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21/03/2014 | FRANCE | N°13NT00134

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 21 mars 2014, 13NT00134


Vu le recours, enregistré le 17 janvier 2013, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102447 en date du 29 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de Mlle B... C..., représentée par M. et Mme E... C..., annulé la décision implicite née le 20 janvier 2011 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 8 octobre 2010 du consul général de France à Conakry re

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Vu le recours, enregistré le 17 janvier 2013, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102447 en date du 29 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de Mlle B... C..., représentée par M. et Mme E... C..., annulé la décision implicite née le 20 janvier 2011 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 8 octobre 2010 du consul général de France à Conakry refusant de lui délivrer un visa de long séjour au titre du regroupement familial ;

2°) de rejeter la demande présentée pour Mlle B... C... devant le tribunal administratif de Nantes ;

il soutient que :

- le jugement rendu le 29 novembre 2012 est entaché d'une insuffisance de motivation en ce que, la simple production pour une seule et même personne de deux jugements supplétifs délivrés par deux tribunaux différents suffisant à établir le caractère frauduleux des documents présentés, les premiers juges n'ont pas retenu l'existence de cette fraude, sans en expliquer les motifs ;

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en estimant, en dépit de l'article L. 411-1 du CESEDA et de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003, que l'interdiction du regroupement familial des enfants mineurs mariés n'était pas au nombre des motifs d'ordre public de nature à fonder légalement un refus de visa ; or, Mlle C... est mariée, ainsi qu'en atteste l'extrait de mariage produit au dossier, à M. A... D... depuis le 1er janvier 2009, soit antérieurement à la demande de regroupement familial déposée par ses parents le 22 juin 2009 ; l'accord du préfet n'a été obtenu que par dissimulation de ce mariage qui faisait également obstacle à la délivrance du visa ;

- il existe une fraude à l'état civil, l'identité et la filiation de la requérante n'étant pas établies ; Mlle C... aurait résidé en France de 1995 à 1997 auprès de ses parents ; toutefois, ces derniers n'éclaircissent pas les raisons pour lesquelles elle serait repartie en 1997, ni le délai de 13 ans qu'il ont mis pour introduire leur demande de regroupement familial, moins d'un mois avant la majorité de l'intéressée ; les parents de la requérante n'ont d'ailleurs jamais justifié avoir pourvu à son entretien ou à son éducation ; à l'appui de la demande de visa de Mlle C..., ont été produits un acte de naissance n° 618 délivré le 12 juillet 1991 par la sous-préfecture de Mafanco, ainsi que deux jugements supplétifs d'acte de naissance dressés par le tribunal de première instance de Kindia le 11 octobre 2010, et par le tribunal de première instance de Conakry II le 24 octobre 2011 ; si l'acte de naissance avait été authentique, il était inutile, et frauduleux de se faire délivrer deux jugements supplétifs ; ces jugements supplétifs sont entachés de fraude à la loi en ce qu'ils méconnaissent l'article 193 du code civil guinéen, de fraude au jugement en ce la requérante a soutenu devant ces juridictions qu'elle ne disposaient pas d'acte de naissance, et de fraude dans le choix de la juridiction, dès lors que les juridictions choisies étaient territorialement incompétentes, eu égard à son adresse dans la commune de Conakry III ; enfin, les jugements supplétifs n'ont pas été transcrits et aucun acte de naissance n'a été dressé ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2013, présenté pour Mlle C..., demeurant..., par Me Blanc, avocat au barreau d'Annecy, qui conclut au rejet du recours, à ce qu'il soit enjoint au ministre d'ordonner à son profit la délivrance du visa long séjour sollicité, subsidiairement de réexaminer sans délai sa demande de visa, et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le refus opposé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entaché d'illégalité, à défaut de motivation ;

