La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/04/2014 | FRANCE | N°13NT02144

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 30 avril 2014, 13NT02144


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet 2013 et 30 décembre 2013, présentés pour M. B... F..., demeurant à..., par Me Andrieux, avocat au barreau de Paris ; M. F... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1108884, 1109421 du 21 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 septembre 2011 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision de l'ambassadeur de France e

n Tanzanie lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour ;

2°)...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juillet 2013 et 30 décembre 2013, présentés pour M. B... F..., demeurant à..., par Me Andrieux, avocat au barreau de Paris ; M. F... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 1108884, 1109421 du 21 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 septembre 2011 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision de l'ambassadeur de France en Tanzanie lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son avocat une somme de 2 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- le jugement est irrégulier, faute de comporter la signature des magistrats qui ont siégé ;

- le jugement est insuffisamment motivé ; les premiers juges n'ont pas caractérisé la nature des troubles à l'ordre public que sa venue serait susceptible de provoquer ;

- le jugement est entaché d'une dénaturation des faits et d'une erreur de droit ; il a été acquitté des chefs de poursuite tenant à la participation au génocide ; toutes les accusations qui ont été portées contre lui sont mensongères ; le ministre de l'intérieur ne peut retenir à son encontre une responsabilité pénale collective sans méconnaitre l'autorité de la chose jugée attachée au jugement d'acquittement rendu par le tribunal pénal international pour le Rwanda ; il ne peut lui être reproché de ne pas démontrer avoir oeuvré pour protéger les populations civiles, sans inverser la charge de la preuve ; les deux arrêts d'acquittement n'ont pas été rendus au bénéfice du doute ; sa venue en France n'est pas constitutive d'un trouble à l'ordre public ;

- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en lui refusant un visa d'entrée et de long séjour, sans justifications objectives et raisonnables, alors que d'autres membres du gouvernement auquel il appartenait résident en France, a entaché sa décision d'une discrimination illégale ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 2 décembre 2013 à Me Andrieux, en application de l'article R. 612-5 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2014, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient que :

- le requérant était ministre des transports et des communications du gouvernement du président E...et a occupé cette fonction ministérielle jusqu'en juillet 1994 ; le président E...a reconnu devant le tribunal pénal international pour le Rwanda que la politique de son gouvernement se décidait aux réunions du conseil des ministres ; ce tribunal a retenu la responsabilité collective du gouvernement du président E...dans le crime de génocide perpétré au Rwanda contre les populations civiles tutsies entre avril et juillet 1994 ; en tant que membre du gouvernement de M. E..., M. F... ne pouvait être dans l'ignorance de l'entreprise criminelle qui visait la communauté tutsie ; il n'a pas cherché à démissionner et est demeuré à son poste jusqu'à la chute du gouvernement ; il avait donc parfaitement conscience des conséquences de son action au sein de l'exécutif rwandais durant le génocide ; si le 25 février 2004 la chambre de première instance III du tribunal pénal international a déclaré, dans son arrêt du 7 juillet 2006, M. F... non coupable des six chefs d'accusation dont il devait répondre, c'est en raison de vices dans les actes d'accusation ; la chambre d'appel du tribunal pénal international a cependant dégagé des conclusions factuelles de l'acte d'accusation qui portent sur l'implication personnelle et directe de M. F... ;

- la présence de M. F... en France constitue un risque de trouble à l'ordre public ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 avril 2014, présenté pour M. F... qui conclut par les mêmes moyens aux mêmes fins que sa requête ;

Vu la décision du 30 septembre 2013 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nantes admettant M. F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle

totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2014 :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau, premier conseiller ;

- et les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;

1. Considérant que, par une décision du 13 avril 2010, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a reconnu la qualité de réfugiée à MmeD... C..., épouse de M. B... F..., tous deux de nationalité rwandaise ; que M. F... a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour pour rejoindre son épouse en France ; que le refus de visa opposé par l'ambassade de France en Tanzanie a été confirmé par une décision du 19 septembre 2011 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ; que M. F... relève appel du jugement du 21 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que la minute du jugement attaqué est, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, signée du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier de l'audience qui s'est tenue le 21 mai 2013 ; que la circonstance que l'expédition du jugement notifiée à M. F... ne comporte pas ces signatures n'entache pas d'irrégularité ce jugement ;

