BOUCHES-DU-RHONE la somme de 3 000 francs ;
Article 1er : Le jugement du tribunal admi-nistratif de MARSEILLE en date du 20 décembre 1988 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE est condamné à verser 178 585,84 francs à la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE avec intérêts de droit portant, à compter du 31 juillet 1991, sur la somme de 66 157,50 francs et, à compter du 21 octobre 1991, sur la somme de 112 428,34 francs.
Article 3 : Le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE est condamné à verser avec intérêts de droit à la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE à compter du 4 décembre 1991 une rente correspondant à un capital de 1 354 399,95 francs et calculée compte-tenu de l'âge de M. Denis A... à cette date et selon les barèmes de la caisse nationale de prévoyance.
Article 4 : Le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE est condamné à verser à Mme Eliane A..., ès qualité d'administrateur légal de son fils Denis, la somme de 1 602 338,07 francs. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 1986. Les intérêts échus les 23 novembre 1988 et 28 décembre 1989 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE est condamné à verser 60 000 francs à M. César A... et 60 000 francs à Mme Eliane A....
Article 6 : Les frais d'expertise, d'un montant de 1 500 francs, sont mis à la charge du centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE.
Article 7 : Le centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE la somme de 3 000 francs au titre des frais non compris dans les dépens.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la demande de Mme Eliane A..., ès qualité d'administrateur légal de son fils Denis et de M. et Mme Y...
A..., le surplus des conclusions de l'appel incident de Mme Eliane A..., ès qualité d'administrateur légal de son fils Denis, les conclusions de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie des BOUCHES-DU-RHONE et le surplus des conclusions de son appel incident, le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier général de SALON-DE-PROVENCE sont rejetés.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Numéro d'arrêt : 89LY01400
Date de la décision : 10/07/1992
Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - EXISTENCE D'UNE FAUTE - MANQUEMENTS A UNE OBLIGATION D'INFORMATION ET DEFAUTS DE CONSENTEMENT.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RECOURS OUVERTS AUX DEBITEURS DE L'INDEMNITE - AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SECURITE SOCIALE - DROITS DES CAISSES DE SECURITE SOCIALE.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: du GRANRUT
Rapporteur public ?: RICHER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1992-07-10;89ly01400 ?
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