- le refus de visa qui lui est opposé est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ; par décision du 22 décembre 2009, le préfet de la Haute-Savoie a fait droit à la demande de regroupement familial présentée par ses parents ; dans le cadre de l'instruction de cette demande, son état civil et son lien de filiation ont été scrupuleusement vérifiés ; à défaut la demande présentée par son père n'aurait pu prospérer ; sa filiation n'est pas contestable ; les deux jugements supplétifs rendus le 11 octobre 2010 par le tribunal de première instance de Kindia et le 24 octobre 2011 par le tribunal de Conakry II tiennent lieu d'actes de naissance ; ils ne revêtent aucun caractère frauduleux, et ce d'autant que les autorités administratives françaises n'ont pas compétence pour mettre en doute le bien fondé de décisions rendues par une autorité juridictionnelle étrangère ;

- s'agissant de son prétendu mariage célébré le 1er janvier 2009, elle le conteste formellement ; en tout état de cause, ce motif n'est pas au nombre des motifs d'ordre public de nature à fonder légalement le refus de visa ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 3 juin 2013, présenté par le ministre de l'intérieur qui tend aux mêmes fins que son recours par les mêmes moyens ;

il soutient, en outre, que :

- Mlle C... ne démontre ni même n'allègue avoir sollicité la communication des motifs de la décision implicite de rejet de la commission de recours ; le moyen tiré du défaut de motivation devra par suite être écarté comme inopérant ;

- sur le fond, l'autorité préfectorale n'a pas apprécié l'existence du lien de filiation ; le caractère frauduleux des documents fournis résulte de la simple existence de deux jugements supplétifs ; si Mlle C... conteste l'existence de son mariage, elle n'explique nullement les raisons pour lesquelles l'acte de mariage fourni par l'administration serait inauthentique ;

Vu le mémoire en production de pièces, enregistré le 3 septembre 2013, présenté pour Mlle C... ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 octobre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur qui tend aux mêmes fins que son recours, par les mêmes moyens ;

il soutient, en outre, que :

- il conteste le certificat de célibat qui lui aurait été délivré par la commune de Matam ; ce certificat, qui a pu être délivré par complaisance, ne saurait remettre en cause l'authenticité de l'acte de mariage présenté par Mme C..., qui fait foi en application de l'article 47 du code civil ;

- celle qui se présente comme Mme C... était mariée avant que ses parents allégués ne déposent leur demande de regroupement familial ; cet élément a été dissimulé au préfet qui n'aurait pas, s'il en avait eu connaissance, pu donner son accord à la procédure de regroupement familial, l'intéressée n'étant pas éligible, en application de la directive 2003/86/CE du conseil ; il y a fraude de nature à faire obstacle à la délivrance du visa ;

Vu la lettre du 7 octobre 2013 informant les parties, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à rendre paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office ;

Vu l'ordonnance en date du 25 octobre 2013 par laquelle le président de la 5ème chambre a, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, fixé la clôture de l'instruction au 13 novembre 2013 à 12 heures ;

Vu la décision du 31 mai 2013 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nantes a maintenu la décision du 15 mars 2013 par laquelle le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 70 % a été accordé à Mlle C... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 février 2014 :

- le rapport de M. Millet, président-assesseur ;

- et les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;

1. Considérant que le ministre de l'intérieur relève appel du jugement en date du 29 novembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, à la demande de Mlle B...C..., représentée par M. et Mme E... C..., annulé la décision implicite née le 20 janvier 2011 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé la décision du 8 octobre 2010 du consul général de France à Conakry refusant de lui délivrer un visa de long séjour au titre du regroupement familial ;

Sur la légalité de la décision du 20 janvier 2011 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans " ;

