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21/08/2015 | FRANCE | N°12MA04262

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 21 août 2015, 12MA04262


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G...A...épouse B...et Mme F...A...veuve C...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à leur verser la somme de 1 750 000 euros au titre du préjudice matériel et chacune la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral qu'elles estiment avoir subis du fait de leur rapatriement d'Algérie.

Par une ordonnance n° 1103759 du 6 septembre 2012, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant

la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2012, Mmes A..., représenté par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G...A...épouse B...et Mme F...A...veuve C...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à leur verser la somme de 1 750 000 euros au titre du préjudice matériel et chacune la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral qu'elles estiment avoir subis du fait de leur rapatriement d'Algérie.

Par une ordonnance n° 1103759 du 6 septembre 2012, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 6 novembre 2012, Mmes A..., représenté par Me E..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier du 6 septembre 2012 ;

2°) de condamner l'Etat leur verser la somme de 1 750 000 euros au titre du préjudice matériel et chacune la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral qu'elles estiment avoir subis du fait de leur rapatriement d'Algérie ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le tribunal a estimé à tort que le refus de l'Etat français de se subroger dans leurs droits à l'égard de l'Algérie constituait un acte de gouvernement échappant à la compétence du juge administratif ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, en s'abstenant de voter la loi d'indemnisation prévue à l'article 4 de la loi du 26 décembre 1961 sans justifier de circonstances qui s'y opposeraient, l'Etat français a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- l'ordonnance attaquée est irrégulière en tant qu'elle vise un préjudice moral fixé à 10 000 euros au lieu de la somme de 100 000 euros demandée pour chacune des victimes ;

- aucune prescription ne peut leur être opposée ;

- les fautes qu'elles invoquent sont détachables de la conduite par l'Etat français de ses relations internationales ;

- l'Etat a commis une faute en ne prévoyant pas de période de transition raisonnablement longue leur permettant de préparer leur retour dans des conditions humainement et financièrement acceptables ;

- l'Etat a également commis une faute en ne prévoyant pas de garanties juridictionnelles efficaces leur permettant de faire valoir leurs droits à indemnisation ;

- le lien de causalité est établi ;

- leur préjudice est anormal et spécial ;

- leur préjudice matériel s'élève à la somme de 1 750 000 euros ;

- leur préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 100 000 chacune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2013, le ministre des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le tribunal s'est estimé à bon droit incompétent pour connaître des demandes fondées sur les agissements et décisions prises par les autorités françaises lors de la négociation des accords d'Evian, qui constituent des actes de gouvernement ;

- la requête est prescrite ;

- les moyens soulevés par Mmes A...ne sont pas fondés.

Par une ordonnance n° 12MA02398 QPC et n° 12MA04262 QPC du 27 septembre 2013, avec le mémoire qui y est visé concernant l'instance n° 12MA04262, le président de la 7ème chambre de la Cour a rejeté la demande de Mmes A...tendant à ce que soit transmise au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 213-2 du code du patrimoine.

Un mémoire présenté pour Mmes A...a été enregistré le 17 mars 2015, Mmes A...concluant aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens.

Elles soutiennent, en outre, que la responsabilité sans faute de l'Etat est encore engagée sur le fondement de la rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques du fait des conventions internationales.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du patrimoine ;

- la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer ;

- la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 relative à une contribution nationale à l'indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de MeE..., représentant MmesA....

1. Considérant que Mmes A...relèvent appel de l'ordonnance du 6 septembre 2012 par laquelle le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande d'indemnisation dirigée contre l'Etat en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis du fait de leur rapatriement d'Algérie en 1962 ;

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Considérant, en premier lieu, que, dans leurs écritures de première instance, les requérantes ont soutenu que, compte tenu de la défaillance de l'Etat algérien dans l'indemnisation des ressortissants français rapatriés d'Algérie, il incombait à l'Etat français soit de saisir la Cour internationale de justice afin de contraindre l'Etat algérien à respecter ses engagements internationaux, soit d'indemniser lui-même intégralement les rapatriés et de se subroger dans leurs droits à l'égard de l'Etat algérien ; qu'elles en concluaient qu'en s'abstenant d'entreprendre l'une ou l'autre de ces démarches, l'Etat français avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité et leur ouvrant droit à réparation ;

3. Considérant que, si l'ordonnance attaquée a rejeté la demande indemnitaire fondée sur le refus de la France de saisir la Cour internationale de justice au motif que cette décision n'était pas détachable de la conduite par l'Etat français de ses relations internationales, contrairement à ce que soutiennent MmesA..., elle n'a pas rejeté la demande fondée sur le refus de la France de suppléer la carence de l'Etat algérien pour ce motif mais sur celui tiré, en application du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, de ce que le moyen invoqué n'était assorti d'aucun fait susceptible de venir manifestement à son soutien ; qu'ainsi, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier aurait rejeté, à tort, leur demande indemnitaire fondée sur le refus de la France de suppléer la carence de l'Etat algérien en indemnisant lui-même les rapatriés, comme ne relevant pas de la compétence du juge administratif ;

4. Considérant qu'une ordonnance rejetant une requête sur le fondement des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative la rejette comme non fondée et non comme irrecevable ; que, par suite, à supposer que le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier ait fait application, à tort, de ces dispositions pour rejeter les demandes indemnitaires des requérantes, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de l'ordonnance attaquée ;

