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27/12/2016 | FRANCE | N°15NC01418

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 27 décembre 2016, 15NC01418


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Joint Français a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 28 février 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision du 27 août 2013 de l'inspecteur du travail de la deuxième section de l'unité territoriale de l'Aube et lui a refusé l'autorisation de licencier pour motif économique M. E....

Par un jugement n° 1400977 du 21 avril 2015, le tribunal administrat

if de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Joint Français a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 28 février 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision du 27 août 2013 de l'inspecteur du travail de la deuxième section de l'unité territoriale de l'Aube et lui a refusé l'autorisation de licencier pour motif économique M. E....

Par un jugement n° 1400977 du 21 avril 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juin 2015 et le 3 décembre 2015, la société Le Joint Français, représentée par Me B...de la SELARL Alterlex, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 21 avril 2015 ;

2°) d'annuler la décision du 28 février 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 27 août 2013 autorisant le licenciement de M. E... et a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique de ce dernier ;

3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a apprécié ses résultats et la nécessité de sauvegarder sa compétitivité au niveau du secteur d'activité du groupe qui correspond à la " Division Mastics " ;

- elle a respecté son obligation de reclassement ;

- le principe du contradictoire a été méconnu par le ministre dès lors qu'elle n'a pas été interrogée sur le secteur d'activité qu'il prendrait en compte ;

- le ministre ne pouvait légalement prendre en compte l'élément tiré de " l'absence de donnée chiffrée quant à la situation économique des groupes dont relève la société " pour apprécier la réalité du motif économique du licenciement ;

- le ministre a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation dès lors qu'il n'a pas pris en compte l'existence de menaces pesant sur la compétitivité du secteur d'activité concerné qui correspond à l'activité de la " Division Mastics " et non à celle de la société le Joint Français ;

- le ministre a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation quant au secteur d'activité à prendre en compte pour apprécier la réalité du motif économique du licenciement ;

- les moyens soulevés par M. E... à l'appui de son recours hiérarchique ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 août 2015, M. E..., représenté par Me C... de la SCP VerryC..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de cette dernière sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la société Le Joint Français.

1. Considérant que M. E...a été embauché en 2000 par la société Le Joint Français en qualité d'agent de production au sein de l'établissement situé à Maizières-la-Grande-Paroisse ; qu'il a été élu délégué du personnel titulaire et membre suppléant du comité d'établissement le 18 octobre 2010, ainsi que membre suppléant du comité central d'entreprise le 3 octobre 2012 ; que la société Le Joint Français a demandé le 12 juillet 2013 à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. E... pour motif économique ; que par une décision du 27 août 2013, l'inspecteur du travail de la deuxième section de l'unité territoriale de l'Aube a autorisé ce licenciement ; que le 28 février 2014, le ministre en charge du travail, saisi sur recours hiérarchique de M. E..., a annulé la décision de l'inspecteur du travail en estimant que la réalité du motif économique invoqué par la société n'était pas établi et a refusé d'autoriser le licenciement pour motif économique du salarié ; que la société Le Joint Français relève appel du jugement du 21 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision susmentionnée du 28 février 2014 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

2. Considérant, en premier lieu, que la société requérante soutient que le principe du contradictoire a été méconnu par le ministre en charge du travail dès lors que dans le cadre de l'enquête menée à la suite du recours hiérarchique du salarié, elle n'a pas été interrogée sur le secteur d'activité retenu par l'administration ; qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que la société Le Joint Français a eu communication du recours hiérarchique formé par M. E... et qu'elle n'établit ni même ne soutient qu'elle n'aurait pas été en mesure de faire valoir ses observations sur ce recours ainsi que, dans le cadre de l'instruction de ce recours, sur le secteur d'activité du groupe à retenir pour apprécier la réalité d'une menace pour la compétitivité de l'entreprise ; qu'il appartenait d'ailleurs à la société d'établir la réalité du motif économique du licenciement qu'elle envisageait de prononcer en produisant à l'appui de sa demande d'autorisation tous les éléments de nature à justifier de ce motif, sans que l'inspecteur du travail ou le ministre ait à la solliciter ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des délégués syndicaux et des membres du comité d'entreprise, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques " ; que, lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique ; que si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe, sans qu'il y ait lieu de borner cet examen à celles d'entre elles ayant leur siège social en France ni aux établissements de ce groupe situés en France ;

5. Considérant que la société le Joint Français soutient que le ministre a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation dès lors que la " Division Mastics " à laquelle elle appartient constitue un secteur d'activité à part entière, celui des " mastics ", distinct des autres secteurs d'activité du groupe Hutchinson dont elle est une filiale et du groupe Total dont relève le groupe Hutchinson ;

6. Considérant qu'il incombe à l'employeur de produire les éléments permettant de déterminer l'étendue du secteur d'activité du groupe dont relève l'entreprise ; que le secteur d'activité peut être déterminé en prenant en considération un faisceau d'indices relatifs à la nature des produits, à la clientèle à laquelle ils s'adressent et, le cas échéant, au mode de distribution mis en oeuvre ;

