Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...C...a demandé au Tribunal administratif d'annuler la décision implicite de rejet du président de la société Orange, venue aux droits de France Télécom, de son recours gracieux tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis et à la reconstitution de sa carrière, d'enjoindre à la société Orange de procéder à sa reconstitution de carrière en la réintégrant au 5ème échelon du grade de chef technicien des installations (CTINT) à compter du 1er avril 2001 et de rétablir rétroactivement les promotions d'échelons, de condamner la société Orange à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements fautifs en matière de gestion de sa carrière, une somme de 30 000 euros, quitte à parfaire, au titre du préjudice subi du fait de l'illégalité du refus de France Télécom d'établir des listes d'aptitudes et des tableaux d'avancement depuis le 26 novembre 2004, la somme de 23 392,28 euros, quitte à parfaire, au titre de ses pertes de traitements et accessoires indexés sur l'évolution annuelle du point d'indice et de procéder au versement des cotisations de retraites correspondantes, et enfin d'enjoindre à la société Orange de la promouvoir au grade d'inspecteur (A...).
Par un jugement n° 1408404 du 11 avril 2016, le Tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 juin 2016, Mme C...représentée par Me D...demande à la Cour :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente d'un nouveau jugement à intervenir du Tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1408404 du
11 avril 2016 ;
3°) d'annuler le refus implicite de faire droit à son recours gracieux ;
4°) d'ordonner sa reconstitution de carrière en la réintégrant au 5ème échelon du grade CTINT, sans ancienneté acquise, à compter du 1er avril 2001 et de rétablir rétroactivement les promotions d'échelons jusqu'à ce jour et d'ordonner son inscription sur la liste d'aptitude au grade d'IN ;
5°) de condamner la société Orange à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements fautifs en matière de gestion de sa carrière, une somme de 24 434,09 euros représentant la perte de traitement et des accessoires à ce traitement induit par sa reconstitution de carrière, après l'avoir indexée sur l'évolution annuelle du point d'indice, de procéder au versement des cotisations correspondantes au service des pensions de retraites de la poste et de France Télécom, et de lui verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du dispositif de promotion interne mis en place par France Télécom-Orange depuis 2004 ;
6°) de condamner la société Orange à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas pu démontrer la perte d'une chance sérieuse d'obtenir le grade de chef technicien (CTINT) dès 2001 en raison des agissements fautifs de France Télécom consistant, d'une part, en un refus de communication de son dossier individuel complet, ce qui l'a obligée à saisir la commission d'accès aux documents administratifs puis le Tribunal administratif de Paris, et en la perte de certains éléments de ses notations et appréciations, et, d'autre part, à l'absence de notations au titre des années 1983, 1984, 1986, 1987 et 1994 à 2004 et en l'irrégularité des appréciations et des notations établies entre le 23 mars 1993 et le 13 juillet 2001 ;
- elle justifie non seulement son préjudice moral, mais également la perte de chance sérieuse d'obtenir le grade de CTINT dès le 1er avril 2001, puisqu'elle établit les difficultés auxquelles elle a été confrontée lors de la demande de communication auprès de son employeur des documents relatifs à sa manière de servir et qu'elle démontre qu'elle n'a pas démérité depuis 2001 ;
- dans ces conditions, elle doit être regardée comme remplissant les conditions pour obtenir le grade de CTINT dès cette date ;
- la société Orange doit procéder à la reconstitution de sa carrière au niveau administratif et financier, y compris sa pension de retraite ;
- la possibilité de demander à titre individuel la reconstitution de sa carrière a été reconnue par le ministre de l'économie lors de la séance des questions au gouvernement le 4 novembre 2015 ;
- elle est fondée à demander la réparation des préjudices qu'elle a subis en raison de l'illégalité du dispositif de promotion interne institué depuis le décret du 26 novembre 2004 ;
- ce dispositif, qui ne prévoit qu'une seule voie de promotion interne, méconnaît l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984, ainsi que les dispositions applicables au grade de CTINT.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mars et
19 mai 2017, la société Orange représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de Mme C...à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire, enregistré le 2 juin 2017, a été présenté pour MmeC....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des
fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée relative à l'organisation du service public de La Poste et de France Télécom ;
- le décret n° 59-308 du 14 février 1959 relatif aux conditions générales de notation et d'avancement des fonctionnaires ;
- le décret n° 96-285 du 2 avril 1996 relatif à la notation du personnel de la Poste et de France Télécom ;
- le décret n°2004-1300 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- et les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public.