3. Considérant que, si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité consulaire use du pouvoir qui lui appartient de refuser leur entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs d'ordre public ; que la dissimulation de son mariage dans son pays d'origine par un enfant mineur qui sollicite, en cette qualité, la délivrance d'un visa au titre du regroupement familial est au nombre des motifs d'ordre public susceptibles d'être pris en considération pour fonder un refus de visa, alors même que le regroupement familial aurait été autorisé ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de son acte de mariage, que Mlle C..., née le 11 juillet 1991, et alors mineure, a épousé M. A... D... le 1er janvier 2009 à Conakry avant même que M. E... C..., ait introduit une demande de regroupement familial en sa faveur, et ait obtenu du préfet de la Haute-Savoie une autorisation en ce sens le 22 décembre 2009 ; que Mlle C... avait la qualité de mineure émancipée de plein droit par le mariage au regard tant de l'article 432 du code civil guinéen que de l'article 413-1 du code civil français ; qu'à l'instar de ses parents, l'intéressée a dissimulé sa situation personnelle aux autorités chargées de délivrer les visas d'entrée en France au titre du regroupement familial ; qu'une telle dissimulation est constitutive d'une fraude de nature à justifier un refus de visa ; que si Mlle C... produit en appel un certificat de célibat à la date du 16 août 2013, ce document, dénué de valeur probante, n'est pas, en tout état de cause, de nature à établir qu'aucun mariage n'aurait été célébré le 1er janvier 2009, et que l'intéressée n'aurait pas été mariée à la date de la demande de visa ; que, par suite, l'administration a pu prendre en compte cette situation, sur le fondement de ce motif d'ordre public, pour lui opposer un refus de visa, sans entacher sa décision d'illégalité ; qu'ainsi, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur l'absence de motif d'ordre public de nature à faire obstacle à la délivrance du visa sollicité pour annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 20 janvier 2011 ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mlle C... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) " ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que Mlle C... ait demandé que lui soient communiqués les motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ; que, dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision implicite contestée ne saurait être retenu ;

7. Considérant, en second lieu, que Mlle C... a produit deux jugements supplétifs rendus le 11 octobre 2010 par le tribunal de première instance de Kindia et le 24 octobre 2011 par le tribunal de Conakry II tenant lieu d'acte de naissance, dont le ministre de l'intérieur conteste le caractère authentique, dès lors que Mlle C... a également produit, à l'appui de sa demande de visa, un acte de naissance n° 618 délivré le 12 juillet 1991 par la sous-préfecture de Mafanco ; que, toutefois, hormis le cas de fraude, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère ; que, dans ces conditions, les seules circonstances invoquées par le ministre selon lesquelles ces jugements supplétifs ont été rendus par des juridictions incompétentes, compte tenu de la domiciliation de Mlle C... à Conakry III, et en méconnaissance de l'article 193 du code civil guinéen, dès lors que l'intéressée était en possession d'un acte de naissance, ne sont pas de nature, en l'absence de mentions discordantes quant à la filiation de l'intéressée, à établir le caractère frauduleux des actes d'état civil produits à l'appui de la demande de visa de Mlle C... ; que, par suite, la commission a commis sur ce point une erreur d'appréciation ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle s'était initialement fondée sur le motif d'ordre public tiré de la fraude résultant de la dissimulation de la situation matrimoniale de Mlle C... ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du recours, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 janvier 2011 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Considérant que le présent arrêt, qui rejette la demande présentée par Mlle B...

C... n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour et subsidiairement de réexaminer sa situation, ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mlle C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 novembre 2012 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mlle C... devant le tribunal administratif de Nantes, et les conclusions qu'elle présente devant la cour, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mlle B... C..., et à M. et Mme E...C....

Délibéré après l'audience du 21 février 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Iselin, président de chambre,

- M. Millet, président-assesseur,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique le 21 mars 2014.

Le rapporteur,

J-F. MILLETLe président,

B. ISELIN

Le greffier,

C. GOY

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N° 13NT00134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT00134
Date de la décision : 21/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. ISELIN
Rapporteur ?: M. Jean-Frédéric MILLET
Rapporteur public ?: Mme GRENIER
Avocat(s) : BLANC

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-03-21;13nt00134 ?
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