7. Considérant que la société Le Joint Français dispose de trois sites de production, dont deux en France situés à Maizières-la-Grande-Paroisse et à Bezons (95), et un en Chine à Suzhou ; que la société Le Joint Français, filiale du groupe Hutchinson, lequel dépend du groupe Total, a invoqué au soutien de sa demande de licenciement pour motif économique de M. E... les menaces pesant sur la compétitivité de la " Division Mastics " du groupe Hutchinson comprenant les sociétés et établissements le Joint Français SNC, Hutchinson Industrial Rubber products, Deutsche Hutchinson Gmbh, LJF UK Ltd, Hutchinson Palamos SA et Hutchinson Srl., compte tenu plus particulièrement des difficultés économiques qu'elle rencontrait ;

8. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment de la note d'information économique relative au projet de réorganisation et de transfert des activités de l'usine de Maizières à Bezons adressée par la société à l'inspection du travail que quatre famille de produits sont fabriquées à l'usine de Maizières, qui est spécialisée dans la formulation, la fabrication et la distribution de mastics et revêtements à base de polymères polysulfure, polyuréthane et butyl (caoutchouc) ; que la société Le Joint Français qui relève de la " Division Mastics " fabrique ainsi des adhésifs à base de solvants, des mastics d'étanchéité et polyisobutylène, des colles structurales et des butyls ; que le site de production de la société le Joint Français situé à Bezons comprend quant à lui un département " Mastics " et un département " étanchéité et transfert de fluides " ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment de la note susmentionnée ainsi que des écritures de la société requérante que le groupe Hutchinson dont dépend la " Division Mastics " est spécialisé dans la fabrication ainsi que dans la commercialisation des produits issus de la transformation du caoutchouc dans quatre domaines dont notamment celui, comme la société Le Joint Français, de l'étanchéité et transfert de fluides ;

10. Considérant, en outre, qu'au sein du groupe Total, dans sa branche de spécialité chimie, les sociétés Cray Valley, Sartomer et Cook composites et polymères commercialisent des résines pour adhésifs, encres, peintures, revêtements et matériaux de structure et que la société Bostik produit des adhésifs et des colles ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et en l'absence d'éléments précis apportés par la société requérante, ainsi qu'il lui incombe, quant aux spécificités des produits des entités précitées, que les produits fabriqués par la " Division Mastics " et ceux de ces autres entités des groupes Hutchinson et Total doivent être regardés comme de même nature ;

12. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que la " Division Mastics ", qui commercialise ses produits sur les marchés de l'aéronautique et spatial, de l'automobile et du bâtiment, a une clientèle distincte des autres sociétés des groupes Hutchinson et Total fabriquant des produits de même nature et notamment de la société Bostik qui commercialise ses produits sur les marchés de la distribution grand public et professionnel, de l'industrie et de la construction ;

13. Considérant toutefois que la spécialisation d'une entreprise au sein d'un groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un secteur d'activité plus étendu, au niveau duquel doivent être appréciées les difficultés économiques ; que la société requérante n'apporte pas, ainsi qu'il lui incombe, d'éléments précis quant aux spécificités des marchés sur lesquels la " Division Mastics " et les autres sociétés des groupes Hutchinson et Total fabriquant des produits de même nature interviennent qui seraient de nature à justifier que ces entités relèveraient de secteurs d'activité distincts, bien qu'ayant une clientèle particulière ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a refusé d'autoriser le licenciement de M. E... en estimant qu'une menace sur la compétitivité de l'entreprise devait être appréciée au niveau du secteur d'activité des " résines colles et joints " des groupes Hutchinson et Total auxquels l'entreprise appartient et ce alors même que les produits fabriqués par la " Division Mastics " s'adresseraient à une clientèle différente de celle des autres sociétés de ces groupes ; que la société requérante, qui n'apporte que des éléments chiffrés relatifs à la " Division Mastics ", ne justifie pas, ainsi que le ministre l'a estimé sans commettre ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation, de la réalité des menaces qui pèseraient sur la compétitivité de ce secteur d'activité des groupes Hutchinson et Total dont elle relève ;

15. Considérant, en dernier lieu, que la circonstance que les moyens invoqués par M. E... à l'appui de son recours hiérarchique formé devant le ministre en charge du travail pour demander l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail ne soient pas fondés, est sans incidence sur la légalité de la décision du ministre en litige, qui dans le cadre de l'examen qu'il lui appartenait de réaliser dans l'exercice de son contrôle de la légalité de la décision de l'inspecteur du travail, s'est légalement fondé sur l'absence de réalité du motif économique invoquée par la société Le Joint Français à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement du salarié ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Le Joint Français n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Le Joint Français le versement de la somme de 1 500 euros à M. E..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Le Joint Français est rejetée.

Article 2 : La société Le Joint Français versera à M. E... une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société SNC Le Joint Français, à M. D... E... et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

2

N° 15NC01418


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC01418
Date de la décision : 27/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique.


Composition du Tribunal
Président : M. MARINO
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: M. LAUBRIAT
Avocat(s) : VERRY-LINVAL

Origine de la décision
Date de l'import : 10/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-12-27;15nc01418 ?
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