1. Considérant que Mme C..., fonctionnaire de l'Etat, a été employée par France Télécom devenue société Orange, dans le grade de reclassement de technicien des installations, auquel elle a accédé le 24 juillet 1991 ; que, par une décision du 24 novembre 2010, le Conseil d'Etat a jugé, notamment, que Mme C... ne pouvait être regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur des inspecteurs de France Télécom, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993 ; que, par un courrier du 21 mai 2014, Mme C... a demandé au président de la société Orange de l'indemniser à hauteur de 50 000 euros au titre du préjudice résultant des fautes commises dans la gestion de sa carrière, de procéder à sa reconstitution de carrière en la réintégrant au 5ème échelon du grade de chef technicien des installations, à compter du 1er avril 2001, de rétablir rétroactivement les promotions d'échelons, de lui verser une indemnité de 24 434,09 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de traitement et accessoires, de procéder au versement des cotisations correspondantes au service des pensions de retraite de la Poste et de France Télécom, de lui verser une indemnité de 30 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du refus de France Télécom d'établir des listes d'aptitude et des tableaux d'avancement depuis le
26 novembre 2004, et de la promouvoir au grade d'inspecteur ; que cette demande a fait l'objet d'un rejet implicite par le président de la société Orange ; que, par le jugement attaqué du 11 avril 2016, dont Mme C...relève appel, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet et à ce que la société Orange, venant aux droit de France Télécom, soit condamnée à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis ;
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires au titre des agissements fautifs de la société Orange dans la gestion de la carrière de MmeC... :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la loi du 13 juillet 1983 : " Les notes et appréciations générales attribuées aux fonctionnaires et exprimant leur valeur professionnelle leur sont communiquées./ Les statuts particuliers peuvent ne pas prévoir de système de notation " ; qu'aux termes de l'article 18 de la même loi : " Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l'intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité " ;
3. Considérant, en premier lieu, ainsi qu'il a été dit, que, par une décision du
24 novembre 2010, le Conseil d'Etat a jugé, notamment, que Mme C... ne pouvait être regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur des inspecteurs de France Télécom, si des promotions dans ce corps avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993 ;
4. Considérant que Mme C...soutient désormais que le caractère incomplet, consécutif à la perte de certains des éléments qui le composaient, du dossier communiqué par France Télécom, revêt le caractère d'une irrégularité fautive et la met dans l'impossibilité de démontrer l'existence du préjudice de carrière qu'elle a subi ; qu'elle fait valoir en outre que ses notations établies entre 1993 et 2001 ont été déterminées en application du décret n° 96-285 du 2 avril 1996 relatif à la notation du personnel de la Poste et de France Télécom, dont l'illégalité a été reconnue par une décision du Conseil d'Etat n° 211989 du 4 octobre 2000 ; que, toutefois, s'il résulte de l'instruction que les entretiens et notations couvrant la période allant de 1993 à 2003 ont été effectivement perdus, il est constant que Mme C...n'a pas davantage conservé les évaluations dont elle a fait l'objet au titre de cette période ; qu'elle ne produit par ailleurs aucune pièce ou témoignage de nature à attester de sa valeur professionnelle et de l'existence d'une chance d'être promue à cette période au grade supérieur ; que, par ailleurs, le fait que les fonctionnaires n'auraient pas été évalués sur le fondement du décret n° 59-308 du 14 février 1959 seul applicable aux fonctionnaires de l'Etat, ne suffit pas à établir que ceux-ci n'auraient pas fait l'objet de la part de leurs supérieurs hiérarchiques d'une évaluation conforme à leurs mérites et à leur manière de servir ; que, par suite, Mme C...n'établit pas que les fautes ainsi commises, lui auraient causé des préjudices spécifiques et distincts de ceux sur lesquels le Conseil d'Etat s'est déjà, en dernier lieu, prononcé dans sa décision
du 24 novembre 2010 ;
5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...), mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités
ci-après : 1°) Examen professionnel ; 2°) Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...). " ; qu'en vertu de l'article 10 de cette même loi, " (...) les statuts particuliers pris en la forme indiquée à l'article 8 ci-dessus peuvent déroger, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat prévu à l'article 13 ci-après, à certaines des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins propres de ces corps ou aux missions que leurs membres sont destinés à assurer, notamment pour l'accomplissement d'une obligation statutaire de mobilité. Les statuts particuliers de corps interministériels ou communs à plusieurs départements ministériels ou établissements publics de l'Etat peuvent déroger, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, à certaines des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins propres à l'organisation de la gestion de ces corps au sein de chacun de ces départements ministériels ou établissements. " ; qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la Poste et à France Télécom : " Les dispositions de l'article 10 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée s'appliquent à l'ensemble des corps de fonctionnaires de La Poste et de France Télécom. " ;