5. Considérant, enfin, que l'erreur de plume contenue dans les visas de l'ordonnance attaquée, relative à un préjudice moral de " 10 000 " euros par requérante au lieu de la somme de 100 000 euros demandée par chacune, est sans influence sur la régularité de ladite ordonnance ;

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

6. Considérant que Mmes A...soutiennent, en premier lieu, que l'Etat aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne prévoyant pas, lors de la négociation des accords d'Evian, d'une part, une période de transition suffisante pour leur permettre de préparer leur retour dans des conditions acceptables, d'autre part, des garanties juridictionnelles efficaces pour faire valoir leurs droits à indemnisation auprès des autorités algériennes ;

7. Considérant, toutefois, que les décisions, choix ou compromis arrêtés ou acceptés par les autorités françaises lors de la négociation des accords d'Evian, quant au contenu et aux modalités d'application de ces accords, ne sont pas détachables de l'action menée par l'Etat français en vue de l'accession d'un nouvel Etat à l'indépendance ; que, par suite, il n'appartient pas aux juridictions administratives de connaître des conséquences dommageables de ces décisions, choix ou compromis ; qu'il suit de là que les requérantes ne peuvent utilement faire valoir que les dispositions de l'article L. 213-2 du code du patrimoine les empêcheraient d'avoir accès aux archives des pourparlers ayant conduit aux accords d'Evian et d'appuyer leurs prétentions indemnitaires sur les documents relatifs à ces pourparlers ; qu'eu égard au motif de l'ordonnance susvisée du 27 septembre 2013 refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par les requérantes, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de ces dispositions législatives doit également être écarté ;

8. Considérant, en second lieu, que l'article 4 de la loi susvisée n° 61-1439 du 26 décembre 1961 prévoyait qu'une loi distincte devait fixer, en fonction des circonstances, le montant et les modalités d'une indemnisation en cas de spoliation et de perte définitivement établies des biens appartenant aux Français ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ; que Mmes A...soutiennent que l'Etat français aurait manqué à sa promesse en s'abstenant d'adopter cette loi et aurait ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

9. Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article 4 de la loi du 26 décembre 1961 que le législateur a entendu renvoyer le choix de la date et des modalités d'intervention du dispositif d'indemnisation annoncé à une appréciation ultérieure de leur opportunité " en fonction des circonstances " ; qu'un tel dispositif a été institué par la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 relative à une contribution nationale à l'indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ; que, si les requérantes font valoir que l'indemnisation prévue par cette loi est demeurée partielle, l'article 4 de la loi du 26 décembre 1961 n'a nullement posé le principe d'une réparation intégrale, outre que des indemnisations complémentaires ont été accordées par la loi n° 78-1 du 2 janvier 1978 relative à l'indemnisation des Français rapatriés d'outre-mer dépossédés de leurs biens et la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés ; qu'il n'appartient pas au juge administratif de se substituer au Parlement pour apprécier si les " circonstances " auxquelles renvoie l'article 4 de la loi du 26 décembre 1961 justifiaient l'intervention, à une date antérieure et selon d'autres modalités, du régime d'indemnisation prévu ; que l'adoption par les autorités algériennes le 29 août 2010 d'une ordonnance interdisant toute restitution des biens que l'Etat algérien s'est approprié et qu'il a ensuite cédés à ses ressortissants, est sans incidence sur les obligations de l'Etat français à l'égard de ses propres ressortissants ; qu'il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée pour promesse non tenue du fait de la non-intervention du texte de loi évoqué à l'article 4 de la loi du 26 décembre 1961 ;

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

10. Considérant, en premier lieu, que les préjudices subis par MmesA..., qui ne trouvent pas leur origine directe dans le fait de l'Etat français, ne sauraient engager la responsabilité de ce dernier sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques ;

11. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutenaient les requérantes devant le tribunal, les accords d'Evian ont prévu des mesures de protection de la personne et des biens des ressortissants français installés en Algérie ; que, dès lors, Mmes A...ne sont pas fondées à soutenir que l'Etat français, en ne prenant aucune précaution pour garantir leurs intérêts lors de l'accession de l'Algérie à l'indépendance, les auraient exposées à un risque exceptionnel leur ouvrant droit à réparation ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription opposée en défense, Mmes A...ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande indemnitaire ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter également leurs conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mmes A...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... A...épouseB..., à Mme F... A... veuveC..., au ministre des affaires étrangères et au Premier ministre (Mission interministérielle aux rapatriés).

Délibéré après l'audience du 30 juin 2015, où siégeaient :

- M. Bédier, président de chambre,

- M. D...et Mme Jorda-Lecroq, assesseurs.

Lu en audience publique, le 21 août 2015.

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N° 12MA04262

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Outre-mer - Aides aux rapatriés d'outre-mer.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Faits n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique - Faits émanant d'une autorité étrangère.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Faits n'engageant pas la responsabilité de la puissance publique - Actes de gouvernement.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité fondée sur le risque créé par certaines activités de puissance publique - Responsabilité fondée sur l'obligation de garantir les collaborateurs des services publics contre les risques que leur fait courir leur participation à l'exécution du service.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique - Promesses.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. BEDIER
Rapporteur ?: Mme Karine JORDA-LECROQ
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SOULAN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 21/08/2015
Date de l'import : 02/09/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 12MA04262
Numéro NOR : CETATEXT000031082590 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-08-21;12ma04262 ?
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