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13/02/2017 | FRANCE | N°13PA04301

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 13 février 2017, 13PA04301


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 98 000 euros, en réparation des conséquences dommageables des opérations chirurgicales qu'il a subies à l'hôpital Tenon en mai 2010.

Par un jugement n° 1115384/6-2 du 2 juillet 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit du 1er février 2016, statuant sur la requête, enregi

strée le 26 novembre 2013, présentée pour M. B..., la Cour a prescrit une mesure d'expertise a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 98 000 euros, en réparation des conséquences dommageables des opérations chirurgicales qu'il a subies à l'hôpital Tenon en mai 2010.

Par un jugement n° 1115384/6-2 du 2 juillet 2013, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit du 1er février 2016, statuant sur la requête, enregistrée le 26 novembre 2013, présentée pour M. B..., la Cour a prescrit une mesure d'expertise aux fins, premièrement, de dire s'il était possible de connaître le caractère bénin de la tumeur dont souffrait M. B... préalablement à toute intervention chirurgicale, deuxièmement, de dire quelles auraient pu être, pour M. B..., les conséquences d'une absence d'exérèse chirurgicale du phéochromocytome bénin de la surrénale droite dont il souffrait et de dire si ces conséquences auraient pu être traitées notamment par voie médicamenteuse, troisièmement, de dire si l'exérèse de la tumeur aurait pu être réalisée par une voie moins risquée que la thoraco-phréno-laparotomie et, quatrièmement, de dire, plus globalement, si M. B... a subi une perte de chance de se soustraire aux dommages qui se sont réalisés.

Le rapport d'expertise a été déposé au greffe de la Cour le 22 novembre 2016.

Par un mémoire, enregistré le 5 janvier 2017, M. B..., représenté par Me Loiré, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1115384/6-2 du 2 juillet 2013 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) dans le cas où une faute médicale serait établie, de condamner l'Assistance publique -hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 98 000 euros ;

3°) à titre subsidiaire, dans le cas où seul un défaut d'information sur les risques encourus au titre de l'opération chirurgicale subie serait établi, de condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 50 000 euros ;

4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris la somme de 3 000 euros à verser à son avocat, Me Loiré, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- à titre principal, la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris doit être engagée à raison d'une faute commise lors de l'intervention chirurgicale du 5 mai 2010, dès lors que la ventilation de son poumon gauche n'a pas été correctement effectuée, entraînant une toux en post-opératoire, cause de l'éviscération ;

- à titre subsidiaire, il n'a pas été informé des risques d'éviscération et d'éventration avant l'intervention chirurgicale du 5 mai 2010, en méconnaissance de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, alors que les risques étaient connus, que l'intervention n'était ni urgente ni impérieuse et qu'il existait d'autres techniques opératoires moins risquées ;

- le défaut d'information est à l'origine d'une perte de chance de se soustraire au risque qui est advenu ainsi que d'un préjudice moral d'impréparation.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2013 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu l'ordonnance en date du 5 janvier 2017 taxant et liquidant les frais d'expertise.

Vu :

- le code de la santé publique,

- le code de la sécurité sociale,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bernard,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me Loiré, avocat de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., alors âgé de 67 ans, souffrait d'un phéochromocytome de la surrénale droite. L'exérèse de cette tumeur a été réalisée par thoraco-phréno-laparotomie le 5 mai 2010 à l'hôpital Tenon, établissement de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris. L'exérèse a été réalisée de manière satisfaisante. Toutefois, le surlendemain de l'intervention, il a été constaté, au niveau de la cicatrice, une éviscération couverte qui a nécessité une nouvelle intervention chirurgicale pratiquée le jour même. M. B... a, par la suite, présenté une éventration dont le traitement a nécessité deux interventions chirurgicales réalisées en décembre 2011 dans un autre établissement hospitalier. M. B... relève appel du jugement en date du 2 juillet 2013, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la réparation des conséquences dommageables de l'opération chirurgicale qu'il a subie le 5 mai 2010.

Sur la responsabilité :

2. M. B... soutient que le choix thérapeutique était entaché d'une erreur fautive, que des fautes ont également été commises lors de l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 5 mai 2010 puis lors de la prise en charge post-opératoire et qu'il n'a pas été préalablement informé des risques d'éviscération et d'éventration qui se sont réalisés.

En ce qui concerne le choix thérapeutique :

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonné par l'arrêt avant dire droit de la Cour du 1er février 2016, qu'un scanner réalisé en décembre 2009 a permis d'identifier une tumeur de la glande surrénale de taille importante, en contact avec le foie et laminant la veine cave inférieure. Des bilans sanguin et hormonal ont ensuite été réalisés, ainsi qu'une ponction-biopsie et une tomographie par émission de positrons (PET-scanner), permettant de poser le diagnostic de phéochromocytome, avec une forte suspicion de caractère cancéreux. Selon l'expert, d'une part, ces examens présentaient un caractère suffisant et, d'autre part, aucun examen, de quelque nature qu'il soit, ne permet d'affirmer le caractère bénin ou malin de la tumeur surrénalienne préalablement à son exérèse par voie chirurgicale. En outre, l'expert désigné par la Cour, tout comme celui désigné par le Tribunal, s'accordent pour affirmer que tout phéochromocytome, qu'il soit bénin ou malin, doit impérativement faire l'objet d'une exérèse chirurgicale. En effet, un phéochromocytome cause des poussées hypertensives répétées, qui peuvent provoquer d'elles-mêmes un décès brutal ou être à l'origine d'un accident vasculaire cérébral ou d'un infarctus du myocarde. A cet égard, l'expert désigné par la Cour précise qu'il n'existe aucune alternative non chirurgicale au traitement du phéochromocytome, qu'il soit bénin ou malin, aucun médicament anti-hypertenseur ne pouvant empêcher les graves poussées hypertensives causées par une telle tumeur. Le phéochromocytome bénin dont souffrait M. B... devait ainsi impérativement faire l'objet d'une exérèse chirurgicale.