6. Considérant, en ce qui concerne la période postérieure à l'entrée en vigueur du décret susvisé du 26 novembre 2004, et alors même que France Télécom fait valoir qu'elle a fait le choix de privilégier le concours interne, que cette circonstance ne la dispensait pas, en application des dispositions précitées de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 de procéder à l'établissement de listes d'aptitude ou de tableaux d'avancement permettant la promotion interne des fonctionnaires, jusqu'à la date d'entrée en vigueur du décret n° 2011-1673 du 29 novembre 2011 relatif aux statuts particuliers des corps de technicien des installations de France Telecom ; qu'en ne le faisant pas, France Télécom a commis une illégalité fautive ; que, par suite, c'est à tort que les premiers juges n'ont pas admis que la responsabilité de France Télécom était, à ce titre, susceptible d'être engagée de 2004 à 2011 ;
7. Considérant, toutefois, que l'avancement au choix ne constitue pas un droit pour un fonctionnaire ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, compte tenu des appréciations portées sur la manière de servir de MmeC..., eu égard à la nature des fonctions susceptibles de lui être confiées en cas d'avancement, si à compter de 2004 la promotion interne avait été prévue par une autre voie que celle du concours, que l'intéressée ait été privée d'une chance sérieuse d'accéder au grade supérieur de son corps ; qu'en particulier, il ressort des notices d'entretien de progrès établies par sa hiérarchie entre 2006 et 2011, que ses compétences n'ont jamais été considérées comme exceptionnelles mais seulement satisfaisantes, voire partielles et parfois insuffisantes ; qu'il s'ensuit que la requérante n'établit pas l'existence d'une perte de chance sérieuse d'accéder au grade supérieur, entre 2004 et 2011, alors au demeurant qu'il est constant qu'elle n'a jamais présenté sa candidature à l'un des concours organisés par France Télécom à compter de 2004 ;
8. Considérant, en revanche, qu'il sera fait une exacte appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis par MmeC..., du fait de cette illégalité, en les évaluant à la somme de 1 000 euros, tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;
En ce qui concerne la reconstitution de carrière et ses conséquences financières :
9. Considérant que les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir ; que s'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, l'administration ne peut, en dérogation à cette règle générale, leur conférer une portée rétroactive que dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation ;
10. Considérant que, si ainsi qu'il a été jugé au point 3, France Télécom a commis une illégalité fautive entre 2004 et 2011 en privilégiant la voie du concours interne, cette circonstance ne crée, par elle-même, aucun droit à une reconstitution de carrière au profit de l'intéressée, alors, par ailleurs, qu'une telle illégalité n'a privé Mme C...d'aucune chance sérieuse d'accéder au grade supérieur ; que, par suite, c'est à bon droit que le président de la société Orange a refusé de procéder à la reconstitution de la carrière de Mme C...en la réintégrant au 5ème échelon du grade de chef technicien des installations, à compter du 1er avril 2001, de rétablir rétroactivement les promotions d'échelons, de lui verser une indemnité de 24 434,09 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de traitement et accessoires, de procéder au versement des cotisations correspondantes au service des pensions de retraite de la Poste et de France Télécom, de lui verser une indemnité de
30 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du refus de France Télécom d'établir des listes d'aptitude et des tableaux d'avancement depuis le 26 novembre 2004 et de la promouvoir au grade d'inspecteur ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral, à concurrence de 1 000 euros ;
Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que MmeC..., qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, soit condamnée au versement des sommes que la société Orange réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orange la somme que Mme C...réclame au titre de ces mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La société Orange versera à Mme C...une somme de 1 000 euros en réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et son préjudice moral.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1408404 du 11 avril 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les conclusions de la société Orange présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...C...et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Even, président,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2017.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEULe président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'économie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01879