3. Considérant, d'autre part, qu'en estimant qu'en raison de l'exercice des fonctions de ministre des transports du gouvernement du Président E...pendant toute la durée des massacres perpétrés au Rwanda entre avril et juillet 1994, de l'absence d'éléments de nature à établir que M. F... aurait agi pour atténuer ou prévenir les massacres s'y déroulant, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'avait pas inexactement qualifié les faits en estimant qu'ils étaient constitutifs d'une menace à l'ordre public, les premiers juges, qui ont ainsi indiqué les éléments sur lesquels ils se fondaient, ont suffisamment motivé leur jugement ;

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :

4. Considérant, en premier lieu, qu'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint et aux enfants mineurs d'un réfugié statutaire les visas qu'ils sollicitent afin de mener une vie familiale normale ; qu'elles ne peuvent opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public ; qu'elles peuvent, sur un tel fondement, opposer un refus aux demandeurs ayant été impliqués dans des crimes graves contre les personnes et dont la venue en France, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de leur présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public ;

5. Considérant, par ailleurs, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité ; qu'il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative puis, le cas échéant, au juge administratif d'apprécier si les mêmes faits sont établis ;

6. Considérant que, si M. F... a été acquitté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda des crimes de génocide et de complicité de génocide, au motif que la juridiction internationale, d'une part, n'a pas été en mesure d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, sa participation directe à des exactions contre la population civile, d'autre part, s'est refusée à examiner sa responsabilité pénale sous l'angle de la théorie de l'entreprise criminelle commune, l'acte d'accusation étant incomplet sur cette accusation, l'intéressé a cependant participé aux gouvernements du Rwanda de mars 1981 à juillet 1994, y compris en dernier lieu, en qualité de ministre des transports et des communications, au gouvernement intérimaire de M. A... E..., condamné quant à lui pour génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, pendant toute la durée des massacres, d'avril à juillet 1994 ; que M. F... avait ainsi continué à exercer d'importantes fonctions ministérielles, ce qu'il ne conteste pas, jusqu'à la chute du gouvernement responsable de ces exactions ; que si sa participation directe et personnelle n'a pas été démontrée, il n'établit pas qu'il aurait agi pour atténuer ou prévenir ces massacres, qu'il ne pouvait ignorer compte tenu de la nature de ses fonctions, par l'indication de sa participation à des négociations pour un cessez-le-feu dès le 24 avril 1994, que le Tribunal pénal international a mis en doute ; que, par suite, M. F... doit être regardé, eu égard aux responsabilités éminentes qu'il a personnellement exercées au sein du gouvernement rwandais d'avril à juillet 1994, comme ayant été impliqué dans des crimes graves contre les personnes ; qu'ainsi, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, qui n'a pas fondé sa décision sur les accusations portées par M. E... devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, n'a pas inexactement qualifié les faits de la cause en estimant qu'ils étaient constitutifs d'une menace à l'ordre public ; que cette autorité a pu, dès lors, sans méconnaitre l'autorité de la chose jugée au pénal, légalement se fonder sur ce motif pour prendre la décision contestée, alors même que d'anciens responsables rwandais ont pu être accueillis par le passé dans certains pays d'Europe et en France ;

7. Considérant, en second lieu, que M. F... ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que s'il fait valoir que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France emporte une rupture d'égalité, compte tenu de la présence en France d'anciens ministres rwandais, il ne l'établit pas ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à

soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité dans le délai d'un mois ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme sollicitée par M. F... au profit de son avocat à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 10 avril 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Iselin, président de chambre,

- M. Millet, président assesseur,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 avril 2014.

Le rapporteur,

M-P. ALLIO-ROUSSEAULe président,

B. ISELIN

Le greffier,

F. PERSEHAYE

''

''

''

''

2

N° 13NT02144


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT02144
Date de la décision : 30/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 Étrangers. Entrée en France. Visas.


Composition du Tribunal
Président : M. ISELIN
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme GRENIER
Avocat(s) : ANDRIEUX

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-04-30;13nt02144 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award