4. S'agissant plus particulièrement du choix de la voie d'abord pour réaliser l'exérèse, l'expert désigné par la Cour précise que la voie coelioscopique était en l'espèce formellement interdite en raison de la forte suspicion de malignité de la tumeur, eu égard au risque de dissémination tumorale que cette voie fait courir. Une incision était par conséquent nécessaire. Or, selon l'expert, d'une part, toute incision entraîne un risque d'éviscération et d'éventration. D'autre part, la voie choisie en l'espèce, la thoraco-phréno-laparotomie, était celle qui présentait le moins de risque pour la vie de M. B..., dès lors qu'elle permettait le meilleur jour et le meilleur accès à la tumeur et aux organes auxquels celle-ci adhérait. Cette voie était celle qui permettait le mieux de parer à une hémorragie qui serait intervenue sur la veine cave inférieure ou sur le foie lors de la dissection ou lors de la ligature de la veine surrénalienne. Elle permettait également une dissection plus aisée de la tumeur et donc une moindre mobilisation de celle-ci, réduisant ainsi le risque de graves poussées hypertensives pendant l'intervention. Le choix de la thoraco-phréno-laparotomie était donc le plus adapté à la situation d'espèce et parfaitement conforme aux règles de l'art. Aucune faute ne peut par suite être reprochée à l'hôpital dans le choix thérapeutique effectué, nonobstant les prédispositions de M. B... aux risques d'éviscération couverte et d'éventration qui sont advenus.

En ce qui concerne le déroulement de l'intervention chirurgicale du 5 mai 2010 et la prise en charge post-opératoire :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise ordonnés par la Cour et le Tribunal, que la fermeture pariétale réalisée à la fin de l'intervention chirurgicale a été très méticuleuse. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. B..., il n'existe aucun commencement de preuve de ce qu'une faute serait à l'origine de la mauvaise ventilation du poumon gauche lors de l'intervention ou de ce que le respirateur artificiel sous lequel il a été placé dans les suites de l'intervention n'aurait pas correctement été mis en place ou surveillé. Ainsi, l'éviscération couverte dont a été victime M. B... deux jours après l'intervention, de même que l'éventration apparue par la suite, présentent le caractère d'accidents médicaux non fautifs, dont la réalisation a été favorisée par la durée et la gravité de l'intervention, la longueur de la cicatrice, mais également par le surpoids, le diabète et la broncho pneumopathie chronique obstructive post-tabagique dont souffrait M. B.... Par suite, aucune faute médicale ou dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ne peut être reprochée à l'hôpital Tenon.

En ce qui concerne l'information du patient :

S'agissant de la perte de chance :

6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. / (...) ".

7. D'une part, en application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

8. D'autre part, lorsqu'une intervention est impérieusement requise, en sorte que le patient ne dispose d'aucune possibilité raisonnable de refus, le défaut d'information ne peut normalement entraîner une perte de chance de se soustraire au risque que cette intervention comporte.

9. L'Assistance publique - hôpitaux de Paris n'apporte pas la preuve que M. B... a été préalablement informé des risques d'éviscération et d'éventration qui présentaient un caractère tout à la fois fréquent et, s'agissant de l'éviscération, grave. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 4 ci-dessus, il résulte de l'instruction que l'exérèse chirurgicale du phéochromocytome bénin dont souffrait M. B... était impérieusement requise, puisque l'action hypertensive de cette tumeur était susceptible d'entraîner le décès brutal de celui-ci ou d'autres affections graves, voire mortelles, et qu'il n'existait pas d'alternative thérapeutique à une intervention chirurgicale ni de possibilité pour le chirurgien d'utiliser une technique opératoire moins risquée que celle mise en oeuvre. Par suite, le manquement du médecin à son obligation d'information n'a pas privé M. B... d'une chance de se soustraire aux risques qui se sont réalisés en refusant que l'intervention soit pratiquée.

S'agissant du préjudice d'impréparation :

10. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

11. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'impréparation de M. B... résultant pour lui du manquement du médecin à son obligation de l'informer des risques d'éviscération et d'éventration en fixant l'indemnité réparatrice, compte tenu des séquelles dont l'intéressé souffre, à la somme de 1 500 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice moral.

Sur les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis :

13. Il résulte des points 3 à 9 ci-dessus que la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant au remboursement des frais d'hospitalisation et de transport de M. B....

Sur les frais d'expertise :

14. Il y a lieu de mettre la totalité des frais de l'expertise décidée par arrêt avant dire droit du 1er février 2016, liquidés et taxés à la somme de 2 578,56 euros TTC, à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

15. D'une part, M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Loiré, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Assistance publique -hôpitaux de Paris le versement à Me Loiré de la somme de 1 500 euros.

16. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'Assistance publique -hôpitaux de Paris et de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis présentées sur le fondement de cet article.

DÉCIDE :

Article 1er : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser à M. B... la somme de 1 500 euros.

Article 2 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera à Me Loiré, avocat de M. B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Loiré renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 578,56 euros TTC, sont mis à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis sont rejetées.

Article 6 : Les conclusions de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le jugement du 2 juillet 2013 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis et à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,

- Mme Bernard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2017.

Le rapporteur,

A. BERNARDLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13PA04301


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